Contribution / Le professeur Danho Pierre, DCA d’Alassane Dramane Ouattara : ‘’Les socialistes ont trahi les Ivoiriens’’

La semaine dernière, au campus, après avoir lu la presse, quelques étudiants dans un excès de colère et surtout révoltés sur ce qui est appelé aujourd’hui l’affaire dite ‘’Mamadou Koulibaly’’, n’ont pas tardé à conclure très rapidement à la ‘’mort’’ de certaines idéologies; en l’occurrence le socialisme, tel qu’il est galvaudé en Côte d’Ivoire. Mais ce que ces étudiants n’ont peut-être pas perçu ou pris en compte dans leur analyse de la situation sociopolitique, c’est que l’obligation pour le citoyen de mettre un bulletin dans l’urne le conduit à opter pour un programme, celui d’un candidat, d’une liste, d’un parti, qui ne peut être dénué de références idéologiques. Ainsi, la disparition de l’idéologie socialiste signifierait une identité des programmes. En effet, chaque candidat souhaite un pays ou une commune prospère et que ses concitoyens y soient heureux. La finalité est commune à toute action politique, c’est, comme le note fort bien Aristote, le bonheur des citoyens. Ce sont sur les moyens d’assurer ce bien être que les opinions divergent. Et c’est dans le choix des moyens qu’on se réfère à un ensemble de représentations mentales, certaines relevant de la religion, d’autres d’idées émises par des philosophes, des penseurs, des intellectuels, d’autres encore suscitées par l’adhésion affective à un homme qui semble "agir bien" ou à un parti qui défend des idées justes. On peut soutenir en effet que de tout temps c’est l’insatisfaction qui a poussé les membres d’une communauté à désirer changer de chef et ou d’organisation. L’homme satisfait de son sort n’a pas plus de raison d’entrer dans un combat politique que l’homme bien portant n’a de raison de chercher des remèdes.

Cependant, il convient de nuancer cette affirmation en prenant en compte le caractère altruiste de certains hommes qui, satisfaits de leur propre sort, plaignent le sort de certains de leurs congénères et souffrent de les voir subir ce qui leur apparaît comme une injustice. Il faut le nuancer encore en prenant en compte le désir d’exercer le pouvoir qui participe généralement à la fois d’une perspective altruiste – on se ressent comme capable de protéger et de diriger ses concitoyens – et d’un désir de puissance qui est de l’ordre de la pulsion agressive et libidinale car le combat politique procure les satisfactions inhérentes à tout combat: plaisir de l’effort, goût du danger. Satisfaction due à la maîtrise de soi dans un dépassement de ses limites, bonheur d’un projet (conçu sur une base idéologique) qui donne un sens à la vie. Ainsi pourrait-on situer l’action politique d’un citoyen, d’un groupe sur une échelle d’insatisfaction, très forte quand elle a trait à leur inconfort ou à leur malheur personnel, moins forte si elle résulte plus d’un goût pour la fonction de dirigeant. Dans le dernier cas, on aura un choix dirigé vers des partis, des hommes, et des idéologies qui les animent.

Le socialisme comme le moyen de libérer l’Eburnie ?

Nous pensons justement que c’est dans cette perspective qu’il convient d’analyser le combat des socialistes actuellement aux affaires contre le régime jadis du père fondateur de la Côte- d’Ivoire moderne. Les objectifs essentiellement assignés à cette lutte étaient de traduire en acte les grandes idées fortes du socialisme et incontestablement de faire épouser sa doctrine aux Ivoiriens. Convaincus toutefois que le socialisme était la seule voie royale permettant d’introduire des changements importants en vue d’établir une société humaniste, plus égalitaire et plus juste, débarrassée des oripeaux de parti Etat, incarné par feu Houphouët-Boigny et tous ceux qui se sont à l’époque, cristallisés autour de sa personne. La soif de démocratie, l’idée de liberté, le concept de l’égalitarisme aidant, les Ivoiriens qui avaient soif d’apprendre, de comprendre les grands enjeux du monde si souvent dissimulés, d’affirmer leur personnalité de la tutelle infantile du parti unique et du parti-Etat se sont laissés bercer abusivement par la rhétorique égalitaire de l’actuel locataire de la Présidence de la République et de ses partisans. Et puisque le socialisme veut d’un monde meilleur que celui dans lequel le parti-Etat avait engouffré à l’époque le notre, M. Gbagbo et ses suiveurs ne se sont surtout pas gênés d’exploiter les faiblesses du pouvoir PDCI en vue de ce monde idéal dont nous subissons aujourd’hui les effets et les contre coups politiques. Comme Charles Fourrier (1772-1837), l’un des socialistes les plus originaux qui voulait d’un monde idéal, en affirmant "qu’il existe un calcul sur l’harmonie universelle des passions; qu’elles tendent à former un nouvel ordre social, qui serait l’opposé des discordes civilisées, un ordre où tous les peuples vivraient dans les délices et dans l’opulence graduée, malgré l’inégalité des fortunes ! Un ordre où le travail deviendrait plus attrayant que nos bals et spectacles". L’instrument de ce nouvel ordre social, pour Fourrier, fut la "phalange" dont le cadre de vie est le "phalanstère".

