Prétendus bombardements d’Abobo: Me Altit sans pitié pour Bensouda

76.Il convient néanmoins de constater qu’en 2014, pour la première fois, le procureur admet des « clashes between forces stationed at the Golf hotel and Fds forces» le 16 décembre 2010 91. Même s’il réduit la portée de ces incidents, la Chambre notera avec intérêt qu’il ne peut plus nier une partie de la réalité comme il le faisait en février 2013 où il avait prétendu que le 16 décembre 2010, aucune mort des Fds en lien avec la manifestation.

77.En lien avec la manifestation du 16 décembre 2010, le procureur mentionne dans son Dcc modifié 20 incidents périphériques ayant eu lieu le 16 décembre 2010 et les jours suivants93. Il est difficile de savoir quels sont les incidents qu’il a conservés du Dcc originel et quels sont ceux qu’il a abandonnés.

78.Il convient de noter que le procureur reconnaît qu’il a plusieurs fois 94, ce qui montre l’impasse dans laquelle se trouveraient les parties et les Juges si la Chambre avait confirmé les charges sur la base des incidents tels qu’ils étaient décrits par le procureur en janvier et février 2013. Aujourd’hui comme à l’époque, la réalité même des incidents mentionnés par le procureur est douteuse dans bon nombre de cas. Comment alors confirmer des charges sur des bases aussi fragiles ?

79.Concernant les viols, le procureur ne répond pas sur le flou des attestations qu’il a produites ; il se contente de mentionner la Règle 63 (4) du Rpp et de citer à nouveau la déclaration de P-112. Mais pas un instant, il ne parvient à montrer que ces déclarations auraient un quelconque poids 95 comme la défense l’a démontré dans ses observations 97. La défense relevait en outre que (…) « n’avait pas recensé de cas de violence sexuelles en dehors d’Abobod » sorte que «le procureur aurait d’autant plus dû procéder à des enquêtes plus poussées.». Alors qu’elles sont particulièrement floues et peu crédibles 96

3. SUR LA SITUATION À ABOBO

80.Le procureur ne s’explique pas sur les groupes de mercenaires recrutés, entraînés, formés et armés au Burkina avant d’être transférés dans le Nord de la Côte d’Ivoire puis infiltrés à Abobo d’où, répondant aux ordres des stratèges du camp Ouattara, ils lancèrent, en concertation avec les forces rebelles stationnées à l’Hôtel du Golf, des attaques contre les populations civiles et les forces de maintien de l’ordre.
81.Il ne répond pas plus sur le Conflit armé non international (Cani), alors même qu’il reconnaît l’existence d’un tel Cani en février en 2011. Il se contente de faire référence à un Conseil des Ministres qui a eu lieu le 24 février 2011, lors duquel le Président Gbagbo aurait indiqué qu’il fallait « tenir [ … ] Abobo » 99 (…) Le Président Gbagbo n’a fait que tenir son rôle de Chef de l’Etat en demandant aux forces de l’ordre de résister aux rebelles armés et de continuer à protéger les populations100. Le procureur prétend que cela montrerait que le Président Gbagbo pour prétendre qu’il s’agissait là d’ordres clairs 101. Il est révélateur qu’il ne prétende plus qu’il s’agissait d’attaquer des civils mais seulement des zones habitées par des civils. Ensuite, « tenir » ne signifie pas attaquer mais résister. C’étaient les groupes rebelles lourdement armés qui attaquaient la population civile et les forces de maintien de l’ordre, comme cela a été largement démontré et documenté

. 4. SUR LA MARCHE DES FEMMES DU 3 MARS 2011

82.Tout d’abord il convient de noter que par rapport à janvier et février 2013, le procureur n’a présenté que 3 nouveaux témoignages directs, contradictoires avec les précédents et suspects comme la défense l’a montré aux paragraphes 78 et 79 et 532 à 550 de ses observations. Il convient de noter que parmi les prétendus témoins directs, l’on retrouve 2 de ceux qui disent avoir été témoins du bombardement du marché d’Abobo. Ces témoins qui servent au procureur pour conforter plusieurs incidents sont assez nombreux et d’autant moins crédibles. Ainsi, P-189 est un témoin direct de la prétendue répression de la marche vers la Rti et de la marche des femmes et a transmis des vidéos au procureur pour plusieurs évènements. Il en est de même de P-217. Le procureur n’a présenté en sus que des certificats de décès dont la défense a montré que l’authenticité est douteuse102 (…)

