Zineb El Rhazoui : “Jusqu’où serons-nous lâches ?”
Un combat, porté par un franc parler tonitruant, qui lui vaut des menaces de mort régulières et une protection policière permanente. Le combat d’une vie. Quand on lui demande si elle veut un jour écrire un livre sur son parcours, elle répond : "Moi, même quand je vais chez le psy, je lui parle d’islam politique !" Cinq ans après les attentats de Charlie, de l’Hypercacher et le meurtre de Clarissa Jean-Philippe, alors que s’ouvre un procès qu’on annonce "pour l’histoire", Zineb El-Rhazoui fait le constat d’une France très majoritairement encore Charlie, mais dénonce un "climat de terreur intellectuelle" qui annihile de plus en plus la liberté d’expression et le droit de blasphémer.
L’Express : On présente le procès des attentats de janvier 2015 comme un "procès pour l’histoire", mais aussi comme étant celui des "seconds couteaux". Qu’en attendez-vous ?
Zineb El Rhazoui : Ce procès sera historique de toute façon, soit parce qu’il sera le Nuremberg de l’islamisme, soit parce qu’il sera historiquement décevant, ce que je crains plus que tout. Mais je n’ai jamais perdu l’espoir qu’il y ait un jour de nouvelles révélations autour de l’attentat qui a coûté la vie à mes collègues. Qui sait, peut-être que le procès nous apprendra de nouveaux éléments sur les commanditaires de cet acte de guerre. Ce que j’attends surtout de ce procès, c’est qu’il soit dit qu’il ne s’agit pas d’un crime de droit commun, mais d’un crime idéologique et politique. J’espère que le mobile du crime, c’est-à-dire l’idéologie islamiste, sera débattu en toute honnêteté, sans cette chape de silence et de censure de plus en plus pesante qui veut étouffer toute critique de l’islam.
Cette "chape de silence" que vous ressentez, a-t-elle, selon vous, été imposée par la peur, par l’idéologie, par la pression du communautarisme… ?
En France, nous vivons aujourd’hui dans un climat de terreur intellectuelle. L’islamisme avance avec toute sa panoplie d’outils et de stratégies. Vous avez d’un côté des terroristes comme les frères Kouachi, dont le message est simple : vous dessinez le prophète, et l’on vous passe à la Kalachnikov. Mais de l’autre, vous avez aussi des imams pseudo-modérés qui condamnent le terrorisme, mais réclament la même chose que les terroristes, c’est-à-dire que l’on renonce à une liberté chèrement acquise ; celle de blasphémer. Qui peut prétendre aujourd’hui que ce droit au blasphème est respecté lorsqu’il concerne l’islam ? Ce droit, nous l’avons, certes, sur papier, mais dans les faits, nous l’avons perdu. Ceux qui l’exercent vivent d’ailleurs comme moi, sous protection policière. En somme, en France, on vous dit que vous pouvez blasphémer, mais à vos risques et périls. Cela devrait quand même nous interpeller.
S’il y avait aujourd’hui une nouvelle affaire des caricatures, pensez-vous que des journaux français les publieraient comme en 2006 ?
Malheureusement, les journaux qui l’ont fait à l’époque étaient déjà extrêmement rares, en France comme ailleurs dans le monde. Toutefois, le climat s’est encore considérablement crispé depuis l’attentat islamiste contre Charlie Hebdo. On en arrive à des situations où un journal comme le New-York Times préfère ne plus publier de caricatures du tout sous prétexte que cela "heurterait les susceptibilités". Quand on ne veut vexer personne, on ne fait pas ce métier ! Faire le constat de cette terreur intellectuelle serait déjà une avancée, mais malheureusement, ceux qui s’y soumettent sont dans le déni. Ils préfèrent dire "nous, nous ne voulons pas blesser les musulmans", avec ce sous-entendu que si Charlie s’était abstenu de le faire, mes collègues n’auraient jamais été tués. Autrement dit, les journalistes de Charlie Hebdo l’ont bien cherché. J’ai toujours répondu aux journalistes qui me parlaient de "blesser" les musulmans que mes collègues à moi, s’ils n’étaient pas lourdement blessés par balles, ils étaient carrément morts.
En janvier 2015, des écoliers et des collégiens ont refusé d’observer la minute de silence pour leur rendre hommage, les discours nauséabonds n’ont même pas attendu une semaine pour remonter des égouts, portés par ceux qui ont dit "nous ne sommes pas pour les attentats, mais nous ne sommes pas non plus Charlie Hebdo".
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Fri, 01 Oct 2021 18:53:00 +0200
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