Depuis des siècles, le récit hégémonique s’acharne à arracher l’Égypte antique à ses racines africaines. À l’heure où l’histoire devient un terrain de lutte, les Noirs doivent impérativement prendre conscience que ce territoire fait partie intégrante de leur héritage. La connaissance de cette Antiquité est cruciale pour éclairer le présent et bâtir l’avenir.
« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. » La célèbre maxime d’Antoine Lavoisier ne décrit pas seulement les lois de la matière. Formulée à propos de la chimie, cette observation dépasse nettement le cadre scientifique. Elle illustre avec justesse la dynamique des sociétés humaines. Ce que nous vivons aujourd’hui n’est pas le fruit du hasard. Les institutions, les pensées, les expressions culturelles découlent du passé. S’intéresser à l’Antiquité, c’est comprendre les racines du présent pour construire demain.
Le présent hérite du passé
Les sociétés contemporaines sont construites à partir des héritages antiques. Par exemple, le droit romain continue d’influencer les lois, et la démocratie athénienne a jeté les bases de certains régimes politiques. Les célèbres mythes et les œuvres de l’Antiquité occidentale, des épopées d’Homère aux tragédies de Sophocle, en passant par les écrits de Virgile, nourrissent l’imaginaire. Ces récits, loin d’être poussiéreux, traversent les époques et renaissent sans cesse dans les arts.
Sur le plan philosophique, les grandes questions posées, entre autres, par Socrate, Aristote ou Épicure – telles que : qu’est-ce que la justice ? Qu’est-ce que la liberté ? Qu’est-ce que le bonheur ? – continuent d’être au cœur des réflexions et des débats.
Pourtant, un aspect fondamental de l’Antiquité a longtemps été marginalisé dans l’historiographie dominante. Il concerne l’apport de l’Égypte antique, matrice d’une civilisation africaine noire, qui a alimenté bien plus que les fondements de l’Occident, mais dont l’histoire a été largement falsifiée.
En effet, l’Égypte ancienne, berceau de nombreuses innovations politiques, spirituelles et scientifiques, a pendant des siècles été délibérément séparée du reste du continent africain dans les récits historiques dominants. On a arraché Kama – le « pays noir » – de son terreau africain pour le rattacher à d’autres civilisations, effaçant ainsi une part essentielle de l’identité noire. En conséquence, une grande partie des Noirs se trouve déconnectée de cette terre et peine à se reconnaître dans son histoire.
Redécouvrir l’Antiquité, pour un Africain aujourd’hui, est un acte de mémoire, de justice et de réappropriation, qui rappelle que les premiers bâtisseurs de la civilisation, ceux qui ont érigé les monuments, les penseurs des cosmogonies les plus anciennes et les inventeurs des premières formes d’État organisé étaient des hommes et des femmes Noirs.
Ainsi, les conceptions du droit trouvent leurs premières esquisses en Égypte antique, qui a également jeté les bases d’un héritage collectif dans les domaines de la science, de la philosophie, de l’art, de l’architecture et bien d’autres. Les systèmes d’irrigation les plus anciens sont d’ailleurs apparus au bord du Nil, dans cette Égypte pionnière, précédant Athènes.
Cela dit, l’Égypte antique est à la source de nombreux principes fondamentaux qui continuent d’inspirer le monde d’aujourd’hui.
La réappropriation de la Maât, fondée sur l’harmonie du monde, la justice, la vérité, le respect de l’ordre naturel et du vivant, est un moyen de renouer avec la civilisation africaine, longtemps éclipsée par l’héritage gréco-romain.
Ce concept a nourri les premières idées sur le droit naturel, l’ordre social et la gouvernance. Bien avant Athènes et Rome, c’est au bord du Nil que l’on a jeté les bases de l’organisation politique et sociale, mais aussi de l’organisation de la pensée religieuse et philosophique.
Pour les Africains, se réapproprier cet héritage, c’est réintégrer une part fondamentale de leur identité.
Les religions abrahamiques et leur héritage égyptien
Il est crucial de savoir que les religions abrahamiques, considérées comme une rupture avec les traditions antiques, sont en réalité des héritières de l’Égypte antique. Si le christianisme, l’islam et le judaïsme se sont affirmés avec des principes théologiques distincts, beaucoup de symboles, de pratiques rituelles et de structures religieuses trouvent leurs racines dans les pratiques religieuses de l’Égypte ancienne. Les idées de résurrection, de jugement final et d’immortalité de l’âme, qui sont au cœur des religions abrahamiques, ont des antécédents dans les croyances égyptiennes. L’idée de Maât, en particulier, était une valeur universelle : la justice divine, qui devait régir la relation de l’humain avec le divin, avait un impact sur la vision du monde des croyants de ces religions.
L’Égypte antique, au cœur de la civilisation africaine, a donc joué un rôle central dans la formation des concepts religieux, politiques et philosophiques qui structurent la société contemporaine.
S’inspirer de l’Antiquité pour construire demain
Face aux enjeux de notre époque, l’Antiquité offre des ressources pour penser autrement. Elle sert de guide pour l’avenir, enseignant que l’histoire est un mouvement perpétuel. Chaque époque s’enrichit des transformations des précédentes, et c’est cette mémoire vivante, ces héritages en constante évolution, qui doivent être préservés. Pour ce faire, il est nécessaire que les Africains s’affranchissent des récits qui ont dépossédé l’Égypte de ses racines africaines et qu’ils assument sans réserve leur héritage antique.
Axel Illary