Alassane Ouattara sur RFI : “Laurent Gbagbo est là où il mérite d’être”

Radio France International : Un an après, les Ivoiriens se posent la question de savoir ce qui a vraiment changé. Certaines ménagères commencent à se poser des questions. Elles se demandent si ce n’est pas pareil ou même pire qu’avant. Naturellement, elles sont peut-être un peu sévères. Quant aux hommes d’affaires, ils se demandent à quand la pluie de dollars qu’on leur avait promis, puisque pour l’instant, d’après quelqu’un, ils ne voient que les gages. Aujourd’hui, le président Alassane Dramane Ouattara accepte de nous recevoir pour nous parler de cette première année. Où sont donc passés ces milliards de dollars que l’on attendait. Quand est-ce que la paix revient en Côte d’Ivoire de façon définitive ? La réconciliation nationale, où en est-on aujourd’hui avec ? Voilà les questions que nous allons lui poser aujourd’hui dans le débat africain, ce dimanche et en direct à Abidjan, dans ce Palais prestigieux. Car, y travaillait le Président Houphouët-Boigny, qu’il a connu en tant que Premier ministre. Beaucoup d’Ivoiriens ont voté pour vous en se disant qu’ils auront un grand économiste reconnu pour pouvoir leur ramener des millions de dollars et reconstruire la Côte d’Ivoire. Certains commencent à se demander s’ils ne sont pas trompés. Alors où sont donc ces millions de dollars promis ?

Alassane Ouattara : Je vous remercie. S’il y a un signe d’impatience, c’est peut-être parce que ça va mieux. Il y a un an, la Côte d’Ivoire sortait d’une grave crise postélectorale avec des milliers de cadavres dans les rues. Une situation où une épidémie de choléra était quasiment à nos portes. Les infrastructures étaient détruites, les armes circulaient partout dans le pays. Il y avait des endroits de non droit dans ce pays. Personne ne venait ici, les avions étaient vides, ainsi de suite. Mais ce n’est pas cela qui m’intéresse. Ce qui m’importe, c’est le présent et le futur. J’ai fait ma campagne sur la base d’un programme sur cinq ans. En réalité, cela fait une année que je suis là. Puisque nous avons quasiment perdu cinq mois à cause de cette crise postélectorale. On me jugera au résultat à la fin de mon mandat. Mais dès à présent, je peux vous dire que j’ai trouvé un Etat effondré, une administration inexistante, des infrastructures totalement dégradées. Un pays en ruine en réalité. Alors tout est à reconstruire. Mais depuis mon arrivée, il y a eu des centaines de millions de dollars qui ont été utilisés à faire les choses les plus urgentes, à donner des médicaments, à donner des fournitures aux élèves, à faire en sorte de réhabiliter des infrastructures élémentaires tels que les hôpitaux, les centres de santé, à réhabiliter les écoles, à faire en sorte que les universités qui étaient en état de ruine soient réhabilitées. C’est des centaines de milliards que nous avons consacrés à tout ça. Par conséquent, moi, je considère que les choses vont aller beaucoup plus vite maintenant. La vie chère est une réalité. Ce n’est pas parce que c’est une réalité dans le monde que je ne m’en préoccupe pas, en ce qui concerne la Côte d’Ivoire.
Nous avons des produits de base dont les prix ont augmenté pour diverses raisons : importations, baisse de l’Euro, etc. Donc, il y a des facteurs que nous ne contrôlons pas. Par conséquent, il y a un circuit de corruption sur toute la filière. Il y a aussi le problème d’évacuation des produits de l’intérieur vers la capitale. Nous sommes en train de régler tout cela.

RFI : Dans les premiers mois, vous avez commencé à régler par exemple le problème de la corruption. Mais on a l’impression qu’elle revient de manière plus significative à travers des personnes qui sont arrivées avec vous aux affaires.