Un bilan désastreux et chaotique

Comme Fournier et le "phalanstère", "la refondation" apparaît du coup pour les socialistes éburnéens comme l’instrument politique devant révolutionner la société ivoirienne et créer une société humaniste et plus juste. Cependant, force est de reconnaître presqu’une décennie de gestion approximative du pouvoir vienne de s’écrouler sans qu’on ne retienne grand-chose des acquis du socialisme ivoirien. Celui qui suit de très près notre pays ne peut que s’étonner du gâchis, de la décomposition avancée d’une société en décadence et en quête aujourd’hui de ses repères. Tenez, ceux qui critiquaient d’alors l’Etat PDCI et voulaient qu’il "soit au dessus des partis pour prendre comme axe les intérêts généraux des Ivoiriens, afin qu’il ne soit pas l’instrument d’un parti, instrument derrière lequel certains se cachent pour frapper leurs adversaires politiques ou pour régler leurs comptes personnels" (CF. Laurent Gbagbo, Histoire d’un retour, Paris, l’Harmattan, 1989, p. 48), sont ceux aujourd’hui les vrais cauchemars du peuple éburnéen. "La Côte-d’Ivoire, disait-il, a besoin de démocratie pluraliste comme le corps humain" a besoin d’oxygène". Ou encore, "la démocratie responsabilise alors que la dictature assujettit. De ce point de vue, le débat démocratique fait apparaître des hommes politiques alors que la dictature engendre des courtisans. Sans débat politique, un vote est un viol". Toutes ces belles proclamations ont été jetées aux calendes grecques de la République et la violence qui s’est muée en un mode de gouvernement a pris le dessus et empêche tout débat contradictoire. L’activisme sur tous les fronts n’a pas non plus épargné l’économie actuellement en lambeau et dans une situation de dégradation avancée. A preuve, le fait surtout de gérer les affaires de l’Etat et en même temps d’être dans les rues d’Abidjan à rechercher les éventuels boucs émissaires, de vouloir tout casser en s’en prenant au peu qui existe, croyant faire du tort aux intérêts de la France et à ses soi-disant suppôts. Non seulement ont fait fuir tous les investisseurs mais aussi n’encourage pas les initiatives individuelles dans une telle société en pleine paupérisation où l’Etat lui même, en quête de ressources permanentes, éprouve de sérieuses difficultés à honorer ses engagements vis à vis des opérateurs économiques locaux. A ce propos, M. Houphouët-Boigny a mis des années en place une politique hardie et incitative pour attirer les investisseurs dans notre pays. Il a fallu très peu de temps pour détruire l’œuvre d’une quarantaine d’années de combat et de diplomatie tout azimut. Il est difficile voire pénible aujourd’hui de s’attraper un job. Sur cette question, le Président de l’Assemblée nationale, second personnage de l’Etat, et l’un des barons du système, ulcéré par des actes "forfaitures" commis au haut sommet de l’Etat dans le recrutement des éventuels fonctionnaires, n’a pas tardé à faire des révélations. Morceau choisi par le Nouveau Réveil :"A son arrivée à la tête du Ministère de l’Intérieur, ministère stratégique, Tagro aurait décidé de faire en sorte que le FPI ait ses propres policiers, c’est à dire des hommes sûrs recrutés par les responsables du parti, prêts à mourir pour le FP! Dans cette logique le Ministre de l’Intérieur aurait révélé que depuis trois ans qu’il est là, 2/3 des places ouvertes au concours d’entrée à l’Ecole de police sont réservés au FPI (…) il aurait même cité quelques unes des personnalités comme Simone Gbagbo, Affi N’guessan, Sokouri Bohui auxquelles est affecté chaque année un quota de places au concours de police" (CF.Nouveau Réveil, n? 2544, 14 juin 2010). Révélateur, le Quotidien gouvernemental, Fraternité-Matin du 9 juin, rapportant les propos de la nouvelle Directrice Générale de l’Ecole nationale d’Administration (ENA) : désormais, "on n’aura plus à payer pour entrer à l’Ecole Nationale d’administration". Des actes graves qui font peser des menaces sur la cohésion nationale et que sous d’autres cieux, des audits et enquêtes parlementaires seraient menés et la justice saisie aux fins de situer des responsabilités. Les travers de la politique, analysés par le sociologue Italien Wilfredo Pareto au début du siècle comme moyen de plaire et de se maintenir au pouvoir ne concernent pas que ces cas latents que nous