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    La Liberté d'Informer

    En Israël, les expulsions d’immigrés africains illégaux ont commencé

    ByLa Dépêche d'Abidjan

    Nov 20, 2021

    Une jeune Soudanaise du Sud, sur le point d'être expulsée, à l'aéroport Ben-Gourion de Tel-Aviv, dimanche 17 juin. | REUTERS
    Ils sont assis ou allongés sur l’herbe du jardin Lewinsky, par petits groupes. Désoeuvrés, ils somnolent ou devisent. Leur sujet d’inquiétude, c’est la nouvelle politique d’immigration musclée mise en place par le gouvernement israélien : Soudanais du Sud, Erythréens, Ivoiriens et Soudanais ne sont pas concernés de la même façon par les mesures d’expulsion annoncées, mais l’incertitude est générale.
    La nuit, selon Sigal Rosen, de l’association Hotline for Migrants Workers ("ligne d’urgence pour les travailleurs migrants"), ils sont 200 à 300 à dormir là, à la belle étoile.

    La journée, beaucoup se nourrissent grâce à la soupe populaire, la "Lewinsky Soup", organisée par plusieurs organisations d’aide aux réfugiés, dont certaines sont financées par la municipalité de Tel-Aviv.

    De quoi demain sera-t-il fait, ils ne le savent pas. Dimanche 17 juin, un premier avion avec 127 immigrés illégaux s’est envolé de Tel-Aviv à destination de Juba, la capitale du Soudan du Sud. Officiellement, ils étaient volontaires. Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a donné une sorte de coup d’envoi lors du conseil des ministres : "Le gouvernement lance aujourd’hui l’opération de rapatriement de milliers d’infiltrés." Cette politique d’expulsion de fait – qui a été baptisée "retour à la maison" – sera conduite "de façon humaine, selon la tradition juive", a-t-il assuré.

    Zacharia Mohamed Babeker, qui est originaire du Darfour, hésite : rester, tenter de trouver du travail en dépit des réactions de rejet, parfois violentes, d’une partie de la population des quartiers sud de Tel-Aviv, exaspérée par le nombre croissant d’Africains immigrés, ou repartir, parce que "les gens d’ici ne veulent pas [d’eux]" ? Marié, père de cinq enfants, il a franchi la frontière égyptienne, pour échouer dans le jardin Lewinsky de Tel-Aviv.

    La nuit dernière, la police des frontières a effectué une descente et a procédé à plusieurs interpellations. Il y a échappé, pour l’instant. Pourtant, Zacharia Mohamed ne risque rien, en principe. "Chez moi, au Darfour, c’est une zone de guerre, comment pourraient-ils m’expulser ?" Le premier ministre l’a assuré : les 35 000 Erythréens et les 15 000 Soudanais entrés illégalement en Israël ne sont pas officiellement visés par la politique d’expulsion des "infiltrés", qui concerne, à ce stade, les Soudanais du Sud et les Ivoiriens.

    Mais Eli Yishai, ministre de l’intérieur et chef du parti ultraorthodoxe Shass, a redit que l’expulsion de 700 à 1 500 Soudanais du Sud est "une goutte d’eau". Le vrai problème, a-t-il confirmé, ce sont les Erythréens et les Soudanais, et, au-delà, l’ensemble des quelque 60 000 réfugiés africains entrés illégalement en Israël : il a bon espoir de "les expulser tous". Les premiers expulsés se sont vu remettre un pécule de 1 000 euros par adulte et 400 euros par enfant à leur arrivée à l’aéroport de Tel-Aviv.

    Mais cette politique a ses limites : ces derniers jours, plus de 350 Africains ont été arrêtés, notamment à Tel-Aviv et Eilat, et transférés à la prison de Saharonim, près de la frontière égyptienne. Parmi eux, de nombreux Ivoiriens. La communauté ivoirienne, forte d’environ 2 000 personnes, vient de perdre la "protection collective" dont elle bénéficiait jusque-là. Ce qui veut dire qu’après les Soudanais du Sud, elle est la deuxième sur la liste.

    Dans le parc Lewinsky, les rangs des dormeurs sont plus clairsemés depuis quelques jours : mieux vaut s’entasser dans les abris qui se sont ouverts dans les quartiers de Neve Shaanan et Hatikva, que de risquer un coup de filet. Depuis cinq ans qu’il est arrivé en Israël, Abdel Ahmed Youssef, originaire du Darfour, a pris le nom de "Guy", pour mieux s’intégrer. Il est âgé de 24 ans, son anglais est parfait, il travaille dans un hôtel, mais sa confusion est grande : il revendique un statut de réfugié politique, tout en sachant que celui-ci est accordé avec parcimonie en Israël. Selon Sigal Rosen, 157 demandeurs d’asile ont pu en bénéficier depuis… plusieurs dizaines d’années.

    Le gouvernement israélien ne faisant pas le tri entre réfugiés politiques et réfugiés économiques, il y a peu de chances que ce chiffre évolue. "Je repartirai quand il y aura la paix au Darfour. Je suis un réfugié, mais le gouvernement israélien se refuse à m’entendre. En attendant, je veux qu’il respecte mes droits", répète "Guy". Mais le dispositif gouvernemental ne s’arrête pas là : la Knesset, le Parlement israélien, doit se prononcer dans les prochains jours à propos d’une loi étendant de deux à cinq ans la peine de prison qui pourra être infligée aux employeurs ayant embauché des immigrés illégaux.

    Avec ce texte, une politique d’expulsion et de détention drastique, et l’accélération de la construction de la barrière de sécurité le long de la frontière avec l’Egypte, Israël s’efforce de mettre en place un dispositif dissuasif à l’encontre des immigrés africains. La municipalité de Tel-Aviv se déclare dépassée par les proportions prises par l’immigration illégale. "Le gouvernement ne nous fournit aucune aide financière, et même si je n’approuve pas la manière avec laquelle cette situation est gérée, je dois reconnaître qu’avec une population immigrée qui dépasse 40 000 personnes, nous avons atteint nos limites", constate Assaf Zamir, l’adjoint au maire chargé de ce dossier.

    La ville finance des écoles et des jardins d’enfants pour la population africaine, mais cette charge est devenue lourde, et Assaf Zamir parle de "bombe sociale à retardement". Dans les quartiers de Neve Shaanan et Hatikva, des comités de résidents se sont organisés. Même si leurs porte-parole semblent grossir le trait, leur exaspération n’est pas feinte : "La sécurité de nos enfants est menacée, le niveau de saleté et les déprédations se sont accrus, les Africains prennent des emplois qui devraient revenir aux Israéliens ; la peur est entrée dans nos maisons, et les femmes seules n’osent plus sortir", assure Dina Emouna, qui habite Hatikva depuis trente ans.

    Sigal Rosen ne nie pas que la colère de certains résidents a pris des proportions inquiétantes, frisant le racisme. Or elle est souvent basée sur des rumeurs : pendant près d’un mois, le bruit a couru que le taux de criminalité parmi les Africains était de 40 %. "La Knesset et la police ont corrigé le tir : ce taux est de 2,24 % ! Mais le mal était déjà fait…"

    In lemonde.fr

    Thu, 21 Jun 2012 11:12:00 +0200

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