Devoir de mémoire : Blaise Compaoré, Chantal Terrasson de Fougères et l’assassinat de Thomas Sankara

« La paix dans le monde, c’est également cette région tourmentée du Sud de l’Afrique, II n’y a pas longtemps, nous avons été consternés par la mort de Samora Machel. Et en même temps, nous y avons vu comme message, comme une indication, la nécessité de lutter contre un ordre barbare, unique, retrogarde, de lutter contre un ordre que les peuples civilisés – et nous comptons la France parmi ces peuples-la – ont le devoir de combattre pied à pied, qu’il s’agisse de sanctions économiques, mais qu ‘il s’agisse également de combats militaires directs et ouverts contre le racisme, l’apartheid en Afrique du Sud… Nous n’avons pas compris comment des bandits comme Jonas Savimbi, des tueurs comme Peter Botha, ont eu le droit de parcourir la France si belle et si propre … ».Isidore Noël Thomas Sankara Président fondateur du Conseil national de la révolution (CNR), 2ème Secrétaire général du Haut commandement de la jeunesse africaine Président du Faso (lâchement) assassiné le 15 Octobre 1987

« J’ai perdu un frère ».Blaise Compaoré Président-Fondateur de la mafia ouest-africaine, Futur prisonnier du TSSL Commanditaire avec d’autres, de l’assassinat de 465000 Ouest-Africains Actuel Président du Faso

La troisième provocation géopolitique de Sankara et les ardeurs révolutionnaires du CDR de Pierre Ouédraogo, ont créé une aubaine pour la françafrique. Cette dernière fut confortée dans sa stratégie de la trappe à miel via la métisse franco-ivoirienne que le président Houphouët-Boigny se choisit. Comment le président Compaoré a-t-il trahi le peuple burkinabé et sacrifié le sort des militants anti-apartheid et la jeunesse africaine ? Cette alliance de toutes les contradictions entre Blaise Compaoré et Chantal Terrasson de Fougères, est-elle uniquement la seule manouvre du numéro un ivoirien ou l’obsession sexuelle de Blaise Compaoré ? Chantal Terrasson de Fougères a-t-elle utilisé le philtre d’amour dans sa conquête du cour du Beau Blaise Compaoré ? Sinon, comment se fait-il qu’un révolutionnaire comme lui puisse se laisser avoir par une simple profane en politique ?
Au moment où le président Thomas Sankara commettait sa troisième provocation géopolitique à travers son soutien public et net aux combattants anti-apartheid, le Comité de défense de la révolution (CDR) continuait sa mission de représailles à l’égard des ennemis de la révolution burkinabé dont leur chef de file était le chef de l’Etat ivoirien, Félix Houphouët-Boigny.

Ce dernier qui était depuis la naissance de la révolution sankariste, la cible privilégiée de Sankara et ses partisans, minimisait les insultes, les menaces, et les provocations très ouvertes des Burkinabé. Mais à partir du mois de décembre 1984, il comprit que les agitations des révolutionnaires burkinabé, n’étaient plus les attitudes d’un pouvoir à la recherche de popularité, mais plutôt un très grand danger qui risquait d’emporter à court terme son régime et certains de ses pairs ouest-africains. Car, en ce mois de décembre 1984, le secrétaire national du CDR, l’ex-camarade Pierre Ouédraogo par maladresse, avait dit dans un discours à peine voilé à Banfora (une bourgade burkinabé frontalière de la Côte d’ Ivoire), ce que certains proches du chef de l’Etat ivoirien qualifiaient de programme « subversif panafricain » de Sankara.

En effet, dans un discours virulent, Pierre Ouédraogo fit les éloges de la révolution, de ses attentes et prit pour cible les ennemis du sankarisme, avec en toile de fond le président ivoirien qu’il qualifia de « vieux garde-chiourme de l’impérialisme » et menaça d’exporter la révolution san-kariste dans tous les pays de l’Afrique occidentale. Cette arrogante allocution du numéro un du CDR, conforta le président ivoirien qui était déjà très inquiet de savoir que les révolutionnaires burkinabé préparaient quelque chose contre son régime. Des informations reçues quelques semaines auparavant de ses services d’espionnage chapeautés par ceux de la Françafrique confirmaient la menace.

Selon ces informations, les jeunes scolaires ivoiriens qui étaient partis faire des études au Burkina Faso, affirmèrent avoir suivi un entraînement militaire en Libye. Cette nouvelle durcit la position du numéro un ivoirien à l’égard de Sankara et rejoignit celle du ministre français de la coopération Guy Penne. Et, en janvier 1985, soit deux semaines après le discours de Pierre Ouédraogo à Banfora, le président Houphouët-Boigny ordonna à l’état major général des forces armées de la Côte d’Ivoire (FANCI) de créer une quatrième région militaire à Khorogo (une province du nord du pays). Pourtant, la création de cette quatrième région militaire ne rassurait guère « le vieux crocodile » (autre appellation du numéro un ivoirien). Ce dernier approuva la stratégie de la trappe à miel que lui proposait ses amis français pour en finir avec le régime Sankara. Comme sa paranoïa était à son paroxysme, le chef de l’Etat multipla des manouvres déstabilisatrices à l’endroit du Burkina Faso.

C’est ainsi qu’il organisa lui-même le 11 janvier 1985, à l’occasion du Sommet des chefs d’Etat du Conseil de l’Entente (Organisation politico-économique qui regroupe le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Niger et le Togo), un attentat contre Blaise Compaoré, dans le but de lui donner la conviction que Thomas Sankara voulait l’éliminer et créer par ricochet, des rivalités au sein des fondateurs historiques de la révolution sankariste.

Mais ce plan d’assassinat échoua et l’appartement réservé au chef de l’Etat burkinabé ou à son représentant à l’hôtel « Le Président » de Yamoussokro que les services ivoiriens avaient plastifié explosa, bien avant le départ de la délégation burkinabé de Ougadougou pour Yamoussokro. Le Président ivoirien et ses services secrets avaient mis en place ce plan d’assassinat de Blaise Compaoré sur la base des informations données par un agent qui a infiltré le régime burkinabé, lequel leur avait fait croire que c’était le ministre délégué à la présidence, Blaise Compaoré, qui représenterait son excellence le camarade Thomas Sankara, président de Faso. Informé par ses services de ce complot d’assassinat monté par le chef de l’Etat ivoirien, le président Thomas Sankara décida lui-même de se rendre à ce Sommet des chefs d’Etat du Conseil de l’Entente. Le président Houphouët-Boigny est humilié et embarrassé par l’échec de ce complot d’assassinat de Blaise Compaoré qu’il a organisé.

Nonobstant l’échec de cette tentative d’assassinat ratée, l’enfant terrible de Yamoussokro, revint à la charge quelques jours plus tard : le 15 janvier 1985, il mit en ouvre l’autre stratégie qui est celle de la trappe à miel. Ce jour-là, une délégation burkinabé conduite par le ministre délégué à la présidence, Blaise Compaoré, était en visite officielle en Côte d’Ivoire. Sur les conseils de ses multiples agents-conseillers, Houphouët-Boigny organisa un banquet en l’honneur de ses hôtes burkinabé, et demanda au proviseur du lycée des jeunes filles de Yamoussoukro d’emmener des belles jeunes filles de son institution à cette soirée. Dans le lot des jeunes filles sélectionnées pour cette soirée, se trouvait une métisse aux formes appétissantes : Chantal Terrasson de Fougères.

Coïncidence ou pas, Chantal porte le même nom que le gouverneur de l’Afrique occidentale française (AOF) de 1924 à 1931, Jean Henri Terrasson de Fougères. Mais Chantal, l’allumeuse est née d’une mère baoulé et d’un père français ; elle connaissait bien le président Houphouët-Boigny, son oncle maternel au sens africain du terme (car de même ethnie que sa maman). Mais certaines de nos sources murmurent qu’elle était aussi l’une des nombreuses jeunes filles qui passait des moments de détente avec Houphouët-Boigny. Elle était également l’ancienne porte-drapeaux des majorettes de la ville de Yamoussokro et la star d’une équipe de hand ball à Abidjan. Le choix est donc vite fait. Le président ivoirien régionaliste et tribaliste à la fois, choisit parmi ses nombreuses jeunes filles, sa nièce d’adoption voire sa copine Chantal Terrasson de Fougères. Il la présente avec insistance à Blaise Compaoré au cours de cette soirée. Un membre de la délégation burkinabé à ce banquet s’en souvient : « au moment où le président Houphouët la présentait à Blaise Compaoré, Chantal déployait des jeux de séduction… ». Pourtant, Blaise Compaoré résistait à la proposition du chef de l’Etat ivoirien comme s’il n’était guère intéressé par le jeu de séduction de Chantal Terrasson de Fougères.

Selon un autre membre de la délégation burkinabé à ce banquet, qui se rappelle de cet épisode, « … le ministre camarade Blaise Compaoré m’avait donné à la fin du banquet une lettre dans laquelle il avait mis sa carte de visite officielle, pour remettre à Chantal à la sortie du banquet… Durant notre chemin du retour vers Ouaga, Blaise nous confia avoir été excité tout au long du banquet ».

Outres ces souvenirs de ce banquet, Blaise Compaoré devint aussitôt son arrivée à Ouagadougou, fou amoureux de la Franco-Ivoirienne. Plus grave, dans cette love story, il oublia la révolution sankariste qui devait permettre l’amélioration des conditions de vie de ses concitoyens. Il devint de plus en plus arrogant, impoli à l’endroit de ses concitoyens et abandonna délibérément les dossiers ministériels à traiter préférant passer avec Chantal Terrasson de Fougères des week-ends chauds à l’hôtel Silmandé de Ouagadougou.

Sankara est informé de cette manouvre du numéro un ivoirien, et considère également Valentin Kindia (un Burkinabé résidant à Abidjan), financier du capitaine-agent de la françafrique Jean Claude Kamboulé, comme l’un des commanditaires de cette action. Une fois encore, Sankara se vit dans l’obligation d’appliquer la devise des révolutionnaires éthiopiens (nous allons détruire les traîtres et mettre sous contrôle non seulement les traîtres mais aussi la nature) qui consistait à exécuter les traîtres et les aigris du Burkina Faso et de l’Afrique. Il envoya alors au cour même de la capitale de la françafrique, Abidjan, un agent de la révolution depuis Ouagadougou qui réussit à assassiner Valentin Kindia sans laisser de traces.

Pendant ce temps, Blaise Compaoré qui était agent dormant de la françafrique était en train de devenir l’agent de la mesure active par sa love story avec Chantal Terrasson de Fougères. Tous les week-ends, cette dernière faisait le déplacement de Ouagadougou où l’attendait, à chaque fois, une voiture diplomatique. Elle transmettait, à chaque rencontre avec Blaise Compaoré, une lettre d’Houphouët et vice versa. Un ancien fonctionnaire du Quai d’Orsay, proche de Guy Penne affirmait à propos de cette opération de la françafrique que « …la jeune femme est assistée par nos agents et psychologues payés par le président Boigny… Ceux-ci lui prodiguaient les démarches à suivre… à partir de la fréquence de ses déplacements à Ouagadougou, de janvier 1985 au début mai 1985, nous savons que la stratégie de la trappe à miel fonctionne à plein régime et il ne restait qu’un simple détonateur intérieur pour descendre le régime de Sankara.. ». De plaisir en plaisir, le camarade ministre délégué à la présidence de la République Blaise Compaoré devint fou amoureux. Il trahit son pays, la lutte de tous les noirs du monde entier, la lutte anti-apartheid et la jeunesse africaine. Il devint agent de la mesure active de la françafrique pour l’assassinat de Thomas Sankara.

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Burkina Faso : 25 ans de «blaisisme» : Exploit honorable ou record gênant ?

Aujourd’hui, lundi 15 octobre 2012, cela fait vingt-cinq ans que Blaise Compaoré est au pouvoir. Un quart de siècle ! L’équivalent, à deux ans près, du règne cumulé des cinq autres chefs d’Etat qui se sont succédé à la tête de notre pays, c’est-à-dire Maurice Yaméogo, Aboubacar Sangoulé Lamizana, Saye Zerbo, Jean-Baptiste Ouédraogo et Thomas Sankara. Recordissime dans l’histoire politique de notre pays.

Rarissime dans le cercle des chefs d’Etat en exercice. Si bien qu’il faut remonter à l’époque des Grands Timoniers, des Génies des Carpates, des Guides éclairés, des Pères de la nation pour rencontrer pareils règnes anapurnéens.

Dans cette Afrique post-Discours de la Baule qui a secrété des dirigeants de la trempe d’Alpha Omar Konaré, de Nicéphore Soglo, de Jerry John Rawlings, d’Abdou Diouf, pour ne citer que ceux-là parmi tous ces dirigeants qui ont su quitter les affaires à temps pour mieux entrer dans l’histoire, une telle longévité politique semble aujourd’hui hors de mode politique. Si bien que, malgré ses soixante et un balais seulement, l’homme du 15-Octobre passe aux yeux de nombre de ses pairs, parfois bien plus âgés que lui, pour un «dinosaure».

C’est qu’en politique, on n’a pas que l’âge de ses artères.

Avouons donc, pour répondre à la question posée plus haut, que c’est une exception dans la règle des deux mandats consécutifs au plus. Peut-être bien qu’auprès de l’intéressé lui-même, l’évocation d’un tel record ne peut manquer de susciter un certain embarras. Même s’il convient de rendre à Blaise ce qui est à Blaise : sur ces vingt-cinq ans de magistrature suprême, vingt et un sont empreints du sceau de la légalité républicaine.

Alors, à l’occasion de ce jubilé d’argent, que peut-on retenir d’un si long naam ?

Exercice difficile.

Vouloir faire l’inventaire de vingt-cinq ans de gestion de pouvoir, qui plus est dans une page de journal, relève d’une gageure.

Qu’il nous soit permis, cependant, d’exercer notre droit d’inventaire, même si c’est de façon sommaire, sur cette étape du régime Compaoré. En attendant, nous l’espérons, que des historiens et autres spécialistes de la chose politique nous livrent, par le menu, les résultats de leurs check-up.

Pour cet exercice, ô combien difficile, voire périlleux, nous avons choisi de nous en tenir au bilan politique, diplomatique et socio-économique. Et surtout de ne suivre qu’un seul maître : notre conviction. Ce qui signifie que cela n’engage que nous. Chose que nous assumons entièrement.

Au plan politique, Blaise Compaoré est considéré par ses thuriféraires comme le démiurge du renouveau démocratique intervenu dans notre pays au début des années 90. Mais pour ses contempteurs, il est plutôt le traître à cette révolution naguère porteuse de l’espoir du peuple burkinabé et même de celui de toute la jeunesse africaine.

Cependant, plus que la duplicité supposée ou réelle de l’ex-numéro 2 du Conseil national de la révolution (CNR), ce sont les circonstances du dénouement des contradictions au sein des jeunes Turcs qui sont restées en travers de la gorge des sankaristes.

Mis à flot suite à la mort sanglante de Thomas Sankara et de douze de ses cosuppliciés, le Front populaire, le nouveau pouvoir, se proposait de rectifier la révolution, ou plutôt de l’approfondir.

Mais à quelques variantes près, le Front populaire se révèlera plus tard comme la réplique du défunt régime. En tout cas sur le plan sécuritaire et du mépris des droits humains. Au niveau politique, la rectification a ouvert une ère de décrispation générale en s’ouvrant aux forces politiques extérieures, désormais libres de se structurer en partis, et a mis un bémol aux exactions des Comités de défense de la révolution (CDR), devenus Comités révolutionnaires (CR).

