Qui dirige aujourd’hui la politique africaine de la France ?
Ces dernières années, un mode de gouvernance particulier s’est construit : les affaires africaines les plus sensibles sont tranchées par Claude GUÉANT, qui est un préfet et n’a pas une connaissance particulière de l’Afrique. Dans ce domaine qu’il s’est réservé, le secrétaire général de la présidence agit d’autant plus librement qu’il n’en répond ni devant l’Assemblée ni devant le gouvernement. Il dépend du seul président de la République, dont j’ignore s’il est complètement informé des initiatives de son collaborateur.
Que s’est-il passé depuis trois ans ?
Il s’est passé que Bernard KOUCHNER n’a pas souhaité ou pas pu s’imposer dans ce domaine et, plus généralement, en politique étrangère. Etant donné son parcours que nous admirons tous, il est difficile de comprendre comment il peut avaliser des décisions prises par d’autres sur des bases qui ne sont pas les siennes.
D’un côté, il y a un Quai d’Orsay qui sert de vitrine à la fois "people" et morale, et, de l’autre, une realpolitik faite par-derrière et par d’autres. Bernard KOUCHNER a réorganisé le ministère des affaires étrangères à la manière d’une organisation non gouvernementale (ONG). Le Quai d’Orsay est aujourd’hui un ministère sinistré, les diplomates sont dans le désarroi le plus total, car ils ne se sentent pas défendus.
Vous mettez en cause l’influence auprès de l’Elysée de "réseaux occultes" sur la politique de la France en direction de l’Afrique. De quoi s’agit-il ?
Ces réseaux sont construits à l’inverse des réseaux Foccart qui existaient du temps du général DE GAULLE et étaient censés servir les intérêts de la France. Aujourd’hui, il s’agit de réseaux de lobbying qui cherchent à faire valoir les intérêts de tel ou tel régime africain auprès des autorités françaises.
Le pire est qu’ils parviennent à faire croire en haut lieu que leurs analyses sont plus désintéressées que celles fournies par les ambassadeurs, alors qu’ils sont stipendiés et ne font qu’exprimer l’opinion de leurs clients.
In le monde
Encadrés
On les disait amis, ils semblent désormais sérieusement brouillés. L’écrivain Jean Christophe RUFIN, ex-ambassadeur de la France au Sénégal, se livre à une charge sévère contre Bernard KOUCHNER, ministre des Affaires étrangères.
Décrivant dans un entretien au "Monde" un Quai d’Orsay "complètement marginalisé et sinistré", des diplomates dans le "désarroi le plus total", RUFIN regrette que le co-fondateur de Médecins sans frontières se laisse dicter sa politique africaine par Claude GUÉANT, secrétaire général de l’Elysée, et des "réseaux de lobbying".
Le fond de l’affaire n’est pas nouveau. L’impuissance de l’ancien french doctor aux Affaires étrangères a déjà été décrite, notamment par le journal Libération. Bernard KOUCHNER lui-même a reconnu qu’il devait s’accommoder d’influences parfois contraires….
Bernard KOUCHNER devrait "savoir partir" : "On n’est jamais trahi que par les siens"
Le ministre a d’abord répondu par l’ironie aux critiques de l’ancien ambassadeur, jugeant que ce dernier "boudait" et qu’il avait su "s’alimenter à la bonne source" pour écrire son dernier livre. Puis, interrogé à l’Assemblée nationale, il s’est fait plus offensif: "J’espère- on n’est jamais trahi que par les siens – que cet homme ne s’étouffera pas de haine"
"Nous sommes fiers de la politique qui a été menée, aussi bien pour la Guinée qui vient de voter pour la première fois depuis 59 ans, pour le Rwanda (avec lequel la France a repris depuis six mois des relations diplomatiques)", a rétorqué le ministre.
"Nous sommes fiers de ce que nous avons fait après les coups d’Etat en Mauritanie, au Niger, ou à Madagascar", a-t-il ajouté.
Mais les temps sont décidément compliqués pour Bernard KOUCHNER, puisque deux de ses prédécesseurs, Hubert VÉDRINE et Alain JUPPÉ, viennent de publier dans "Le Monde" une tribune dénonçant "l’affaiblissement sans précédent (des) réseaux diplomatiques et culturels de la France".
FrançAfrique : Tango à Dakar
Voilà ce qui arrive quand on nomme ambassadeur un écrivain célèbre au lieu d’un diplomate. Son Excellence Jean-Christophe RUFIN, ambassadeur de France au Sénégal, a été remplacé, après trois ans à Dakar. Bien sûr, au Quai d’Orsay, on affirme qu’il ne s’agit que d’un mouvement diplomatique normal.
En fait, l’éviction de Jean Christophe RUFIN a été décidée après une féroce bataille d’influence à Paris, qui s’inquiète de la lutte pour la succession du vieux président WADE, qui risque de provoquer une explosion sociale à Dakar. Le Quai d’Orsay n’a proposé aucun autre poste à son ambassadeur. Choqué par les pressions auxquelles il a été soumis depuis trois ans, RUFIN a décidé de quitter son poste à la fin du mois juin
Jean Christophe RUFIN n’est pas diplomate de métier, même s’il a occupé des postes d’attaché culturel. Il est surtout médecin, l’un des pionniers de Médecins sans frontières, il a consacré vingt ans à travailler dans des ONG. C’est aussi un écrivain célèbre pour ses essais (La dictature libérale, Un léopard sur le garrot) et surtout ses romans (Sauver Ispahan, Rouge Brésil, Le parfum d’Adam), qui lui ont valu plusieurs prix dont le Goncourt. Un écrivain bardé de titres et France et à l’étranger, élu à l’Académie française, il y a deux ans.
