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    Pourquoi l’Afrique doit cesser d’adopter les fêtes des autres

    ByLa Dépêche d'Abidjan

    Mar 11, 2025

    L’une des problématiques majeures auxquelles fait face l’homme noir aujourd’hui est son penchant pour le suivisme culturel. Depuis des siècles, il adopte les traditions, les fêtes et les commémorations établies par d’autres civilisations sans interroger leur pertinence par rapport à son propre cadre de référence. Cette attitude, engendrée par la domination historique de l’Occident et du monde arabe, soulève la question de l’autodétermination culturelle du peuple africain.

    Une identité délaissée au profit de modèles étrangers

    Un exemple frappant de cette tendance est la célébration, le 8 mars, de la Journée internationale des droits des femmes, instaurée par l’ONU et inspirée des luttes féministes en Europe et en Amérique. Or, dans la tradition africaine, la question de l’égalité des sexes n’a jamais été un sujet de débat, contrairement à ce qui se passe dans la société occidentale. En effet, l’Afrique noire est originellement matriarcale, ce qui signifie que les femmes occupaient une place centrale dans l’organisation sociale, économique et politique. À l’opposé de la  société patriarcale européenne, où les femmes ont dû se battre pour leurs droits, le rôle essentiel des femmes était naturellement reconnu en Afrique et certaines communautés plaçaient la transmission du pouvoir et de l’héritage sous l’autorité maternelle. De grandes personnalités féminines ont marqué l’histoire du continent, à l’image de la reine Nzinga du Ndongo et du Matamba (Angola), Amina de Zaria (Nigeria) ou encore la princesse Yennega des Mossis et la reine Abla Pokou des Baoulés. De plus, les Amazones du Dahomey, une armée qui était exclusivement féminine, montrent bien le pouvoir que les femmes pouvaient détenir en Afrique.

    Johann Jakob Bachofen, considéré comme l’un des fondateurs de la sociologie de la famille, a étudié le matriarcat et a constaté que la femme était l’élément central de la société et du foyer familial, recevant la dot lors du mariage et gérant les biens familiaux. Ibn Battûta, voyageur marocain du 14ème siècle, s’est étonné du régime matrilinéaire qu’il a observé en Afrique de l’Ouest, notamment dans l’Empire du Mali, où l’héritage se transmettait par la lignée maternelle. Ce système ne signifiait pas une domination des femmes sur les hommes, mais reposait sur une complémentarité et une répartition harmonieuse des rôles entre les sexes.

    Une rupture imposée par la colonisation et les religions étrangères

    Avec l’arrivée des colonisateurs européens et arabes, les structures matriarcales africaines ont progressivement cédé la place à des modèles patriarcaux. Comme l’explique Cheikh Anta Diop dans L’unité culturelle de l’Afrique Noire, « l’islamisation de l’Afrique occidentale débute au 10ème siècle avec le mouvement Almoravide, la religion traditionnelle disparut peu à peu sous l’influence islamique, les mœurs et les coutumes également ». Cette transformation a conduit à la substitution progressive du régime patrilinéaire au régime matrilinéaire.

    Le savant souligne également que « l’adoption du nom du père pour les enfants semble provenir de cette même influence arabe », illustrant ainsi la transition vers un système où la filiation et l’héritage se perpétuent par la lignée paternelle. Ces empreintes étrangères, qu’elles soient islamiques ou chrétiennes, ont profondément modifié la place de la femme dans la société africaine, reléguant progressivement les traditions matriarcales au second plan.

    Revaloriser l’héritage africain 

    Si l’Afrique veut véritablement se positionner sur la scène mondiale, elle doit cesser d’être un simple réceptacle de modèles venus d’ailleurs, redéfinir ses cadres de pensée, réhabiliter ses traditions et défendre ses valeurs sans complexe. Cela ne signifie pas qu’elle se ferme à l’extérieur, mais qu’elle soit en mesure de choisir consciemment ce qui est bénéfique à son développement, sans renier son identité.

    Dans cette perspective, la réflexion de la philosophe et anthropologue Heide Goettner-Abendroth, auteure du livre « Les Sociétés matriarcales », apporte un éclairage essentiel. Elle souligne que ces structures, loin d’être des systèmes de domination féminine, reposent sur un équilibre et une égalité profondes. Ces sociétés placent les mères au centre, non en tant que figures autoritaires, mais en tant que garantes de valeurs telles que la sollicitude, la réciprocité, l’entraide et le maintien de la paix. En étudiant ces modèles, Goettner-Abendroth a mis en évidence leur pertinence pour repenser les cadres sociaux et politiques, suggérant qu’ils pourraient s’avérer bien meilleurs que les systèmes patriarcaux actuels.

    Ainsi, au lieu d’adopter mécaniquement des célébrations occidentales, pourquoi ne pas mettre en avant des héroïnes africaines qui ont marqué l’histoire ? Pourquoi ne pas instituer des journées célébrant les symboles de leadership féminin spécifiques au continent ?

    En refusant de valoriser son patrimoine, l’Afrique noire se cantonne à un rôle de spectatrice plutôt que d’actrice de l’histoire. 

    Pourtant, nombreux sont ceux qui se plaignent lorsqu’ils entendent dire que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ». Comment pourrait-il en être autrement si les Noirs refusent d’assumer et de promouvoir leur patrimoine ? De fait, tout laisse à penser que ce peuple, en refusant de s’affirmer, s’exclut lui-même de l’histoire de l’humanité.

    Axel Illary

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