Mais deux ans après Sankara, les purges, dignes de l’ère stalinienne, vont continuer, emportant deux autres figures historiques de la révolution, à savoir le commandant Jean-Baptiste Boukary Lingani et le capitaine Henri Zongo. Puis ce sera le tour de civils d’«être faits» pour emprunter le sinistre jargon de l’époque. Notamment Clément Oumarou Ouédraogo lors de cette nuit des longs couteaux dont les stigmates restent à jamais gravées sur le corps du miraculé professeur Tall Moctar.

Après quatre années d’hésitation entre un retour à la révolution des origines et un virage à 180°, l’atmosphère politique se détend davantage sous l’effet du vent de la démocratie libéré par la chute du mur de Berlin.

La suite, on la connaît : naissance de la Quatrième République avec l’adoption par référendum de la Constitution du 4 juin 1991, élection de Blaise Compaoré en décembre de la même année pour un mandat de sept ans à l’issue d’un scrutin boycotté par l’opposition, mise en place, en février 1992, de l’Assemblée des députés du peuple, largement dominée par l’Organisation pour la démocratie et le progrès/Mouvement du travail (ODP/MT), le parti présidentiel.

Si la transition démocratique s’est opérée sous le Front populaire, peut-on pour autant affirmer que l’homme du 15-Octobre s’y est engagé d’emblée de gaieté de cour ? La question mérite d’être posée quand on se rappelle les rapports ambigus que les rectificateurs ont entretenus avec le «Printemps démocratique» : en effet, alors que l’air du temps était à la démocratie de type libéral, les «octobristes» ont plutôt parlé longtemps d’un «Etat de droit révolutionnaire» (sic !). Avant de se soumettre, sous la pression d’événements intérieurs et extérieurs, surtout sous le diktat du discours de la Baule au libéralisme politique.
Thomas Sankara, l’homme de la Révolution d’août 83

Comme on le constate, les intentions du régime quant à la démocratisation intégrale sont restées longtemps floues.

Alors, Blaise Compaoré, démocrate de conviction ou démocrate de conversion forcée ?

En tout cas, vingt ans après le retour à une vie constitutionnelle normale, la démocratie burkinabè reste à approfondir, même si le régime peut se vanter de respecter toutes les échéances électorales : 4 présidentielles, 4 législatives et 3 municipales ; ce qui témoigne d’une stabilité institutionnelle certaine que beaucoup nous envient.

Mais l’une des laideurs de notre système politique reste l’absence d’alternance. Une tare que partagent, d’une part, l’opposition, incapable de mutualiser ses efforts face à l’adversaire commun, et, d’autre part, le parti présidentiel, usant et abusant de réformes constitutionnelles pour mieux garantir les conditions de son maintien au pouvoir.

Si bien que la grande question de l’heure, c’est de savoir si l’actuel locataire du palais de Kosyam, après le rétablissement, en 2000, de la clause limitative du nombre de mandats présidentiels, ne va pas, comme en 1997, faire sauter le verrou constitutionnel ; remettant ainsi son compteur à zéro à partir de 2015, date prévue de la fin de son mandat en cours, censé être le dernier au regard de la loi fondamentale.

A cette inquiétude nourrie par bon nombre d’observateurs du microcosme politique viennent s’ajouter les interrogations que suscite la montée fulgurante du frère cadet du président, l’étoile la plus brillante de la galaxie Compaoré.

En effet, appelé «petit président» dans certains milieux, François Compaoré est aujourd’hui une nova (étoile en phase finale d’évolution et brusquement beaucoup plus lumineuse) dont les moindres signaux sont captés par les télescopes, examinés sous toutes les coutures et interprétés dans tous les sens. Pour les uns, il est sur orbite présidentiel ouvrant ainsi la voie à une succession dynastique. Pour les autres par contre, il n’est qu’un leurre politique pour mieux dissimuler les desseins politiques du chef de l’Etat.

Si en un quart de siècle de gestion du pouvoir les acquis politiques restent en deçà des attentes, le domaine de la diplomatie semble être la grande réussite de Blaise Compaoré : sur ce plan en effet, il a su opérer des choix stratégiques et politiques qui lui valent aujourd’hui une notoriété certaine dont les retombées économiques, commerciales et financières sont perceptibles à l’échelle nationale.

Grâce à son tact et à sa personnalité, le président du Faso a joué, au nom de la CEDEAO et avec plus ou moins de bonheur, le rôle de médiateur dans bien de crises politiques et sociales dans de nombreux pays voisins : ainsi de ses négociations entre le gouvernement nigérien et le rebelles touaregs en 1994, de son implication dans la résolution de la crise politique togolaise sous Gnassingbé père et fils et en Guinée ; et on n’ose pas oublier sa facilitation dans le dialogue interivoirien.

Une somme d’expériences incontestables qui ont conduit ses pairs de la région ouest-africaine à lui confier la médiation dans la grave crise qui secoue aujourd’hui le Mali.

Mais il y a comme un reste de péché qui éclabousse cette image de pompier que s’est forgée l’hôte de Kosyam : c’est que cette diplomatie au service de la paix a été précédée d’une longue période d’interventionnisme au cours de laquelle le nom Burkina Faso rimait fâcheusement avec «Etat voyou» au regard de l’implication supposée ou réelle de notre pays dans le déclenchement de certains conflits comme en Sierra Leone, au Liberia, voire en Angola.

En Côte d’Ivoire, où la médiation burkinabè a opéré, d’aucuns susurrent que si Blaise a réussi là où nombre de ses homologues ont échoué, c’est qu’avant d’y être faiseur de paix, il y a été fauteur de guerre, arguant que nombre de rebelles qui ont attaqué le régime de Laurent Gbagbo auraient été pendant longtemps biberonnés au palais de Kosyam ; d’ailleurs certains d’entre eux, et non des moindres, ne s’en cachaient guère.

N’empêche, l’un dans l’autre, la communauté internationale retient ou préfère retenir aujourd’hui du président Compaoré l’image de colombe plutôt que celle de faucon. Et cette perception élogieuse rejaillit sur nos Forces armées et nos corps paramilitaires, de plus en plus sollicités dans les opérations de maintien de la paix en Afrique.

Mais le rameau d’olivier de l’apôtre de la paix ne doit pas cacher la forêt de problèmes domestiques.

Si la diplomatie semble être l’argument béton de ces vingt-cinq ans de «blaisisme», la situation socio-économique en serait le ventre mou.

C’est vrai, malgré l’indigence de ses ressources naturelles, le Burkina Faso, sous l’égide du président Compaoré, a réalisé des prouesses économiques et sociales qui lui valent l’admiration des institutions internationales concernées.

De nombreuses routes ont été bitumées, favorisant ainsi les échanges avec l’extérieur, des échangeurs ont été construits pour fluidifier la circulation dans la capitale, des infrastructures scolaires et sanitaires ont été réalisées, même si on est toujours loin du compte, des programmes d’hydrauliques villageoises ont élargi l’accès des populations à l’eau potable et des efforts sont consacrés à la formation professionnelle des jeunes. A tout cela s’ajoutent, entre autres, tous ces projets en faveur de la promotion des activités rémunératrices des femmes, les différents appuis de l’Etat au secteur informel et aux jeunes diplômés désireux de s’installer à leur propr compte. Les indicateurs économiques sont au vert et si l’on en croit certains organismes spécialisés dans les questions de développement, les perspectives de croissance économique sont bonnes.

Autant de données sur lesquelles se fondent bien de nos gouvernants pour rêver d’un «Burkina émergent» dans les années à venir ; ambition somme toute légitime, mais encore faut-il se donner les moyens véritables de sa concrétisation. Car la gabegie, la corruption, en un mot la mal-gouvernance, restent des obstacles que les organes de contrôle et de répression ne parviennent toujours pas à juguler.

Ce laisser-aller et cet esprit de coterie au sommet de l’Etat ont fini par engendrer au sein du menu peuple un profond sentiment d’injustice et de frustration. Jamais dans ce pays, le fossé entre (nouveaux) riches et galériens chroniques n’a été aussi abyssal que de nos jours, au point que les Burkinabé d’en bas en viennent à regretter le CNR et son preux chevalier, Thomas Sankara, à qui on peut tout reprocher sauf de n’avoir pas fait de la moralisation de la vie publique son cheval de bataille ; fort heureusement, depuis quelque temps, on a l’impression que le premier magistrat du pays veut reprendre la main : en attestent les récents coups de pied dans la fourmilière de la corruption depuis l’affaire Guiro. Cependant, le mal est si pernicieux que l’on se demande si le «docteur Honoré» peut encore sauver la situation. Il le faut pourtant.

Car, s’il y a quelque chose qui menace sérieusement les fondements de la République et la stabilité des institutions, c’est bien ces ressentiment que nourrissent tous ces laissés-pour-compte qui, chaque jour que Dieu fait, se réveillent tristes et se couchent furieux.

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Blaise Compaoré sauve la vie de Thomas Sankara

En effet, pour comprendre les mobiles et manoeuvres de l’assassinat du capitaine Isidore Noël Thomas Sankara, père du social-christianisme politique africain, un flash back s’avère nécessaire. Tout remonte au 25 novembre 1980 quand le chef de l’état major général des forces armées voltaïques d’alors, le colonel Saye Zerbo, prend le pouvoir à l’issue d’un coup d’Etat contre le général-président, Sangoulé Lamizana. Erreur ? Irresponsabilité ou amateurisme politique ? Patriotisme ? Personne n’en sait rien. Le nouveau putschiste, le colonel Saye Zerbo, sans consulter la Françafrique, c’est-à-dire la Cellule africaine de l’Elysée, nomme un jeune officier qui manipule à la perfection la rhétorique socialo-révolutionnaires, comme premier ministre : il s’agit du capitaine Isidore Noël Thomas Sankara.

C’est la panique à la fameuse Cellule africaine de l’Elysée en raison de la popularité de cet officier dans l’armée, dans la société civile et dans la gauche civile catholique, plus précisément, dans ce qu’on appelle aujourd’hui en géopolitique, le social-christianisme politique (en jargon vaticaniste, les théologies de la libération). Cependant, la fameuse cellule africaine prend en patience ses inquiétudes, tout en espérant que par un coup de baguette magique, le premier ministre Sankara reverrait sa copie révolutionnaire. Peine perdue. Chez ce dernier, c’est le principe allemand de Keine verboten (aucun interdit) dans la conduite des actions gouvernementales.

Seize mois plus tard, ce que Jacques Foccart, Guy Penne, Jacques Chirac, François Mitterrand, Maurice Robert de l’ex-SDECE (service de documentation et de contre espionnage extérieur, ancêtre de l’actuelle DGSE), Bob Denard et autres redoutaient, s’est réalisé. Le premier ministre Sankara sort du gouvernement par une déclaration sans ambages et menaçante : « Malheur à ceux qui bâillonnent le peuple ». Il se réfugie dès lors à Dédougou, une province burkinabé, en attendant des lendemains meilleurs et le 7 novembre 1982, coup de théâtre à Ouagadougou la capitale : le colonel Somé Yorian Gabriel (il a même le nom d’un archange) renverse le président putschiste Saye Zerbo à l’issue d’un coup d’Etat. Le capitaine Sankara est rappelé illico de nouveau par les putschistes et accepte de rentrer dans le gouvernement à condition que les décisions au sein du Conseil supérieur du Peuple (CSP) se prennent à la majorité. Le président Jean Baptiste Ouédraogo que les militaires ont installé au pouvoir à l’issue de ce coup d’Etat de Somé Yoriam Gabriel, accepte ses exigences et le nomme à nouveau premier ministre. L’Elysée est de nouveau très vexé et déstabilisé par ce que certains considèrent au Quai d’Orsay comme « les provocations voltaïques ». Car, ce n’est pas la seule présence de Sankara dans ce gouvernement qui irrite l’Elysée, mais la forte présence de révolutionnaires au sein de son gouvernement, qui de surcroît, réclament des réformes sociales très radicales et une rupture des magouilles de la Françafrique. A cette peur de l’Elysée, s’ajoute celle du président Félix Houphouët-Boigny de Côte d’Ivoire qui s’inquiète de voir un régime révolutionnaire s’installer dans un pays limitrophe. Plus grave, le nouveau premier ministre Sankara ne cache pas ses amitiés avec les camarades frères progressistes, révolutionnaires, et anti-apartheid entre autres, le colonel Kadhafi de Libye, le lider maximo Fidel Castro, les camarades José Edouardo Dos Sa,tos d’Angola, Samora Machel du Mozambique, John Garang du Soudan, Sam Njoma (ex-leader de la SWAPO) de Namibie, et surtout, le chef militaire de la lutte anti-apartheid en Afrique du Sud, Chris Hani dont il fit don de Kalachnikov, et Win-nie Mandela.

Jacques Foccart et ses réseaux de la Cellule africaine de l’Elysée se trouvent alors dans le trouble sur la conduite à tenir face aux révolutionnaires voltaïques. Alors que les grands stratèges africanistes français étudient les voies et moyens pour ramener les révolutionnaires de Ouagadougou à la Françafrique, Guy Penne, conseiller spécial aux affaires africaines du président français, François Mitterrand, s’invite dans ce Centre de réflexion des africanistes français. Dépourvu pourtant de toute vision objective sur la situation politique intérieure de la Haute Volta (future Burkina Faso), il devance ses aînés et se livre dans un one man show médiatique le 14 mai 1983 au Quai d’Orsay : « J’irai bientôt à Ouagadougou dégommer le premier ministre (Sankara) ».

Mais arrivé à Ouagadougou le 16 mai 1983, Guy Penne qui s’est vanté deux jours auparavant devant les médias français et internationaux basés à Paris comme si la mère patrie l’Afrique était la propriété privée de ses parents et de sa loge maçonnique, a vite révisé ses certitudes : il s’est rendu compte que la Haute-Volta d’alors n’était pas la Côte d’Ivoire, la Centrafrique, les Comores, le Congo, le Sénégal, etc. en raison des confidences que lui fait l’ambassadeur de France sur place : « l’homme n’est pas qu’un simple premier ministre, il bénéficie de partisans au sein de l’armée et de la gauche civile ». Eberlué par les propos de son ambassadeur, Guy Penne s’exclame : « Alors, il faut l’arrêter ».

Et le 17 mai 1983, à deux heures du matin, le traître-antipatriote, le capitaine Jean Claude Kamboulé, commandant d’une division de blindés, encercle le domicile du capitaine Thomas Sankara sur instruction du colonel Somé Yoriam Gabriel avec approbation du président Jean Baptiste Ouédraogo. Ce dernier avait donné son accord suite à la promesse de Guy Penne d’accorder une aide française de vingt-deux milliards de francs cfa sans condition à leur pays, s’ils arrêtaient Sankara selon les confidences de certains anciens fonctionnaires du Quai d’Orsay. Le capitaine Kamboulé réalise rapidement son boulot et arrête Sankara.

