Laurent Gbagbo a traité ses adversaires politiques de gaous, samedi 7 juin, lors d’un meeting à Port-Bouët. Si l’on peut y voir une pique de circonstance, ce terme issu de l’argot ivoirien renvoie à une réalité qui concerne une grande partie de la communauté noire, encore déconnectée de son histoire et qui vénère les dieux des autres, les dieux de ses oppresseurs.
En Côte d’Ivoire, « gaou » est un terme bien ancré dans le langage populaire. Il désigne celui qui ne comprend pas les codes, celui qui se laisse tromper, l’ignorant, le naïf, etc. On lance souvent ce mot à la volée, dans un éclat de rire, comme une moquerie sans gravité. Mais que se passe-t-il si l’on prend ce terme au sérieux ? L’expression « gaou » peut en effet être utilisée dans différents contextes. Par exemple, elle peut servir à qualifier un peuple qui persiste à tourner le dos à son histoire, à son identité.
Le poids de l’ignorance
L’Afrique est le berceau de l’humanité. Sa terre a vu germer des civilisations anciennes parmi les plus avancées de l’histoire humaine. Pourtant, cette mémoire reste peu transmise, peu valorisée, parfois même niée.
Comment expliquer que des millions de Noirs, issus d’un continent aussi riche d’histoire, méconnaissent leurs racines ?
Pourquoi méprisent-ils si souvent leur culture au profit de récits importés, qui les ont longtemps marginalisés ou déshumanisés ?
Comment se fait-il que des Noirs continuent à vénérer un dieu étranger, blanc ou arabe, qui ne reflète pas leur culture ?
Pourquoi des millions de Noirs, sur le continent et dans la diaspora, adhèrent aux religions abrahamiques, qui ont justifié et accompagné la traite négrière, l’esclavage, la colonisation et favorisé l’effacement culturel, si ce n’est par ignorance ?
Des croyances héritées de la domination
Le christianisme et l’islam, aujourd’hui très présents en Afrique, sont nés hors du continent. Leur expansion s’est faite au prix de la destruction des croyances locales, de la conversion forcée et de l’effacement culturel.
À cela s’ajoute l’assimilation, par la population africaine elle-même, de récits dévalorisants véhiculés par ces religions importées, qui réduisent l’Afrique à un territoire à civiliser, à conquérir et à évangéliser. L’adhésion massive à ces religions importées, malgré leurs liens historiques avec la traite négrière, l’esclavage et la colonisation, est le fruit d’une aliénation spirituelle et non d’un choix éclairé.
Sortir du statut de « gaou »
Tant que les Noirs continueront de prier des dieux qui ne leur ressemblent pas, de réciter des textes qui ont nié leur humanité et d’ignorer leur propre héritage culturel, ils resteront des « gaous », au sens d’un peuple qui a perdu ses repères et qui s’identifie à travers ceux qui l’ont soumis.
Pour sortir de cette impasse, ils doivent se libérer de ces croyances exogènes pour retrouver leur spiritualité, leur dignité et leur fierté, autrement dit, reconquérir tout ce qui leur a été arraché.
Axel Illary