83.Comment le procureur peut-il prétendre savoir à quelles unités auraient appartenu les Fds alors que les témoins décrivent différents convois…

84.Concernant les vidéos, le procureur s’appuie sur la vidéo qu’il réfute être un montage en se fondant sur P-105, P-184 et P-217. La défense a démontré dans ses observations, combien les attestations de P-105, P-184 et P-217 étaient à prendre au sérieux. Comme le procureur ne semble pas très sûr de lui, il ajoute que ce qui revient à vouloir conforter une pièce de faible valeur par l’existence d’une autre pièce de faible valeur puisque la preuve du procureur ici consiste en quelques témoignages discutables. (…)

86.La Chambre notera que le procureur s’appuie en particulier sur les vidéos. (…) la première vidéo provient d’une open source, que l’origine de la seconde n’est pas donnée puisqu’on ignore qui aurait tourné les images; que la troisième aurait été remise au procureur par P-184, qui l’aurait reçu de P-217 et que la quatrième aurait été remise par P-189. Ces trois témoins sont peu crédibles et surtout, il a été démontré qu’ils travaillaient pour les forces de Ouattara et avait été recruté par P-234

5. LE BOMBARDEMENT ALLÉGUÉ DU 17 MARS 2011 87.

Le procureur rappelle qu’il se base sur le témoignage de P-239 110. Or, le témoin P-239 ne date pas les évènements111 (…) Ensuite, la lecture des déclara- tions de P-239 113, tant elles sont confuses, ne permet pas de conclure que les tirs auraient été effectués du Camp commando. De plus, P-239 n’est pas crédible… 88.Il s’appuie sur P-217 – le fameux témoin pourvoyeur d’une vidéo concernant la marche et d’une vidéo qui semble avoir été présentée comme concernant une marche de femmes à Abobo mais qui en réalité semble avoir été tournée lors d’une marche de femmes à Anyama – pour prétendre qu’après le bombardement, des « chars » auraient tiré sur la foule. Il ne répond pas aux objections de la défense115. P-217 n’était pas sur place…
89.Le procureur prétend que « P – 9 clearly confirms that the Basa was based in Camp Commando in march 2011 and they did have 120 mm mortars » – P-9 ne semble pas sûr que le Basa ait été à l’époque cantonné au Camp – Même dans l’hypothèse où certains éléments du Basa auraient été cantonnés au Camp Commando, rien ne dit que ces éléments auraient disposé de mortiers de 120mm puisque d’autres éléments du Basa étaient cantonnés ailleurs (…)
.Le procureur fait dire à P-9 qu’un bombardement venant du Camp Commando n’aurait pas été impossible mais seulement difficile, refuse d’admettre l’existence du prétendu bombardement. Il précise que les Fds n’y ont pas procédé puisque la population était toujours présente dans les environs et que le marché n’était pas un site militaire121. En outre, la question était celle de la faisabilité technique du bombardement. Or, P-9 indique bel et bien qu’un tel bombardement du marché à partir du Camp commando était quasi-impossible122
.De plus, P-9 indique clairement que les mortiers de 120mm ne pouvaient être utilisés.