Une grande réception est organisée à leur honneur entre autres le chef d’état major, Somé Yoriam Gabriel, et Jean Claude Kamboulé. Ceux-ci sablent le Champagne en compagnie de Guy Penne et l’ambassadeur de France. Par la suite, ils sont nommés ministres par le président Jean Baptiste Ouédraogo pour cette arrestation de Sankara. Certains whisky-coca (nom donné aux agents opérationnels de la DGSE et de la DST) qui se souviennent de cette affaire murmurent aujourd’hui que : « Guy Penne a une mémoire très courte de demander l’arrestation de Sankara malgré la mise en garde de l’ambassadeur de France à Ouagadougou suite aux rapports de nos antennes sur place… Il a donc créé la catastrophe vol-taïque ». Mais quelles que soient les allégations des acteurs des faits, force est de constater que Guy Penne a sous-estime la popularité de Sankara et provoqué par ses maladresses de courtisan mitterrandien un retournement de la situation politique intérieure voltaïque. Car, le capitaine Blaise Compaoré qui était en voyage au moment de l’arrestation de Sankara, a appris la nouvelle dès son retour au pays. Il s’exile sine die dans la garnison des para-commandos de Pô. Le capitaine Blaise Campaoré qui était un ami, le demi-frère de Sankara exige la réhabilitation de ce dernier faute de quoi, il menace de marcher sur la capitale avec ses para-commandos. Le 20 mai 1983, la population profite de cette déclaration du capitaine Blaise Compaoré qui le galvanise, organise les marches de protestation devant l’Ambassade de France à Ouagadougou.

Pourtant, le président Jean Baptiste Ouédraogo minimise ces contestations populaires et les considère comme des mouvements de quelques excités irresponsables, partisans des capitaines Blaise Compaoré et Thomas Sankara. Erreur monumentale. Car au cours de ces manifestations qui ont duré trois jours, les groupes révolutionnaires sont créés spontanément et exfiltrés vers le camp des para-commandos de Pô, soit 1.200 jeunes selon les sources de la DGSE et 3.000 à 5.000 jeunes selon les révélations de certains acteurs des faits aujourd’hui en vie. La France est informée de cette exfiltration des futurs jeunes révolutionnaires vers le camp para-commando par ses différentes entités d’espionnage. En réaction, elle livre cinq tonnes d’armes au président Jean Baptiste Ouédraogo. Et au même moment, le traître antipatriote, le colonel Somé Yoriam Gabriel, informé de cette exfiltration de jeunes ouagalais vers la garnison de Pô, décide d’appliquer la théorie d’Adolph Hitler en 1933.

En vrai ignorant de l’histoire, Somé Yoriam Gabriel propose d’exterminer tous les militaires y compris ses jeunes ouagalais des casernes de Pô. Mais, compte tenu des précédents historiques, de la situation des noirs dans le monde, de la lutte anti-apartheid et de l’assassinat de 400.000 noirs, métis, Afro-Allemands et Américains dans les camps sataniques et occultes de concentration nazis, le capitaine Blaise Compaoré prend dès lors au sérieux, ce plan d’extermination des para-commandos de Pô que proposait le colonel Somé Yoriam Gabriel au président Jean Baptiste Ouédraogo. Il décide en vrai stratège militaire de les devancer. Et le matin du 4 août 1983, le capitaine Blaise Compaoré et ses troupes marchent sur la capitale. Ils tuent au passage un automobiliste et s’emparent de sa voiture comme des brigands et quelques heures plus tard, le gouvernement est renversé. Le président Jean-Baptiste Ouédraogo est aussitôt arrêté. La cargaison d’armes envoyée par la France est pillée par les foules en liesse. Le capitaine Thomas Sankara est libéré et son demi-frère et ami Blaise Compaoré lui remet le pouvoir sur un plateau d’argent. Et à 22h45 de ce 4 août 1983, le capitaine Sankara prononce son premier discours radio-télévisé : « Peuple de Haute-Volta, aujourd’hui encore, les soldats, les sous-officiers de l’armée nationale et les forces paramilitaires se sont vus obligés d’intervenir dans des affaires de l’Etat pour rendre à notre pays son indépendance et sa liberté, et à notre peuple, sa dignité ».

Une page se tourne. Une autre est ouverte, celle de la Révolution. La Révolution bolivarienne (chère aujourd’hui à Hugo Chavez du Venezuela) panafricanisée sous le nom de « sankarisme » et qui a cette spécificité de se baser sur le dogme révolutionno-clérical c’est-à-dire le social-christianisme politique. Elle a pour fer de lance le Front populaire. Et le 9 août 1983, conformément, à la devise du pouvoir révolutionnaire éthiopien (« nous allons détruire les traîtres et mettre sous contrôle non seulement les traîtres, mais aussi, la nature »), le nouveau président Sankara et ses camarades du Front populaire exécutent l’agent de la Françafrique, le chef d’état major, le colonel Somé Yoriam Gabriel, pour garantir la pérennité de la Révolution. Le capitaine Jean Claude Kamboulé qui avait arrêté Sankara auparavant, a quant à lui, pris la fuite vers la Côte d’Ivoire. Au sein des trois services spéciaux (CIA américaine, DGSE française et la Sainte alliance du Vatican) du Bloc capitaliste qui combattaient le communisme, cette exécution de l’agent de la Françafrique est très prise au sérieux et qualifiée de danger voltaïque. Elle est également considérée par ces trois services secrets comme une menace à l’endroit du Bloc capitaliste même si, le programme du Front populaire burkinabé n’est autre que le social-christianisme politique. Cette inquiétude des trois puissants services d’espionnages, va servir de prétexte à la Françafrique et à leurs commis africains pour réaliser ce qu’ils cherchent depuis : dégommer Sankara (selon les termes de Guy Penne) via les infiltrations, les chantages par les femmes ivoiriennes, les mensonges et les campagnes psychologiques (Black Propagande), la traîtrise, et l’achat de certains camarades révolutionnaires de première heure comme Blaise Compaoré.

In AFRIOUEDUCATION n° 228 – Du 16 au 31 mai 2007

Plus que jamais, le souvenir de Thomas Sankara inspire la jeunesse africaine. © AFP
Génération Sankara : message reçu !

Assassiné il y a tout juste 25 ans, le capitaine Thomas Sankara aimait reprendre à son compte cette phrase – que beaucoup lui attribuent : "On peut tuer un homme mais pas ses idées". Les jeunes Burkinabè ont reçu le message cinq sur cinq.

15 octobre 1987-15 octobre 2012 : voici 25 ans que Thomas Sankara, président du Burkina Faso a été assassiné ; 25 ans, c’est aussi la moyenne d’âge de la génération de Burkinabè qui n’a connu que le régime de Blaise Compaoré, arrivé au pouvoir en enjambant le cadavre de son compagnon révolutionnaire. Et si la jeunesse a toutes raisons d’ignorer le souvenir de Sankara, c’est l’inverse qui se produit. Plus que jamais, elle entretient le souvenir du capitaine comme si elle avait vécu son époque.

« La jeunesse s’est approprié le personnage et en a fait son héros. Plus Compaoré restera au pouvoir et plus le mythe va grandir parce que les gens sentent bien que cela est lié », analyse le rappeur Serge Martin Bambara, alias Smockey, qui a dédié plusieurs de ses textes à « Thom Sank ». Depuis plusieurs années, connu pour son activisme, il mène des initiatives citoyennes à travers tout le pays. À Ouagadougou, il organise des « thés-débats » avec les jeunes. Parfois, Sankara en est le thème central.

« Quand on discute avec eux, on constate que le sujet revient de plus en plus souvent, les tabous se brisent, ajoute l’artiste. Il y a une soif de connaissance de l’individu. Une grande partie de la jeunesse se revendique de son discours et s’identifie à lui. » Pourtant, les jeunes étaient à peine nés, pour la plupart, durant des chaudes heures du Conseil national de la révolution (CNR). Sankara, ils en ont entendu parler par leurs parents et aînés, témoins de l’aventure révolutionnaire.

Bilan positif

Né en 1971, Smockey, lui, a vécu la période du CNR. Et il peut témoigner qu’elle n’a pas fait que des heureux. Son père a été victime des Tribunaux populaires de la révolution. Pendant plus d’un an, il devait lui porter à manger en prison. Mais avec le recul, il estime que le bilan du leader révolutionnaire, tout bien pesé, reste positif et il en reste un fervent admirateur.

Car les années 83-87 n’ont pas été de tout repos pour les Burkinabè. La révolution exigeait beaucoup de leur part. On suppose même parfois que Sankara aurait inéluctablement finit par se tourner vers une forme plus dure de gouvernance avec le temps. Ceux qui avancent cette hypothèse estiment qu’il n’aurait pas le choix face à l’adversité et aux menaces qui pesaient sur son régime.

Physiquement il est n’est plus, mais spirituellement, il restera un guide pour nous.

Difficile à croire, pour d’autres, qui voient en lui l’incarnation du démocrate le plus accompli. Dans les derniers temps précédant son assassinat, constatant le décalage entre son empressement révolutionnaire et un peuple essoufflé, n’avait-il pas déclaré : « Je préfère faire un pas avec le peuple, que cent pas sans le peuple » ? Typiquement le genre de phrases-chocs qui séduisent la nouvelle génération.

Loin de jeter le discrédit sur l’ancien régime militaire, elles entretiennent « une certaine nostalgie de l’action révolutionnaire », estime le reggaeman burkinabè Sams’k Le Jah, Sama Karim de son vrai nom. Depuis 3 ans, le chanteur a initié le « Thomas Sankara Revival ». Il a lieu tous les 21 décembre (date anniversaire de la naissance de Sanakara, en 1949). « Physiquement il est n’est plus, mais spirituellement, il restera un guide pour nous », explique Sams’k Le Jah.

Sur les réseaux sociaux

Au Centre national de presse Norbert Zongo, qui abrite l’évènement, des collaborateurs de l’ancien président du Faso sont invités à parler de ce temps perdu. À chaque édition, l’événement fait salle comble. Les jeunes accourent et repartent bouleversés par ce qu’ils ont entendu. L’intervenant le plus récent n’était autre que Boukary Kaboré, dit « le lion », un inconditionnel de Sankara qui mena une résistance féroce à Koudougou (50 km de Ouagadougou) en entendant la nouvelle de l’assassinat de son chef, avant de s’enfuir au Ghana. « Au terme de son récit, beaucoup de jeunes sont repartis avec des larmes », raconte Sams’k Le Jah.

Avec Smockey, il participe également chaque année à Ciné Droit Libre, festival de films autour de la thématique des droits humains et de la liberté d’expression qui se tient à Ouagadougou. Le reggaeman assure que lorsqu’un film sur le capitaine fait partie de la programmation, même aux heures les plus tardives de la nuit, les jeunes prennent leur mal en patience comme s’ils n’étaient venus que pour cela.

Autre lieu de diffusion de la vie et l’ouvre du révolutionnaire : les sites de partage de vidéos et les réseaux sociaux, qui ont permis une redécouverte du leader. Un site Internet, notamment, www.thomassankara.net, compile toute la documentation qui le concerne. À présent, les discours de Sankara sont connus : celui sur la dette à Addis-Abeba ou celui à la tribune des Nations Unies, par exemple, ont inspiré nombre d’artistes.

« Quand on lit tout ce qui est écrit, quand on entend tout ce qui se dit sur lui, on ne peut que révérer le personnage. Au moins 80 % des jeunes de 18 à 30 ans, portent Sankara dans leur cour », estime Armand Bayala, artiste-comédien et monteur vidéo d’une trentaine d’années qui a participé, en tant que cadreur, au tournage du film documentaire Sankara dans mes rimes (Baoui Ziba, 2009).

"Sankara mania" sans frontières

Le court-métrage fait intervenir des artistes s’inspirant de Sankara dans leurs compositions musicales. Parmi eux, la star sénégalaise du hip hop, Didier Awadi. À Dakar, celui-ci a même choisi de baptiser son studio d’après le nom du président burkinabè. Car la « Sankara mania » dépasse les frontières du Burkina Faso.

Elle serait même plus forte, car plus libre à l’extérieur. « C’est un phénomène qui a plus d’ampleur hors de nos frontières », remarque Smockey, le rappeur. « Congo, Sénégal, Ghana, Mali. La jeunesse est en quête d’un héros pour remplacer Sankara, mais elle n’a pas encore fait son deuil. Il y a eu la génération Cheikh Anta Diop, et avant cela la génération Nkrumah et Lumumba, aujourd’hui, la nouvelle génération porte le nom de Thomas Sankara. »

Jeune Afrique

Burkina: 25 ans de pouvoir pour Compaoré et une succession en forme d’énigme

Blaise Compaoré célèbre lundi ses 25 ans à la tête du Burkina Faso depuis le coup d’Etat du 15 octobre 1987, mais son régime est suspendu à la question lancinante de sa succession en 2015 et s’inquiète de la grave crise au Mali voisin.

Aucune manifestation officielle n’est prévue par le pouvoir et ses partisans pour ce quart de siècle, alors que des festivités avaient marqué les 20 ans. "C’est sûr qu’une fête privée sera organisée", confie toutefois à l’AFP un proche de la famille Compaoré.

En revanche, les fidèles de Thomas Sankara prévoient conférence de presse, dépôt de gerbes et discours dans un cimetière de Ouagadougou.

Arrivé au sommet de l’Etat par un putsch en 1983, le "père de la révolution" a été tué lors du coup d’Etat de 1987 qui a porté au pouvoir celui qui était son ami et compagnon d’armes, le capitaine Blaise Compaoré.

"Jusque-là, toutes les actions en justice ont été annihilées par le régime Compaoré, parce que toute vérité sur la mort de Sankara signe la fin du régime", affirme un haut magistrat requérant l’anonymat.

Devenu un symbole pour beaucoup de jeunes Africains, le charismatique Sankara et son tombeur Blaise Compaoré "dormaient sur la même natte mais n’avaient pas les mêmes rêves", résume Jonas Hien, président de la Fondation Thomas Sankara.

Son successeur, qui entendait "rectifier" la révolution sankariste "démocratique et populaire", s’est imposé en 25 ans comme l’homme fort du pays. Il se flatte d’avoir été l’artisan d’une "renaissance démocratique" en restaurant le multipartisme dans les années 1990, même si l’opposition – qui a crié à la fraude à la dernière présidentielle – reste d’une faiblesse criante.

François sort de l’ombre

Il a su reprendre les choses en main, à commencer par l’armée, mais une lourde incertitude plane sur "le pays des hommes intègres" (Burkina Faso, en langues locales), où la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté même si l’or constitue depuis peu une manne inespérée pour une économie très fragile.

A 61 ans, celui que ses compatriotes surnommaient le "beau Blaise" entretient le plus grand flou sur ses intentions, alors que son dernier mandat doit expirer en 2015.

Réviser la Constitution pour concourir encore dans trois ans? L’option a été ouvertement soutenue par son parti, mais a suscité l’ire de l’opposition et d’organisations de la société civile.

La question demeure. "Les Burkinabè nous ont sondés récemment sur ce qu’on penserait d’une révision", indique un diplomate français, qui précise que l’ex-puissance coloniale cherche à décourager un tel projet dans l’ancienne Haute-Volta.

La classe politique burkinabè se demande de plus en plus si le président Compaoré n’a pas une autre idée: mettre sur orbite son frère cadet François, son indispensable conseiller économique, en vue de lui confier en 2015 les clés du palais de Kosyam.

Cité dans l’affaire de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo en 1998, pour lequel il n’a jamais été inquiété, François Compaoré est entré cette année à la direction du parti et est candidat aux législatives de décembre, tandis qu’ont été mis à l’écart des caciques du régime.

