L’impossible extradition de Koné Katina

Les autorités ivoiriennes sont revenues à la charge dans l’affaire Koné katinan de la manière la plus maladroite. En effet, déstabilisée par la liberté sous caution qui lui a été accordée par la justice ghanéenne, elles ont cru devoir rebondir avec un nouveau mandat d’arrêt, en vertu duquel le ministre Koné Katinan et l’ancien ministre Désiré Dallo, qui croupit déjà dans les geôles du régime pour d’autres chefs d’inculpation, seraient maintenant accusés du meurtre les 25 et 29 Mars 2011, de Kamagaté Seydou, un soudeur de 83 ans et Diabaté Drissa, un commerçant de 37 ans.
La révolte le dispute à l’indignation dans le caractère grotesque de cette nouvelle procédure. Alors même que l’infortuné ministre est dans le viseur du pouvoir depuis longtemps, et que de nombreux mandats d’arrêts ont été lancés à l’encontre de plusieurs pro-Gbagbo réfugiés à l’extérieur, c’est subitement maintenant que les hommes forts de la Côte d’Ivoire découvrent que le ministre Koné Katinan aurait commis des crimes de sang. Quelle triste image de notre pays dans le monde au moment où l’Assemblée générale des nations unies consacre ses discussions justement à l’Etat de droit !
En réalité, ce nouveau mandat d’arrêt s’explique par le fait que les textes protégeant les réfugiés disposent qu’ils « ne sont pas applicables à toute personne dont l’Etat d’asile a des raisons sérieuses de penser (…) qu’elle a commis un crime grave de caractère non politique en dehors du pays d’accueil avant d’être admise comme réfugiée ». Cette disposition de la Convention OUA de 1969 se retrouve dans la plupart des autres textes dont la loi ghanéenne sur les réfugiés de 1992 et la loi sur l’extradition (de 1960 ou même le projet de 2012).
Or même dans cette hypothèse, les textes clairs et sans équivoque n’autorisent pas l’extradition dans tous les cas. Comme le prévoit la convention sur l’extradition de la CEDEAO et les lois ghanéennes, dans trois hypothèses au moins, la demande d’extradition peut être refusée : s’il y a des raisons sérieuses de craindre que la demande d’extradition motivée par une infraction de droit commun a été présentée aux fins de poursuivre un individu pour des considérations d’opinions politiques; lorsque l’individu dont l’extradition est demandée serait soumis dans l’Etat requérant à des tortures et autres peines ou traitement cruels inhumains et dégradants ; lorsque l’individu est susceptible de ne pas bénéficier au cours des procédures pénales des garanties minimales prévues par l’article 7 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.
La gouvernance du régime Ouattara est le principal obstacle à l’extradition
Le moins que l’on puisse dire est que ces trois hypothèses se vérifient dans le cas de la Côte d’Ivoire. En effet, les motivations politiques de cette demande d’extradition ne font pas de doute. Faut-il rappeler que les crimes reprochés auraient eu lieu dans le cadre d’un conflit électoral dont le caractère politique ne peut être contesté ? La qualité d’actuel porte-parole du Président Laurent Gbagbo du ministre Koné Katinan et son intense activité diplomatique gênent manifestement le Gouvernement ivoirien qui veut le faire taire. C’est pourquoi, après avoir échoué à le faire extrader pour crimes économiques, les autorités ivoiriennes, comme des magiciens, ont sorti de leur chapeau cet autre mandat d’arrêt pour des crimes de sang que l’infortuné Justin Katinan Koné n’a jamais commis.
Le régime de Ouattara qui refuse au FPI de s’exprimer librement réserve manifestement un traitement cruel et dégradant au ministre Koné Katinan. La répression terrible qui s’abat sur les cadres de l’opposition en Côte d’Ivoire, notamment FPI est devenue un secret de polichinelle. Le couple Laurent Gbagbo n’a pas échappé à la furie du pouvoir. L’exemple de l’ex ministre de la défense Moïse Lida Kouassi, extradé manu militari du Togo et torturé pour avouer un coup d’Etat imaginaire, est encore frais dans nos mémoires pour savoir ce qui attend Koné katinan dans l’hypothèse de son extradition en Côte d’Ivoire.
