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    La Liberté d'Informer

    Langues maternelles à l’école en Côte d’Ivoire : une initiative saluée mais mal préparée

    ByLa Dépêche d'Abidjan

    Mai 10, 2025

    Le gouvernement ivoirien a lancé un projet d’introduction des langues maternelles, dont le dioula, dans le système éducatif. Ce programme pilote, qui concerne actuellement 37 écoles, vise à valoriser les langues locales, à améliorer la compréhension des élèves et à lutter contre la disparition de ces langues. Cependant, plusieurs voix s’élèvent pour dénoncer un manque de préparation.

    Parmi elles, celle de Traoré Adama, directeur de l’Institut Kemet Maat Cheikh Anta Diop, qui tire la sonnette d’alarme, dans une interview vidéo accordée à La Dépêche d’Abidjan  : « À priori, c’est une bonne chose, mais cela va être, à notre avis, une chose catastrophique, parce qu’elle n’est pas préparée d’avance. » Pour lui, cette décision gouvernementale est risquée, d’autant plus que le pays a déjà connu un échec dans ce domaine.

    Un déficit de sensibilisation et de planification

    Selon Traoré Adama, l’un des problèmes majeurs reste l’absence de sensibilisation et d’éducation du grand public sur la question des langues. « On ne peut pas introduire des langues sans procéder, au préalable, à l’éducation de notre peuple. » Il souligne le caractère sensible de cette réforme dans un pays où le tribalisme reste une réalité et où la cartographie linguistique héritée de Maurice Delafosse, mentionnant 66 langues, alimente les divisions.

    Or, pour Traoré Adama, cette vision est erronée, car « la Côte d’Ivoire ne compte pas 66 langues indépendantes, mais plutôt des langues regroupées en grandes familles linguistiques. Ainsi, les Krou et les Akan appartiennent au groupe Kwa, lui-même intégré à la vaste famille Niger-Congo, à laquelle sont rattachées toutes les langues ivoiriennes. Il s’agit donc, selon lui, d’un patrimoine linguistique partagé, ancré historiquement et culturellement dans une même matrice.

    Un impératif continental ignoré

    L’introduction des langues africaines à l’école n’est pas une initiative strictement locale. Elle s’inscrit dans un engagement continental, conformément aux recommandations de la Charte de la Renaissance culturelle africaine, adoptée en 2006 par les chefs d’État africains au Soudan, texte ratifié par la Côte d’Ivoire et désormais en vigueur. Dans son Titre IV, cette charte invite les États à élaborer des politiques linguistiques et à mettre en œuvre des réformes éducatives intégrant les langues nationales, en vue de favoriser le développement culturel, économique, ainsi que l’intégration régionale.

    Pourtant, cette orientation politique reste peu visible. Il n’y a pas de communication claire sur le sujet. La Côte d’Ivoire, à l’instar de nombreux autres pays africains, ne fait pas connaître la Charte de la Renaissance culturelle africaine ni les mesures prévues par ce texte, dont la mise en œuvre reste lente.

    Une réforme à refonder avec les experts

    Dans le but d’atténuer les réticences, Traoré Adama appelle à un travail d’explication, afin de montrer que les langues locales partagent des racines communes et relèvent d’une même culture. Il mentionne en effet que « ces parlers sont des variétés linguistiques incluses dans un même continuum culturel », et que « la culture krou ou akan n’existe pas en tant que telle : c’est la culture africaine, une même manière de voir le monde, de philosopher, de créer des proverbes, de faire de l’humour, de compter, de parler, etc. » C’est pourquoi, selon lui, « il faut enseigner, par exemple, à celui qui est de l’Ouest que tous les dialectes – car ce sont en réalité des variétés linguistiques – appartiennent à une même langue. » En effet, poursuit-il, « toutes les langues africaines, y compris les langues ivoiriennes, sont apparentées à l’égyptien ancien, à la langue de l’Égypte ancienne. »

    En conclusion, le directeur de l’Institut Kemet Maat Cheikh Anta Diop appelle le gouvernement à associer les chercheurs, linguistes et anthropologues pour bâtir une stratégie cohérente, inclusive et durable. « Le gouvernement devrait faire appel aux spécialistes de la question pour les aider à trouver la bonne méthode à utiliser pour réussir l’introduction des langues. »

    Axel Illary

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