Blaise Compaoré "a remis le parti à son frère pour lui servir de piédestal dans la dévolution du pouvoir", avance le politologue et opposant Abdoulaye Ouédraogo.

Mais, ces temps-ci, le président burkinabè a un problème d’une autre ampleur.

Incontournable médiateur régional ces dernières années, il affronte son dossier le plus difficile au Mali, dont le Nord est depuis six mois aux mains d’islamistes armés alliés à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi).

M. Compaoré veut accélérer l’ouverture d’un dialogue toujours au point mort chez son voisin. Dans l’espoir d’éviter une intervention armée ouest-africaine au Mali, qu’il redoute mais pour laquelle il a promis des troupes.

AFP

Burkina:Un quart de siècle pour le régime de l’assassin de Thomas Sankara

Le 15 octobre, Blaise Compaoré célèbre ses 25 ans de pouvoir sans tambour ni trompette. Et sans dévoiler sa stratégie pour le prochain quart de siècle. 16 octobre 1987. Thomas Sankara, abattu la veille, a été enterré en catimini au cimetière de Dagnoën, dans un quartier est de Ouagadougou.

Devant la presse internationale, l’autoproclamé président du Faso Blaise Compaoré, jusqu’alors numéro deux du régime, évoque la disparition brutale de son prédécesseur. Manifestement intimidé, maigrelet entre ses épaulettes de capitaine, laborieux dans son expression, les yeux peu à peu perdus dans le vide, il évoque la tristesse «d’avoir perdu un ami».

Il y ajoute un regret: «que cet ami, à un moment de sa vie, ait pensé à nous liquider… Dommage…». Fantoche? Dépassé par les évènements? Insoupçonnable comédien dont le ton assurera sa pérennité dans le théâtre politique africain? Dans cette ancienne Haute-Volta qui en est à son quatrième coup d’Etat, les observateurs subodorent que ce régime ne passera pas l’hiver…

19 septembre 2012. L’ancien putschiste est en visite d’amitié et de travail en France. Dans les studios de la chaîne de télévision France 24, le civil Blaise Compaoré ne fait toujours pas montre de talents d’orateurs.

Pourtant plus à l’aise qu’en 1987, le sexagénaire, médiateur taxé d’immobilisme dans la crise malienne, évoque les indépendantistes de l’Azawad. Non sans esprit, avec un culot certain, quoiqu’en douceur, il renvoie les journalistes français dans les cordes: «il y a des Corses qui demandent l’indépendance, mais on ne les attaque pas»…

Compaoré lançait la «Rectification»
Miraculé de la politique africaine, doyen des chefs d’Etat d’Afrique de l’Ouest, Blaise Compaoré fête, le lundi 15 octobre 2012, son quart de siècle de pouvoir. Depuis la mort de son ami Kadhafi, il est le sixième chef d’Etat africain dans le classement de la longévité présidentielle. Ne le toisent plus que Teodoro Obiang Nguema, José Eduardo dos Santos, Robert Mugabe, Paul Biya et Yoweri Museveni. Aucun n’est aussi jeune que Compaoré. Et Compaoré est, dans cette escouade, le moins boudé à travers le monde.

Pour les chancelleries occidentales qui traquent les régimes à processus démocratique douteux, ce n’est certainement pas le moment de dédaigner le pôle de stabilité ouest-africain que représente le Burkina Faso. Le Mali voisin est dans un trou noir. La Côte d’Ivoire voisine peine à se réconcilier avec elle-même. Le Togo voisin est dans la tourmente sociale. Le Niger voisin se réinitie à la démocratie après l’ère Tandja. Le Ghana voisin se remet de son deuil présidentiel…

Inutile de froisser l’ancien putschiste burkinabè, d’autant que ce pôle actuel de stabilité était considéré, au début de son règne, comme un pôle de déstabilisation en Sierra Leone, au Liberia ou en Côte d’Ivoire.

D’autant que le pyromane est devenu pompier, Blaise Compaoré ayant porté plusieurs casquettes de médiateur, de la Côte d’Ivoire au Togo, de la Guinée au Mali. Alors, on sourit aimablement à ses “blagues corses”.

Même lorsque les résultats de ces médiations ne sont objectivement pas au rendez-vous (hormis quelques libérations d’otages aux contours ambigus), rien ne coûte, aux Français échaudés par Abidjan ou Tripoli, d’adouber ce VRP de la paix. Trop de médiation, même en trompe l’œil, ne gêne pas, comme l’enseigne le proverbe «trop de viande ne gâte pas la sauce».

Médiateur de façade ou véritable clef du conflit malo-malien, Compaoré profite de ce statut international pour ne plus mettre les mains dans le cambouis de la politique nationale burkinabè. Bien qu’avare, comme Paul Biya, en adresses à la Nation, le Burkinabè, actif à l’étranger, ne peut être taxé pour cette somnolence politique qu’on attribue au Camerounais.

Le péché originel est-il lavé?
Quand la grogne sociale le dispute à la mutinerie militaire, les Premiers ministres jouent leur rôle de fusible. Le Président du Faso maintient son “altitude” et verrouille son pouvoir de la manière la plus implacable: par des scrutins eux aussi homologués par les observateurs internationaux.

Le péché originel semble lavé. En 1987, Compaoré lançait la «Rectification» de la période sankariste, avant de ressusciter l’Etat de droit, via la IVe République, en 1991. Elu président la même année, puis en 1998, en 2005 et en 2010, il sera locataire du palais de Kosyam jusqu’en 2015.

Sans avoir notoirement bourré les urnes; en ayant caressé dans le sens du poil les chefs traditionnels qui constituent un relais déterminant au cœur d’une population à la culture démocratique approximative; en ayant composé avec les grandes fortunes capables “d’américaniser” des campagnes électorales dont les financements sont mal contrôlés; en ayant alternativement débauché et licencié des opposants mal ancrés dans une grille idéologique toujours vaporeuse; en restant aussi silencieux que possible.

Silencieux, il l’est particulièrement en cette période d’anniversaire. Si les 20 ans de pouvoir du régime avaient été célébrés à grand renfort de colloques sur la «renaissance démocratique», les partisans de Compaoré devraient, cette fois, faire profil bas. C’est qu’il est de plus en plus indécent de s’éterniser au pouvoir.

C’est que les clameurs des commémorations sankaristes que les festivités compaoristes devaient étouffer commencent à être blasées. C’est que le principal parti de la majorité, le Congrès pour la démocratie et le progrès, vient d’être lessivé en interne, dans la perspective des prochaines législatives, déboulonnant nombre de caciques qui soutinrent ce quart de siècle de pouvoir.

La pudeur dominera donc ce 15 octobre…
Il restera la question de l’avenir. L’actuelle version de la constitution n’autorise plus Blaise Compaoré à être candidat à une présidentielle. On prêtait au CCRP (le Conseil consultatif sur les réformes politiques mis en place en 2011) la volonté de déverrouiller l’article 37 qui établit la limitation des mandats.

Le signal d’une volonté d’agripper le pouvoir a laissé place au signal d’une volonté de le quitter: le CCRP a accouché d’une… amnistie pour les anciens chefs d’Etat. Les deux autres ex-présidents vivants -Jean-Baptiste Ouédraogo et Saye Zerbo- ayant été jugés par les Tribunaux populaires révolutionnaires des années 80, qui a encore quoi à se reprocher?…

Plus malin que brillant, mais brillamment machiavélique, Blaise Compaoré voit se profiler devant lui trois hivernages dans le palais présidentiel. Coïncidence? Son frère François, jusqu’alors en marge de la politique politicienne, vient de placer ses pions dans le CDP, juste avant de se déclarer candidat aux législatives de décembre. A force d’être limpides, les voies des Compaoré sont impénétrables. A moins que ce ne soit l’inverse.

Damien Glez IN AFRIQUE MONDE

Il était une fois le 15-0ctobre : Compagnons d’hier, opposants d’aujourd’hui

Jeudi 15 octobre 87 : un choeur de Kalachnikovs aura suffi à tourner la page de la Révolution démocratique et populaire (RDP) au Pays dit des hommes intègres, le Burkina Faso, survenu le 4 août 83.

Place à la Rectification prônée par les nouveaux seigneurs du Conseil de l’entente. Toujours une seule et même devise : «La patrie ou la mort, nous vaincrons» .

Mais depuis, ces discours enflammés et ces meetings quotidiens qui crucifiaient l’impérialisme et ses valets locaux, le colonialisme, la corruption, le népotisme, et nous en oublions, ont été rangés dans les archives.

Vingt-cinq années après, beaucoup d’eau a naturellement coulé sous les ponts des trois Volta, et nombre d’animateurs de la scène politique ont bon gré mal gré changé de religion.

L’enfant terrible de Ziniaré, Blaise Compaoré, pour ne pas le nommer, abonné au trône, désormais installé à Kosyam. Mais que sont-ils devenus ses compagnons du Front populaire et ceux qui, aux lendemains de l’évangile de La Baule, nourrissaient le rêve de lui succéder par la voie des urnes.

Car, si la grande muette n’a jamais failli à sa réputation de fidélité à son champion, en tout cas jusqu’à la crise sociopolitique qui a secoué l’édifice au premier semestre de 2011 quand apparurent nos «forces nouvelles» à nous aussi, il n’en a pas autant été de ceux qui n’ont que le verbe et la plume pour seule arme politique.

Du Front populaire (FP) au Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), en passant l’ARDC et la CFD, en effet, combien de fois la carte politique du Burkina Faso n’a-t-elle pas été redessinée?

Depuis ce 15 octobre 87 donc, le lieutenant Omar Traoré, qui annonça le deuil du Conseil national de la Révolution (CNR) de Thomas Sankara et l’avènement du Front populaire (FP) de Blaise Compaoré sur les antennes de la Radio nationale a, certes, disparu de la circulation, mais le commandant Bongnessan Arsène Yé qui en a assuré la promotion aux quatre coins du Faso, et même au-delà, est toujours aux affaires, même s’il a dû, à certaines escales tumultueuses de notre histoire récente, porter lui aussi sa croix.

Mais n’aurions-nous pas commis un péché capital en ignorant l’ange gardien, le Général Gilbert Diendéré qui, depuis le début des années 80, reste et demeure l’ombre de Blaise Compaoré ?

En tout cas, il demeure le fidèle d’entre les fidèles, depuis le célèbre Centre national d’entraînement commando (CNEC) de Pô jusqu’à l’état-major particulier de la présidence du Faso, en passant par la résistance du 17 mai 83, la victorieuse nuit du 04 août 83, la soirée des longs couteaux du 15 octobre 87.

Golf, comme l’appellent les intimes, c’est la confiance, la discrétion et l’efficacité faites homme.

Et sauf erreur ou omission, celui-là est le seul à qui le grand sachem n’a jamais rien refusé.

Compagnons d’hier …

Le Landerneau politique national brille tant par la richesse des acteurs que par la diversité des courants.

A la veille des élections couplées du 02 décembre 2012, le Burkina Faso compte plus d’une centaine de partis, même s’ils n’en seront que quelque 70 à compétir, excusez du peu.

Ennemi commun, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), le parti présidentiel.

Rude sera la tâche, mais c’est sans compter avec la rage des compagnons d’hier, devenus opposants du jour, de changer le cours de l’histoire et l’hégémonie du «tuk guilli».

Quelques-uns, en tout cas, ont retenu notre attention.

Pargui Emile Paré

Il était déjà au-devant de la scène au Front populaire. Et l’on se souvient encore, comme si c’était hier, du rôle qui fut le sien lors des assises sur le bilan de deux ans de rectification à la maison du Peuple.

Mais dès l’avènement du printemps de la démocratie, ce médecin fraîchement débarqué de Dakar n’hésita guère à intégrer la Coordination des Forces démocratiques (CFD), et ensuite, le Collectif des organisations démocratiques de masse et des partis politiques (CODMPP).

Parcours politique qui le conduira au Parti du progrès social (PPS) dont il fut membre fondateur ; au Parti pour la démocratie et le Progrès (PDP) du professeur Joseph Ki-Zerbo, et à l’Assemblée nationale de 1997 à 2002.

Le "Chat noir du Nayala» prendra ensuite son indépendance pour créer le Mouvement du peuple pour le socialisme/Parti fédéral (MPS/PF) et l’Opposition burkinabè unie (OBU). Candidat à la succession de Blaise Compaoré, ses rêves se sont évanouis aux portes de Kosyam.

Etienne Traoré

Le flirt du philosophe, à la franchise incontestable, avec Blaise Compaoré n’aura duré que deux ans. Il n’avait en effet pas la langue dans la poche, comme on dit, d’où son éviction de la tête de l’Inspection générale d’Etat (IGE) en 1989. Libre de toute dépendance, Etienne Traoré troquera sa veste du syndicaliste des enseignants du secondaire et du supérieur qu’il fut pendant de longues années contre celle du politique dès l’ouverture démocratique au début des années 90. Non sans succès puisque le voilà aujourd’hui à l’Assemblée nationale où il tutoie si vaillamment les élus de la majorité, aux côtés de ses camarades du Groupe parlementaire Alternance démocratie et justice (ADJ).

Règma Alain Dominique Zoubga

Le natif de Poa dans le Boulkiemdé, docteur en médecine de son état, à lui aussi servi Blaise Compaoré de 1987 à 1989 à la tête du ministère de la Santé avant de se découvrir une âme d’opposant.

Ainsi préside-t-il aujourd’hui aux destinées de l’Autre Burkina/Parti pour le Socialisme et la Refondation, en lice pour les élections couplées du 02 décembre 2012.

Meng-Néré Fidèle Kientéga

Grand ouvrier de la Révolution démocratique et populaire, l’on retient de lui le conseiller diplomatique du président du Faso d’alors, Thomas Sankara.

Resté fidèle à son icône après les douloureux événements du 15 octobre 1987, il apportera sa pierre à l’édification du Front des forces sociales (FFS), dont il fut d’ailleurs le premier président, et du Front démocratique sankariste (FDS).

Malgré tout, il répondra à l’appel de la nation quand Rome menaçait de brûler en acceptant le poste de ministre de l’Enseignement de base et de l’Alphabétisation sous Blaise Compaoré au début des années 2000.

Ayant rejoint l’Union pour la renaissance/Mouvement sankariste (UNIR/MS), aujourd’hui Union pour la renaissance/Parti sankariste (UNIR/PS), il aura la faveur de l’électorat aux législatives de 2007.

Député à l’Assemblée nationale, c’est tout naturellement qu’il se réclame du Groupe parlementaire Alternance démocratie et justice (ADJ).

René Emile Kaboré

L’enfant terrible de Kokologo, grand sportif devant l’éternel, a hérité, à juste titre, du portefeuille des Sports sous Blaise Compaoré. Président-fondateur du PACT/LS au début des années 90, René Emile Kaboré s’en ira avec ses camarades, après l’implosion de leur parti, rejoindre la majorité pour créer le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP).

Mais le divorce ne tardera pas à être prononcé pour que naisse la Convention nationale des patriotes burkinabè (CNPB), œuvre des refondateurs que sont, entre autres, Moussa Boly, Pierre Tapsoba, Rakiswiligri Mathieu Ouédraogo, René Emile Kaboré naturellement.

Depuis, l’homme se veut discret, mais n’a pas encore fini de nous réserver des surprises.