90. Quant aux ministres de la Défense et de l’Intérieur de l’époque, ils ont indiqué que les obus de 120 mm n’avaient jamais été utilisés durant la crise postélectorale. Le ministre de la Défense de l’époque indique que seuls les éléments du Basa basés à Akouédo détenaient des obus de 120 mm et insiste sur le fait que ces obus n’ont pas été déplacés au camp Commando durant la crise post- électorale124. Les développements de la défense restent plus que jamais valables 125. Le procureur ne prête pas plus attention aux propos de P-10 qui, lors de ses interrogatoires en 2011 et 2013, indique que les Fds n’étaient pas les seuls à disposer de mortiers mais que le Commando invisible en avait aussi 126

91.Le procureur ne répond pas aux objections de la défense concernant l’élargissement des zones touchées par les obus et le défaut subséquent de précisions de l’Accusation 127. Il continue d’entretenir le flou puisqu’aujour- d’hui encore, il est dans l’incapacité de donner à la Chambre et à la défense les endroits exacts où seraient tombés les obus le 17 mars 2011. Il continue délibérément d’ignorer la question légitime de la défense : pourquoi l’expert ne s’est-il rendu que sur 4 des 7 prétendus sites touchés par les obus le 17 mars 2011 ?

92.Concernant les bombardements, les témoignages se contre- disent les uns les autres comme la défense l’avait déjà démontré le 26 février 2013 preuve du procu- reur 130. Il est surtout intéressant de noter qu’il n’y a pas un seul témoin direct de certains incidents mentionnés par le procureur comme le bombardement de Derrière rail et que, alors que ces bombardements auraient fait d’a- près le procureur des dizaines de blessés, le procureur ne soit pas parvenu à trouver plus d’un seul blessé pour témoigner, d’autant que ce témoignage est suspect. (…)

94.Concernant les certificats, notamment de décès, probablement faux, que le procureur présente à l’appui de ses allégations, il convient de constater que le seul argument utilisé par le procureur est de dire qui ne fait pas grand sens. Tout faux document, pour donner l’impression d’être vrai, se rapporte à un autre élément. Ce que montre le procureur ici c’est que la valeur probante des pseudo-certificats ne tient que parce qu’ils mentionnent des noms utilisés dans des déclarations et que la valeur probante de ces déclarations ne tient que parce qu’elles s’appuient sur des faux éléments administratifs tels que les faux certificats. Mais deux faux ne font pas un vrai. De plus, le procureur se garde de répondre aux éléments mis en avant pas la défense qui montrait aux paragraphes 66, 669, 670 et 671 de ses observations que déclarations et certificats étaient contradictoires.

95.Concernant les vidéos, le procureur s’appuie à nouveau sur P- 189, qui lui a transmis la vidéo, malgré les doutes exprimés par la défense concernant ce; et sur P- 362, qui lui a transmis la vidéo, malgré le fait que la déclaration de ce témoin est contradictoire, sur un grand nombre de points, avec beaucoup d’autres témoignages 137. Il est intéressant de relever que le procureur est incapable de déterminer l’origine de ces vidéos alors que P-189 et P-362 lui indiquent les tenir de tiers 138

96.Concernant le rapport de l’expert, le procureur ne semble pas avoir compris

97.Concernant les viols allégués qui auraient été commis, le procureur se fonde principalement sur deux rapports (…) une Ong (…) semble avoir rédigé le second rapport à la demande du procureur. Les deux rapports ne sont fondés sur aucune enquête : les enquêtrices semblent même n’avoir jamais rencontré les victimes et n’avoir procédé que par téléphone. Quant aux conclusions des rapports, elles sont si générales qu’il n’est jamais possible d’identifier à quel groupe auraient appartenu les auteurs des viols allégués 140. Il est fait référence à des «jeunes de leur quartiers qui pour se venger d’elles les auraient violé e s pour tirer partie d’elle s; à en croire les témoignages de quelques victimes recueillies sur le terrain » 141 (…)

