Les langues en Afrique – situation et perspective : Quelle langue utiliser comme support de l’enseignement ?
Un enfant africain maîtrisera plus facilement et plus rapidement les notions de physiques, de sciences naturelles, de mathématiques, etc. si elles lui étaient enseignées dans sa langue maternelle. Cheick Anta DIOP dans Alerte sous les tropiques [1] nous révèle qu’il faut environ six ans à un enfant africain pour comprendre que la ligne droite ou courbe est une succession ininterrompu de points. Par contre si cela lui était expliqué dans sa langue maternelle, l’enfant mettra deux à trois fois moins de temps pour comprendre la ligne droite ou courbe.
D’autres exemples existent. Au Burkina Faso, on apprend aux écoliers de 3ème année de l’école primaire de petites leçons telles :
S’orienter c’est rechercher les quatre points cardinaux, les quatre points cardinaux sont : l’est, l’ouest, le nord et le sud.
Le litre est l’unité principale de mesure de la capacité.
L’eau bout à 100 degrés Celsius.
Quels sont les points communs entre ces petites leçons? C’est qu’elles ne sont généralement pas bien comprises par les écoliers. Que représente un point cardinal pour un jeune écolier qui ne comprend même ce que s’orienter veut dire? Qu’est-ce-que le Sud ou le Nord, par rapport à quoi ? Un enfant peut-il comprendre ce que c’est qu’un litre s’il ne comprend pas d’abord ce que signifient “unité”, “principale”, “capacité”? Qu’est-ce qu’un degré Celsius ? Voilà quelques questions sans réponses pour l’écolier, et surtout des questions qu’il ne se posera pas car on ne lui demande pas de comprendre, c’est-à-dire d’être intelligent mais juste de restituer la leçon pendant l’examen.
On remarque les conséquences de ces lacunes chez beaucoup d’Africains y compris ceux qui ont été formés à l’Université. Ils sont incapables de produire la moindre pensée, parce qu’ils n’ont jamais bien maîtrisé les concepts. Que ce soit dans l’administration, chez les écrivains, les journalistes ou tous ceux qui prennent la parole en public, c’est bien plus la manière de dire qui importe bien plus que le contenu.
Pendant qu’on apprend aux étudiants américains et français à synthétiser les idées d’un texte ou à mieux élaborer leur pensée, on apprend aux étudiants africains à savoir écrire un texte “sans faute” en français. Par conséquent aucune question ne peut être intellectuellement tranchée ou même bien débattue puisque les interlocuteurs utilisent les mêmes mots mais ne leur donnent pas les mêmes sens.
L’effort pénible pour élaborer une idée se termine généralement par : « vous comprenez, ce que je veux dire ». Si on mettait face à face un universitaire burkinabè et un étudiant français dans un débat, le deuxième surclasserait le premier, pas parce qu’il est plus intelligent, mais parce qu’il n’a aucune difficulté à exprimer ses idées.
Quand on compare la lenteur et la lourdeur des présentateurs ou des journalistes africains avec l’aisance de leurs homologues français ou anglais ou mieux encore, avec l’élégance des journalistes africains en langues nationales, on voit où se trouve le problème. Cela ne semble pourtant pas émouvoir outre mesure. On considère comme acceptable le fait que les Africains écrivent ou parlent moins bien que les autres. Un peuple qui accepte de jouer les seconds rôles finit évidemment par être dernier.
En général, ceux qui maîtrisent la langue ont fourni un tel effort pour la maîtriser qu’ils sont vides d’idées. A quelques exceptions près, ils ont des têtes pleines de culture étrangère à tel point qu’ils deviennent plus des agents de propagation de cette culture étrangère que des intellectuels utiles à leurs peuples. Senghor est l’illustration parfaite de ce type d’Africain. Bien qu’ayant produit des idées choquantes sur les Africains, il est considéré comme un modèle par beaucoup d’Africains.
Au contraire, toutes les études prouvent que l’apprentissage est plus aisé quand il s’effectue dans la langue de l’apprenant, en particulier durant les premières années. Une fois les concepts et les idées maîtrisés, leur traduction dans une autre langue se fait plus aisément. Au Burkina Faso, une idée pionnière a été testée par l’OSEO: une instruction bilingue français-langue burkinabè au primaire. Les enfants issus de ce cursus, terminent le programme du primaire en cinq ans au lieu de six pour le cursus en français.
