Le problème ivoirien de la reconnaissance de la compétence de la CPI

La Cour pénale internationale est une juridiction permanente (01/07/2002) chargée de juger les personnes accusées de génocide, de crime contre l’humanité et de crime de guerre[]. Elle est donc spéciale et a son fonctionnement entièrement à part. La Cour est conçue pour compléter les systèmes judiciaires nationaux : elle ne peut exercer sa compétence que lorsque les juridictions nationales n’ont pas la volonté ou la compétence pour juger de tels crimes. L’initiative en matière d’enquête et de jugement de ces crimes est donc laissée aux États. Le Statut de Rome définit les règles de fonctionnement élémentaire de la Cour pénale internationale (CPI). Il a été adopté le 17 juillet 1998, à Rome en Italie. Afin de faire plus simple pour que les non-juristes comprennent l’enjeu ivoirien, nous allons adopter une approche de bon sens.
Nous avons tantôt parlé de juridiction spéciale ayant un fonctionnement entièrement à part, parce qu’il y a entre autres, la notion de co-auteur direct et surtout indirect. En ce qui concerne Laurent Gbagbo, l’ex- président de la Côte d’Ivoire, l’ex- procureur de la CPI, M. Luis Moreno Ocampo le poursuit en tant que Co-auteur indirect pour des délits graves et crimes contre l’Humanité, sans pour autant que les auteurs directs et indirects, puis les co-auteurs directs ne soient concernés au premier chef…
Au lendemain du transfèrement du plus célèbre prisonnier de Korhogo à La Haye, ses avocats ont, peu avant l’audience de confirmation des charges, introduit une requête en incompétence de la CPI pour juger Laurent Gbagbo (art.19 al. 2 a). Pour ce faire, l’équipe d’avocats de la défense dirigée par maître Emmanuel Altit a utilisé deux moyens :
Primo, elle a argué que le 18 avril 2003, la Côte d’Ivoire a reconnu la compétence de la CPI tout en n’étant pas partie au statut de Rome, c’est-à-dire que la Côte d’Ivoire n’a pas signé l’acte fondateur ni avant ni après son entrée en vigueur, mais pour tout juste un certain nombre de crimes limités dans le temps (2003 de façon restrictive), a reconnu unilatéralement sa compétence.
Secundo, au lendemain du deuxième tour des élections présidentielles de décembre 2010, précisément le 14 décembre 2010 et plus tard le 03 mai 2011, Alassane Ouattara a écrit deux lettres de confirmation de reconnaissance de la compétence de la CPI à la suite de celle du 18 avril 2003 sous Laurent Gbagbo. Cependant, les avocats de Laurent Gbagbo disent que ces deux lettres sont de nul effet parce qu’Alassane Ouattara n’était pas le président élu et investi en tant que tel avant de prendre ces décisions, au sens prescrit par la constitution ivoirienne.
Comme le prévoit la procédure, l’Etat de Côte d’Ivoire demandeur dans cette affaire, a une sorte de droit de réponse vis-à-vis des arguments de la défense. Ainsi, Pour les avocats du pouvoir ivoirien, C’est à tort que leurs adversaires ont dit que la CPI est incompétente pour juger Laurent Gbagbo, car l’article 12-3 du statut de Rome, par la déclaration unilatérale de reconnaissance de la compétence de la CPI, le régime de Gbagbo s’est lié de façon illimitée dans le temps.
Ensuite, les courriers du 14 décembre 2010 et du 03 mai 2011, confirment cette compétence, car pour eux, le peuple de Côte d’Ivoire a choisi son président en la personne d’Alassane Ouattara, internationalement reconnu. C’est donc l’ensemble de ces deux points de vue que nous allons confronter dans cette contribution, à savoir : quelle étendue une déclaration unilatérale doit-elle avoir en la matière pour un Etat non signataire du statut de Rome ? Ensuite, à partir de quand la légitimité est-elle transférée à un élu du peuple ?
I) L’étendue de la déclaration unilatérale de reconnaissance de compétence de la CPI
Dans les relations internationales, la réciprocité joue un rôle essentiel. C’est ce principe qui conditionne le caractère synallagmatique des engagements entre les membres d’organisations internationales. Lorsque l’un rompt la réciprocité, l’autre n’est plus tenu sauf si ce rapport s’analyse sous la forme d’un diktat. Il n’y a plus d’égalité dans ce cas-là. En ce qui concerne la déclaration unilatérale et volontaire d’être lié, ainsi que l’a fait remarquer la défense dans cette affaire, les juridictions ont tendance à interpréter restrictivement l’étendue de cette reconnaissance. A l’évidence, à quoi servirait-il d’être signataire donc membre, si l’on doit étendre indéfiniment de l’extérieur la reconnaissance unilatérale ? Aussi, si la lettre de la déclaration unilatérale de reconnaissance de la compétence de la CPI par la Côte d’Ivoire date du 18 avril 2003, elle ne peut s’apprécier que par rapport à la situation immédiate. Dans le même temps, la Côte d’Ivoire a demandé à la CPI d’ouvrir une enquête sur les tueries perpétrées par la rébellion depuis 2002. L’enquête n’a jamais débuté jusqu’aux élections de 2010. Or dans un cas comme celui-ci, si la lettre de la reconnaissance de la compétence de la CPI est illimitée dans le temps, cela ne peut être possible que pour une période raisonnable en attendant la signature voire de la ratification du texte fondateur. On comprend donc qu’à la suite de son acte volontaire et unilatéral de reconnaissance de la compétence de la CPI, la Côte d’Ivoire n’ait pas utilisé la procédure de renvoi à la CPI, comme le ferait un membre du statut de Rome art. 14 du statut.
