Drépanocytose: Au cœur de la souffrance des malades

Ce 30 juillet 2012, N’dia Junior se tord de douleurs, sur son lit d’hospitalisation, au 3ème étage du Chu de Yopougon, au service Hématologie. Mais il est assez courageux.

Contrairement au jeune Koffi Joachim qui, son voisin de chambre qui pousse des cris, N’dia Junior, lui, se laisse, en silence, ronger par une atroce douleur. Au quartier Gonzagueville, gigantesque bidonville dans la commune de Port-Bouet où son père a déménagé depuis peu pour lui apporter assistance en en cas de crise, l’état de santé du jeune homme ne laisse personne indifférent.

Le « pansement », par des morceaux de pagnes, qui couvrent ses articulations tient en émois les habitants. Les médecins s’apprêtent à le libérer, après 48 heures passées dans ledit service. Mais, il présente une anémie sévère… Elève en classe de 3ème à St Louis de Yopougon, il a les épreuves orales du Bepc à subir, le lendemain. Les médecins sont conscients de ce que la forme SFA2 de la drépanocytose dont il souffre est grave. Mais, pour ne pas qu’il soit pénalisé et vu qu’il était essentiellement hors de danger, ils ont jugé qu’il pouvait aller passer son examen de fin d’année. Malgré la souffrance, Junior trouve le moyen, entre deux toussotements, de s’ouvrir à nous: « Je fais des crises depuis mon enfance ».

Sur sa main, il porte des bouts de sparadrap, preuves qu’il s’est fait transfuser. Non loin de là, Koné Ouanigon, une jeune fille d’environ 20 ans, a du mal à tenir son équilibre dans sa chaise. Elle souffre des maux aux hanches. « C’est en mai dernier que j’ai su que j’étais drépanocytaire de type SAFA2. J’ai un pied déboîté qui ne guérit pas. C’est à la suite de cela que la découverte a été faite. J’avais souvent le paludisme. J’ai aujourd’hui terriblement mal à la hanche. On m’a dit que c’est la maladie qui fait cela », indique-t-elle. Mais si Ouanigon peut s’exprimer de façon plus ou moins audible, ce n’est pas le cas de Niamkey Ode Sylvie, âgée de 12 ans, élève en classe de 5ème à Marcory. Evacuée d’urgence en hospitalisation, dans un état comateux, le dimanche 20 juillet 2012, avec une anémie sévère doublée d’une forte fièvre, elle a retrouvé a pu ses sens, une semaine plus tard, grâce aux soins intensifs dont a elle bénéficier de l’équipe médicale. Mais elle ne peut articuler, correctement, ses phrases. Elle traîne une hémiplégie, une paralysie de son côté droit.

Néanmoins, pour sa tante Diarra Gnallé, à son chevet, la médecine moderne vient de lui montrer qu’elle est capable, même dans des cas extrêmes, de sauver des vies. « C’est un miracle », s’exclame-t-elle. N’zian Akoua, âgée , quant à elle, de 8 ans, élève au Ce2 à Abobo, atteint du type SSFA de la drépanocytose, évacuée en urgence, au service Hématologie du Chu de Yopougon, le lundi 30 juillet 2012, à 1h du matin, a plus de chance. Vers 10H, ce jour, la forte fièvre et la diarrhée qui ont occasionné son admission, se sont estompées. « Dans un état pareil, la rate ne fonctionne pas », explique Dr Ayémou Roméo, assistant au service Hématologie clinique du Chu de Yopougon.

Pas de moyens… la mort

Selon Fatoumata Soumahoro, résidant à Abobo, étudiante en Bts, déclarée drépanocytaire homozygote (SS) depuis l’âge de 6 mois, elle a vu mourir, dans sa salle d’hospitalisation, plusieurs personnes. « J’ai beaucoup de crises dans le mois. Quand je viens en hospitalisation, j’y passe deux à trois semaines. C’est une maladie qui est très compliquée. En 2006, on était quatre personnes dans la chambre et trois sont décédées. J’étais découragée et très affectée », nous informe-t-elle, soulignant avoir eu un moment, des difficultés pour à aller à l’école, tellement son temps était « dévoré » par la maladie. « Je n’arrivais pas à faire des mouvements. Mes parents ont dépensé beaucoup d’argent. On disait que je ne pouvais pas atteindre 21 ans. J’ai 22 ans, aujourd’hui, grâce au suivi des médecins et à la prise des médicaments. C’est une maladie qui fait beaucoup dépenser. Je débourse près de 30 mille Fcfa par mois quand je ne fais pas de crise », nous apprend-elle, en présence de sa sœur de 8 ans, Soumahoro Fanta, élève en classe de Cp2.

Sur une dizaine d’enfants que nous avons rencontré, seulement deux sont drépanocytaires. Dogo Ama, aide-soignante au service Hématologie du Chu de Yopougon, partage l’avis de Fatoumata Soumahoro en ce qui concerne le coût de cette maladie. Porteuse saine AS, de même que son mari, sa fille est drépanocytaire de la forme compliquée SSFA2. « La maladie s’est manifestée quand elle avait 6 mois. Elle est aujourd’hui âgée de 26 ans. Si elle est en crise, on paie la chambre et les examens. Tout cela tourne autour de 80 mille Fcfa. Sans crise, il faut prévoir au moins 20 mille Fcfa par mois », nous renseigne-t-elle.

Et de relever que la drépanocytose tue quand on n’a pas les moyens de se procurer les médicaments. « Beaucoup de personnes meurent dans nos mains ici, parce qu’on ne peut pas les aider à acheter les médicaments. Les médicaments qu’ils doivent prendre tous les jours ne passent plus sur le bon de mutuelle», se plaint-elle comme sa collègue Amangoua Jeannette, drépanocytaire de la forme SC (forme grave) qui plaide pour la prise en charge totale des malades. « C’est grave, ce que nous vivons. Depuis mon enfance, j’avais des douleurs. On se disait que c’était le rhumatisme. Quand je prends les médicaments, ça se calme et ça reprend. En 1992, j’ai fait mon électrophorèse. La maladie a été décelée. Mon dossier de suivi médical a alors été ouvert. Mon mari est AA. Donc mes enfants n’ont pas la maladie », détaille-t-elle. Agnimou Tania, esthéticienne à Abobo, est âgée de 22 ans.

Drépanocytaire de type SC, elle note avoir des douleurs depuis son enfance que ses parents et elles prenaient pour le rhumatisme. « Ces derniers temps, j’ai la crise au moins deux fois par mois. Ce qui fait que je suis obligée de priver mes clients de mes services », se désole-t-elle. Fofana Mamaba, âgée de 21 ans et hospitalisée au moins deux fois par mois, a dû abandonner l’école. « Avec 5 à 6 crises par mois, je ne pouvais pas poursuivre les études », laisse-t-elle échapper, visiblement affaiblie par la maladie, pendant que l’aide-soignante se prépare à lui prodiguer les soins sur son lit d’hôpital, au sixième jour de son admission, à notre passage. Comme on le voit, vivre avec la drépanocytose, c’est vivre dans l’antichambre de la mort.

Dominique FADEGNON in Soir info


Fri, 14 Sep 2012 08:48:00 +0200

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