ADO : Là, ça serait très grave. Ces personnes qui sont avec moi ont signé un code d’éthique. Si nous avons des preuves qu’un seul a commis un acte délictueux, la personne sera virée du gouvernement, elles le savent. Je leur ai dit, je le leur ai répété à l’occasion du remaniement ministériel. Donc je suis patient, ce qui importe, c’est de faire en sorte qu’on améliore la situation des Ivoiriens, y compris leur quotidien. La situation des Ivoiriens, ça veut dire avoir des infrastructures, des écoles, des centres de santé, des hôpitaux, de l’eau potable, de l’électricité. Dans beaucoup de régions, il n’y avait plus d’eau potable. A Abidjan, nous ne pouvions pourvoir que 50 % de la consommation.

RFI : Qu’est-ce qui a changé ?

ADO : Nous sommes à 75 % maintenant. Vous pouvez tomber sur des gens pour lesquels les choses n’ont pas changé. Mais dans un an, il y aura de l’eau potable à 100 % au niveau de la consommation des villes. Nous avons des projets qui sont en phase avec cela. J’étais à l’ouest récemment. Si je prends une ville comme Duékoué, la provision d’eau potable était de 50 %. Nous sommes montés à 75 %. D’ici la fin de l’année, nous allons monter à 100 %, pas seulement pour Duékoué ou Man, mais pour tout l’ouest de la Côte d’Ivoire. Nous serons à 100 % de la provision d’eau partout où il y a de l’eau potable.

RFI : Vous citez ces grands investissements. Mais le citoyen lambda se pose la question de savoir : ‘’en attendant nous, on fait comment ?’’ Beaucoup d’argent circule, l’Etat doit beaucoup d’argent qui n’atteint pas l’intérieur. Comment pouvez-vous convaincre que quelque chose a bougé ?

ADO : M. Alain Foka, les choses ont bien bougé. Comme je vous le disais, il n’y avait pas d’infrastructures, il n’y avait pas de médicaments dans les hôpitaux, il n’y avait pas du tout d’école. L’université était délabrée. Il y a un certain nombre de grands et de petits projets qu’il fallait mettre en ?uvre. C’est pour cela que j’ai mis en place, un programme présidentiel d’urgence. Cela étant fait, la question du panier de la ménagère est un problème réel. Mais, on ne peut pas le résoudre en un mois ou deux. Avec la flambée actuelle du prix du pétrole, avec l’environnent international, c’est partout que le problème se pose. Mon ambition, c’est d’améliorer le pouvoir d’achat des Ivoiriens et c’est ce que nous sommes en train de faire.

RFI : Mais comment ?

ADO : Quand nous aurons des recettes plus fortes, parce qu’il y a une meilleure gouvernance en matière de finance publique, nous pourrions procéder à une amélioration surtout des salaires les plus faibles. Quand nous serons en mesure de mieux contrôler les dépenses et surtout de sortir de toutes ces dépenses inutiles qui sont dans le circuit, nous pourrions nous concentrer sur les secteurs et faire beaucoup plus de social. Quand nous allons mettre en ?uvre notre programme de production par exemple de riz, nous pourrons importer moins de riz.

RFI : Mais tout cela prend du temps.

ADO : Oui, c’est normal que cela prenne du temps. Je comprends l’impatience des Ivoiriens. Ce sont des choses qui prennent du temps et il faut prendre le temps de bien les régler. Rien n’a été fait pendant dix ans. En un an, nous avons fait plus qu’en dix ans et nous continuons. Dans deux ans, dans trois ans, vous verrez que la Côte d’Ivoire a tout un autre visage et surtout que les Ivoiriens seront dans les meilleures conditions de vie en matière d’écoles, en matière d’universités, en matière de centres de santé, d’hôpitaux et de routes. Je tiendrai mes promesses.

RFI : Pour que vous repreniez une vraie relance économique, de nombreuses entreprises ivoiriennes attendent de vous, l’aide promise au lendemain de la fin de la crise postélectorale. Elles Attendent l’aide à la fois promise par la France et par vous-mêmes, notamment pour l’indemnisation des entreprises qui avaient été fortement sinistrées. Où en est-on avec l’indemnisation des entreprises ?