Evidemment, pour Bernard KOUCHNER, l’ancien French Doctor, devenu ministre des Affaires étrangères, avoir un bijou aussi brillant au Quai d’Orsay, c’était une aubaine. En août 2007, RUFIN est nommé ambassadeur de France au Sénégal et en Gambie. Et c’est là que les choses se gâtent.
Dans toutes ses carrières, RUFIN n’a jamais pratiqué la langue de bois. En décembre 2008, à Dakar, il déclare lors d’une conférence de presse : "Au Sénégal, il est très difficile de garder des secrets. Tout le monde sait tout, ou tout le monde croit tout savoir, donc dit n’importe quoi, et donc nous préférions dire les choses comme elles sont, le dire de façon transparente"
Aïe, aïe, aïe ! Incident diplomatique. On lui demande des excuses publiques. L’ambassadeur Rufin, avec ce sens bien à lui de l’humour, affirme "le caractère ironique et affectueux" de ces paroles "tenues sur le ton de la plaisanterie". Broutilles.
Mais le président du Sénégal Abdoulaye WADE, un grand ami de la France, explose quand il apprend que l’ambassadeur RUFIN déconseille à Paris d’accorder une aide financière au Sénégal sans une réforme profonde de son système politique. Et les télégrammes de RUFIN sont bien peu diplomatiques. Il écrit qu’une aide sans condition reviendrait à "fournir à un toxicomane la dose qu’il demande, mais qui le conduit un peu plus sûrement vers sa fin". A Paris, KOUCHNER a dû en avaler son chapeau. Et à Dakar, WADE demande la tête de Rufin.
Au Sénégal, la corruption publique au plus haut niveau est institutionnelle. Le président WADE, élu il y a dix ans à la tête du Sénégal, joue au sage africain, à 84 ans. Il jongle allègrement avec ses premiers ministres, il modifie la Constitution quand ça lui chante, il décapite l’opposition et emprisonne les journalistes.
En comparaison internationale, en 2007, le Sénégal était classé 166e sur 182 pays pour les indicateurs du développement humain. Le président WADE a fait ériger une gigantesque statue "La Renaissance africaine" bâtie par la Corée du Nord, qui a coûté 15 millions d’euros. Wade a annoncé, selon l’opposition, que 35% des retombées financières de l’opération lui reviendraient, puisqu’il était l’auteur du monument. Bref, encore un intellectuel africain formé par l’Université française, auquel le pouvoir a fait perdre la tête !
Le président du Sénégal pratique aussi la corruption à la mode de la Francafrique, du genre BOKASSA. En septembre 2009, il a fait remettre un "cadeau d’adieu" au représentant du FMI à Dakar, une valise contenant 100 000 euros et 50 000 dollars. Pas pour l’influencer ni pour remercier le FMI pour son aide. Juste un simple cadeau ! Ca ne vous rappelle pas les diamants de Giscard ?
Autre affaire de corruption : WADE vient de limoger son ministre de la Justice, remplacé par un proche du président. Cet ami serait impliqué, selon la presse sénégalaise, dans une affaire de dessous-de-table de 40 millions de dollars pour l’attribution d’une licence de téléphonie mobile à un groupe soudanais. On ne change pas une équipe qui gagne !
Il n’y a pas que l’ambassadeur de France qui subit les foudres de WADE. L’ambassadrice des Etats-Unis a, elle aussi, eu droit à une violente diatribe présidentielle. Elle avait osé affirmer que "La corruption, voire même la perception de la corruption, ainsi que les politiques exécutées de façon inefficace, peuvent facilement ruiner les efforts de développement, détourner les fonds des services de santé, d’éducation et d’autres services vitaux de la communauté, portant préjudice à ceux qui en ont le plus besoin".
Le vieux président, que son opposition appelle méchamment "le sénégâteux", s’est emporté : il n’y a que les Etats-Unis pour ternir l’image du Sénégal. L’Europe, la Chine, l’Arabie saoudite aident le pays sans jamais parler de corruption.
Pourtant, SARKOZY a pris ses distances avec ce personnage encombrant : au sommet France-Afrique de Nice, WADE a été isolé par les autres chefs d’Etat africains, lui qui se vante d’avoir contribué à la libération de la Française Clotilde REISS, détenue en Iran.
Pour la France, le Sénégal n’est pas seulement l’un des principaux bénéficiaires de l’aide au développement pour quelques dizaines de milliards. Dakar est aussi un enjeu stratégique en Afrique. Paris a accepté symboliquement de restituer au Sénégal les bases militaires françaises. Mais la France veut garder 300 hommes et obtenir des facilités logistiques.
On souhaite bien du plaisir au nouvel ambassadeur de France, Nicolas NORMAND qui devra apprendre à danser le tango à Dakar sans marcher sur les pieds du président WADE.
Ancien ambassadeur de France au Congo Brazzaville, Nicolas NORMAND est rompu à toutes les combines de la Francafrique
A Brazzaville, Nicolas NORMAND a appris à avaler des couleuvres sans jamais broncher. La plus grosse étant l’assassinat devant ses yeux le 21 janvier 2009 du franco-congolais Bruno OSSEBI alors qu’il s’apprêtait à le faire évacué en France suite à l’incendie criminel de sa maison ; incendie dans lequel avait périt madame OSSEBI et ses deux filles.
Par Marc Schindler
In Le Monde
Sun, 11 Jul 2010 14:53:00 +0200
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