Entretien / Beugré Yago Eugène (Vainqueur de la CAN 92 au Sénégal) aux Eléphants : ‘’En football, ce sont les trophées et la victoire qui comptent‘’

Retraite! Je ne sais pas. Je joue souvent ; je peux encore rejouer. J’ai crée un centre de formation avec mon ami Toussaint Joseph appelé Centre de Formation Yago (CFY) qui existe depuis 2005. Je gère donc mon centre de formation. Nous apportons notre savoir d’une certaine année de football professionnel aux enfants. Donc, depuis cette année je forme des jeunes dans différentes catégories pour les envoyer en Europe ou dans les clubs ivoiriens. Nous espérons que c’est une œuvre qui va porter, parce que nous y mettons du sérieux, nous croyons en ce que nous faisons. Un jour, des joueurs vont émerger.
Quels sont vos meilleurs et mauvais souvenirs de toute votre carrière ?
Les souvenirs les plus beaux sont la Coupe d’Afrique des Nations gagnée au Sénégal en 1992, la Coupe d’Afrique des vainqueurs de coupes et la super coupe d’Afrique remportée avec l’Africa Sport en 1992 également. Ce sont là les bons moments de ma carrière. Des regrets ; j’ai essayé mais mon club (Africa Sport) ne m’a pas libéré pour avoir cette carrière professionnelle quand je suis parti à l’AS Cannes. C’était une belle opportunité qui s’offrait à moi pour connaître le football Européen, le football professionnel. Cela n’a pas eu lieu. C’est l’un des mauvais souvenirs de ma carrière.
Que diriez-vous de votre passage à l’Africa Sport ?
C’est l’un des plus grands souvenirs. Je venais de l’AS SOTRA et je partais dans l’un des plus grands clubs africains. Je n’oublierai jamais les paroles du président Simplice De Messe Zinsou, quand il me recevait dans son bureau. ‘’ L’Africa est une grande équipe. Quand tu viens à l’Africa, si tu ne tues pas, tu seras tué’’. Donc il faillait épousé l’esprit de vainqueur du président. Il y a un mot qui m’a frappé : on n’avait pas de prime pour les matchs nuls. J’évoluais là, dans un grand club, et j’avoue que mes débuts n’ont pas été faciles. Mais j’ai dû cravacher très dur parce que j’évoluais avec des personnes qui avaient 40 à 50 sélections. Je devais m’imposer, je me suis battu et j’ai gagné ma place. Pendant 4 à 5 ans, j’ai tenu le côté gauche de l’Africa. En toute franchise rien n’a été facile pour moi, mais avec le cœur j’y suis arrivé. Depuis ma retraite, les dirigeants de’ l’Africa ne sont jamais venus vers moi. Je n’ai pas de relation particulière avec les dirigeants de l’Africa. Les dirigeants devraient quand même nous convoquer pour que nous apportions notre modeste contribution au club. Parce que l’Africa c’est un esprit .Et quand tu n’as pas l’esprit, tu ne peux pas jouer à l’Africa. C’est ce que la nouvelle génération n’a pas compris. Ce sont les grandes plaies du football ivoirien aujourd’hui et de l’Africa. On prend des joueurs qui ne connaissent pas l’amour du maillot. Quand on ne connaît pas l’amour du maillot, c’est difficile. Quand les jeunes de l’Africa comprendront ce concept, ils gagneront beaucoup de trophées.
Quelle analyse faites-vous de la débâcle du football ivoirien, en compétition africaine ?
