“La carte d’identité” de Jean-Marie Adiaffi – Fiche de lecture

Tout commence par une farce. Une farce grand-guignolesque tropicale dans l’Afrique coloniale, celle des travaux forcés et des nègres aux ancêtres gaulois. Le vieux Mélédouman, prince de Béttié, est arrêté. Il est arrêté à son modeste domicile, arrestation burlesque perpétrée par le commandant Lapine et son adjoint simiesque, pour un motif inconnu, et la comédie se mue en une tragi-comédie kafkaïenne lorsque Mélédouman est mis aux fers pour ne pas être en mesure de produire sa carte d’identité.

“Ta carte d’identité ! Ta carte d’identité ! Qu’est-ce que c’est que cette histoire de carte d’identité ? Regardez-moi bien. Sur cette joue, cette marque que vous voyez, c’est ma carte d’identité. J’ai sur mon corps d’autres marques qui concourent à la même démonstration. S’additionnent pour donner la même preuve. La preuve par le sang de ce que je suis. Ce sont mes ancêtres qui sont fondateurs de ce royaume, de cette ville. Tout ici constitue ma preuve et ma carte d’identité. Puisque tout ici m’appartient et atteste ce que je suis, qui je suis. Le ciel et la terre.”

Le philosophe Adé Adiaffi

Cette revendication coûte cher à Mélédouman. Torturé sept jours durant au point d’en perdre la vue, il est sommé de produire sa carte d’identité sous huit jours sous peine de retourner au cachot. Et la tragédie devient une odyssée. Avec sa petite fille pour seule guide, à travers les yeux d’une enfant, le vieux Mélédouman se retouve ballotté dans sa ville au gré des événements, sans jamais parvenir à rentrez chez-lui. De la cour d’Abadjinan le mécène où se perpétue la culture ancestrale au travers des arts, jusqu’à l’école régionale où un enfant est battu pour avoir parlé sa langue maternelle par un instituteur bien intentionné, en passant par l’église catholique d’un prêtre affairiste qui se débat comme un beau diable contre la féticheuse à laquelle il avait dérobé ses tambours sacrés, JM Adiaffi nous brosse un tableau épique, lyrique et poétique de l’identité Agni, Akan, Africaine. Car au-delà de la symbolique carte d’identité, c’est bien de cette identité culturelle là dont il s’agit, de cette tradition orale aux prises avec la tradition écrite occidentale.

 

“Si tu veux atteindre un peuple dans son intimité la plus profonde, si tu veux déraciner un peuple, si tu veux désespérer, déséquilibrer un peuple, si tu veux rendre un peuple vulnérable pour l’abattre avec une facilité puérile, en un mot, si tu veux assassiner infailliblement un peuple, si tu veux le tuer de science certaine : détruis son âme, profane ses croyances, ses religions. Nie sa culture, son histoire, nie tout ce qu’il adore et l’objectif sera atteint, sans que toi-même tu t’en aperçoives.”

“La carte d’identité” est certes une métaphore politique, mais a avant tout une dimension psychologique et philosophique, trop rare tribut à la sagesse africaine proverbiale. On peut aussi se demander si ce roman n’est pas un quelque peu auto-biographique lorsque le vieux Mélédouman dévoile un secret qu’il avait bien gardé, par fierté, parce qu’un prince Agni est avant tout au service de son peuple.

“Car, contrairement à vos rois, les nôtres exécutent en tous points la volonté du peuple, faute de quoi il sont immédiatement détrônés par le conseil des notables. C’est donc moi qui ai besoin de mon peuple et non lui qui a besoin de moi. C’est moi qui ai besoin de respirer au même rythme que son coeur, de sentir battre le mien en harmonie avec le sien.”

La carte d’identité
J-M Adiaffi
Monde noir Poche
ISBN 2 218 05444 2
Vivement conseillé et toujours en vente sur internet

Alambro

Source : loisirs.aufeminin.com

 

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