ADO : L’indemnisation a eu lieu pour un certain nombre d’entreprises. Les fonds ont été dégagés, je crois, deux fois six milliards. Le groupement des entreprises a décidé de la manière dont les ressources devraient être réparties. En ce qui concerne les arriérés de non-paiements qui ont été contractés par le régime précédent, j’ai décidé de faire un audit parce qu’il y a beaucoup de surfacturation, beaucoup de fausses factures, nous devons faire le point, régler ces problèmes avant de procéder au paiement de ces arriérés. Nous allons le faire, parce que nous avons des ressources pour le faire. Mais je ne le ferai pas tant que je n’aurai pas la certitude que nous n’allons pas payer de fausses factures. En matière de croissance économique, en matière de stabilisation financière, la Côte d’Ivoire, l’année dernière, a eu une chute de sa richesse nationale qu’on appelle le produit intérieur brut, de 5 %. Cette année, nos estimations sont que nous serons à une croissance de plus de 8 %. Ca veut dire que ça va mieux. Cette croissance, bien qu’elle soit forte n’est pas encore descendue au niveau du panier de la ménagère. Ce qui est normal, parce que cette croissance est tirée par les investissements, les gros investissements. L’université, les hôpitaux, les routes, la création d’emplois dans ces secteurs. C’est également l’un des points importants de mon programme. Je suis confiant en ce qui concerne l’aspect économique, l’aspect financier. Nous avons trouvé un pays qui a des déficits partout. Des entreprises publiques telles que la SIR était au bord de la faillite. Il fallait les restructurer. Qu’est ce que cela veut dire ? Que quand une entreprise fait un déficit de 100 milliard en un an, nous éliminons ces déficits. Ça veut dire que l’année d’après, cette entreprise, non seulement créera des emplois, mais également va dégager des bénéfices qui permettront de faire des investissements et de contribuer à réguler de manière plus raisonnable le prix des produits qui sortent de leurs usines. Il y a tout un programme, il y a tout un plan. Et cela se déroule normalement. Je peux comprendre l’impatience de mes compatriotes. Mais cette impatience est due au fait que ça va mieux.

RFI : C’était il y a un an, il prenait afin le pouvoir après une longue crise postélectorale, promettant le retour à la paix, la réconciliation nationale et la relance économique. Un an après où en est-on en Côte d’Ivoire ? Un an après, qu’a-t-on fait ? Le Président Alassane Ouattara qui est ce dimanche l’invité du débat africain et qui en parle avec nous aujourd’hui dans ce merveilleux bureau du Président Félix Houphouët-Boigny qu’il occupe. Un an après, il avait promis la réconciliation nationale. Le seul geste que l’on ait vu et qui peut-être a rendu les choses un peu difficiles, c’est l’extradition du président Laurent Gbagbo à la Haye. Un an après, pourquoi n’y a-t-il pas de procès ? Pourquoi est-ce que c’est lui seul qui répond finalement de ce qui s’est passé dans ce pays, devant une justice internationale en plus ?

ADO : Vous êtes un peu sévère de dire qu’un an après, il n’y a eu que l’extradition de l’ancien président de la République. L’ancien président est à la place qu’il mérite. Puisqu’il a commis des crimes graves, des crimes contre l’humanité. Il est jugé à La Haye parce que, jugé ici, cela aurait donné le sentiment que la justice n’est pas équitable. Là où il est, la justice est réputée indépendante, elle est équitable. Tournons cette page. Il a été le chef suprême des Armées et cette Armée a tué plus de 3000 personnes. Je ne voudrais pas insister sur cette question. Parler trop de cela voudrait dire que nous voulons nous mêler de ce que la justice va faire à La Haye. Laissez La Haye faire son travail.

RFI : Il n’était pas le seul ?

