Corruption, l’obstacle du Développement Économique et Social : Le rôle de la société civile dans la mise en place de réformes efficaces et durables

De nos jours, on s’accorde largement à dire que la corruption cause un préjudice inacceptable et qu’il est insensé de ne pas s’attaquer à ce problème. Sous la pression de la société civile, (qui se compose d’organisations non gouvernementales, sans but lucratif et indépendantes), des gouvernements et des institutions internationales ont conclu des accords de lutte contre la corruption et pris d’autres engagements visant à améliorer la gouvernance et la reddition de comptes.
La société civile continuera de jouer un rôle central dans les efforts qui sont déployés en vue de donner vie à ces engagements, et l’avenir du programme d’action contre la corruption dépendra du degré auquel on saura approfondir l’engagement de la société civile et veiller à ce qu’elle dispose des capacités techniques, de ressources financières, de l’information et d’un espace politique protégé pour s’acquitter de sa mission de surveillance et de défense des droits.

Au début des années 1990, des manifestations contre les entreprises et les gouvernements corrompus ont déclenché le mouvement anticorruption. À l’époque, on comprenait mal toute l’ampleur des préjudices causés par la corruption dont on acceptait tacitement le caractère inévitable.
Ce n’est que depuis une date relativement récente que l’on comprend qu’elle entrave le développement, qu’elle a un effet de distorsion sur la concurrence, qu’elle prive les pauvres de l’accès aux services de base et qu’elle compromet la sécurité politique et personnelle.
Par exemple, après avoir refusé de se rendre à l’évidence pendant des dizaines d’années, la Banque mondiale, sous l’égide de James WOLFENSOHN qui en était à l’époque le président, a reconnu que la corruption était "à elle seule le plus gros obstacle au développement économique et social" et, partant, à la lutte contre la pauvreté.
Aujourd’hui, la stratégie de la Banque en matière de gouvernance et de lutte contre la corruption décrit avec justesse la myriade de façons dont la corruption nuit à l’économie, à la vie politique et, surtout, aux pauvres :
Chaque jour, les populations pauvres du monde entier sont incapables d’accéder aux dispensaires, aux écoles ou à d’autres services essentiels parce que leurs systèmes publics sont insensibles ou parce qu’elles-mêmes sont incapables de payer des pots-de-vin ou non disposées à le faire.
Souvent, la corruption et une faible gouvernance font que les ressources censées alimenter la croissance économique et créer des occasions d’aider les pauvres à sortir de la misère servent au contraire à enrichir les élites corrompues.
Dans certains cas, l’extrême médiocrité de la gouvernance et la corruption ont contribué à l’effondrement financier et économique, à l’aliénation du public et même à violence et à la déchéance des États, avec des conséquences désastreuses pour les pauvres.
Encourager l’action de terrain
Maintenant qu’ils s’entendent sur les préjudices que cause la corruption, les gouvernements ont lancé toute une gamme d’initiatives visant à améliorer la gestion des affaires publiques. Toutefois, ils ont été plus lents à reconnaître et à appuyer le rôle critique que joue la société civile pour ce qui est d’assurer la réalisation des objectifs visés par ces initiatives.
Aux Amériques, par exemple, des gouvernements ont adopté une convention régionale contre la corruption en 1996, mais il a fallu attendre encore plusieurs années pour que les parties à la Convention interaméricaine contre la corruption approuvent un mécanisme de suivi qui puisse mettre en œuvre ce document, et ce à la demande d’organisations de la société civile guidées par Transparency International.
Depuis la création de ce mécanisme, la société civile ne néglige aucune occasion de faire connaître son point de vue et d’inciter les gouvernements à promouvoir la mise en œuvre de cette convention.
En saisissant les occasions qui se présentent, elle fournit une perspective non gouvernementale essentielle et donne de l’élan aux réformes.
Par ailleurs, la société civile a joué un rôle similaire dans l’examen de l’application de la Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales ainsi que des conventions anticorruption du Conseil de l’Europe et de son Groupe d’États contre la corruption.
L’expérience tirée des conventions relatives à la lutte contre la corruption montre clairement que la société civile joue un rôle clé pour ce qui est de promouvoir l’action de terrain. La Convention des Nations unies contre la corruption (UNCAC), qui a été ratifiée à ce jour par 80 pays, a le potentiel extraordinaire de créer un cadre tant mondial que national pour la réforme.
Toutefois, nous savons d’expérience qu’elle devra être dotée d’un mécanisme de suivi efficace si on veut la voir mise en œuvre.
Comme l’a fait remarquer Transparency International dans ses recommandations à la Conférence des États parties, la transparence et la participation de la société civile sur une base élargie et fiable constitueront une composante essentielle de ce processus.
Demander des comptes aux gouvernements
Ces quelques dernières années, la Banque mondiale et les autres banques de développement ont formulé des stratégies anticorruption et elles commencent à comprendre l’importance de la société civile quand il s’agit d’exiger des gouvernements qu’ils rendent des comptes.
Mais en tant que banques, dont les actionnaires sont des gouvernements, elles ont du mal à communiquer plus étroitement avec la société civile et à promouvoir un tel comportement par les gouvernements eux-mêmes.
Selon la stratégie actuelle de la Banque mondiale, "une priorité transsectorielle clé consiste à aider les États à devenir plus transparents en facilitant un plus haut degré de participation et de surveillance de la part des organisations civiques et des médias. Les citoyens et les médias qui ont largement accès à des informations sur le fonctionnement des institutions publiques tiennent une place cruciale dans les efforts visant à rendre l’État responsable de ses actes".
Si ce principe est indiscutable et explicite, le fait est que la transparence et les possibilités de participation demeurent problématiques dans de nombreux pays.
En outre, la capacité des institutions multilatérales est limitée par la volonté politique de ses membres. Par exemple, le Code des bonnes pratiques sur la transparence des politiques monétaire et financière, ou "le Code" du Fonds monétaire international (FMI), note à juste titre que la publication des informations fiscales, notamment celles qui ont trait aux budgets et à la passation des marchés publics, est une obligation qui incombe aux gouvernements et que ces informations doivent être accessibles en temps opportun.
Pour autant, tous les gouvernements n’adhèrent pas à cette pratique et ils se réservent le droit, nonobstant les efforts qui leur sont opposés, de refuser de publier les rapports sur leur respect des normes du Code.
En particulier, le Code reconnaît le caractère essentiel qu’il faut accorder à la transparence dans le contexte des ressources naturelles et des industries extractives puisque ces domaines sont particulièrement vulnérables à la corruption.
Les pays riches en ressources naturelles n’ont pas besoin de compter sur le public pour se procurer des recettes et, traditionnellement, les pays les plus sourds aux notions de transparence et de reddition de comptes se trouvent parmi les pays les plus pauvres, malgré leurs richesses naturelles.
L’appel contenu dans le Code en faveur "d’arrangements contractuels clairs et transparents" met en relief la nécessité de la surveillance par le public des actions de l’État, de l’octroi de concessions et des autres moyens d’exploitation des avoirs publics.
Ce principe sous-tend l’Initiative en faveur de la transparence dans les industries extractives, laquelle vise à accroître la transparence des paiements et des recettes provenant du pétrole, du gaz et des mines.
Selon le Royaume-Uni, qui l’a lancée en 2002, "l’accroissement de la transparence et des informations sur les recettes donnera aux citoyens et aux institutions les moyens de forcer les États à rendre des comptes. Il deviendra plus difficile de mal gérer ou de détourner les fonds destinés au développement durable".

