Hommage à Paul Antoine Bohoun Bouabré, au nom de tous les exilés

Le 11 janvier 2012, notre camarade, notre frère, notre ami, Paul Antoine Bohoun BOUABRE nous a quitté, s’ajoutant à la liste déjà trop longue des patriotes Africains et Ivoiriens tombés au combat pour la liberté et la démocratie, le combat pour la souveraineté et la dignité des peuples et des Etats africains. Il est mort en Israël, loin de son pays, loin de sa terre natale. Il est mort en exil. Car, la prison, l’exil et la mort sont le sort réservé par les puissants de ce monde et les autorités qu’ils ont placées à la tête de notre pays, à ceux et celles qui ont œuvré en Côte d’Ivoire, ces vingt dernières années, (de 1990 à 2011, pour prendre des repères historiques), pour la renaissance africaine, pour les libertés politiques et l’indépendance économique des Etats et des peuples africains. Paul Antoine Bohoun Bouabré est un acteur de premier ordre de ce combat. C’est pourquoi le régime ivoirien l’a laissé mourir loin des siens.
Souvenons-nous, 1990 ! A la fin du long règne du Président Houphouët-Boigny, le destin de la Côte d’Ivoire hésitait à prendre forme entre trois voies :
1. La voie du « Changement dans la continuité », incarnée par Henri Konan Bédié, président de l’Assemblée Nationale et « Dauphin constitutionnel » ;
2. La voie du rétablissement pur et simple du statut quo ante colonial, incarnée par Alassane Dramane Ouattara, nommé premier ministre ;
3. La voie de l’alternance démocratique, incarnée par Laurent Gbagbo et le Front Populaire Ivoirien (FPI), engagés dans la lutte pour l’instauration du multipartisme, l’affirmation de l’indépendance et la conquête démocratique du pouvoir.
C’est dans ce contexte qu’ont émergé sur la scène politique ivoirienne et africaine, les acteurs et les actrices de la démocratie ; les femmes et les hommes contre lesquels le pouvoir Ouattara et ses soutiens s’acharnent aujourd’hui. C’est dans ce contexte que Paul Antoine Bohoun BOUABRE s’est fait connaître. C’est la part qu’il a prise au combat pour les libertés et la place qu’il a tenue dans la « résistance économique » qu’il a payé de sa vie. Il a commencé ce combat comme enseignant à la Faculté des sciences économiques de l’université d’Abidjan Cocody où il a formé de nombreux cadres et d’éminents économistes qui lui vouent une véritable admiration.
On se rappelle que la succession d’Houphouët-Boigny « par décès » n’a pas réussi à Bédié ni à la Côte d’Ivoire. Le général Robert Guéï, ancien chef d’Etat-major d’Houphouët-Boigny, renverse Bédié en décembre 1999. Il s’installe au pouvoir à la tête d’un groupe de « Jeunes Gens », militaires putschistes proches d’Allassane Ouattara, marquant l’échec de la voie de la succession et inaugurant, hélas !, un cycle de violences politiques par coups d’Etats en Côte d’Ivoire.
Aux élections de 2000, les Ivoiriens rejettent la voie des coups d’Etat et optent pour l’alternance démocratique, en votant massivement pour Laurent Gbagbo. A l’intérieur comme à l’extérieur, les animateurs de l’ancien parti unique et les nostalgiques de l’ère coloniale, qui sont les mêmes, ne vendaient pas chère la peau de Laurent Gbagbo et de son équipe qui manquaient, disait-on, d’expérience, en particulier dans le domaine économique. Leur échec était annoncé et leur chute attendue au bout de quelques mois, voire quelques jours.
Eh bien nous avons relevé le défi ! Nous avons tenu. Dix ans ! La Côte d’Ivoire doit à cette équipe ses plus grandes innovations, ses plus grands succès diplomatiques et ses plus grands succès économiques de ces vingt dernières années. Sans conseillers techniques expatriés. Sans sponsors politiques internationaux ombrageux. Cette performance doit beaucoup à Paul Antoine Bohoun Bouabré. C’est pourquoi, en guise d’hommage, au moment où il nous quitte, nous voulons rappeler les grandes étapes de son parcours au FPI et au gouvernement.