Je ne suis pas surpris. C’est la réalité, c’est la logique qui s’impose. Quand on n’a pas formé, quand on n’a pas préparé, on subi naturellement. Je prends un exemple concret. Si aujourd’hui l’Asec, le meilleur club ivoirien n’arrive pas à battre Issia Wazi largement, et qu’ils se font coincer par le Denguéle d’Odienné à la 11ème journée de la ligue 1, c’est que l’Asec n’est plus un grand club. Pour moi, avoir un grand club, c’est avoir des grands joueurs. Aujourd’hui la réalité est que nous n’avons plus de grands joueurs. C’est le problème au niveau des clubs ivoiriens. S’agissant de l’équipe nationale, je disais à un ami journaliste que quand vous avez perdu l’amour du maillot, vous ne pouvez rien gagner. Je pense que les jeunes n’ont rien compris véritablement de l’amour du maillot. Ce sont près de 20 millions d’ivoiriens qui les supportent, dont le cœur bat pour l’équipe nationale. Quand ils comprendront cela, je pense qu’ils gagneront une coupe d’Afrique des nations. Parce que, ce n’est pas dans la propagande, ni dans les journaux, qu’on remporte un trophée, une compétition, mais sur le terrain. Je n’arrive pas à comprendre qu’une équipe de locaux Egyptiens arrive à battre largement des professionnels. C’est la question que tout le monde se pose. Comment voit-on une équipe égyptienne gagner trois fois successivement la Can ? Pour moi, c’est une honte pour le football africain. Mais c’est l’organisation du football égyptien qui paye. C’est l’exemple à suivre. Ce sont certes des locaux, mais la différence se situe au niveau de l’engagement, de l’amour du maillot. Vous savez, les Arabes ont l’amour du maillot. Ils ont une culture du drapeau national. Quand les ivoiriens auront la culture du drapeau national, quand ils comprendront l’importance de ce drapeau, nous deviendrons une grande nation de football. S’agissant de la formation, l’Asec a certes formé la plupart des joueurs de la sélection actuelle, mais qu’ont-ils gagné ? Rien. Vous savez en football, ce sont les trophées et la victoire qui comptent. Cette génération n’a rien gagné, parce qu’il y a un esprit qui n’a pas été crée dans la tête de ces enfants. Je vous dis qu’il y a des joueurs bons pour le football européen parce que le football africain est deux fois plus dur. Un exemple concret. Rigobert Song. Il a joué plus de 17 à 18 ans la Can. Mais il n’a pas joué dans un véritable grand club en Europe alors que Rigobert Song est une personnalité du football africain. Donc, il y a plusieurs facteurs qui entrent en ligne de compte. Il y a des joueurs qui sont bons pour le football européen, mais qui ne sont pas bons en équipe nationale ; il y a des joueurs de clubs et des joueurs d’équipe nationale. Ce sont des questions que nous nous posons et je pense que cette génération doit comprendre que rien ne se gagne si l’on ne mouille pas le maillot. Rien ne se gagne si l’on ne donne pas tout ce qu’on a. Mouiller le maillot, c’est le dépassement de soi sur le terrain. C’est ça la culture du pays. Quand l’Egyptien marque un but et embrasse son maillot, pour certains, c’est un geste banal. Mais pour nous, qui avons joué au football à un certain niveau, nous savons ce que cela veut dire.
Votre regard sur la participation des Eléphants au mondial sud africain
Je pense (il rit et hésite avant de répondre) .Après la Can angolaise personne n’ose se prononcer. Mais j’ai l’impression que les ivoiriens pourront faire une bonne coupe du monde. Si on n’a pas pansé les plaies au sein de la sélection ivoirienne, rien ne pourra marcher. On écoute souvent les discours. Dans le discours de Drogba, après leur match contre la Corée du Sud, on a senti qu’il y a un malaise en sélection. Si ce malaise n’est pas réglé ce sera difficile pour eux pendant la coupe du monde en Afrique du Sud. En 1992, nous aussi, avions les mêmes problèmes. On avait deux groupes. D’un côte, le groupe de l’Asec et des professionnels et de l’autre le groupe de l’Africa Sport. Moi-même, j’ai eu à me battre avec Ben Salah dans le cadre des préparatifs de Sénégal 92. Mais pour régler ces problèmes nous avons fait, pour utiliser l’expression actuelle un dialogue direct de 20 heures à 6 heures du matin. Les querelles ont été aplanies, on s’est réconcilié et nous sommes repartis de bon pied. Il faut taire les querelles. Les altercations feront toujours partie du quotidien de l’équipe nationale. Mais il faut savoir les taire et se saigner pour les ivoiriens. Je pense que si la bande à Drogba oublie ses querelles et fait place à l’intérêt national, elle pourra faire une bonne coupe du monde.
Quel est votre avis sur le débat autour de l’après Jacques Anouma ? D’un côté la conférence des présidents et de l’autre Kuyo Téa Narcisse.
La question que je me pose est de savoir si le successeur d’Anouma doit venir de la conférence des présidents ? Oui je le pense. Mais il y a la liberté dans un groupe. Si le président Kuyo a pris position, c’est qu’il a des raisons. Il faut les respecter. Je pense que s’il y a un choix à faire, les clubs feront un choix. Un choix selon l’homme idéal pour la maison en verre. Si c’est Kuyo Téa ou quelqu’un d’autre, on l’attendra au résultat. Je pense qu’on ne se bat pas au chevet d’une mère malade. La Côte d’Ivoire est malade. Cherchons à panser les plaies pour le mondial et le reste, on verra après.
Réalisé par K.A
Un message clair à la constellation de stars !
Annoncia Sehoué
Avec le partenariat de L’Intelligent d’Abidjan
Fri, 07 May 2010 06:11:00 +0200
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