Et ce n’est pas au système judiciaire ivoirien qu’il faut faire confiance pour espérer défendre les droits ainsi bafoués tous les jours en Côte d’Ivoire. Ouattara a instauré une justice des vainqueurs qui n’est contestée par aucun observateur de la scène politique ivoirienne. Celle-ci ne peut offrir les garanties minimales exigées par la charte africaine des droits de l’homme et des peuples, dont des principes sont battus en brèche. C’est ainsi que la présomption d’innocence et le droit d’être jugé dans un délai raisonnable sont inconnus par cette justice qui détient, sans jugement, dans ses cellules, des pro-Gbagbo depuis au moins 18 mois. Les juridictions ne sont pas impartiales dans la mesure où cette justice aux œillères ne poursuit que ceux qu’elle a identifiés comme étant des pro-Gbagbo. Le droit de la défense est bafoué avec les perquisitions sans mandat au domicile des avocats des détenus et les nombreuses entraves à l’exercice de leur profession.
Assurément le règne de l’Etat de police et la volonté de réprimer une opposition véritable au régime actuel constituent de bonnes raisons pour refuser l’extradition de ministre Koné Katinan. Et le fait que les autorités ivoiriennes privilégient Interpol dans cette deuxième procédure ne changent rien à la donne. Outre que cette organisation internationale est interdite d’interférer dans les affaires politiques (article 3), ses statuts le contraignent à exercer ses activités dans le cadre des lois existant dans les différents pays membres (article 2), dont le Ghana qui, outre ses propres lois, a adhéré à un ensemble d’instruments internationaux régissant les réfugiés et l’extradition.
Interpol ne peut réserver un autre sort que le refus à la demande d’extradition. Aucune « procédure simplifiée de remise de personnes de police à police », qui autoriserait le Bureau National Central (BNC) d’Interpol à remettre un individu poursuivi aux autorités judiciaires d’un pays étranger ne saurait donc prospérer. Pourvu que l’on inscrive son action dans le cadre d’un Etat de droit.
C’est l’occasion d’informer les hommes forts de Côte d’Ivoire dont le premier d’entre eux était curieusement absent à la dernière Assemblée générale de l’ONU, qu’à cette session, près de 80 chefs d’État et de gouvernement ou ministres ont adopté, par acclamation, une déclaration qui souligne l’importance de l’Etat de droit, « en tant qu’un des éléments essentiels de la prévention des conflits, du maintien de la paix, du règlement des conflits et de la consolidation de la paix ». La nouvelle gouvernance politique est indissociable de l’Etat de droit.
Ouattara et John Mahama : deux gouvernances opposées
Manifestement, l’affaire Koné Katinan nous donne d’apprécier deux gouvernances totalement différentes. D’une part, celle du Ghana sous la houlette du Président John Dramani Mahama et dans le sillage du Président Atta Mills, qui, respectueuse de l’Etat de droit et de la séparation des pouvoirs, n’interfère pas dans les compétences de l’autorité judiciaire. Ce qui n’empêche pas le pays de mettre en œuvre un impressionnant programme de renforcement de ses infrastructures de base, notamment dans le domaine des communications avec des autoroutes, des ponts et des échangeurs construits d’année en année sur l’ensemble du territoire national, y compris à Accra, et surtout de réaliser des performances économiques avec un taux de croissance à deux chiffres (14% en 2011), faisant du Ghana un Etat à revenu moyen.
D’autre part, il y a la (mal)gouvernance du régime Ouattara, pour qui développement et Etat de droit sont incompatibles. Ainsi, en faisant miroiter une Côte d’Ivoire émergente à l’horizon 2025, il piétine l’Etat de droit, les libertés démocratiques et les droits fondamentaux de la personne humaine (400 enlèvements, 360 à 380 arrestations, 4 tués à Abidjan et au moins 12 camps de tortures selon le dernier bilan du FPI). La carrière politique de Ouattara est d’ailleurs caractérisée par un défi constant à l’autorité judiciaire. La violente contestation de la décision du Conseil constitutionnel du 3 décembre 2012 n’est que l’épilogue d’une longue série. En 2000, les deux arrêts de la Cour suprême invalidant sa candidature à la présidentielle et aux législatives ont fait l’objet de contestations diverses parfois violentes et d’une tentative de coup d’Etat. En 1993, en dépit d’une décision de la Cour suprême rejetant sa requête dilatoire, c’est malgré lui qu’il a dû rendre sa démission afin de permettre au Président Bédié d’exercer son office présidentiel.

Dr Kouakou Edmond, Juriste- Consultant
et James Cenach, journaliste

Wed, 10 Oct 2012 10:45:00 +0200

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