Le 16 février dernier, l’Union africaine a franchi une étape historique en adoptant une résolution qualifiant officiellement la traite négrière, l’esclavage et la colonisation de crimes contre l’humanité. Pourtant, cette avancée majeure n’a que très peu résonné dans l’espace médiatique africain. Face à ce constat, le journaliste et militant panafricaniste Claudy Siar a pris la parole dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux pour exprimer son indignation. Il dénonce le manque d’engagement des médias africains, qui n’ont pas accordé à cette décision l’attention qu’elle mérite.
« Vous vous rendez compte ? Lorsque les pays occidentaux légifèrent sur des choses qui nous concernent, tout le monde en parle. Mais quand l’Afrique écrit une page de l’histoire, personne n’en parle », regrette-t-il avec force. Si certains organes de presse ont relayé l’information, leur nombre demeure insuffisant au regard de l’importance de cet événement. Pour Claudy Siar, ce manque de mobilisation reflète un « déficit de conscience historique » qui prive les populations africaines d’une réelle prise de conscience sur la portée de cette décision.
De fait, cette lacune trouve son origine dans l’histoire biaisée enseignée aux Noirs, qui leur fait croire que la traite négrière et l’esclavage ont été favorisés par les Africains, lesquels asservissaient leurs semblables avant de les vendre. En effet, on entend souvent dire que « les Noirs ont vendu les Noirs ». Une telle perception est largement répandue en Afrique et dans sa diaspora. Cependant, cette vision est réductrice, car elle occulte la réalité des razzias et les interprétations religieuses ayant servi à justifier l’exploitation des Noirs.
Si l’on en croit un article du site lisapoyakama.org, « Lorsqu’une nation est envahie, il y a toujours trois catégories de réponses à l’envahisseur : ceux qui résistent jusqu’au bout, ceux qui collaborent sous la contrainte, parce qu’ils n’ont d’autre choix, et les traîtres qui collaborent de gré avec l’ennemi. » Le texte cite l’exemple de la France sous Pétain, qui a collaboré avec l’Allemagne et livré ses citoyens au Troisième Reich, notamment des Juifs transportés dans les wagons de la SNCF. « Mais on n’a jamais entendu dire que les Français étaient responsables de la Shoah (le génocide juif), ou même que des Blancs ont livré des Blancs. » Selon la publication, « Lorsqu’un événement de ce genre se produit, l’histoire le relate toujours en mettant en parallèle les trois groupes de personnes selon leurs réactions. Dans le cas de l’Afrique pendant l’esclavage, on fait comme si seuls des traîtres avaient existé. On ne se gêne même pas pour les qualifier de traîtres, puisque vous savez… c’est normal pour les Africains de se vendre les uns les autres depuis la nuit des temps. »
Il est donc crucial d’aborder ces questions avec courage afin que la communauté noire soit correctement informée.
L’engagement du Togo, représenté par son ministre des Affaires étrangères Robert Dussey, a été salué par Claudy Siar. Il rappelle que ce vote historique aurait dû être amplement couvert par les médias africains et suscité d’intenses débats publics. « Cela aurait dû faire l’ouverture des journaux télévisés, être débattu dans les émissions de talk-show », insiste-t-il, à la fois sidéré et indigné par cette indifférence. Le journaliste s’interroge également sur la conception de la souveraineté en Afrique, affirmant que celle-ci ne se résume pas à une question économique. Pour lui, la dignité ne s’achète pas avec l’argent, mais se construit par la capacité à affirmer son identité, à revendiquer son histoire et à agir en conséquence.
Son message est un appel à une prise de conscience collective, invitant les médias africains à jouer leur rôle dans la construction d’une mémoire et d’une souveraineté intellectuelle. « Le jour où vous voudrez parler vraiment de panafricanisme, de volonté de développer notre continent, de changer l’éducation pour les jeunes, vous viendrez me voir », lance-t-il, pointant du doigt l’incohérence de certains discours.
Ce plaidoyer de Claudy Siar souligne qu’il est nécessaire que la bataille pour la reconnaissance de l’histoire de l’Afrique s’accompagne d’une mobilisation médiatique et citoyenne pour que ce passé soit entièrement intégré dans la conscience collective africaine.
Axel Illary