ADO : Oui, mais il était le responsable suprême. Il avait prêté serment de défendre et de protéger les Ivoiriens. Ce qu’il n’a pas fait. Je ne suis pas le juge. Pour les autres aspects, nous avons mis en place dès le mois de mai, une Commission dialogue, vérité et réconciliation qui est présidé par l’ancien Premier ministre Charles Konan Banny, qui fait son travail. J’espère qu’il me donnera bientôt une liste des personnes à indemniser. Cette liste nous permettra de commencer l’indemnisation. S’il faut dégager 50 ou 100 milliards de FCFA, nous le ferons pour procéder à ces indemnisations. Nous avons une détermination à aller le plus loin pour réconcilier les Ivoiriens sur l’ensemble du territoire.

RFI : Pourquoi, Monsieur le Président, les gens qu’on rencontre disent qu’ils ont l’impression que vous êtes en tarin de vous entourer des gens de votre région du nord au détriment du reste du pays et que ce n’est pas cela qui va permettre la réconciliation ?

ADO : Je pense que c’est une fausse querelle. Prenez le gouvernement, vous verrez qu’il est très équilibré. C’est un gouvernement essentiellement des partis qui ont soutenu ma victoire, donc le PDCI et l’UDPCI plus mon propre parti, le RDR. C’est un gouvernement composé d’hommes de compétence et de qualité. En deuxième lieu, prenez les grandes institutions de l’Etat vous verrez également des responsables du sud, du centre, de l’ouest, du nord, de l’est. J’ai tenu à faire cela parce que ce sont des nominations qui sont de mon ressort. Pour le reste, j’ai indiqué à chaque ministre qu’il lui appartient de faire de la diversité.

RFI : Du « rattrapage » comme le disent certaines personnes, monsieur le Président ?

ADO : Non, vous savez ce sont des mots creux, qui n’ont aucune signification. Je ne vois pas qu’est-ce qu’il y a à rattraper. Il n’y a rien du tout à rattraper. Il faut nommer des gens compétents. Il faut nommer des personnes qui ont de l’expérience et des personnes qui veulent contribuer au redressement de la Côte d’Ivoire. C’est ce que nous faisons. Maintenant, quelle que soit la région de la personne, cela m’importe peu. Les seules nominations où il faut de l’équilibre, ce sont les nominations faites par décrets, par le président de la République, les Institutions et le gouvernement. Vous verrez que cela a été respecté. Ceci étant, allons beaucoup plus loin. La Côte d’Ivoire a été divisée pendant longtemps, c’est un point important. Le chef de l’Etat d’alors faisait des discours qui divisaient les Ivoiriens, de manière permanente. Le message de réconciliation doit venir d’abord du chef de l’Etat. C’est ce que je fais. Prenez tous mes discours, j’en appelle à la réconciliation, au rassemblement, au pardon. Je profite de cette occasion pour le dire à nouveau. Nous devons nous réconcilier en Côte d’Ivoire. Cette réconciliation est indispensable si nous voulons faire avancer notre pays. Nous avons un pays qui a beaucoup d’opportunités. Les Ivoiriens ne peuvent pas rester divisés sur de fausses querelles et sur l’intoxication qui a habité ce pays pendant une dizaine d’années.

RFI : Pour que cette réconciliation avance, ne devrait-on pas, au moins, commencer les procès de ceux qui sont détenus ?

ADO : (il coupe le journaliste, ndlr), M. Foka, mais il faut que les Africains apprennent à construire des Etats de droit. La Côte d’Ivoire est maintenant un Etat de droit. L’exécutif ne peut pas intervenir dans ce qui se fait au niveau de la justice. La justice a son calendrier. Ce que je recommande à la justice, c’est de faire en sorte que ce calendrier soit exécuté d’une manière accélérée. Je ne peux aller dire à un juge de condamner telle ou telle personne.

RFI : Ne protégez-vous pas ceux qui ont combattu pour vous ?

ADO : Non et non ! Vous savez, je suis allé très loin. J’ai mis en place, il y a près de neuf mois, une commission nationale d’enquête. Il n’y aura aucune protection de qui que ce soit.