Les résultats rapportés par Mme Eli Augustine Paré/Kantiono [2] de la Direction générale de l’enseignement de base du Burkina Faso lors du forum sur les langues nationales organisé par le Ministère Burkinabè des Arts et de la Culture (du 23 au 26 Juin 2004) indiquent que : « neuf (09) écoles ont présenté des candidats aux examens. Sur les neuf, quatre (04) ont fait 100%, trois (03) ont fait plus de 96%, une (01) a fait 89,28% et la dernière école, l’école bilingue de Goué a fait 74,59% pour un taux national de 73,77% ».
Comme on peut le constater, le taux de réussite de ces écoles bilingues à l’examen du CEP (Certificat d’Études Primaire) qui se passe exclusivement en français est supérieur à celui des élèves du cursus normal qui eux, font le primaire en six ans. Mieux encore, les enfants des écoles bilingues apprenant certains concepts mathématiques comme la notion d’inconnue (couramment notée x) dès la deuxième année du primaire alors que dans le cursus normal, ce n’est qu’au secondaire qu’on leur introduit ce concept.
La plus grande source de difficultés des élèves qui effectuent leur apprentissage en langue étrangère est le manque d’immersion dans un environnement où on pratique la langue dans laquelle ils apprennent. Si un élève africain suivait des cours en France, les difficultés ci-précédemment énumérées s’amenuiseraient en raison de son immersion dans un environnement où ceux qui parlent la langue la maîtrisent.
En Afrique par contre, il y a une contradiction permanente entre la langue d’enseignement et la langue d’usage. L’enfant essaie de deviner le sens des mots à travers leurs usages quotidiens. Le problème est que pour un mot donné, il sera confronté à autant de sens différents que de personnes qui l’emploient. Sa confusion est encore exacerbée par ses lectures qui donnent encore au mot un autre sens, parfois étranger à son milieu. Il reproduit alors les mêmes imperfections et le phénomène se perpétue.
Il est clair que le système éducatif actuel génère surtout des échecs. Tout le monde déplore la baisse du niveau des élèves, comme si jamais il a été élevé. Le critère utilisé est généralement la maîtrise du français. On se demande pourquoi s’acharner à déplacer une montagne quand on peut la contourner. On ne transformera jamais les sociétés africaines en des sociétés purement francophones ou anglophones, à supposer que cela soit souhaitable. Au plus, on réussira à générer des patois du français et de l’anglais après la disparition totale des langues africaines.
Ce qui voile les regards c’est le fait que certains réussissent malgré ce système éducatif médiocre. La vérité est que même dans le système le plus médiocre, on trouvera des gens qui réussiront. La question est de savoir si on veut continuer à entretenir un système élitiste qui n’est l’apanage que d’une minorité ou si on veut mettre l’instruction à la portée de tous.
Certains acteurs, mêmes africains, ont tendance à dire qu’il n’est pas possible d’enseigner dans les langues africaines, en raison de la pluralité des langues et du manque d’alphabet écrit, et surtout disent-ils, de l’impossibilité à exprimer ou à traduire certaines notions scientifiques, économiques, etc. dans les langues africaines. En réalité, tout cela sonne comme dirait un « expert de l’Afrique » venu de l’Occident. Cela fait partie du système mis en place, évoqué plus haut, pour garder l’Afrique sous contrôle. Curieusement, la Bible qui est un document volumineux a été traduite dans la plupart des langues africaines.
On peut bien enseigner les mathématiques, les sciences naturelles, la physique, l’informatique, l’économie, etc. dans les langues africaines. Par exemple, en système métrique les français disent que le litre est l’unité principale de mesure de la capacité. Les britanniques étudient également les systèmes de mesure mais ils n’utilisent pas le « litre ». Ont-ils cherché une traduction du « litre » dans leur langue? Non, ils ont tout simplement inventé leur propre façon de mesurer les capacités (le gallon, l’ounce, etc.).
Dans son livre Nation nègre et culture ,[3] Cheikh Anta Diop a traduit le principe de la relativité (sciences physiques) en Wolof pour prouver la capacité de cette langue à exprimer les concepts scientifiques. Il a par ailleurs fortement contribué à l’étude de la grammaire Wolof et Sérère.
Quant au manque d’alphabet écrit, il est tout à fait possible d’en créer. Ceux qui disposent d’un alphabet l’ont créé un jour. Et on n’est pas à la fin de l’Histoire! Dans le pire des cas, on peut bien adapter un des alphabets écrits existants afin de mettre sur papier la pensée, la philosophie, la culture, les inventions, les nouvelles du jour africaines, etc.