99.La seule manière dont le procureur tente de mettre en cause le Président Gbagbo concernant les évènements de Yopougon (alors qu’au même moment des forces pro-Ouattara se rendaient coupa- bles à Yopougon de très nombreux crimes de masse, ce qui est bien documenté) est de se référer à un communiqué du 9 avril 2011 147. Ce communiqué n’émane pas du Président Gbagbo mais du porte-parole du gouvernement. Le Président Gbagbo ne l’a pas validé. Il ne correspond d’ailleurs en rien à son style et à son langage, et à ses idées telles qu’elles ressortent de ses nombreuses interventions pendant la crise. Il y était fait référence aux massacres commis par les rebelles à Duékoué les 28 et 29 mars 2011 : plus de 2000 morts hommes, femmes et enfants assassinés. Il y était fait référence aussi aux attaques menées par les rebelles avec le soutien de la Force Licorne contre les villes et villages du sud du pays ainsi qu’aux attaques menées à Abidjan par la Force Licorne contre les cantonnements des forces de maintien de l’ordre, la Rti, le Palais présidentiel 148. Il était fait référence aussi à l’arrivée à l’aéroport d’Abidjan de renforts français. Il y était relevé que les attaques contre la Présidence et la résidence du chef de l’Etat, menées par des hélicoptères et des chars semblaient avoir pour objectif l’assassinat du Président Gbagbo. Il s’agissait pour l’auteur du « communiqué » de condamner les attaques menées par l’armée française et les rebelles, les massacres qui s’en suivirent et les tentatives d’assassinat contre le Président Gbagbo. A aucun moment, il ne s’agit d’un appel à mener des attaques illégales.

Partie 3 : Remarques sur les autres incidents mentionnés par le procureur pour illustrer une prétendue attaque contre la population civile

100. Tout d’abord, il convient de noter que le procureur reconnait que sur 39 incidents mentionnés, il en a abandonné vingt-trois sur lesquels il s’appuyait dans son Dcc originel et
101.Pour répondre à la défense, il soumet que 25 des 39 incidents sont fondés sur des témoignages, ce qui laisserait quand même 14 incidents fondés uniquement sur des rapports divers151. Il ajoute que certains des rapports ne ser- vent que comme « secondary source » . Il convient d’éclaircir le débat :
.Sur 39 incidents, en réalité seuls 22 (et non 25) sont fondés sur des témoignages.
.Sur ces 22, 14 ne reposent que sur un seul témoignage152. Pas un seul n’est un témoignage direct. P-369 membre d’une Ong, est le seul témoin pour 9 incidents153
.Si l’on met de côté les 4 incidents principaux, cela ne laisse que 4 incidents fondés sur plus d’un témoignage. Un seul est fondé sur plus de deux témoignages 154. Ces quatre incidents sont fondés sur des témoignages indirects, flous et incohérents et, pour celui qui est fondé sur plus de deux témoignages, contradictoires 155
.Quant aux 4 incidents principaux, il a été démontré à quel point les multiples sous-incidents qui les composent ne reposent qu’exceptionnellement sur des témoignages directs et jamais sur des témoignages crédibles.

.17 incidents ne reposent que sur des rapports (d’Ong ou de l’Onuci notamment). Ces rapports ont comme caractéristique commune de ne jamais avoir été le fruit d’une enquête contradictoire sur le terrain, mais d’être de simples recueils de déclarations anonymes et parfois de déclarations de seconde main ou de ouï-dire.

102.Pour tenter de faire oublier cette faiblesse inhérente à sa preuve, le procureur avance que des rapports émanant des Autorités ivoiriennes corrobore- raient l’existence de douze des incidents 156. Mais il se garde de rappeler que le récit que font les policiers ou les gendarmes appelés sur les lieux des incidents diffère du tout au tout de ce que dit le procureur 157. Par exemple, s’agissant de l’attaque dans la nuit du 1er, il est démontré que les gendarmes avaient été pris dans une embuscade 158.

103.Pour faire oublier la faiblesse d’une preuve fondée en grande partie sur des rapports, le procureur tente aussi de convaincre les Juges que son témoin] serait particulièrement crédible (…) Pour enfoncer le clou, il prétend être en Côte d’Ivoire qu’en janvier 2011, qu’il n’y est venu que pour de très courtes périodes160, qu’en tant que (…) fraichement débarqué – de plus pendant une période extrêmement tendue – il est difficile de croire qu’il ait compris toutes les subtilités de la situation. En outre, 159. Il induit ici en erreur la Chambre (…)

Partie 4 : Absence de responsabilité du Président Gbagbo

104.De manière générale, la défense souhaite souligner le peu de place accordée par le procureur et la Représentante dans leurs soumissions finales à la question, pourtant centrale, de la responsabilité pénale du Président Gbagbo. Ainsi, le procureur n’y consacre qu’un peu plus de 5 pages, consacrées uniquement à un rappel succinct du droit applicable sans que jamais le procureur ne tente d’appliquer le droit aux faits de l’espèce. Quant à la Représentante, elle y consacre moins de 3 pages, consistant surtout en considérations générales sur la possibilité de soulever plusieurs modes de responsabilité en même temps, sans jamais appliquer ces considérations aux faits.