Opposants d’hier…

Bédouma Alain Yoda

Au début était l’UDS dont les têtes pensantes avaient pour noms : feu Dasmané Zèba, Bédouma Alain Yoda et Juliette Bonkoungou.

Puis Yoda s’en ira créer avec d’autres dissidents le RSI. C’était le début d’une riche carrière politique qui le conduira au cœur du pouvoir à la fin de son premier mandat de député à l’Assemblée nationale. Aujourd’hui, le RSI appartient à l’histoire, et Bédouma Alain Yoda est bien enraciné à faire des jaloux, au Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP). Ministre des Transports et du Tourisme en 1997, ministre du Commerce, de la Promotion de l’entreprise et de l’Artisanat en 2000 ; ministre de la Santé en 2002 ; ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale en 2008.
Qui dit mieux ?

Moctar Tall

S’il en est un qui a fait une amère expérience de la vie politique, c’est bien Moctar Tall qui, ces dernières années, a présidé aux destinées de l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (ENAM).

Aux côtés des regrettés Cheick Lindou Thiam et Alain Ludovic Tou, c’était l’opposant taillé sur mesure pour contester le pouvoir de Blaise Compaoré au début des années 90. Puis survint cet attentat du 9 décembre 1991 qui le handicapera à jamais.

Revenu de soins de l’Hexagone, diminué physiquement, Moctar Tall traînera une longue convalescence avant de reprendre le cours normal de la vie.

S’il n’est plus cet harangueur de foule qu’on connaissait sous la Convention des forces démocratiques (CFD), il demeure néanmoins cette intelligence dont le pouvoir ne pourrait se passer, en le propulsant à la tête de l’Ecole des grands commis de l’Etat.

Bernard Zangré

Mon dernier face à face avec Sankara

Chérif Sy, directeur du journal « Bendré », n’est peut-être plus à présenter. C’est l’un des fils du grand chancelier, le Général Baba Sy. La rédaction de LE PAYS a voulu partager le regard de cet homme de média, sankariste à sa façon, 25 ans après le drame du 15 octobre. L’homme retient du passé des valeurs indispensables pour bâtir l’avenir du Burkina Faso. Et il nous révèle sa dernière rencontre avec feu le capitaine Thomas Sankara, le 13 octobre 1987.

« Le Pays » : Le 15 octobre 1987, où étiez-vous ? Que faisiez-vous aux alentours de 16h ?

Chérif Sy, journaliste et directeur de publication du journal « Bendré » : (Rires). Bon, ça fait beaucoup de questions à la fois. Le 15 octobre, si ma mémoire est toujours bonne, je crois que j’étais à Ouahigouya aux environs 16h, (petit temps d’hésitation) ; oui, j’étais bel et bien à Ouahigouya. On y a appris l’information de ce qui se passait à savoir des coups de feu qu’il y avait à Ouagadougou. Je savais bien ce qui se passait, on l’a appris par téléphone et après, aux environs de 18h, la radio a dû revenir là-dessus. Mais nous, nous avions déjà été informés.

Quand on sait qu’un de vos géniteurs a été actif dans le processus révolutionnaire à l’époque, comment vous avez accueilli cette nouvelle ? Il n’était pas actif dans le processus révolutionnaire, il assumait tout simplement une fonction publique de grand chancelier et la révolution est venue le trouver grand chancelier. Donc, cela n’a rien à voir ni avec la fonction qu’il occupait, ni avec moi-même de toute façon.

Comment avez-vous vécu cet évènement ? Comme la plupart des Burkinabè. Mais il faut le dire en toute honnêteté que le clash en lui-même ne nous a pas étonné parce qu’au niveau d’information où nous étions, nous savions forcément qu’il y aurait un clash. Peut-être pas le 15 octobre mais en tout cas, nous savions que dans la période, il y aurait une grande turbulence politique. Donc on s’y attendait d’une manière ou d’une autre, même si personne ne pouvait dire a priori qu’il devinerait le dénouement en tant que tel. Et quand nous avions appris la nouvelle, immédiatement, certains amis et moi, nous nous doutions bien que Sankara soit toujours vivant. Au delà du ressentiment humain qui est normal chez chacun de nous, bien sûr, cela ouvrait une blessure profonde du fait que l’on perde quelqu’un qu’on connaît personnellement, mais aussi qu’on perde quelqu’un avec qui on partageait un idéal pour son pays, un idéal pour l’Afrique.

Aviez-vous des relations particulières avec Sankara ou avec un des membres de « la bande des quatre » comme on dit ?

Non, je ne peux pas dire que j’avais des relations particulières avec un de « la bande des quatre ». C’est vous qui avez dit « la bande des quatre ». Mais j’ai eu l’occasion de connaître Sankara quand il était jeune officier, simplement parce qu’il a fait le lycée Ouezzin Coulibaly avec un de mes grands frères. Donc, ils avaient toujours des rapports et ils se fréquentaient toujours. Par ce biais, j’ai connu l’homme. Là, c’était sur le terrain simplement du relationnel, du familial. Et après, j’ai retrouvé Sankara sur le terrain de la lutte politique, de la lutte pour la transformation progressiste et progressive de notre pays. Mais, peut-être que tout n’est pas disible pour le moment. Mais en tout cas, je ne peux pas dire que je ne connais pas Sankara. Et si ma mémoire est bonne, je crois que la dernière fois que j’ai dû voir le président Sankara, c’était le 13 octobre 1987. Et c’était pour parler de la situation qui prévalait à l’époque.

De quoi vous avez parlé le 13 octobre 1987 avec Thomas Sankara ?

Bon, ça, je ne peux pas tout vous dire pour des raisons que vous comprendrez. Mais ce que je peux dire déjà, c’est que nous avons eu à parler de la situation qui prévalait parce qu’il était manifeste qu’il y aurait un clash et nous vous disions qu’il y avait quand même un certain nombre de mesures à prendre par rapport à cela. Le camarade Thomas Sankara rétorquait en disant : « Qu’est- ce que vous voulez que je fasse ? Vous ne voulez pas que je prenne un tel pour le mettre dans une bouteille ? Vous ne voulez pas que j’envoie un tel comme ambassadeur ? Et s’il refuse ? Ou bien vous voulez que je tue un tel ? Parce que si vous me dites qu’il faut tuer quelqu’un ou embastiller quelqu’un, je ne le ferrai pas. ». Ce n’est qu’un pan, il y a d’autres aspects que je pense que, pour des considérations historiques, ce n’est pas le moment d’en parler. Mais je pense que, le 13 octobre 1987, les dés étaient déjà pipés. Nous, à notre petit niveau, on le savait déjà. Donc, les forces s’organisaient et tout le monde savait. Bon, ce qui serait intéressant, peut-être à l’occasion des 25 ans, de discuter peut-être et de faire ressortir un certain nombre de personnalités ou de forces qui ont contribué scientifiquement à l’avènement du 15 octobre et je suis même surpris que certains d’entre elles se retrouvent dans l’opposition. Mais, enfin ! L’homme est multiple et ondoyant, dit-on, surtout dans le milieu politique. Mais je pense que Sankara n’a pas été beaucoup aidé. Cet homme a cru beaucoup à son pays, il a cru en l’Afrique, il allait peut-être dans un rythme auquel il croyait et que certains de ses camarades et compagnons ne partageaient pas. Ils dormaient sur la natte mais ne faisaient pas les mêmes rêves. Son détachement de toute considération matérielle n’était pas forcément partagé par beaucoup de camarades qui estimaient qu’eux, ils ont joué leur vie et ils sont arrivés au pouvoir. Donc, ils doivent jouir des plaisirs du pouvoir alors que Sankara, lui, voulait jouir des plaisirs et des satisfactions de son peuple. Donc, à la limite, le clash était évident.

Aujourd’hui, vous considérez-vous comme un Sankariste ?

Je me méfie beaucoup de cette terminologie, étant entendu que, finalement, beaucoup de gens y mettent un contenu qui est le leur mais que je ne partage pas forcément. Mais, je me reconnais comme quelqu’un, avec d’autres camarades ayant été des militants, qui, à une époque donnée de l’évolution de notre pays, a partagé un idéal commun et cet idéal était porté par Thomas Sankara.

Quel type de Sankariste êtes-vous si vous deviez définir votre position, ce que vous entendez par Sankarisme aujourd’hui ?

Non, ce n’est pas ce que j’entends par Sankarisme. C’est-à-dire que dans l’évolution politique, économique et sociale de notre pays, à un moment donné, notre peuple avait des aspirations fondamentales qui portaient sur un certain nombre de valeurs : l’intégrité, l’honnêteté, la bonne gouvernance et la transformation des conditions d’existence de la population. En ce moment, il y a des individualités, il y a des forces que l’on peut considérer comme patriotiques, des forces que l’on peut considérer comme progressistes qui ont accédé à la gestion du pouvoir d’Etat avec, à leur tête, le capitaine Thomas Sankara, qui, en quatre ans, tant bien que mal, ont essayé d’imprimer une certaine marche. Qu’on le veuille ou non, cette marque a transformé radicalement ce pays. Ne serait-ce que l’ouverture de l’esprit des uns et des autres par rapport à la gestion de la chose publique, les barrages qui ont été faits, les écoles qui ont été construites, c’est une grande plus-value. Donc, il y a un certain nombre de valeurs sur lesquelles ce processus s’est reposé et qui font qu’aujourd’hui, le Burkina, quel qu’il soit aujourd’hui, doit à cette période-là. Maintenant, Je pourrai donner ma conceptualisation de cette période-là, mais là, il faudrait des pages et des pages et je ne pense pas que le propos sied pour le moment. Mais je veux dire que l’essentiel, c’est de retenir que c’est une expérience révolutionnaire qui a transformé véritablement les conditions d’existence de nos populations.

25 ans après la mort de Sankara, pensez-vous qu’on a su capitaliser toutes ces actions et tous ces mouvements qui ont été déclenchés ? Est-ce qu’on peut regretter un certain nombre de points aujourd’hui ?

Vous dites bien 25 ans après ? Vous savez, quand vous me quitterez, rencontrez n’importe quel jeune qui n’a pas 25 ans dans la rue, donc qui n’a pas connu Sankara, et demandez lui ce qu’il pense de Sankara ? Voilà, c’est ça qui est simple. Vous quittez le Burkina, vous allez un peu partout en Afrique, vous, abordez des jeunes, dès que vous dites Sankara, vous avez des gens qui se regroupent autour de vous pour en parler. Même les enfants à l’école primaire ont toujours quelque chose à dire sur Sankara. Cela veut dire qu’il y a beaucoup de choses à dire et au-delà du processus, l’homme lui-même a représenté quelque chose dans la conscience historique de son peuple, à telle enseigne qu’on ne peut pas l’effacer. Je ne pense pas qu’il aurait représenté quelque chose dans la conscience de son peuple s’il n’avait pas posé d’actes positifs. S’il n’avait posé que des actes négatifs, je pense que personne ne parlerait aujourd’hui de Sankara. Donc, si on en parle aujourd’hui, et d’ailleurs, beaucoup, quand ils veulent critiquer la gouvernance d’aujourd’hui, notamment par rapport à la corruption, etc. font référence à cette période révolutionnaire. Pourquoi ? C’est parce que, d’une certaine manière, cette période a représenté une certaine excellence dans la gouvernance malgré tous les défauts. Moi, je ne suis pas de ceux-là qui chantent que tout a été bien. Non, il y a eu des manquements graves, très graves même, mais je dis et j’affirme que ce pays a avancé grâce à cette période. Donc, aujourd’hui, par rapport au libéralisme dans lequel nous vivons et qui, de mon point de vue, est loin de pouvoir apporter le bien-être auquel notre peuple a droit, je pense qu’on est obligé, chaque fois, de se remémorer cette époque. Mais on ne s’en remémore pas pour se figer dans le passé comme certains le font. C’est pour cela, quand vous avez dit Sankarisme, tout de suite, je vous ai dit que je me méfie des contenus que les uns et les autres y mettent. Parce que je ne pense pas que même si le processus avait continué, aujourd’hui, ce serait comme si c’était le 4 août. Le monde évolue, la société évolue. Donc, il y a forcément des visions nouvelles qui ne viennent pas ex-nihilo, qui reposent sur ce passé-là, donc nous ne pouvons pas rester figés. Il faut que nous avancions, il faut que nous creusions plus la réflexion pour voir ce que nous pouvons faire de mieux par rapport à ce qui a été fait. Et c’est cela pour moi, une vision qu’on pourrait qualifier de Sankariste. C’est cette dynamique, partir de ce qui a été fait, le contextualiser et par rapport à cette contextualisation, développer de nouvelles approches pour un développement endogène de nos pays.

Qu’est-ce que cela vous a apporté d’avoir connu cette période et d’avoir tiré leçon de toutes les vertus de cette période aujourd’hui, en tant que journaliste, militant engagé, Sankariste ?

L’homme est fait de tout. Tout homme est fait de tout. Nous naissons, nous sommes éduqués d’une certaine manière, nous évoluons dans un certain environnement, il y a d’autres choses qui nous impactent positivement comme négativement. Je dois dire, en toute modestie, que même si je ne dirai pas que c’est cette période des quatre années glorieuses qui m’ont donné cela ; elles ont aguerri cela en moi. Vous êtes là en face de moi, Tao, vous êtes mon frère. Mais si j’ai envie de vous dire merde, je vous dis merde. Si j’ai quelque chose à dire, au moins, je le dis. Le problème n’est même pas de savoir si ce que je dis est vrai ou pas, mais je le dis au moins. C’est-à-dire que je n’attendrai pas que vous tourniez le dos pour commencer à vous poignarder. Je vous dirai ce que j’ai envie de dire en face, c’est-à-dire appeler un chat un chat. Ensuite, malgré les difficultés de la vie que chacun de nous peut rencontrer, je pense que nous faisons dans notre quotidien, aussi bien vis-à-vis de notre famille, de nos enfants, de nos collaborateurs, que vis-à-vis de la société, montre d’une certaine intégrité. Voilà, c’est déjà cela. Nous essayons de rester intègres, de ne pas aller nager dans des eaux troubles. De ne pas avoir des attitudes de mendiant larmoyant, parce que nous aurions envie de circuler dans une 4X4 ou quoi. Non, nous restons nous-même et ce que la vie nous donne, ce que nos propres efforts par le travail nous donnent, nous nous contentons de cela. Je pense que cette période aussi a aguerri cela en nous. Enfin, le respect, le respect de soi-même et le respect des autres ; nous pensons que nous sommes à la tête d’un organe de presse aujourd’hui qui ne plaît pas forcément, qui plaît peut-être à d’autres mais qui ne plaît pas forcément du fait de sa ligne éditoriale. Mais malgré cela, les gens sont justement obligés de nous respecter parce qu’ils savent que nous restons conséquents avec nous-mêmes et que nous ne « labéliserons » jamais. Nous ne jouons pas, comme je vous l’ai dit tout à l’heure, au mendiant larmoyant. Nous restons nous-mêmes et cela force le respect, le regard des autres sur vous. Vous méritez le respect parce qu’ils sont obligés, parce qu’ils savent qu’ils ont affaire à quelqu’un qui est lui-même. Voilà quelques éléments, sans trop réfléchir, que je peux dire que nous avons tirés de cette période. Mais plus que tous ces éléments, c’est la conviction qu’en tant que Burkinabè, en tant qu’Africain, nous avons un devoir, celui de contribuer à ce que nos pays ne soient pas dépendants, de contribuer à ce que nos pays se développent, de contribuer à ce que notre jeunesse, nos enfants puissent évoluer dans une Afrique autre que celle que nous, nous avons connue ou celle que nos pères ont connue. Une Afrique libre et prospère.

