La réconciliation piétine en Côte d’Ivoire

Pendant que des leaders politiques haranguaient une jeunesse désœuvrée en creusant les divisions de la société ivoirienne, Madi Solo développait des programmes d’éducation à la paix. Au milieu des années 2000, alors que la Côte d’Ivoire était coupée en deux entre un Nord contrôlé par la rébellion et un Sud dirigé par Laurent Gbagbo, il a rassemblé les dirigeants de 80 organisations de jeunesse pour une formation fondée sur le théâtre et le dessin. Des affiches ont été réalisées, des pièces ont été montées dans ces diverses associations sur le thème de la paix et du pardon. « Tout cela ayant été construits par les jeunes, ils se sont appropriés le message et nous avons ainsi pu réaliser une action de sensibilisation à grande échelle », se félicite-t-il.
« Un matin, tu te lèves et tu entends les fusils qui crépitent »
La guerre prend toujours par surprise. « Un matin, c’était le 19 septembre 2002, tu te lèves et tu entends les fusils qui crépitent. Dans ta commune, un fossé s’est creusé et tu ne peux même plus aller chercher le sel chez le voisin », résume-t-il. Madi Solo, lui, avait déjà une formation lui permettant d’analyser la situation. « Les leaders font de grandes déclarations mais c’est la jeunesse qui souffre les affres de la guerre. Elle est instrumentalisée par les politiques. Et ce sont les jeunes qui se font tuer ».
Madi Solo préside aujourd’hui le Programme d’appui d’insertion professionnelle et sociale (PAIPS), qui accompagne plus de 150 associations de développement travaillant en priorité auprès des jeunes Ivoiriens, notamment à Abidjan, Bouaké et Bongouanou. Son organisation, soutenu par le CCFD-Terre solidaire, agit dans quatre domaines : le renforcement des capacités en gestion associative, l’insertion sociale et professionnelle des jeunes, l’éducation à la paix et le renforcement du rôle des femmes. Pendant près de deux semaines, à l’initiative du CCFD-Terre solidaire, Madi Solo a présenté ces actions en France, notamment en Aquitaine et Poitou-Charentes.
« Sans structure organisée, les gens n’osent pas demander »
« Sans associations fortes, la société civile ne peut pas être forte », résume-t-il en marge d’un dîner organisé dans un restaurant du 15°arrondissement. « Sans structure organisée, les gens n’osent pas demander. Or les gouvernants donnent trop souvent l’impression de faire ce qu’ils veulent, de faire comme s’ils détenaient la vérité, sans tenir compte de la société civile. Pourtant, pour qui sont-ils censés agir, sinon pour la population »?
« Trop de gens restent dans leur salon »
« En Côte d’Ivoire, trop de gens restent dans leur salon », déplore Madi Solo. « L’intérêt public ne les fait plus sortir. Pourtant, nous avons notre mot à dire pour le développement de notre pays. Il faut que nous sachions dire non, comme le fait la société civile au Niger et au Mali ».
« Beaucoup de jeunes sont toujours au chômage et la vie est chère »
La paix est revenue en Côte d’Ivoire depuis la fin de la crise post électorale de 2010-2011 qui fit plus de 3000 morts. Mais les plaies ne sont pas refermées. « La crise est là, encore », souligne le responsable associatif. « La réconciliation n’avance pas trop. Il y a des gens en prison ou en exil. L’économie commence à repartir mais les anciens combattants n’ont pas de job et beaucoup de jeunes sont toujours au chômage. Dans le même temps, la vie est chère. Si on crée du travail pour les jeunes, on aura enlevé une grosse épine ».
« Le niveau d’éducation a baissé »
« La formation est un problème », explique Madi Solo. « Pendant la longue période de crise, il y a eu des années blanches. L’école a été très politisée et beaucoup d’élèves n’ont pas pu suivre un cursus normal. Le niveau d’éducation a baissé. C’est pourquoi nous nous concentrons notamment sur l’insertion sociale et professionnelle. Nous travaillons sur les compétences et l’attitude face au travail pour permettre aux jeunes de décrocher ou de conserver un emploi. Quand un jeune se lève la matin et sait ce qu’il va faire, il écoute moins les sirènes ».
« On est passé tout près du pire »
« Rétrospectivement, on peut dire qu’on l’a échappé belle », assure le président du PAIPS. « Quand on voit ce qui se passe en République Centrafricaine, on se rend compte qu’on est passé tout près du pire. Ici aussi, on a voulu faire croire à une tension entre chrétiens et musulmans, on a voulu opposer les évêques et les imams. Nous avons eu peur mais c’est resté circonscrit ».
« Le sacrifice, c’est de ne pas répondre »
« Dans les crises les plus dures, il faut en fait des gens qui acceptent de se sacrifier », explique Madi Solo. « Sachant que le sacrifice n’est pas de se faire tuer mais d’être plus fort que le désir de répondre. Pour ne pas répondre à une provocation, il faut se faire violence à soi-même. Tu le vis dans ton cœur. Tu pleures peut-être de rage mais tu l’acceptes au nom de quelque chose de plus fort que le désir de vengeance. Ce quelque chose, c’est la certitude qu’il faut éviter la guerre car tu sais qu’elle aura des conséquences mille fois plus graves que ce que tu vis ».
« En ne répliquant pas, tu sauves la vie de gens »
« Donc ce n’est pas parce qu’on a brûlé une église qu’il faut que tu ailles brûler une mosquée », poursuit-il. « Une église, une mosquée, ce sont des biens matériels. En ne répliquant pas, tu sauves la vie de gens. Bien sur, c’est un discours que les jeunes entendent difficilement. Ils sont impulsifs. Pour l’entendre, il faut être mûr ».
« Il faut accepter de vivre avec des gens qui ont fait du mal »
« Idem pour le pardon », enchaine-t-il. « Celui qui accepte le pardon est plus dans le vrai que celui qui est dans ses droits et qui refuse le pardon. Mais c’est difficile. Il faut vivre avec des gens qui ont fait du mal, qui ont peut-être tué des parents, des amis. Ce discours, les hommes politiques doivent le tenir. S’ils se pardonnent entre eux, tout va suivre. S’ils arrivent à expliquer ce qui s’est passé, cela libèrera beaucoup de jeunes. Le pardon existe dans toutes les traditions. Nous avons organisé un séminaire dans lequel il y avait un imam, un prêtre, un juge, un représentant de la société traditionnelle : ils ont tous montré l’existence du pardon ».
« La Commission dialogue, vérité et réconciliation n’avance pas vraiment »
« L’une des difficultés est d’articuler la justice et la réconciliation », regrette Madi Solo. « La justice condamne, elle ne pardonne pas. La Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR) qui a été créée après la crise n’avance pas vraiment. Son fonctionnement est lourd. Elle agit seulement à Abidjan mais n’est pas allée sur le terrain. Elle a écouté des victimes : cela apaise, tu as le sentiment d’être considéré, tu dis ce que tu as sur le cœur. Mais pour l’instant, cela ne va pas plus loin ».
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Wed, 02 Apr 2014 12:25:00 +0200
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