Côte d’Ivoire – Quel financement pour les partis politiques ?

Après la dissolution de l’Assemblée nationale qui s’est suivie d’un régime d’exception où le Président de la République s’est investi des pouvoirs exécutif et législatif réunis, des élections législatives, fin 2011, ont permis la mise en place d’une nouvelle législature.
Il est intéressant de revenir sur la campagne électorale de décembre dernier et singulièrement sur le mode de financement de cette campagne. En effet, un certain arbitraire en la matière a nourri de nombreuses critiques. La légalité d’exception peut certes justifier le flou qui a régné autour du financement des partis politiques mais, le financement clientéliste, à la carte, n’a pas manqué d’interroger celui qui a pris la mesure de l’importance de ce financement dans une démocratie active. Des groupes de femmes ou certains partis politiques ont reçu des enveloppes d’un montant variable en dehors de tout cadre juridique, au point que l’on peut sérieusement s’interroger sur le maintien ou l’abrogation de la décision n°2005-07/PR du 15 juillet relative au financement sur fonds publics des partis et groupements politiques et des candidats à l’élection présidentielle, qui régit ces financements.
Aujourd’hui, cette période d’exception semble derrière nous et, à l’aube de la nouvelle législature, il est à espérer que le sujet soit précisé et qu’un texte clair permette de régir en toute justice et équité le financement des partis politiques en Côte d’Ivoire.

Les carences de la règlementation existante

Bien que contournée, l’ordonnance de 2005 n’a pas pour autant été formellement abrogée. Elle existe toujours mais, créée dans un période de crise, elle visait plutôt à assurer la survie des partis politiques dans un environnement d’insécurité qui interdisait tout processus électoral (pays coupé en deux, rébellion armée au Nord). Il convient aujourd’hui de pallier ses insuffisances car le texte ne prévoit pas, entre autres, de mécanisme de financement des campagnes électorales, ni de plafonnement des dons faits aux partis politiques et encore moins de moyens de contrôle de l’utilisation de ces fonds sachant que tout fonds public engagé doit être soumis à un contrôle.
Ce manque de précision constitue un frein à la qualité de la compétition électorale car certains candidats ne sont en liste que pour encaisser des fonds sans engager de réflexion constructive sur un projet de société alors que d’autres partis politiques, exclus du champ du financement public, sont tout simplement écartés de la compétition. En effet, en dehors du principe de représentativité à l’Assemblée nationale, le texte de 2005 contient une disposition permettant de financer les seuls partis politiques signataires des accords politiques de Marcoussis que d’autres existent dans l’environnement politique ivoirien.
Dans ce contexte, il est important de réfléchir à un mécanisme équitable de financement des campagnes électorales. D’évidence, l’argent est le nerf de la guerre. Il est aussi le nerf de la politique car il doit permettre de mobiliser l’adhésion populaire autour d’un projet de société. Les partis politiques ont donc à ce niveau un rôle formateur important auprès des populations.

Toutefois, s’agissant d’un financement public, un contrôle de la bonne utilisation des fonds est indispensable pour garantir l’intégrité du jeu politique. Le texte de 2005 a prévu de confier ce contrôle à la Chambre des comptes de la Cour Suprême. Cependant, le texte la réduit au rôle de simple conseillère dépourvue de pouvoirs contraignants. Cette limite la subordonne grandement au pouvoir. Ainsi, dans l’optique d’une nouvelle loi ou d’une révision, l’accroissement des pouvoirs de la Chambre des comptes s’impose. A défaut, on peut envisager la création d’une autorité administrative indépendante chargée de veiller au contrôle des fonds.

D’où doivent provenir les fonds ?

Dans une vision libérale, le principe du financement des partis politiques sur des fonds publics devrait être exclu. Les partis politiques, personnes morales de droit privé, devraient puiser leur financement exclusivement de personnes privées comme les entreprises privées, par exemple, et cela dans un cadre clairement défini avec des plafonds. Mais, en Côte d’Ivoire, le manque de liberté économique et l’imbrication étroite entre les sphères politique et économique conduisent les dirigeants politiques, depuis les indépendances, à protéger des monopoles d’entreprises amies. Cette proximité freine la liberté de financement de la part des entreprises privées qui se sentent redevables aux autorités en place qui les protègent et qui risqueraient d’ailleurs perdre leurs privilèges si elles avaient des velléités à financer des partis d’opposition. Cette réalité exclue d’office les plus petits partis politiques qui ont peu de chances d’accéder un jour au pouvoir.
Dans ce contexte particulier, exclure le financement public est synonyme de fragilisation du multipartisme. Les partis politiques, associations d’utilité publique, contre-pouvoirs importants, permettent d’équilibrer une démocratie. Pour assurer leur survie et leur mission, des fonds publics répartis sur des critères déterminés devraient être dégagés. Quand on sait que des sommes considérables sont dépensées pour préserver et nourrir la démocratie en Afrique, cette réflexion sur le financement des partis est loin d’être marginale.

Quels pourraient être les nouveaux critères de financement ?

Ces dernières années, les partis politiques signataires des accords de Marcoussis ayant bénéficié des financements publics ne se sont pas montrés à la hauteur de leur mission et l’on peut même se demander à quoi ont servi les fonds qui leur ont été octroyés. Lorsque l’on regarde, par exemple, les taux d’enrôlement et d’identification dans les différentes régions du pays, on peut affirmer qu’aucun parti ne s’est réellement mobilisé pour informer et sensibiliser les populations à l’importance du processus alors que ça aurait dû être leur rôle. Notons également que le manque de formation des militants, l’absence de critique constructive, l’ignorance du véritable rôle de contre-pouvoir, sont les éléments à mettre au passif des partis politiques ivoiriens.
Pour éviter de dépenser l’argent public stérilement, il est primordial de définir la mission précise des partis politiques afin de pouvoir ensuite exercer une évaluation et un contrôle du réalisé.
Dans les critères qui pourraient permettre l’évaluation des partis politiques, on pourrait inclure : la capacité à donner aux militants une véritable éducation civique et une formation ; l’aptitude à se prononcer sur les débats publics d’importance tels que la fermeture des universités, la cherté de la vie, la sécurité, le respect de l’état de droit, etc. ; l’impact médiatique du parti ; le nombre de militants ; l’existence d’un siège ouvert au public ; le degré de couverture du territoire national. De fait, vu les antécédents de l’histoire politique en Côte d’Ivoire, le score aux élections et la représentativité apparaissent désormais comme des critères insuffisants voire obsolètes pour y faire reposer les financements.

Michaël-Eric ABLEDJI, analyste d’Audace Institut Afrique

Wed, 02 May 2012 21:00:00 +0200

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