105.Ainsi, ni le procureur, ni la Représentante ne répondent à la défense qui avait relevé que le procureur n’avait même pas fait l’effort d’essayer de démontrer l’existence des éléments permettant de considérer qu’aurait été constituée la responsabilité du Président Gbagbo sous 25(3)(b), 25(3)(d) et 28. Le procureur n’avait même pas tenté de démontrer l’existence de quelques-uns seulement de ces éléments constitutifs.

106.Il semble donc nécessaire de rappeler l’évidence : la raison d’être de la procédure pénale est de déterminer dans quelle mesure un individu peut être responsable pénalement. A lire les soumissions du procureur et de la Représentante, on en oublierait presque qu’un homme est ici accusé de crimes. Rien sur sa responsabilité concrète. Pour le procureur et la Représentante, il semble qu’il suffise de suggérer que des crimes auraient été commis pour pouvoir tenir un procès contre une personne que rien ne relie aux crimes allégués.

107.Dans le même ordre d’idée, il apparaît utile de rappeler égale- ment qu’une procédure pénale est un processus juridique par lequel des faits sont passés au tamis du droit. Il s’agit de lire juridiquement la réalité des faits. A cet égard, la défense s’étonne que La Représentant considère que ce serait aux Juges d’interpréter le droit. La Représentante semble confondre différents plans de réflexion. Elle semble considérer que le travail du procureur serait de donner aux Juges différents éléments de fait, à charge pour les Juges de traduire ces faits en droit. La Représentante oublie ce faisant qu’il ne s’agit pas de traduire mais de construire. Il appartient au procureur de construire une démonstration fondée sur la preuve de la responsabilité d’un individu. Pour ce faire, il doit choisir un fondement particulier, juridique. De ce fondement doit découler la logique de la démonstration. Ce ne peut être aux Juges de construire a posteriori, à la place du procureur. Le fait que le procureur n’ait pas discuté l’existence des éléments constitutifs des modes de responsabilité, qu’il n’en ait démontré l’existence d’aucun, révèle qu’il n’a même pas essayé de comprendre quel pouvait être concrètement le degré de responsabilité de l’intéressé. Puisque le procureur ne donne aucun élément probant à l’appui de sa thèse sur la responsabilité du Président Gbagbo, comment les Juges pourraient-ils avaliser une absence de démonstration ? Les quelques éléments qu’il présente ne sont pas organisés pour conforter une démonstration juridique obéissant aux critères établis par le Statut concernant un mode de responsabilité particulier mais sont jetés pêle-mêle. Or, les critères juridiques énoncés dans les textes applicables doivent guider la sélection et la présentation de faits juridiquement pertinents pour étayer une démonstration à charge. Le but de cette démonstration est de montrer que les critères permettant d’établir une forme particulière de responsabilité sont remplis. Comment affirmer qu’un crime aurait été commis, sans démontrer que les éléments constitutifs du crime seraient présents ? Comment affirmer qu’un mode de responsabilité serait applicable sans démontrer que ses conditions de mise en œuvre seraient satisfaites ? Or, le procureur, en ne se focalisant que sur les faits, oublie de démontrer le lien qui existerait entre ces faits et l’individu

108.Ce n’est qu’en respectant les textes et en développant une argumentation rigoureuse que le procureur pourrait convaincre la Chambre de le suivre pour aller au procès. Le cœur de la démonstration du procureur devrait être de présenter des éléments probants quant à la responsabilité alléguée du Président Gbagbo à propos de tel ou tel incident. Or, c’est justement ce qu’il ne fait pas.