mentionnons. Ils partent aussi du débauchage des personnalités influentes de certains partis politiques pour le besoin de la cause, à l’entretien de barons égarés, de courtisans, de favoris, de favorites, de groupes claniques, etc. La nécessité de vouloir à tout prix conserver le pouvoir justifie ces pratiques malhonnêtes ou délictueuses au nom de l’intérêt du parti, de la "démocratie", de la raison d’Etat. C’est justement cette même attitude qui, aujourd’hui, permet d’observer le lien subtil dans les inculpations de certaines personnalités de la filière café cacao, actuellement à la MACA, sur injonction des bailleurs de fonds internationaux, et qui ont trop abusé de leur position du pouvoir pour leur enrichissement personnel, d’une part, de financements occultes pour le bien du parti, d’autre part. A ce sujet, les paysans qui ont cru un instant aux sirènes des nouveaux messies déchantent aujourd’hui. Le kilogramme de café ou de cacao vendu à mille francs Cfa, n’est plus d’actualité et le libéralisme opéré dans la filière ne leur permet pas d’avoir les ressources escomptées. Certains crient à l’arnaque, tandis que d’autres expriment leur déception de constater que tout est géré par la Présidence de la République dans le cadre d’un comité de pilotage où de grosses ponctions servent à la stratégie du royaume (des audits sont d’avis sur cette question). L’Université qui a fait connaître les "pontes" actuels du pouvoir et qui devait être un modèle parce que temple du savoir en principe, a vu sa vocation transformée. En effet, les armes ont fait leur intrusion pour empêcher la liberté de penser et d’association pour la cause du prince. L’impunité y est de règle avec l’émergence d’une sorte de mafia qui foule au pied toutes les valeurs ancestrales. D’une façon générale, tout fout le camp et la violence est devenue le moyen et le mode d’expression de la jeunesse d’Eburnie. Les objectifs sanitaires qu’on décriait hier (se reporter à l’ouvrage du chef de l’Etat, la Côte d’Ivoire pour une alternative démocratique, p. 167), sont sans commune mesure d’avec ce qui existait autrefois. Même le strict minimum dans les centres hospitaliers fait défaut. L’amusement et l’école gratuite entre autres n’ont’ été que des sloganicieux. L’enrichissement illicite dont on faisait l’écho hier a pris une proportion énorme. Subitement des personnes qui ne peuvent pas se payer des loyers mensuels sont propriétaires des immeubles, actionnaires dans des grandes banques de la place, des responsables des stations d’essence, propriétaires des terrains non encore bâtis, voire bâtis, possédant des habitations chiffrées à des centaine de millions. Cependant, l’enrichissement ne touche pas que les strates les plus avancés du pouvoir et ceux qui leur sont proches. De simples étudiants et voire même des désœuvrés qui s’inscrivent dans la galaxie dite patriotique profitent immensément des retombées des ressources politiques. Ce sont des ouvertures voire des facilités qui leur sont offertes dans des grandes écoles que nous avons précédemment noté, comme l’Ecole de police, l’Ena, la gendarmerie, entre autres, où "ils sont dispensés de concourir". Alors, pourquoi se crever les "méninges" pour obtenir des meilleurs résultats à l’école, à l’Université en vue de préparer un avenir radieux ? Si seulement marcher, c’est-à-dire battre les pavés d’Abidjan peut procurer les mêmes atouts, voire faire de vous un homme respectable et respecté avec tout ce que cela comporte comme privilèges, notamment garde de corps rétribués par le biais des ressources occultes, voiture, logement quelquefois même villas gracieusement offertes pour les besoins savent pas à quel saint se vouer. Telles sont en quelques lignes la vision humaniste et égalitariste du socialisme éburnéen dont la solution se trouve dans les élections aux fins d’un nettoyage radical et populiste des écuries d’Augias.

Danho Pierre

Directeur Associé de campagne du candidat Alassane Dramane Ouattara, de la Zone II, Professeur de Droit et de Sciences politiques à l’université de Cocody.

Thu, 12 Aug 2010 02:11:00 +0200

0

Laisser un commentaire

Nous utilisons des cookies afin de vous offrir la meilleure expérience possible sur notre site Web. En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez notre utilisation des cookies.
Accepter
Refuser
Privacy Policy