RFI : Même des anciens Com’zones ?

ADO : Je ne fais pas de procès d’intention. Je suis le Président de tous les Ivoiriens. Je traiterai à égalité tous les Ivoiriens. Ce rapport de la commission sera rendu public et la justice sera destinataire de ce rapport et devra entreprendre tous les procès qui sont de son ressort. Les sanctions qui devront être prises seront prises par la Justice. Ce n’est pas le président de la République, chef de l’exécutif, qui doit dicter à la justice son recours et les personnes à sanctionner. Je tiens beaucoup à cela.

RFI : Même si cela perturbe votre calendrier, finalement au bout d’un an vous permettrez que certaines personnes se posent la question de savoir quand est-ce que ceux qui ont commis des crimes dans votre camp seront punis ?

ADO : Il y a des préjugés, il y a des suspicions, ce n’est pas cela la justice. La justice, c’est qu’il doit y avoir des enquêtes. Même quand un cas est porté à la connaissance du juge, si ce n’est pas un cas de flagrant délit, le juge doit faire son enquête. C’est ce qui est en cours. La justice le fera à son rythme et les résultats seront rendus publics et les procès commenceront. Tous les citoyens sont égaux. Il n’y a pas de personnes plus influentes que d’autres. Le fait que quelqu’un a exercé des responsabilités, si la personne est coupable, elle doit se retrouver devant la justice. Ceci étant, j’ai montré ma bonne volonté. Au moment de former le gouvernement, j’ai proposé à Mamadou koulibaly et à son parti d’alors, le FPI…

RFI : Mais Koulibaly n’est plus au FPI…

ADO : Ça, c’est son affaire… J’ai donc demandé au FPI d’intégrer le gouvernement, il n’a pas accepté. A l’occasion des élections législatives, j’ai reçu le même FPI et ses partis alliés, pendant plus d’une heure d’horloge. Je les ai encouragés à venir dans ce processus, ils ne l’ont pas accepté. Nous, nous continuons. J’ai été élu pour 5 ans, j’ai un programme, j’ai un gouvernement. Nous exécutons notre programme sur la base duquel nous avons été élus. Vous savez, tous ces marchandages, ces discussions, ces arrangements ne sont pas ma façon de fonctionner. Les Ivoiriens m’ont élu pour 5 ans. J’assumerai et j’exercerai pleinement ce mandat. Je suis prêt à l’ouverture. Je l’ai proposé, ça na pas marché. Maintenant, nous continuons. Quand le FPI voudra bien revenir dans le processus, je m’en réjouirai. Mais s’il décide de rester en dehors…

RFI : Les discussions restent en cours ?

ADO : Oui, le Premier ministre a reçu l’opposition. Ils ont eu de bons échanges, mais j’ai constaté que le FPI n’a pas voulu signer les conclusions de cette rencontre. Il appartiendra au FPI de choisir de rentrer dans ce processus ou de rester en marge. Mais la Côte d’Ivoire continue.

RFI : Pour terminer avec la question proprement ivoirienne, quand est-ce que vous promettez un changement véritablement dans le panier de la ménagère en Côte d’Ivoire. Quand est-ce que, enfin, on va voir frémir la situation économique dans les ménages ici en Côte d’Ivoire ?

ADO : Comme le diraient les Anglophones, j’aimerais que ce soit hier. (Rires, ndlr). Mais, nous prenons des mesures. Nous faisons du travail. Nous voulons même arriver à l’autosuffisance, nous voulons arriver à l’exportation des produits vivriers, nous voulons réparer les pistes pour que les produits puissent être évacués sur les grandes villes. Ceci prend un peu de temps. Mais je suis déterminé à le faire. Je suis un économiste. Je peux vous dire que c’est mon objectif principal en ce moment, parce que j’ai entendu le cri des Ivoiriens concernant la cherté de la vie. C’est ma priorité en ce moment, puisque j’ai pu résoudre les problèmes macro-économiques. Nous avons résolu les problèmes de sécurité. Nous sommes en train de résoudre les questions de diplomaties nationales et internationales. J’ai été élu pour 5 ans. Ceci n’attendra pas 5 ans. Nous allons résoudre ces problèmes, parce que j’ai les moyens de le faire.