La Corée (du Nord et du Sud) a passé plusieurs siècles sous l’emprise chinoise et elle utilisait le mandarin comme langue parlée et écrite. Les coréens décidèrent autour du 15ème siècle de créer leur propre alphabet qu’ils appelèrent « Hangul ». Le résultat est palpable aujourd’hui.
De même, le Vietnam qui fut une colonie française au même titre que le Burkina Faso et d’autres pays africains a décidé à l’indépendance de remplacer le français par le vietnamien et de créer un alphabet. Aujourd’hui, toute trace de présence française est effacée du Vietnam.
Ils sont technologiquement et économiquement plus avancés que la plupart des États africains. Même en Afrique, les pays arabes (Maroc, Algérie, Tunisie) et semi-arabes (Soudan, Mauritanie) ont tous arabisé leur système éducatif. La seule anomalie est l’Afrique Noire à quelques exceptions près qui semble avoir accepté le postulat colonial qui disait qu’elle n’était pas civilisée.
Il faut noter tout de même que certains acteurs africains semblent faire montre d’un certain intérêt pour la question linguistique. Mahamoudou Ouédraogo, ancien ministre burkinabè de la culture affirme à l’occasion du forum sur les langues nationales 2010 que : « nos fondamentaux sont dans nos langues ». Il va plus loin en faisant un véritable plaidoyer en faveur des langues nationales : « Si nous avons conscience que les langues sont aussi vitales que la prunelle de nos yeux, si nous sommes conscients que l’air que nous respirons, c’est aussi important que les langues que nous devons parler, c’est l’amorce du développement véritable de notre pays» [4], affirme-t-il.
Ce qui peut paraître surprenant dans cette profession de foi, c’est qu’il fut ministre dans le gouvernement du Burkina Faso sans que la question linguistique ait connu un progrès notable. Pour lui, le plus important semble être la préservation de la simple aptitude à s’exprimer dans les langues africaines. Il encourage ainsi les citadins à envoyer leurs enfants en campagne pour leur apprendre à parler dans les langues africaines. Si cela peut soulager la conscience de quelques intellectuels africains hésitant entre l’affirmation culturelle de l’Afrique et son extraversion, ce n’est certainement pas la solution au problème, cela ne fera que retarder l’échéance de la disparition des langues africaines.
Qu’en sera-t-il quand toutes les campagnes seront scolarisées? Faut-il rappeler que dans le système éducatif actuel, un enfant qui parle sa langue maternelle peut-être soumis à un traitement humiliant qui est le port du « symbole »? Le « symbole » qui a été introduit par les colons est généralement un objet grossier (un crâne ou une carcasse d’animal mort, par exemple) dont le port a pour but d’humilier l’élève afin de le dissuader à jamais de parler sa langue dans la cours de l’école. Cela a pour but de remédier au problème d’immersion souligné plus haut, qui ne se poserait pas si les enfants étaient éduqués dans une langue africaine.
On « dresse » ainsi l’enfant à perdre toute estime en sa propre langue. Il ne faut alors pas s’étonner de la tendance dans les campagnes à adopter progressivement les langues étrangères. La préservation des langues africaines passe nécessairement par leur utilisation comme support d’enseignement à l’école.
Les Africains devraient s’atteler et très vite, à mettre en place des commissions dont le but serait de sortir avec, dans le meilleur des cas, un alphabet pour le continent, ou, un alphabet par pays; ceci au lieu de défendre des institutions comme la francophonie, le Commonwealth, etc. Pourquoi continuer à défendre et à mettre en valeur la langue d’un autre peuple qui ne vous méprise? C’est vrai que cela demeure une tâche ardue, mais c’est la meilleure solution pour l’Afrique, afin de mieux réorganiser la vie sociale, économique, politique, etc.
b[Notes
1. Cheikh Anta DIOP: Alerte sous les tropiques: Articles 1946-1960 : culture et développement en Afrique noire, Présence Africaine, France. [Retour]
2. http://www.lefaso.net/spip.php?article3641, consulté le 20-06-2010. [Retour]
3. Cheikh Anta Diop : Nations nègres et culture. Paris: Éditions africaines. Seconde édition (1955), Nations nègres et culture: de l’antiquité nègre-égyptienne aux problèmes culturels de l’Afrique noire d’aujourd’hui, Paris: Éditions Africaines. Troisième édition (1973) Paris: Présence Africaine. [Retour]
4. http://www.lefaso.net/spip.php?article36712 , consulté le 20-06-2010. [Retour]
]b
source: burkinathinks.com
Wed, 03 Apr 2013 22:04:00 +0200
Je recommande ceci