109.La défense tient à souligner que le droit à la « vérité et à la justice » qu’invoquent les victimes 163, doit s’entendre dans ce contexte. La « vérité » à laquelle les victimes ont droit dans le cadre d’une procédure judiciaire n’est pas abstraite : il s’agit d’une vérité concernant un événement particulier et le rôle qu’un individu particulier y a tenu. La «justice » à laquelle les victimes ont droit est conditionnée par le respect des droits de l’accusé, plus particulièrement ici de son droit à ne pas être renvoyé en procès sur la base de charges non-étayées. A cet égard, la défense a relevé avec étonnement l’affirmation de la Représentante. En quoi serait- que les victimes veuillent que les charges contre une personne en particulier soient confirmées ? La Représentante agit comme s’il n’était pas important de savoir qui sera poursuivi et pourquoi, l’important étant que se tienne un procès et que les victimes soient indemnisées. Ce qui devrait être « obvious » c’est que les victimes ne désirent de confirmation qu’à partir du moment où les charges formulées par le procureur seraient suffisamment étayées et surtout qu’à partir du moment où il existerait de la part du procureur une véritable démonstration permettant d’engager la responsabilité d’une personne que les victimes considéreraient être à l’origine de leur préjudice, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Car il s’agit de Justice. Un participant à une procédure judiciaire ne peut vouloir de confirmation pour la simple satisfaction d’obtenir une confirmation. La Représentante semble indiquer que la seule volonté de connaître « Côte d’Ivoire during the post-electoral violence » justifierait de renvoyer en procès une personne contre qui il n’existerait pas de preuve suffisante de sa responsabilité pénale individuelle.

110.Ici, le procureur n’a satisfait à aucune de ses obligations en matière de preuve pour établir qu’il existerait des motifs substantiels de croire que le Président Gbagbo aurait commis des crimes.

1. SUR LA «HIÉRARCHIE» DES MODES DE RESPONSABILITÉ

111.Il faut noter que tant le procureur que la Représentante, demandent explicitement à la Chambre d’ignorer la jurisprudence constante de la Cpi en la matière. La jurisprudence de la Cour est claire sur ce point: si la Chambre devait confirmer les charges sur la base de l’article 25(3)(a) (c’est-à-dire en considé- rant le Président Gbagbo comme auteur), elle ne saurait dès lors envisager sa responsabilité comme complice sur la base des autres modes de responsabilité utilisés par le procureur 165 «Si la Chambre conclut qu’il existe des preuves suffisantes donnant des motifs substantiels sont conjointement responsables en tant qu’auteurs principaux toute autre question relative à leur responsabilité en tant que complices sera sans objet. En d’autres termes, la Chambre n’examinera ni d’autres formes de responsabilité au titre de la complicité prévue aux arti- cles 25‐3‐b à 25‐3‐d du Statut, ni la responsabilité.

112.Il ne s’agit pas ici de hiérarchie stricto sensu entre modes de responsabilité mais plutôt d’une question de logique juridique : nul ne peut être à la fois auteur et complice d’un même crime, comme cela a été rappelé dans la décision de confirmation des charges dans l’affaire Ruto, Kosgey et Sang166. C’est une question de cohérence et de logique.

113.L’existence de la Norme 55 du Rdc qui permet à la Chambre de première instance de requalifier juridiquement les faits lors d’un procès ne saurait être utilisée par le procureur pour se soustraire à son obligation de présenter des charges précises (notamment sur la question des modes de responsabilité) au stade de la confirmation des charges.
114.Si la Chambre devait suivre le procureur lorsqu’il lui demande de sens la procédure de confirmation des charges qui n’existe que pour permettre aux Juges de trier entre les accusations formulées par le procureur qui paraissent aux juges fondées et celles qui leur paraissent infondées. En mettant en place cette procédure de confirmation des charges, les rédacteurs du Statut ont voulu donner aux juges la possibilité d’examiner les charges de façon critique après un examen contradictoire. Il s’agissait d’éviter que se tiennent des procès sur des bases factuelles ténues et sur des affirmations juridiques floues.