RFI: Est-ce qu’en atteignant l’initiative PPTE, cela ne va pas arranger la situation ?

ADO : Vous savez, il faut que les Africains arrêtent de penser à l’aide extérieur pour résoudre nos problèmes. C’est avec notre argent et le contrôle de nos dépenses que nous résoudrons nos problèmes en Côte d’Ivoire. Je suis en train de faire augmenter les recettes. Les recettes fiscales, notamment sont à des niveaux élevés par rapport à l’année dernière, parce que la douane et les impôts fonctionnent mieux, parce qu’il y a beaucoup plus d’activités. Nous sommes surtout en train de réduire les dépenses, les dépenses improductives et inutiles. Ce qui va dégager des marges. Ces marges pourront être appliquées à d’autres choses, aux investissements, à réduire la fiscalité sur telle ou telle chose, peut-être le riz, peut-être sur d’autres produits importés pour que le panier de la ménagère soit allégé.

RFI : Les Ivoiriens sont impatients.

ADO : Je souhaite faire les choses de manière rationnelle. Cette impatience est la preuve que ça va mieux.

RFI : La France, M le Président, a promis de vous accompagner dans votre aventure, qui vous a installé au pouvoir…

ADO : (il coupe) Non, non, non ! La France ne m’a pas installé. J’ai été élu démocratiquement par les Ivoiriens. Il y a eu cette crise postélectorale. Les Nations unies ont pris une résolution parce que les Nations unies avaient supervisé cette élection. A l’issue du scrutin, le président sortant n’a pas voulu partir, des armes lourdes étaient utilisées contre les populations. Au vu de cela, les Nations unies ont demandé l’intervention des forces de l’ONUCI. Et comme les questions de sécurité sont réparties par zone, la France a eu l’obligation d’accompagner les Nations unies. Il y a eu donc cette intervention. Cette intervention a permis de régler le problème du départ de l’ancien président. La France avait promis 300 millions d’euro. Cet argent a été décaissé. Savez-vous que pendant trois mois, les Ivoiriens ne recevaient pas un sous pour la plupart, de leur salaire ? Que les fonctionnaires n’étaient pas payés ? Ce montant a permis de payer les arriérés de salaire. Ce qui a été fait était admirable. Cette crise a pris fin le 11 avril. Nous avons un ministre de l’Economie, qui est parmi les meilleurs, qui était à Paris pendant cette période. Charles Diby Koffi a négocié un package pour que dès la mise en place du gouvernement légal, légitime, que nous incarnons, des ressources soient dégagées pour nous permettre d’éponger les arriérés pour les mois de février, de mars et d’avril. C’est ce qui a été fait. Dès fin avril, nous avons pu payer les trois mois de salaire des fonctionnaires. La France a fait sa part en matière de soutien financier et je m’en félicite.

RFI : Entièrement ?

ADO : Oui, vous savez, je ne dépendrai pas de la France pour payer mes salaires. Je considère que la France a fait sa part. Nous avons une dette de gratitude à l’égard de la France, c’est uns très bonne chose. Maintenant, la gestion des finances publiques de la Côte d’Ivoire doit être la seule responsabilité de la Côte d’Ivoire. Moi, je n’irai pas à Paris demander un soutien quelconque pour gérer mon pays. La Côte d’Ivoire a les ressources nécessaires, elle a les cadres qu’il faut. Nous avons eu cette période post-crise qui demandait un soutien ponctuel. Ce soutien a été donné. Maintenant, la page est tournée.

RFI : Que répondez-vous à ceux qui estiment que ce soutien a surtout été donné aux entreprises françaises qui opèrent ici, en Côte d’Ivoire ?