À la base de cette initiative et des autres, en nombre croissant, sur la lutte contre la corruption et en faveur de la transparence, on trouve la prise de conscience, semblable à celle qui a eu lieu au Royaume-Uni, du fait que "le rôle de la société civile est essentiel quand il s’agit d’utiliser la divulgation des données de manière à rendre les gouvernements responsables de leurs dépenses".
Une promesse à tenir
Toutefois, toutes importantes que soient la transparence et les occasions offertes à la société civile en matière de participation et de surveillance, on part souvent du principe que la société civile, une fois implantée, sera capable d’exécuter ses fonctions vitales.
Des efforts considérables ont été déployés en vue de rehausser la capacité technique et financière des gouvernements, mais une action du même ordre à l’appui de la société civile fait encore défaut.
Il y a lieu d’intervenir dans les domaines suivants :
– Il convient d’institutionnaliser et de systématiser la transparence des fonctions, de la prise de décisions et des dépenses des gouvernements ainsi que l’accès à l’information, notamment l’accès illimité à l’internet, et les occasions de participation et de commentaires du public.
– La fourniture d’une formation s’impose pour que la société civile (organisations civiques, associations professionnelles et médias y compris) puisse exploiter efficacement les informations.
– De même, la formation est importante du point de vue de la promotion d’une gouvernance de qualité, de la transparence et de la reddition de comptes au sein des associations civiques.
– L’octroi de ressources financières, sans modalités politiques contraignantes, revêt un caractère essentiel pour permettre à la société civile de s’acquitter de sa mission, laquelle consiste : à recueillir des informations, à éduquer le public, à forger des coalitions et à mobiliser l’expertise nécessaire à l’analyse des informations, notamment en ce qui concerne les recettes des industries extractives, les budgets nationaux et la passation des marchés publics.
– Les organisations dignes de confiance de la société civile doivent pouvoir s’organiser et s’exprimer librement, sans que la loi ne limite leur capacité de fonctionnement et de collecte de fonds auprès de sources légitimes.
– Les militants en faveur de la société civile qui participent aux activités de surveillance, médias y compris, doivent être protégés contre les procès en diffamation, les menaces de violence et les arrestations.
En se penchant sur ces questions, on aidera la société civile à tenir sa promesse. Cette observation vaut tout particulièrement dans les pays où la présence d’individus corrompus, de ceux qui les corrompent et de ceux qui facilitent la corruption rend précisément l’action de la société civile plus vitale et plus difficile.
Devant les signes multiples de résistance de nombreux gouvernements, voire de l’hostilité ouverte aux droits démocratiques fondamentaux dans un nombre croissant de pays, le temps est venu où toutes les parties prenantes de la communauté internationale doivent soutenir la société civile.
C’est une façon d’inciter au changement à l’échelon local, à l’appui de réformes efficaces et durables.

Nancy BOSWELL

Nancy BOSWELL est membre du conseil d’administration de Transparency International et P.D.G. de Transparency International-USA, la filiale de cet organisme aux États-Unis.
Transparency International est un réseau d’organisations de la société civile de plus de 90 pays qui œuvre en liaison avec des gouvernements, des institutions internationales et le secteur privé en vue de faire reculer la corruption.

Sun, 01 Aug 2010 19:17:00 +0200

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