Paul Antoine Bohoun BOUABRE n’était pas un membre fondateur du Front Populaire Ivoirien. Il n’était pas à la tête des experts qui ont élaboré la doctrine économique du parti (entre 1984, date de parution des premières « Propositions pour gouverner la Côte d’Ivoire » et 1994, date de l’adoption de la doctrine de « l’économie sociale de marché ») autour de Ahoua DON MELLO, Paul AGODIO, ou encore Konaté MAMADOU, l’un des plus grands experts des pays d’Asie du Sud-Est que la Côte d’Ivoire ait jamais connu, un économiste du développement, hélas trop tôt disparu.
On retrouvait, au sein de ces équipes, des cadres ivoiriens brillants comme le regretté Joseph OUPOH OUPOH, Placide ZOUNGRANA ,Miaka Oureto ,Tchétché N’GUESSAN, Zéhia KOUADIO, MELEU Mathieu, Kouassy OUSSOU, Guédé ZADI, Richard GBAYORO, etc. Parmi eux, Bohoun BOUABRE s’est fait remarquer par sa capacité de travail et surtout par son sens pédagogique. Il pouvait expliquer aux auditoires les moins avertis, les notions économiques les plus complexes. Un atout essentiel pour le Président Laurent GBAGBO qui voulait emmener la majorité des Ivoiriens à adhérer aux réformes économiques qu’il allait entreprendre une fois au pouvoir. C’est Bohoun BOUABRE qui a introduit Mamadou KOULIBALY dans l’équipe des économistes du FPI. Quand ce dernier est nommé ministre du budget sous la transition militaire, BOUABRE est son directeur de cabinet et, après l’accession de Mamadou KOULIBALY à la présidence de l’Assemblée Nationale, Bohoun BOUABRE lui succède naturellement et devient ministre de l’économie et des finances.
C’est à ce poste que, dès les premiers jours du gouvernement Affi N’GUESSAN, Paul Antoine Bohoun BOUABRE se révèle aux Ivoiriens. Il avait une grande qualité : c’était un conciliateur. Il avait le génie de pouvoir rapprocher des caractères, voire des thèses, en apparence inconciliables. Il a ainsi pu mettre dans une même équipe autour de lui, des économistes de bords idéologiques différents : des socialistes comme lui-même, et des conservateurs comme Charles Koffi DIBY.
Grâce à son autorité scientifique incontestée et un sens aigu des intérêts de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens, il a su faire valoir et faire respecter les choix et orientations économiques du Président Laurent GBAGBO dans toutes les institutions économiques sous régionales, régionales et internationales. Il su se passer des services de nombreux conseillers techniques expatriés grassement payés et dont le rendement n’était pas toujours à la hauteur des enjeux économiques d’un pays en voie d’émergence comme la Côte d’Ivoire.
Paul Antoine Bohoun BOUABRE a conduit toutes les grandes négociations pour rétablir les relations avec les institutions économiques et financières internationales qui avaient rompu avec la Côte d’Ivoire sous Bédié et la transition militaire : Avec la Banque Africaine de Développement (BAD), le Club de Paris, le Club de Londres, la Banque Mondiale, et le Fonds Monétaire International. A aucun moment, dans ces négociations, il n’a transigé avec les intérêts de la Côte d’Ivoire. Il restera, dans l’histoire de la Côte d’Ivoire, l’homme de la résistance économique. L’homme qui a redressé l’économie nationale qui s’était effondrée après le régime de Bédié et la transition militaire, faisant passer le taux de croissance de –2.3 % à + 2 % en deux ans !
Il a résumé l’action économique du Président Laurent Gbagbo sous le concept de « Budget sécurisé ». Ce concept inédit, repose sur le principe qu’un pays comme la Côte d’Ivoire ne devrait pas avoir recours à des appuis extérieurs pour faire fonctionner l’Etat, c’est-à-dire, notamment, payer les fonctionnaires. Un pays pour lequel un autre pays paie les fonctionnaires ne peut se dire indépendant. Le fonctionnement de l’Etat étant ainsi garanti sur la seule base des ressources propres du pays, le ministre de l’économie et des finances pouvait négocier avec assurance et sérénité auprès des institutions financières internationales, l’allègement de la dette et le financement des investissements pour le développement.