ADO : Ce n’est pas vrai. Les gens disent n’importe quoi. Il y a eu un soutien global. La majorité de ce montant a été utilisé à régler les problèmes des salaires. C’est nous-mêmes qui avons pris sur nos propres ressources pour essayer de régler un certain nombre d’urgences au niveau de certaines entreprises. Les entreprises françaises sont nombreuses en Côte d’Ivoire. Elles procurent quasiment plus de 60% des recettes fiscales. Elles ont une comptabilité régulière, contrairement à beaucoup d’autres entreprises. Le règlement de la dette se fait sur la base de la régularité des opérations. Ce n’est pas une question de choix des entreprises françaises par rapport à d’autres entreprises. Ce n’est pas ma conception des choses.

RFI : il y a un an, l’un des plus grands problèmes dans ce pays, était celui de la sécurité, il y avait des viols, des arrestations arbitraires, il y avait une police qui n’était pas véritablement formée pour cela. Certains ont parlé ici des frères Cissé, (rire ndlr). Aujourd’hui, où est- ce qu’on en est ? Est-ce que c’est restructuré ? Est-ce que les viols ont diminué ? Est-ce qu’on a une vraie force de sécurité en Côte d’Ivoire?

ADO : La sécurité s’est bien améliorée. Vous savez, les indices sont passés de 4 à 1. La Banque africaine de développement revient bientôt parce qu’elle estime que la sécurité est bonne, au même niveau qu’en Tunisie. Les ambassades reviennent. L’ambassade de Grande Bretagne vient de faire revenir son ambassadeur. Beaucoup d’organisations internationales qui étaient absentes sont revenues. Tous les matins, je reçois le rapport de la police sur le nombre de bandits arrêtés, le nombre de viols, le nombre de cadavres qui jonchent les rues. Pratiquement tout est normalisé. De temps en temps, effectivement, il y a une poussée, ça peut durer un ou deux jours, parce que Abidjan est une très grande ville de 6 millions d’habitants. En dehors de cela, je veux aller plus loin. Je veux assurer la quiétude et la tranquillité des Ivoiriens. Je ne veux pas qu’il y ait une quelconque angoisse de mes compatriotes par rapport à ces rumeurs de ceci et de cela. C’est pour cela que j’ai pris moi-même la responsabilité de la Défense.

RFI : N’est-ce pas parce que ça ne marchait pas et qu’il était plus difficile de réunir ces deux armées qui existaient ?

ADO : Non, c’est parce que je veux aller plus loin. Les deux armées sont complètement réunifiées.

RFI : Complètement, M le Président, quand on sait qu’entre eux, ils se battaient quand il fallait faire du sport ?

ADO : Vous venez de confirmer que nous avons fait des progrès considérables. Il y a un an, ce sont des gens qui se battaient même à l’occasion du sport. Nous sommes maintenant dans un environnement où je m’emploie à dire à l’armée en général, que l’Etat de droit doit être respecté.

RFI : Comment allez-vous intégrer toutes ces personnes qui n’avaient aucune formation militaire ?

ADO : Toutes ces personnes n’ont pas été intégrées. Nous avons intégré une dizaine de milliers, le gros reste à démobiliser. Ça c’est un souci que j’ai et sur lequel je suis en train de travailler. C’est un problème important, parce que beaucoup de jeunes ont pris des armes pendant cette période critique pour la Côte d’Ivoire, parce que les policiers et les gendarmes avaient abandonné leurs armes et leur tenue. Les jeunes gens s’en sont accaparés et font aujourd’hui de la résistance. On ne peut pas tous les prendre dans l’armée.

RFI : Qu’est-ce que vous allez en faire ?