Si l’on suppose qu’un acte unilatéral de reconnaissance de la compétence de la CPI pouvait avoir le caractère rationae materiae au sens de l’art 5, de rationae temporis au sens de l’article 12-3 et enfin de rationae personae (article 25) du même statut de Rome, pourquoi serait-on tenté de quitter la situation de non membre ? N’est-ce pas aussi parce que le régime d’Alassane Ouattara reconnaît tacitement le caractère limité de l’engagement unilatéral qu’il s’est cru obligé de confirmer par deux lettres, la volonté de coopérer pleinement et immédiatement, mais également loyalement avec la CPI ? Autrement dit, à quoi répond donc la nécessité de confirmer ce qui existe déjà depuis 2003 sous le régime précédent ? D’ailleurs, les avocats de Laurent Gbagbo ne posent pas de fin de non recevoir quant au fait de confirmer la volonté de coopérer avec la CPI ! C’est pour cette raison qu’ils ont visé les articles 12-3, 19-2, 21-3, 55 et 59 du statut de Rome. La défense argue donc de ce que la reconnaissance de la compétence de la CPI ne s’exerce qu’à l’égard des crimes visés par l’article 5 auquel renvoie la situation présente donnée. A l’inverse, pour les conseils du régime Ouattara, « l’examen du contexte et les circonstances de la déclaration restera dès lors impuissant à contredire les termes dans lesquels l’engagement a été formulé (en substance de façon illimitée) ». Cette position n’est pas claire, parce qu’elle ne précise pas la différence entre un membre signataire du statut de Romme (art.12 al.1) et un non-membre qui y aspire. Prendre des décisions en qualité de dirigeant ne suffit pas, encore faut-il en avoir la légitimité ?
I) La dévolution de la légitimité
Au terme de la loi fondamentale d’Août 2000, et conformément à la loi électorale 2000-514 du 1er Août 2000 portant code électoral et en vertu de l’art.2 loi n° 2001-634 du 09/10/2001, la commission électorale indépendante déclare les résultats provisoires de la présidentielle. Après s’être prononcé sur les différentes réclamations, le conseil constitutionnel art.94 de la Constitution, déclare quant à lui, les résultats définitifs. Le représentant du secrétaire général de l’ONU (Accord de Prétoria), certifie le déroulement des élections en conformité avec les normes internationales. Son rôle est sur le même palier que la CEI, (Commission électorale indépendante) organe administratif (Loi du 09/10/2001), il n’est pas juridictionnel. Il n’avait donc pas à compter des voix encore moins à déclarer des résultats. Le seul juge des élections est le conseil constitutionnel dont les décisions sont sans recours. C’est déjà au regard de la loi nationale, la première étape à franchir. La seconde qui allie l’autorité à la légitimité est la prestation de serment et l’investiture après la déclaration par le conseil constitutionnel de la victoire finale et définitive.
Sortir de cette procédure ne confère aucune légitimité. Aussi, ni la communauté internationale, ni les grands pays dits démocratiques encore moins l’union européenne ne devraient se mêler de déclarer le vainqueur d’une élection… Malheureusement, c’est cet argumentaire qu’utilisent les avocats de l’Etat de Côte d’Ivoire. Ils vont jusqu’à faire appel au principe des peuples à disposer d’eux-mêmes, en oubliant l’autre volet qui veut que ces mêmes peuples se donnent librement les lois qu’il leur plaît de faire voter, et auxquelles ils sont soumis. La constitution participe de l’arsenal juridique institué par un peuple exerçant son droit à disposer de lui-même.
Alassane Ouattara n’ayant pas sacrifié au rituel constitutionnel de prestation de serment et d’investiture (art. 39 al1 et 2 Const.), ne pouvait prendre aucune décision valide et légitime. La reconnaissance par la communauté internationale n’est que politique, elle ne revêt ni ne confère aucun caractère juridique. C’est une grotesque confusion que de croire que la communauté internationale donne un caractère légitime. Seule la loi votée au nom du peuple souverain, porte le sceau de la légitimité. D’ailleurs, toutes les nominations faites par M. Ouattara avant sa prestation de serment et son investiture étaient illégales au nom du formalisme imposé par la constitution ivoirienne (Art.39 al.3). Après le 21 Mai 2011, date de l’investiture de M. Ouattara, rien ne l’empêchait d’envoyer une lettre de confirmation de son intention de faire proroger la reconnaissance de la compétence de la CPI. Ainsi, on permettrait au bon sens d’emprunter la procédure de légitimation civiliste, comme dans le cas d’un enfant né avant le mariage de ses parents. Un simple courrier de confirmation n’aurait-il pas suffit à M. Ouattara pour reconduire la collaboration entre son régime et la CPI, au lieu de vouloir tout faire par la force ? A défaut de cette subtilité, la CPI sera obligée de faire de la politique ; chose qui n’est pas de son ressort. A l’évidence, en suivant la position de la communauté internationale, elle sera dans l’obligation de déclarer le vainqueur de la dernière présidentielle d’une manière ou d’une autre ; parce que cette question incontournable fera obstacle ou affaiblira sa décision juridictionnelle.

Julius Blawa Gueye

Thu, 12 Jul 2012 11:06:00 +0200

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