Pour réussir cette mutation, il a fallu engager l’économie ivoirienne résolument sur la voie de la modernisation. Parmi les outils de la modernisation crées par Paul Antoine Bohoun BOUABRE, on peut citer :
– L’informatisation des douanes ivoiriennes a fait passer les recettes douanières de 400 milliards en 2000 à près de 1000 milliards en 2010 ;
– L’instauration de la facture normalisée a fait monter les recettes de la TVA de 150 milliards, à plus de 250 ;
– L’optimisation des services du Trésor public, notamment par l’informatisation, l’instauration des comités de trésorerie, etc. a rendu effective l’unicité de caisse ; 
– La réforme de la filière café-cacao a été conçue pour améliorer la traçabilité des opérations de la filière, et augmenter les revenus des paysans ;
– La transformation de la CAA (Caisse Autonome d’Amortissement) en Banque Nationale d’Investissement (BNI) a doté la Côte d‘Ivoire d‘un puissant outil de financement de l’investissement public ;
– La nationalisation de la Versus Banque a sauvé cette institution prometteuse d’une faillite certaine ;
– Le redressement et le maintien de la Société Ivoirienne de Raffinage (SIR) dans le patrimoine national ont permis d’éviter la faillite ou la privatisation de cette infrastructure industrielle unique en Afrique de l’Ouest ;
Les résultats ne se sont pas fait attendre.
– Le Budget de l’Etat passe de 1500 milliards en 2001 … à 2 500 milliards en 2010 ;
– Les recettes fiscales (Direction Générale des Impôts et Direction Générale des Douanes) passent de 850 milliards en 2000 à près de 2000 milliards en 2010
– Le Produit Intérieur Brut (PIB) passe de 6000 milliards en 2000 à 8000 milliards puis à 11 000 milliards en 2010
Dès septembre 2002, les conditions étaient réunies pour l’accession de la Côte d’Ivoire au point de décision de l’initiative PPTE avant fin 2002. C’est à ce moment que se déclenche la rébellion conduite par Soro Guillaume et ayant pour objectif affiché d’installer Alassane Ouattara au pouvoir, contrariant sérieusement l’élan de l’économie ivoirienne et l’espérance du peuple ivoirien en un avenir meilleur.
Il a fallu tout reprendre à zéro, reprendre le rythme des réformes, à partir de 2008, rédiger notamment un document de référence, le DSRP (Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté) qui a servi de cadre pour les négociations. Et, enfin, la Côte d’Ivoire accède au point de décision de l’initiative PPTE en avril 2010.
Toutes ces performances forcent l’admiration de la communauté financière internationale et, pour encourager les autorités ivoiriennes, les Assemblées annuelles du groupe de la BAD se tiennent à Abidjan en mai 2010, à quelques mois de l’élection présidentielle.
Paul Antoine Bohoun BOUABRE, la cheville ouvrière de ces performances, était légitimement pressenti pour être gouverneur de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Mais, comme on pouvait s’y attendre, les puissances occultes qui tiennent l’institution émettrice du Franc CFA, s’y sont opposées avec la dernière énergie.
Voilà Paul Antoine Bohoun BOUABRE. Un grand serviteur de l’Etat. Voilà l’homme que les nouvelles autorités de la Côte d’Ivoire ont laissé mourir loin de son pays, dans l’indifférence. Il a gravi les échelons, un à un, dans son parti, le FPI. Il a mérité de l’Etat et forcé l’admiration des partenaires économiques de la Côte d‘Ivoire. Il a donné à son pays une voie, une méthode et des moyens économiques pour approfondir son indépendance. Voilà son crime.
Il est mort jeune. A 54 ans. Mais il restera pour sa génération un exemple de l’engagement politique et pour son pays un symbole de la lutte pour la souveraineté et la dignité des peuples et des Etats africains.
Il est donc juste et légitime que nous, tes compagnons d’exil te rendent cet hommage.
Adieu camarade. Adieu Patriote. Tes camardes en exil.

Pour la coordination FPI en Exil
Le Porte Parole
Dr Assoa Adou

Fri, 30 Mar 2012 15:36:00 +0200

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