2. ABSENCE DE RESPONSABILITÉ EN VERTU DE L’ARTICLE 25 (3) A) DU STATUT : ÉLÉMENTS

2.1Sur le plan commun.

115.Le décret portant promotion des responsables de l’armée que le procureur prétend avoir été l’une des premières étapes de la mise en œuvre du plan commun concerne aussi bien des officiers de l’armée régulière que des offi- ciers venant des rangs des rebelles. De plus, la majorité des promus continuera leur carrière sous Ouattara. De plus, les proposi- tions de promotions venaient d’une commission indépendante 168 alléguée des deux suspects en tant que supérieurs hiérarchiques prévue à l’article 28 du Statut», ICC-

116.La défense ayant relevé qu’à aucun moment, le procureur n’apportait d’élément sur qui aurait été à l’origine du plan commun, qui l’aurait conçu, la manière dont il aurait été adopté et par quels canaux il aurait été mis en œuvre, le procureur tente de répondre en avançant au paragraphe 34 de ses soumissions que le 27 novembre 2010, le plan commun était en place et avait été adopté par Gbagbo.

117.Mais il s’agit ici d’une affirma- tion, non d’une démonstration. Qu’est-ce qui permet au procu- reur de prétendre qu’un plan commun aurait existé et aurait été mis en place « avant le 27 novembre 2010 » ? Rien. Qui aurait composé le «inner circle » ? Mystère. Qui parmi les membres de cet «inner circle » aurait été à l’initiative de ce plan commun ? Mystère. A quelle occasion aurait- il été adopté ? Mystère. Quelles auraient été les lignes de force de ce plan ? Mystère. Quelle en aurait été la teneur ? Mystère. Et pour quelle raison un Président, que tous les sondages donnaient gagnant 170, qui avait accepté d’organiser des élections bien que les rebelles n’aient pas désarmé, contrairement à leurs engage- ments, aurait-il conçu un plan commun ? N’aurait-il pas mieux valu ne pas organiser d’élections ?

118.Dans le paragraphe 35, le procureur prétend que l’existence du plan commun serait révélée par la lecture de la totalité de sa preuve laquelle prouverait :
.La nature organisée de l’at- taque contre la population civile. A ce propos, il est intéressant de noter que le procureur ne démontre rien. Il ne prouve pas d’attaque ; il ne prouve pas qu’elle aurait été organisée ; il ne mentionne même pas ce qui permettrait de penser qu’elle aurait été organisée et n’indique pas qui l’aurait organisée. En revanche, tous les éléments qu’il a lui-même divulgués montrent la nature préméditée et organisée de l’attaque menée par les rebelles contre la population civile depuis le 19 septembre 2002 et notamment en 2010 et 2011.
.La structure organisée derrière l’attaque. Le procureur est incapable ne serait-ce que de décrire une telle structure, qui la composerait, comment elle serait organisée, les canaux par lesquels arriveraient les ordres, etc. Tout dans sa preuve montre que ce sont les unités régulières de maintien de l’ordre qui étaient attaquées par les groupes.
.Le rôle et la responsabilité du Président Gbagbo à la tête de cette structure. Rappelons que le procureur ne démontre pas l’existence d’une telle structure, ni quelle serait sa nature, ou de quels groupes ou individus elle serait composée, qui dirigerait chacun de ses éléments constitutifs, à qui obéirait chacun des responsables, quelle serait la chaine de commandement, par quels canaux les différents groupes mèneraient des actions concertées, qui en concevrait la stratégie, etc. Comment peut-il alors affirmer de but en blanc que le Président Gbagbo l’aurait dirigée? Non seulement il n’existe aucune trace de cette structure fantôme mais encore il n’existe aucun ordre de quelque sorte du Président Gbagbo qui donnerait à penser qu’aurait existé une telle structure.

In Le Temps N ° 3195 du vendredi 16 mai 2 0 1 4

Sun, 18 May 2014 12:18:00 +0200

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