Dans quelle posture vous vous sentez le plus à l’aise ? Journaliste engagé d’obédience Sankariste ou militant Sankariste ?

Voilà, vous m’apportez encore un nouveau concept parce que moi , je n’ai jamais su ce que c’est qu’un journaliste engagé, je ne sais pas en quoi ils sont engagés, je ne sais pas où ils sont engagés. Donc vraiment, je vous laisse la propriété et la paternité de ce concept. Je dis, je me sens comme moi-même. Un de mes confrères me demandait à une conférence un jour, ou plutôt il était en train de théoriser pour me démontrer qu’un journaliste doit être indépendant, etc. Je lui ai demandé tout simplement indépendant de quoi ? Vous êtes indépendant de quoi ? Moi, je dis que je suis journaliste, mais je ne suis pas indépendant parce que je dépends des aspirations de mon peuple. Je vis au sein d’un peuple qui a des problèmes pour accéder à l’eau, pour être scolarisés, pour accéder aux soins primaires. Je ne peux pas être indépendant de cela. J’en suis dépendant et c’est cette dépendance qui détermine ma conscience et qui détermine la mission de ma plume. Donc, moi je ne suis pas indépendant. Et ma posture est simplement celle- là. Si c’est cela qui est être engagé, vous pouvez me considérer comme engagé. Si c’est cela que vous appelez « Sankariste », vous pouvez m’appeler ainsi mais moi, je ne suis pas indépendant des aspirations de la société dans laquelle je vis et je pense que l’aspiration fondamentale de cette société, c’est de vivre mieux. Et si telle est ma mission et je dois me battre pour cela, je me battrai jusqu’à ma mort.

En parlant d’engagement, on pense aux journaux d’opinion qui ont des chapelles. Au Burkina, on a tendance à les traiter soit proches du parti au pouvoir, soit de l’opposition. Est-ce que vous vous considérez comme un journal de l’opposition ? C’est juste une petite caricature quand on dit « journaliste engagé ».

Je me considère comme un journal burkinabè qui a un lectorat dans tous les pans de la société. Que ce soit parmi ceux qui gèrent le pouvoir, que ce soit dans ceux qui s’opposent au pouvoir, j’ai un lectorat pour qui j’ai du respect et, je pense aussi, qui a du respect pour ma ligne éditoriale. Voilà simplement. Vous, vous êtes gentils. On ne dit même pas seulement que nous sommes de l’opposition, on dit que nous sommes des radicaux, des ceci, cela, etc. Moi, je pense que, vous comme moi, si nous dénonçons des pratiques de mal gouvernance, nous faisons avancer notre pays. Mais il est évident que ceux-là que nous allons dénoncer parce qu’ils auraient détourné des deniers publics, il est clair que cela ne va pas leur plaire. Ils n’ont qu’à nous caractériser de tout ce qu’ils veulent, mais au moins, ce qu’ils ne peuvent pas enlever à vous ou à moi, c’est que nous aimons notre pays. Voilà, ils ne peuvent pas vous arracher ça de la tête, ni du cœur. C’est parce que nous aimons notre pays, sinon, ce n’est pas par plaisir que nous allons refuser de nous asseoir pour aller investiguer, prendre tout notre temps au risque de nos vies, souvent pour dire qu’il y a eu tel acte qui est posé et qui est mauvais. C’est simplement parce que nous aimons notre pays, nous aimons la société dans laquelle nous vivons et nous voulons la faire avancer. Maintenant, les caractérisations, franchement, on a qu’à nous les balancer, nous, on les assume toutes. Cela ne m’empêche pas de dormir, ça ne m’empêche pas de prendre mon café le matin, Inch Allah, j’avance.

Il y a eu des procédures judiciaires engagées pour savoir ce qui s’est exactement passé et situer les responsabilités. Est-ce que vous avez espoir qu’un jour, judiciairement, il y aurait la lumière sur ce dossier ?

Oui. Un jour, il y aura la lumière sur le dossier. Pour ça, c’est clair. Peut-être que ma différence d’approche avec les autres sur cette question, de la même manière que sur la question de Norbert Zongo, est le fait que je dise qu’il ne faut pas que les gens rêvent. Vous ne pouvez pas, si effectivement ceux qui ont assassiné Sankara, sont ceux qui gouvernent le pays, leur dire de se juger eux-mêmes. Donc, il ne faut pas rêver. Cela veut dire que tant qu’ils ont la gestion du pouvoir, sur le plan juridique au Burkina en tout cas, vous pouvez estimer que ce dossier était clos même avant d’être ouvert. Ce n’est pas plus compliqué que ça. Ils ne vont pas se juger eux-mêmes parce qu’il est évident que ce sont ceux qui gouvernent qui ont assassiné Sankara. Cela veut dire que la vérité se ferra peut-être après eux, peut-être au niveau des juridictions internationales, mais la vérité ne se ferra pas au plan national tant que ce sont eux qui ont la gestion du pouvoir. Là, il ne faut pas rêver. Même sur des dossiers moins importants que celui de Sankara, on voit comment certains dossiers au plan judiciaire sont traités ici. Donc, ne parlez pas d’un gros dossier comme celui Sankara. Ce ne sont pas eux qui le jugeront.

Avez-vous toujours des contacts avec la veuve ?

Oui. J’ai des contacts avec tous les membres de la famille Sankara. Ce qui n’a rien à voir avec l’opinion ou les opinions ou l’idéal politique que je peux partager avec X ou Y. Voilà ! C’est un peu ça. Je souhaite qu’on fasse cette distinction parce que c’est vraiment important.

On a l’impression que madame Sankara protège beaucoup ses enfants et on a très peu d’informations sur eux. Que deviennent-ils ?

Je ne sais pas pourquoi vous dites qu’elle protège un peu trop ses enfants. Mais c’est un peu compréhensible, vu la manière dont ils ont eu à quitter ce pays et vu ce qu’ils ont subi avant de quitter ce pays, n’eut été l’intervention du président Bongo (Bongo père) qui a permis à cette famille de pouvoir s’en sortir. Je comprends qu’ayant subi ce que nous avons connu à l’époque, la famille veuille se protéger elle-même de tous les risques ou de tous les comportements qui pourraient être interprétés autrement. Vous et moi, nous pouvons facilement sortir dans la rue faire tout de suite ce qu’on veut, jouer au ballon. Mais peut-être qu’eux, immédiatement, on va dire, s’ils posent un acte positif, on n’en parlerait pas. Mais dès qu’ils poseront un acte qui est insignifiant et qui n’est pas bon, on dira que ce sont les enfants de Sankara. Donc, je peux comprendre que la famille a voulu protéger ces enfants. Mais aujourd’hui, je me dis qu’ils sont suffisamment grands, ils commencent à apprendre aussi la vie, à devenir des hommes, donc à se forger eux-mêmes. Je pense de ce fait qu’à un moment donné, on entendra forcément parler d’eux parce qu’ils reviendront ou ils évolueront ailleurs comme travailleurs dans telle entreprise, etc.

Le 15 octobre 2012, comment vous allez commémorer cet anniversaire ?

Comme toujours, je suis croyant, je pense qu’il y a une force quelque part qui harmonise nos vies et à qui on rend grâce. Et comme toutes les années depuis 1987, j’ai une pensée pieuse pour Sankara mais aussi pour tous ceux-là qui ont perdu la vie ce jour-là et les jours suivants. Je prie pour eux en espérant que Dieu leur permettra, où qu’ils soient, de vivre en paix. J’ai une pensée pour ceux-là qui ont souffert de ce jour-là. C’est l’intimité de mon cœur, c’est l’intimité de ma spiritualité et je me rends toujours au cimetière des martyrs à Dagnoin pour me recueillir sur cette douzaine de tombes, la tombe de ces hommes qui ont donné leurs vies pour notre pays. C’est malheureux, mais cela aussi fait partie de la dynamique de la vie. C’est sûr que je n’irai pas festoyer mais en tout cas, je m’y rends pratiquement, depuis 25 ans, chaque fois que je suis au Burkina pour me recueillir auprès de ces tombes.

On a réussi à faire cet entretien sans parler de Blaise Compaoré qui a succédé au président Sankara dans les conditions que l’on sait. Vous pensez que 25 ans après, il a réussi à se faire pardonner ou à faire oublier celui à qui il a succédé ?

Pardonner ? Ce n’est pas moi petit Chérif qui pardonne, ce n’est pas moi l’individu. Je pense que s’il y a à pardonner, ce n’est même pas à la famille Sankara non plus. S’il y a pardon et s’il doit de se faire pardonner, c’est vis-à-vis de son peuple et c’est aux Burkinabè d’en décider. Ensuite, je pense que qui dit Blaise dit forcément Sankara. C’est comme quand, étant étudiants, nous disions : c’est la thèse et l’antithèse. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, il est difficile d’apprécier, pour nombre d’analystes, les actions de Blaise sans tenir compte de ce fait du 15 octobre et de ce qui a pu lier deux êtres humains pour que cela puisse se terminer comme ça un 15 octobre. Car, ce qui est grave ou important, ce n’est pas cet évènement du 15 octobre mais ce qui a été avant cette date. Ceci dit, quand bien même je ne partage pas du tout la gouvernance de Blaise, même si cela ne constitue pas une information pour quelqu’un, il n’en demeure pas moins que le Burkina est là, qu’il y a eu des transformations au Burkina. Je ne négativise pas tout. Il y a eu des actes qui ont été posés qui sont positifs. Il y a eu d’autres actes, même si j’estime que ce sont les plus nombreux, qui sont négatifs, il y a beaucoup de choses sur cette gouvernance qui sont remises en cause : la non- indépendance de la justice, le nombre de crimes de sang ou de crimes économiques, etc. Mais dans le principe, si Dieu nous donne longue vie, quelle que soit la manière dont le président Compaoré quittera le pouvoir, qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, comme ceux qui les ont précédés que ce soit lui ou Sankara, chacun, d’une manière ou d’une autre, aura apporté sa pierre dans la construction du Burkina Faso. Maintenant, je peux estimer qu’au lieu d’une brique, tu avais la possibilité de poser cent briques, ça, c’est autre chose. Chacun apporte sa petite pierre à l’évolution du Burkina, même si j’estime que ce qu’ils sont en train de faire n’est pas la meilleure manière, parce que nous avons d’autres possibilités. Mais en tout cas, je ne partage pas leur gouvernance.

Toujours dans la même lancée, est-ce que vous pensez que la journée nationale du pardon a été un succès ?

Si j’ai fait quelque chose à Tao qui est là, en face de moi, si je veux vraiment lui demander pardon, je lui dis Tao, tel jour, je t’ai fait telle chose, vraiment je suis désolé, ça me peine, je te présente mes excuses. On ne demande pas pardon sur de l’abstraction. C’est quoi la journée du pardon ? On a dit de pardonner quoi ? Pour dire de pardonner quelque chose, il faut dire ce qu’on a fait et on veut demander le pardon. Jusqu’à présent, moi, je n’ai pas encore vu en cette journée nationale du pardon où on dit, voilà ce que nous avons posé comme acte et que nous regrettons vis-à-vis de notre pays, nous demandons pardon. On ne nous a pas dit ça. Donc moi, je pense que c’est de la fumigation ; c’est du n’importe quoi. Vous savez, nos sociétés sont formidables parce que nous avons plusieurs mécanismes et des ressorts non seulement pour nous pardonner et avancer, mais reconstruire ensemble. Mais aucun de ces mécanismes n’a été utilisé. On nous a fait assister à une foire où on a jeté des pigeons, etc. et puis ça s’arrête là. Donc, moi je ne pense pas que c’est ça le pardon. Et justement, beaucoup de problèmes de gouvernance et d’impunités dans notre pays sont dus justement à ce fait-là. Que nous ne voulons pas reconnaître des actes que nous avons posés et à partir de là, voir ce que nous pouvons faire ensemble. Et tant que nous ne reconnaîtrons pas ça, tant que nous voudrions fonctionner sur des non-dits, évidemment, vous aurez toujours des frustrations par ci par là ; vous aurez toujours des envies de règlements de compte par ci par là, etc. et ce n’est peut-être pas le lieu et peut-être que le propos ne sied pas forcément, mais quand je me remémore ce que nous avons vu ici, l’explosion militaro-sociale que nous avons vue en 2011, préfigure ce qui pourrait nous arriver parce que nous sommes dans une société très hypocrite, nous fonctionnons sur des non-dits, nous fonctionnons sur des mépris et des arrogances qui font que, que Dieu nous pardonne, si ça doit exploser, ce ne sera pas beau à voir.

source: LE PAYS

SPÉCIAL 25 ANS THOMAS SANKARA- Mamadou Kabré: « Ne soyons pas des nécrophages »

Il fait partie des nouveaux venus dans le grand cercle et divisé des partis sankaristes. La commémoration du 15 octobre, date anniversaire de l’assassinat de Thomas Sankara dont ils défendent l’idéal, sera encore le seul cadre d’unité ponctuelle de ces partis. A la veille de cette anniversaire, la 25e que les sankaristes s’apprêtent à commémorer, Burkina24 s’est entretenu avec Mamadou Kabré, président du Parti Républicain pour l’Indépendance Totale (PRIT/Lannaya). C’est un chef de parti épuisé en cette veille d’élections couplées, et surtout impatient de voir les sankaristes au pouvoir, qui a trouvé le temps de nous recevoir, sa fibre sankariste et son profil de communicateur oblige, pour parler de la Révolution, de ce qu’il en reste mais aussi de l’épineuse question de l’unité des sankariste.

Burkina24: Nous sommes à la veille du 15 octobre et avant tout, dites nous si vous êtes encore Sankariste et, avec votre parti, solidaire de la commémoration du 15 octobre cette année.

Kabré Mamadou: Je suis et je serai toujours sankariste pour la simple raison que ce que le capitaine Thomas Sankara faisait c’était la voie progressiste, la voie de gauche, le communisme. C’est la forme la plus élaborée pour le développement, et je reste totalement dans cette voie. Du reste notre parti (PRIT/Lannaya) a affirmé cette ligne de gauche qui est le marxisme-léninisme. Pour l’anniversaire de la 25e année de l’assassinat de Thomas Sankara les sankaristes sont à pied d’œuvre. Déjà nous avons commémoré le 2 octobre qui est la date anniversaire du Discours d’Orientation Politique et le 15 octobre il y aura une cérémonie faste au niveau du cimetière de Dagnoen, cérémonie au cours de laquelle nous ferons l’historique de l’Homme et nous parlerons d’autres choses liées à la Révolution.

B24: Votre parti est donc solidaire de la commémoration du 15 octobre…

M.K: Nous, nous n’avions pas, à l’époque, mis ça dans notre programme, pour la seule raison qu’on risquait d’avoir un conflit avec d’autres personnes. Mais lorsque nous avons été conviés par la société civile sankariste pour que nous parlions d’une seule voix, nous nous sommes associés à cette dynamique de commémoration de cette 25e anniversaire de la mort du Capitaine Thomas Sankara.

B24: Qu’est-ce qui reste alors de l’idéal sankariste que vous tenez à défendre en tant que sankaristes et à travers cette commémoration?

