Patrice Kouamé(Président du Conseil Général de Toumodi) : “Sans élections, notre pays sombrera dans le chaos total”

photo : DR
Vous avez été Ministre de l’emploi et de la fonction publique dans le dernier gouvernement de Félix Houphouët-Boigny de 1990 à 1993 où le Docteur Alassane Ouattara était le 1er ministre. Quels souvenirs avez-vous gardé de cette époque?
Une période très difficile. L’on a tendance à l’oublier, mais ce fut une des plus rudes parce que la Côte d’Ivoire était en pleine crise depuis près d’une dizaine d’années à la chute des cours de nos produits d’exportation le café et le cacao notamment qui étaient nos principales sources de revenu et aussi de la politique de retentions qui avait été pratiquée. L’Etat a connu de grosses difficultés de trésorerie avec une masse salariale qui absorbait une part importante du budget, laissant très peu de marge pour les fournitures, les investissements et le service de la dette. Au bord de l’asphyxie, le pays est entré en négociation avec les institutions financières qui fixèrent les conditionnalités particulièrement drastiques: diminution des salaires des fonctionnaires et agents de l’Etat, dissolution des sociétés d’état, la privatisation, etc… Puis, enfin la dévaluation du franc CFA, monnaie commune à la Côte d’Ivoire et d’autres pays africains de la zone franc. Les syndicats refusèrent la diminution des salaires nominaux. A la crise économique s’ajoutait une crise sociale. Les partis politiques jusque- là clandestins sortirent alors de leur clandestinité pour réclamer le multipartisme qui fut instauré en application de l’article 7 de la constitution d’alors. A la crise économique et sociale, s’ajoutait une crise politique avec la rupture du consensus autour du parti unique. L’agitation était permanente et la Côte d’Ivoire était dans une spirale infernale qui la conduisait inexorablement vers le chaos. A la suite des élections générales remportées par Félix Houphouët-Boigny et son parti le PDCI, un nouveau gouvernement fut formé avec M. Ouattara comme premier Ministre.

Dans cette situation particulièrement difficile, quelle était la mission qui avait été assignée à ce gouvernement par le Président Houphouët?
La mission essentielle de ce gouvernement était, dans le cadre d’un programme d’ajustement structurel et de plusieurs programmes sectoriels, de stabiliser l’économie Ivoirienne; c’est-à-dire arrêter le cycle infernal de la récession et e préparer la dévaluation pour faciliter après la relance et la croissance. Mais il faut dire que ce gouvernement de 1990 à 1993 a si bien accompli sa mission qu’il a permis au gouvernement qui a suivi de bien gérer la dévaluation et de renouer avec la croissance jusqu’au coup d’Etat de 1999.

Comment s’est organisé le gouvernement pour relever ces défis ?
Dans ce gouvernement, nous avons beaucoup appris en termes de gestion publique. Nous tenions deux conseils par semaine: un conseil de gouvernement conduit par le 1er ministre au cours duquel nous discutions entre nous des dossiers; et un conseil des ministres le mercredi présidé par le président Houphouët. Chaque ministre résumait le dossier qu’il a eu à présenter la veille et le président faisait ses commentaires; il était d’une vivacité d’esprit incroyable pour son âge; il nous éclairait sur tous les points des dossiers avant de l’approuver ou demander qu’on le représente. Le 1er ministre nous faisait entièrement confiance et nous avons pu prendre beaucoup d’initiatives dans nos ministères respectifs.

Quelles ont été les principales réalisations de votre ministère?
Le Ministère de l’Emploi et de la fonction publique, c’était la dénomination exacte pour mettre l’accent sur l’épineux problème de l’emploi. Crée pour la première fois, il était chargé de l’ensemble du monde du travail, permettant au gouvernement d’avoir une approche globale et cohérente des problèmes liés à ce monde. Il regroupait l’ancien ministère de la fonction publique, l’ancien Ministère du travail et prenait explicitement en charge la question de l’emploi en ces temps de crise et de chômage. Pour chacun des secteurs, avec l’ensemble de mes collaborateurs particulièrement dévoués et compétents, nous avons apporté de nombreuses innovations. Ce fut un travail de fond en comble ayant comme objectifs: la modernisation de notre administration, la compétitivité de nos entreprises, la promotion de l’emploi et le traitement social du chômage avec équité. Dans le secteur de la fonction publique: le recensement des fonctionnaires et agents de l’Etat en moins d’un mois du 14 février au 09 mars 1991, près d’un Milliard d’économie fut réalisé. À la suite de cette opération, sur 11.600 fonctionnaires déclarés, 600 fictifs ont été découverts. Un nouveau statut général de la fonction publique fut érigé, le problème épineux de la limite d’âge pour l’entrée à la fonction publique a été réglé, le principe de l’égalité des chances a été introduit par la généralisation du concours et l’avancement au mérite; la procédure de concession des pensions avaient simplifiée et expérimentée avec succès de manière à éviter la rupture de revenu chez l’agent au moment où il part à la retraite; l’aménagement des horaires de travail et de contrôle de présence été appliqué et les agents l’ont respecté; la réduction des effectifs de l’assistance technique a permis de réaliser des économies et de libérer 2530 postes de travail pour les nationaux; la reforme de l’École Nationale d’Administration(ENA) avec l’instauration de toutes les filières diplomantes et enfin la loi que nous avons voté sur le service minimum en cas de grève. Dans le secteur de l’administration du travail: il faut surtout signaler la reforme du code du travail et les mesures visant plus de flexibilité au marché du travail pour favoriser les embauches même temporaires; le travail exemplaire des inspecteurs du travail avait permis de régler la grande moitié des conflits. Concernant le secteur de l’emploi: suivant les mesures générales et sectorielles prises par le gouvernement pour faciliter l’investissement et créer des emplois, notre ministère a fait adopter une politique nationale de l’emploi comprenant plusieurs programmes adaptés aux profils des demandeurs d’emplois.

Après sept années passées à la tête du conseil général de Toumodi, quel est votre bilan?
Le bilan est positif à 90% car nous avons atteint nos objectifs en matière de construction d’infrastructures de base que sont les écoles primaires et secondaires, les centres de santé, les châteaux d’eau dans tout le département. Les routes pour avoir accès aux différentes localités ont été reprofilées et des activités génératrices de revenus ont été initiées. Concernant la culture, le terroir a été valorisé à travers des fêtes de génération et autres; une radio départementale verra le jour dans les mois à venir.

La Côte d’Ivoire vit depuis 10 ans une crise socio-politique qui ne trouve pas de solution. Peut-on avoir votre avis sur la question?
Notre pays court un grand danger si nous n’allons pas aux élections. Il nous faut taire nos rancœurs, laisser de côté nos intérêts personnels et chercher à organiser des élections dans la confiance, en toute fraternité. Sinon, notre pays sombrera dans un chaos total, un chaos indescriptible.

Avec le partenariat de L’Intelligent d’Abidjan / par A.B à Toumodi

Tue, 18 May 2010 07:38:00 +0200

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