M.K: Ne serait-ce que l’appellation des fils et filles de ce pays de Burkinabé, qui veut dire « des Hommes intègres ». L’Homme n’est pas seulement que des intérêts matériels. Il y a un certain nombre de valeurs morales qu’il doit incarner. Le fait même de s’appeler toujours Burkinabé, ce sont des vestiges de la Révolution qu’on ne saurait effacer. Ensuite il faut reconnaitre que le problème se pose en terme de comparaison. Lorsqu’on considère ce qui s’est fait pendant la Révolution et ce qui se fait actuellement, on en vient à regretter la période de la Révolution. La question de l’autosuffisance alimentaire reste posée, la question de l’insécurité également alors que tous ces aspects étaient en passe d’être résolus au temps de la Révolution. C’est la raison d’ailleurs pour laquelle en tant que parti nous nous sommes appelé Parti Républicain pour l’Indépendance Totale. Nous n’estimons pas qu’après 50 ans d’indépendance nous devrions être toujours au stade de balbutiements de développement, alors que d’autres pays qui ont connu la guerre, trente ans après ont atteint un stade que nous ne sommes pas en mesure d’atteindre 52 ans après. Les problèmes auxquels la révolution s’attaquait sont toujours d’actualité 25 ans après et nous envisageons dès que nous seront aux affaires réaliser ce que la Révolution avait voulu faire, l’autosuffisance sur tous les plans.

B24: Beaucoup d’acquis de la Révolution ne seraient pas toujours reconnus par ceux qui sont aux affaires. Selon vous, qu’est-ce qu’il coute à ces derniers de reconnaitre ces acquis et le pas fait avec la Révolution?

M.K: Le pouvoir actuel est abonné aux mensonges. Il va lui être difficile de reconnaitre les bienfaits des régimes passés pour la seule et simple raison que lorsqu’ils ont fait la proclamation du 15 octobre, ils ont dit que Sankara était un traitre, qu’il s’est glissé dans la Révolution pour mieux l’étouffer de l’intérieur et qu’eux ils sont venus pour approfondir la Révolution. Plus au contraire ils sont venus pour la noyer et on en parle plus aujourd’hui. Ensuite ils ont dit qu’on a fatigué longtemps le peuple en lui demandant des sacrifices, des efforts, et qu’on a besoin d’une pause. Si les mêmes reviennent pour reconnaitre le bien fait pendant la révolution et dire que la pause qu’ils ont demandée est terminée et qu’il faut retourner à la révolution, on va les discréditer au profit de ceux qui sont restés attachés à la Révolution. Voila pourquoi ils ne veulent pas reconnaitre les bienfaits de la Révolution alors qu’il était de bon ton que l’on reconnaisse ces acquis. L’avantage c’est quoi? Eux aussi ne seront pas un jour au pouvoir. Il faudra que quelqu’un reconnaisse leur mérite. Mais s’ils refusent de reconnaitre le mérite de la révolution, alors qu’ils reconnaissent l’action de certains chefs d’État qu’ils consultent, pour ceux qui sont encore vivants, c’est manquer de reconnaissance, c’est être ingrat par rapport à l’homme grâce à qui ils sont arrivés aux affaires.

B24: Personnellement, comment avez-vous connu Sankara et qu’est-ce qui vous a poussé à créer un parti sankariste?

M. K: Ma rencontre avec la Révolution s’est faite au secondaire. Pour la petite histoire, en 84-85 j’étais en classe de 1ère et j’avais décidé de faire le Bac en 1ère. J’ai lu les classiques de philosophie seul et je suis tombé sur le cours de philosophie qui parlent du capitalisme et du communisme. Bien que le livre ne dise pas ce qui est bon et ce qui est mauvais, je me suis rendu compte que j’avais une sensibilité communiste et adhéré a cette idéologie. J’ai donc fais le pari d’être communiste. Et comme il y avait la Révolution en son temps, arrivé à l’université je me suis retrouvé dans le cercle anti-impérialiste avec des camarades. L’idéologie de gauche est restée mon idéologie que je ne saurait renier pour quelques raisons que ce soit malgré la conspiration internationale contre le mouvement de gauche. Pour ce qui est du parti, depuis 2006 on m’avait conseillé d’aller moi-même avec un parti, parce que j’étai avec des gens qui ne sont pas constants dans leurs positions. Quand des gens sont dans une certaine position et ils n’arrivent pas à envisager une certaine dynamique pour renverser l’ordre actuel établi, moi j’estime que ce sont des complicités qui ne disent pas leur nom. Il faut arriver à franchir le Rubicon pour aller vers le changement de pouvoir, par la forme démocratique ou par toute autre forme.

B24: Parlant d’unité des sankaristes, nous avons fait un trottoir le 15 octobre dernier et beaucoup estiment que l’unité des sankaristes rendraient mieux hommage à Sankara. Mais apparemment cette unité, ce n’est pas votre affaire…

M.K: Une chose est sure au moins: la commémoration du 15 octobre se fera de façon unitaire. Maintenant, en tant que partis, pour que nous fassions un seul parti ou deux partis forts, je pense qu’il ya des problèmes préalables qu’il faut résoudre. D’abord la question idéologique. Il y a des gens qui estiment que parler actuellement du sankarisme c’est une doctrine. Non. C’est en fait comme on cite Julius Nyerere, Kwame Nkrumah, Sékou Touré, Ben Bela et autres. Nous, nous avons eu un révolutionnaire qui a fait la voie progressiste et on ne peut pas citer les prophètes d’ailleurs et laisser le nôtre. L’idéologie de Sankara était celle de gauche. Si les gens estiment qu’avec la clameur anti-communiste, il ne faut pas dire qu’on est de gauche, socialiste ou progressiste, je pense qu’on ne pourra pas s’entendre. Le socialisme c’est quoi, c’est d’abord la révolution qu’on fait parce qu’à l’époque on ne pouvait pas avoir un changement de pouvoir par les urnes. Donc il fallait renverser par la révolution. Et ensuite, on est allé à une autre étape qui est le socialisme et on termine par le communisme. C’est parce que Sankara faisait la voie de la démocratie populaire que ses œuvres sont toujours adulées 25 ans après. Après l’aspect doctrinal, idéologique, il faut ensuite régler la question des hommes. Si on est ensemble, on ne doit pas se contredire au point d’arriver à des situations conflictuelles. Car Mao Tsé-Toung avait dit: dans la juste solution des contradictions au sein du peuple, il faut, lorsque vous êtes dans un même camps, privilégier la démocratie et le dialogue. Mais si vous êtes dans un groupe où les gens ne parlent pas de démocratie, de dialogue, on en peut pas faire chemin ensemble. Enfin, il faut reconnaitre le mérite. Il y a des gens qui croient que pour avoir été dans le gouvernement de Thomas Sankara, pour avoir été de la région de Thomas Sankara, ou CDR (comité de défense de la révolution), ils ont plus de droit que ceux qui adhèrent maintenant à la Révolution ou qui sont nés après la Révolution. Il n’y a pas de mainmise, de Politburo (Ndlr: organe suprême du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique qui définissait sa politique, sa ligne directrice) ou de forme de gestion où on privilégie un certain nombre d’ancien au détriment d’une certaine classe émergente. Tant qu’on aura pas résolu ces trois problèmes, la question idéologique, la question entre camarades qui se résout par le débat démocratique et le dialogue, et aussi la question du mérite, on ne pourra jamais s’entendre.

B24: Un souhait particulier à la veille de la commémoration des 25 ans d’assassinat de Thomas Sankara?

M.K: Mon souhait est que nous ne soyons pas des nécrophages. Nous allons chaque année et nous nous recueillons. On ne doit pas en rester là. Il faudrait que nous allions pour prendre un engagement. Sankara est arrivé aux affaires à la trentaine et bientôt on vivra les 30 ans de sa mort. Est-ce qu’après sa mort on peut se permettre d’attendre l’âge qu’il avait en devenant premier ministre sans prendre le pouvoir? Il faut qu’on se fixe un deadline pour se dire que dans deux ans, ou dans trois ans, nous devons être aux affaires. Ensuite nous mènerons la politique qu’il faut pour y arriver quelque soient les moyens. Tous les moyens sont bons. Comme le disait un philosophe italien, bien de chemin mène au sommet de la montagne, mais la haut la vue est toujours la même pour tous. Il faut qu’on se fixe l’objectif de conquérir le pouvoir urgemment et utilement pour que le peuple qui rêve de cet idéal sankariste nous voit arriver aux affaires.

THOMAS SANKARA 25 ANS – Didier Awadi « Il n’y a pas un autre homme sur terre qui m’inspire autant que Sankara».

Porte flambeau du rap africain depuis qu’il évolue en solo après le célèbre groupe de rap sénégalais PBS (positive black soul), Didier Awadi fait parti de cette catégorie d’artistes engagés et qui dans leurs textes, ne le cachent pas. Il se réclame ouvertement de l’héritage de Thomas Sankara, allant jusqu’à nommé son studio du nom de ce dernier : « STUDIO SANKARA ». A la veille de la commémoration des 25 ans de l’assassinat de Thomas Sankara, Didier Awadi a bien voulu se livrer à travers cette interview qu’il a accordé à Burkina 24.

B24 : Quelle est l’actualité de Didier Awadi depuis la sortie de l’Album « présidents d’Afrique » en avril 2010 ?

Depuis la sortie de cet album, ça n’a pas arrêté de tourner partout dans le monde, on a fait presque tous les continents et cela continue car vu le concept qui est développé, il ya une grosse demande sur « Présidents d’Afriques ». J’ai également fait des films, dont mon propre film « le point de vue du lion » qui est allé au festival de cannes et d’autres festivals.

Mais tout cela ne m’a pas empêché d’enregistré un nouvel album qui sortira le 8 novembre prochain et qui s’appellera « ma révolution ». On va retrouver dans cet album des thèmes qui me sont chers comme le panafricanisme, la paix en Casamance, les révolutions africaines, au-delà de ce qui s’est passé avec le printemps arabe, faire parler la génération consciente, etc. C’est un album très différent avec beaucoup de styles différents, une orchestration d’un niveau élevé, avec des gens comme Wyclef Jean des fugees et plein d’autres personnes ; je pense que c’est un album de maturité. Les gens seront surpris par la fraicheur des musiques qui s’y trouvent.

B24 : Dans cet album « présidents d’Afrique », vous parler beaucoup du président Thomas Sankara. quel lien vous unit-il à lui quand on sait également que votre studio s’appelle « studio Sankara »?

Sankara est mon maitre a penser, il ma prouvé qu’un africain peut réussir en restant intègre, qu’un africain doit croire en ses capacités et oser inventer son avenir et non rester avec des modèles importés, un mode de penser qu’on lui impose. Chaque jour, Sankara me prouve que son discours est d’actualité et dans chaque action que je mène je m’inspire de ces faits et gestes, de son parcours, pour évoluer. Son parcours m’inspire tant sur le plan politique, idéologique, que culturel. Il n’y a pas un autre homme sur terre qui m’inspire autant que Sankara.

Ici au studio Sankara, c’est également comme cela nous travaillons, on essaye de trouver des solutions africaines à des problèmes africains, on essaye de montrer qu’à formation égale, la vérité triomphe ; et les gens sont toujours impressionnés par les idées originales que nous sortons. Nous croyons au savoir faire made in Africa et c’est pourquoi les gens qui travaillent au studio Sankara, viennent de différents pays : c’est le panafricanisme.

B24 : Bientôt on commémorera le 25e anniversaire de l’assassinat de Thomas Sankara. Que vous inspire cette commémoration ?

Pour moi les 25 ans de son assassinat c’est 25 ans de non justice. Et pour moi, tant qu’il n’y aura pas de justice il n’y aura pas de paix « no justice no peace » ; donc il est tant qu’il y ait la justice pour que la paix revienne dans les cœurs et que la famille Sankara puisse aussi faire son deuil car sans justice, la famille ne peut pas faire son deuil.

Pour être allé souvent au Burkina, je sais que beaucoup de gens aiment Sankara et aimeraient vivre son héritage mais ont un peu peur ; il faudrait donc qu’il y ait justice pour que tous ces gens là soient libérés de leur peur. Moi je place les 25 ans de commémoration de son assassinat sous le signe de la justice.

B24 : Cette commémoration arrive a un moment où la plainte contre X pour « séquestration sur la personne de Thomas Sankara » a été déclarée non fondée par la cour de cassation Burkinabè le 28 Juin dernier. Quel commentaire en faite vous ?

Tant qu’on va escamoter la justice il ne faut pas s’attendre à ce que les gens soient heureux. Je pense que si Sankara a de l’impact partout dans le monde, ce n’est pas au Burkina qu’il n’en a pas ; et ce n’est pas parce que les gens se taisent qu’ils n’en pensent pas moins. Donc, je reste sur ma position : no justice, no peace.

B24 : Au regard de ce dénouement, ne craignez-vous pas que la plainte contre X pour « assassinat et faux en écriture administrative » déposée par ses ayants droits depuis 1997, ne connaisse le même sort ?

Je ne m’attend pas à des miracles de la part du système qui est en place, le même système qui l’a assassiné. Je ne m’attend pas à ce qu’il y ait avec ce système une justice « cleane » parce que s’il s’inscrivait dans la justice, il n’y aurait pas eu d’assassinat, ou il y aurait eu depuis lors pardon, repentance et une vraie justice, une sépulture descente et tous les honneurs dus a Sankara. Je pense qu’on ne s’attend pas du tout à ce que ce soit fait sous ce régime en tout cas ; ça ne nous surprend guère, c’est le contraire qui aurait été surprenant. Ça ne fait que confirmer ce qu’on pense d’eux.

B24 : Que représente le Sankarisme dans un pays comme le Sénégal, quel est son ampleur ?

Il y a beaucoup de sankaristes qui se retrouvent par exemple au forum social sénégalais, la plus part des gens qui animent ce forum sont des sankaristes. Les sankaristes existent au Sénégal comme partout d’ailleurs, ils s’organisent de tant en tant, ils s’activent autour des dates de la naissance et de l’assassinat de Sankara.

Je connais beaucoup de ministres qui sont des sankaristes, qui l’étaient en tout cas. Mais qui aujourd’hui, n’osent pas l’exprimer puisqu’ils sont dans des gouvernements de droite, et qui au fond d’eux restent sankaristes. Beaucoup d’étudiants, de jeunes, se sont appropriés les idées de Sankara. Egalement, beaucoup de nos anciens de la gauche ici sont impressionnés par son travail et s’en inspirent. Mais en même temps, c’est clair que beaucoup de nos intellectuels ont peur d’utiliser le mot « révolution », alors qu’on sait que dans nos pays c’est un changement radical en profondeur qu’il faut si nous voulons évoluer.

B24 : Quels sont selon vous les idéaux Sankaristes qui doivent inspirer la jeunesse Africaine ?

C’est le travail, l’intégrité, la discipline et la dignité. Je pense que si chaque africain s’inspire de la manière dont Sankara a vécu, on pourra faire vivre nos familles, nos économies, notre continent d’une manière différente et d’une manière digne.

B24 : Quel appel lancez-vous à la jeunesse africaine a l’occasion de cette commémoration ?

Pour moi l’appel, c’est celui de raviver la campagne international pour la justice pour Thomas Sankara. Cette campagne a commencé depuis longtemps mais c’est à nous de la raviver campagne parce que tant qu’il n’y aura pas de justice, aucun de nous ne sera bien. Il ne faut pas donner aux gens l’occasion de penser que nous sommes incompétents et que nous ne considérons pas le travail fait par des gens qui sont morts pour nous. On doit tous continuer de nous battre pour le triomphe de la justice, et pour le triomphe des idées de Thomas Sankara.

B24 : En tant que Sankariste, comment comptez-vous marquer cette commémoration ? Irez-vous au Burkina vous recueillir comme au 20e anniversaire ?

Depuis quelques années en effet, je me rend au Burkina pour cette occasion. Cependant cette année j’ai quelques empêchements, mais nous allons commémorer ça à Dakar. Nous organiserons le 15 Octobre au « balajo », une projection de deux films dont le nouveau titré « sur les traces de Thomas Sankara », suivis de débats. On invitera à cette occasion, les sankaristes à réfléchir sur le thème de « la pertinence de l’action de l’action de Thomas Sankara aujourd’hui ».

B24 : Quel est votre dernier mot ?

C’est « no justice, no peace. »

Interview réalisée par Youssouf Bâ source: BURKINA 24

Une prière, une communion, quelques larmes pour le père de la Révolution burkinabé
Commémoration du 15 :Thomas Sankara n’est peut-être pas dans la tombe profanée

Plus d’un millier de sankaristes et fans de Thomas Sankara ont fait le déplacement du cimetière de Dagnoen ce Samedi 15 octobre 2011. Un rendez-vous coutumier, puisque c’est la 24eme rencontre du genre où les sankaristes de tous les bords défient les épitaphes, les fantômes et la poussière pour rendre hommage à l’illustre disparu.

24 années se sont écoulées depuis la mort de Thomas Sankara. Le cimetière de Dagnoen, tristement célèbre depuis qu’en catastrophe le président du CNR y a été enterré, n’a pas désempli ce samedi 15 octobre. Militants de partis sankaristes, leaders sankaristes et autres fans de Thomas Sankara ont fait le déplacement pour rendre hommage au président et à ses compagnons «tombés sous des balles assassines» (NDLR : pour reprendre une expression de Sankara lui-même) 24 ans auparavant.

Au programme de cette manifestation : poses de gerbes de fleurs sur les 13 tertres et discours des officiels présents. Et avant, pendant et après toutes ces étapes, il y a les slogans sankaristes qui ont électrisé régulièrement la foule. Après le Discours harangueur du président du Comité d’organisation, le député Yamba Malick Sawadogo, ce fut au tour de Mme Toé Nadine de dire le discours de la veuve Sankara ; un texte d’une vingtaine de lignes, qui mêle émotions, forces et espoir. On retient que Mme Mariam Sankara condamne l’acte de profanation de la tombe de son époux, bien qu’elle doute sur le fait que son défunt mari y soit. Elle, sa famille et tous les partisans de la cause « attendent toujours qu’il soit prouvé que Thomas Sankara est réellement dans cette tombe, que son assassinat soit élucidé, que justice lui soit rendue et qu’il soit enfin réhabilité à la hauteur de son rang et de ses actions ».

Norbert Tiendrébéogo, ci-devant, président du Front des Forces Sociale (FFS), a improvisé un discours de combattant. Un discours par lequel on retrouve les grands slogans de la période révolutionnaire. 10 à 15 minutes d’échos contre l’impérialisme, les valets locaux, la mauvaise gouvernance, la colonisation, la néo-colonisation,…

Me Sankara, président de l’UNIR/PS, a fustigié dans son discours «les attaques régulières et systématiques ainsi que le dénigrement» que subissent les sankaristes à chaque fois qu’approche le 15 octobre. La profanation de la tombe du défunt Président en serait une parfaite illustration. Pour l’avocat, Thomas Sankara est plus grand mort que vivant et le sankarisme, comme le vin, se bonifie avec le temps. Par ailleurs il a invité les spectateurs du jour à se comporter comme Thomas Sankara, qui a vécu pour l’amour de son peuple dans la dignité et l’intégrité.

Source: BURKINA 24

THOMAS SANKARA 25 ANS – Aziz Salmone FALL: « Prouvez nous que cette tombe parmi la dizaine issue de ces assassinats est bien celle de Thomas»

Aziz Salmone Fall est politologue panafricain membre du GRILA le groupe de recherche et d’initiative pour la libération de l’Afrique. Il enseigne les relations internationales, la science politique et l’anthropologie. Il coordonne depuis 15 ans la CIJS (la campagne internationale Justice pour Sankara), un collectif d’avocats et de personnalités qui tentent de lutter contre l’impunité.

Burkina 24 (B24) : Qu’est-ce qui motive votre engagement au sein de ce comité?

Aziz Salmone Fall (ASF): La lutte contre l’impunité, la justice sociale et le panafricanisme. Je suis convaincu que l’intermède offert par le Burkina a été riche en enseignements. Apprendre à compter sur ses propres forces, promouvoir l’intégrité de tous et toutes, construire l’autosuffisance alimentaire, un marché africain de biens de consommation de masse, soumettre notre développement au rythme de nos besoins, redistribuer l’accumulation, consolider l’Afrique et permettre à ses enfants d’emprunter un avenir plus harmonieux que celui que l’ordre mondial leur impose. Cet ordre préfère l’Afrique sans les Africains, l’Afrique des seules ressources, et une poignée d’élites compradores et leur clientèle privilégiée pour perpétuer cette injustice. L’impunité perpétue le pillage de nos ressources par l’extérieur et par certaines de nos élites véreuses et criminogènes.

B24 : Cette année la commémoration du 25e anniversaire de l’assassinat de Thomas Sankara arrive a un moment ou la plainte contre X pour séquestration sur la personne de Thomas Sankara a été déclarée non fondée par la cour de cassation Burkinabè le 28 Juin dernier. Quel commentaire en faite vous ?

ASF: Il était prévisible que cette fin de non recevoir advienne. La magistrature au Burkina n’étant pas indépendante de l’exécutif. La séquestration a été une tactique juridique intentée par Me Nkounkou mettant au défi les autorités de prouver que Sankara ne croupissait pas dans une geôle. Certains qu’on disait morts, comme Kafando, n’ont ils pas resurgi après tout… Il est important que les burkinabè et africains réfléchissent sur ces 25 ans, sur la place de L’Afrique dans le monde sur les situations d’impunité qui ont perduré comme au Congo ou en Lybie. Apparemment certains vont dans l’indécence fêter le coup d’État qui a amené le régime actuel au pouvoir. Mais les autocraties,même affublées de démocratie clientélistes, ne sont pas immuables, regardez l’Egypte ou la Tunisie, et les turbulences récemment vécues au Burkina doivent plutôt les amener à réfléchir. Encore davantage quand la fragilité de notre région sahélienne est exposée aux comportements irresponsables de pompiers pyromanes qui jouent l’avenir de millions de gens parce qu’entre autres justement perdure l’impunité. Quand notre autosuffisance alimentaire non atteinte, malgré les succès de Sankara, expose au 21e siècle nos paysanneries à la famine..on peut se demander ce qu’on célèbre vraiment !

B24 : Au regard de ce dénouement, ne craignez-vous pas que la plainte contre X pour « assassinat et faux en écriture administrative » déposée par ses ayants droits depuis 1997, ne connaisse le même sort ?

ASF: Nous avons dépassé ce niveau. Cet enjeu est imprescriptible. Le jugement de l’ONU nous a donné raison en la matière. L ’ONU a reconnu les violations de l’État parti : « le refus de mener une enquête sur la mort de Thomas SANKARA, la non-reconnaissance officielle du lieu de sa dépouille, et la non-rectification de l’acte de décès constituent un traitement inhumain à l’égard de Mme SANKARA et ses fils, contraire à l’article 7 du Pacte (par. 12.2). La famille de Thomas SANKARA a le droit de connaître les circonstances de sa mort (…). Le Comité considère que le refus de mener une enquête sur la mort de Thomas SANKARA, la non-reconnaissance officielle du lieu de sa dépouille, et la non-rectification de l’acte de décès constituent un traitement inhumain à l’égard de Mme SANKARA et ses fils.. » et par. 12.6. … le Comité considère que, contrairement aux arguments de l’Etat partie, aucune prescription ne saurait rendre caduque l’action devant le juge militaire, et dès lors la non-dénonciation de l’affaire auprès du Ministre de la défense revient au Procureur, seul habilité à le faire… »

Là en Octobre 2012 nous sommes dans une situation où c’est la requête en assignation qui piétine, parce que le régime du Burkina n’ose pas jouer franc jeu à son habitude. Prenant au mot la décision onusienne nous avons dit à L’État parti, voici les empreintes génétiques des enfants Sankara, prouvez nous que cette tombe parmi la dizaine issue de ces assassinats est bien celle de Thomas. Votre magistrature aura t-elle le courage de faire face à sa responsabilité. Il y a quelques jours à peine, une décision de justice a ordonné l’exhumation de l’ancien président turc Turgut Özal présumé empoisonné en 1993. Bien des gens des plus intègres dans le peuple du Burkina et bien des responsables outrés dans votre magistrature ont hâte de voir ce que dira l’État parti

B24 : Est-ce possible d’espérer la justice et la vérité dans l’assassinat sans l’avènement de l’alternance ?

Si c’est une alternance sans alternative non, car la magistrature resterait muselée et la peur et l’impunité érigées en système perdureraient. Je ne puis cependant préjuger de la mobilisation d’un peuple et de la société civile sur cette question, mais c’est la seule qui puisse mettre un terme à l’omerta.

B24 : A propos, quel commentaire faites-vous de l’amnistie récemment accordée au président du Faso, Blaise Compaoré ?

ASF: Si il n’avait rien à se reprocher il n’agirait pas ainsi. Une autre manifestation visible de l’interférence de l’exécutif sénile dans le judiciaire. L’histoire reste juge. Et comme disait une de ses victimes le journaliste Norbert Zongo : la pire des choses ce n’est pas la méchanceté des gens mauvais, c’est le silence des gens bien !

B24 : Malgré une mobilisation de défenseurs des droits de l’Homme en France et une lettre de la veuve Sankara, le 8 septembre dernier, le Président Hollande a reçu Blaise Compaoré qui était également invité en Italie tout récemment. Pensez-vous que le contexte international actuel est favorable à cette lutte pour la justice pour Sankara?

ASF: Le dispositif de la françafrique est en crise ; le président du Faso a des comptes à rendre à l’Elysée dans la dynamique régionale où son rôle ambigu est connu et reconnu, mais aussi n’est-ce pas ce qui le garde en selle ? Jusqu’ici le président Hollande souhaite courageusement jouer un autre rôle dans la francophonie et nous l’y encourageons en l’incitant à faire preuve de transparence dans les agissements prêtés à des pontes de son parti dans l’affaire Sankara. De toutes façons, l’Afrique est en mutation, personne n’est dupe. L’ordre international reste un ordre issu de l’après guerre, et son intermède bipolaire et les vagues de transnationalisation ou l’avènement d’acteurs émergents ne l’ont modifié que sensiblement. Cet ordre demeure de nature impérialiste et donc est encore rétif à la lutte contre l’impunité puisque bien des oligarques qui le dirigent seraient les premiers sur les bancs des accusés. La CIJS est dans cette lutte depuis longtemps à contre-courant, mais sur ces enjeux il y a cependant un éveil notable de citoyenneté internationaliste. Elle est exaspérée par les affres issues de notre mode de production et de consommation et l’impunité qui l’entretient visiblement incompatible avec la survie de l’espèce. L’humanité s’éveille face à l’urgence, et la capacité d’indignation des jeunesses en témoigne. Au Burkina, les sankaristes doivent transcender les obédiences et reprendre l’élan du changement progressiste.

B24 : Le cap de 10000 Signatures pour réclamer « Justice pour Thomas Sankara, Justice pour l’Afrique » a été atteint en cette veille du 25e anniversaire de son assassinat. Est-ce le signe d’un engouement des citoyens et qu’est-ce que les différentes initiatives des citoyens et défenseurs des droits de l’Homme peuvent apporter dans la quête de la vérité et de la justice?

ASF: C’est lié à mon propos précédent. Cette louable initiative lancée par un comité en France pour demander des comptes à l’État français et aussi nous assister dans cette quête de justice a démontré si besoin est qu’il existe des milliers de gens croyant qu’un autre monde est possible. Et surtout que justice et justice sociale vont ensemble. La longue phase de dépolitisation enclenchée par les ajustements structurels et le désengagement étatique en Afrique est en crise, et là aussi les citoyens redécouvriront leur rôle civique et la nécessité d’une repolitisation démocratique des masses. Les dictateurs de tout acabit ont peur de cela. C’est au peuple de reprendre conscience de son potentiel et de choisir l’avenir qu’il emprunte à nos enfants.

Source:BURKINA 24

Séquestration de Thomas Sankara : « Non fondée », selon la Cour de cassation

Le pourvoi en cassation de Mariam Sankara, épouse de feu capitaine Thomas Sankara, sur la séquestration de ce dernier, a vu ce jeudi matin son dénouement. La Cour de cassation a jugé la procédure recevable mais a jugé le fond « non fondé ». Elle a donc rejeté le pourvoi. Me Bénéwendé Sankara, le conseil de la famille Sankara, a estimé que « c’est une bonne chose » et que cette décision donne l’occasion « d’aller maintenant à l’essentiel ».

« La cour déclare la procédure recevable (…), juge le pourvoi non fondé au fond, rejette le pourvoi et condamne les demandeurs aux dépens ». Telle est la simple phrase qui a servi de délibéré, ce jeudi 28 juin 2012, et mis fin à la procédure engagée par la famille du capitaine Thomas Sankara aux fins de reconnaître que ce dernier est ou a été l’objet de séquestration. Tellement simple que les participants à l’audience n’avaient que cette seule phrase à la bouche : « C’est tout ? C’est fini ? » « On ne s’attendait pas à plus que ça ! », lançait Boukary Kaboré dit « Le Lion » en sortant de la salle d’audience.

C’en est fini en tout cas pour cette procédure et la Cour de cassation approuve la Cour d’appel qui avait décidé que le capitaine Thomas Sankara n’est pas victime de séquestration. Mais cela ne décourage pas pour autant les poursuivants. Pour la partie populaire, « Le Lion » affirme que « nous sommes des combattants stoïques et stabilisés ».

Maintenant, l’essentiel !

Mais d’un point de vue plus juridique, Me Bénéwendé Sankara rappelle que cette procédure n’est qu’un aspect de l’arsenal de procédures engagées. Pour lui, l’épuisement de celle-là est « une bonne chose », car elle leur permet d’aller au fond de l’affaire. « Cela va nous permettre maintenant de nous concentrer et nous consacrer au dossier au fond, c’est-à-dire la question de l’assassinat du président Thomas Sankara, une question de taille », dit-il. Et par rapport à cette question, une requête est déposée auprès du ministre de la Défense, qui n’est autre que le président du Faso Blaise Compaoré.

« C’est lui qui doit donner l’ordre de poursuite que nous attendons pour que la procédure évolue », a expliqué Me Sankara. En rappel, il s’agit, entre autres, de l’expertise de la tombe du capitaine Thomas Sankara et du test d’ADN. Me Sankara garde la foi et estime qu’il y a beaucoup d’espoir. « On a beau tourner, on reviendra un jour sur les assassins de Thomas Sankara », épilogue-t-il, sourire aux lèvres.

Source:BURKINA 24

Tue, 16 Oct 2012 15:09:00 +0200

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