ADO : Il faut les démobiliser, ça veut dire, il faut les désarmer. Il faut ensuite leur trouver des emplois. Certains pourront entrer dans l’armée, dans la gendarmerie, dans la police. J’ai pris la Défense précisément pour faire ce travail de restructuration, de démobilisation, de désarmement et surtout de réinsertion. Nous avons un conseil national de sécurité qui se réunit une fois par mois sous ma présidence, avec tous les ministres concernés y compris les ministres de souveraineté, tel que la Justice, l’Economie et les Finances. Nous travaillons à cela.

RFI : Monsieur le président, à votre porte, au Mali, c’est la crise. La crise, après, à la fois le renversement du président Amani Toumani Touré et également l’occupation du Nord par des forces venues de différentes régions. Le Mali est coupé en deux aujourd’hui. Vous qui avez un problème de sécurité, qui redoutiez déjà l’action de vos anciens adversaires des pays voisins, vous êtes à la tête de la cedeao, où en est-on aujourd’hui ? La question malienne, est-ce qu’on n’est pas en train de la botter en touche parce qu’on n’a pas de solution ?

ADO : Non, point du tout. Je confesse que je suis très malheureux de voir ce qui se passe au Mali, parce que c’est un pays auquel je suis très attaché pour diverses raisons. Ce coup d’Etat est inadmissible, intolérable, surtout que maintenant, la concentration n’est plus sur la reconstitution de l’autorité territoriale du Mali. J’en suis malheureux. Je pense que les autorités maliennes doivent se ressaisir et penser d’abord au peuple malien plutôt qu’aux portefeuilles ministériels.

RFI : C’est votre sentiment aujourd’hui ?

ADO : Je le leur ai dit.

RFI : Ce n’est pas une leçon de morale ?

ADO : Ce n’est pas grave. Je suis président en exercice et nous devons assumer nos responsabilités. C’est honteux, cette situation au Mali, parce que la première préoccupation doit être de remettre les deux parties du Mali ensemble. Cette affaire non seulement est en train de créer des problèmes aux Maliens du nord en général mais également aux pays voisins et à l’Afrique de l’Ouest ! Cette région est en train de devenir un nid de terroristes. Nous ne pouvons pas accepter cela, avec toutes ces armes qui y circulent. Alors, le président du Mali est venu me rendre visite, il y a quelques jours. J’ai approché le médiateur et nous avons la même position. La conférence des chefs d’Etat a pris toute une série de mesures pour ramener l’ordre constitutionnel au Mali. Ces mesures sont en train d’être perturbées par l’ex-junte, le Cndre. Nous arrivons bientôt au 22 Mai. Si tout rentre dans l’ordre comme prévu par le sommet des chefs d’Etat, nous en serions très heureux…

RFI : C’est peu probable.

ADO : Ceci permettra de se concentrer sur ce qu’il y a lieu de faire, dans le Nord. Si ce n’est pas le cas, nous remettrons en place toutes les mesures qui ont été suspendues : les sanctions personnelles, diplomatiques, économiques, financières, nous reviendrons à la case départ. Ce serait malheureux que pour des questions de positionnements, de postes, les autorités imposent cela aux Maliens. Je souhaite donc pour ma part, que cette affaire soit réglée avant le 22 Mai à minuit. La conférence des chefs d’Etat avait pris une décision, j’ai demandé la clémence des chefs d’Etat pour que cette mesure soit suspendue. L’embargo, c’est quand même terrible pour les Maliens !

RFI : Mais est-ce que la Cedeao l’appliquera véritablement ?

ADO : Elle avait été appliquée pendant quatre jours. C’était dramatique pour les Maliens. Moi, je ne veux pas qu’on en arrive là. J’ai œuvré, en tant que président en exercice, à suspendre l’embargo, parce que j’en souffrais pour les Maliens. Certains chefs d’Etat m’ont reproché, au dernier sommet, d’avoir pris une mesure unilatérale. Mais je l’ai fait parce que je connais la situation du Mali et des Maliens. Maintenant, si cette classe dirigeante n’arrive pas à s’entendre — ils ont dit, ensemble, toute la classe politique, y compris la société civile, les militaires : ‘’on ne peut pas faire la transition en 40 jours’’. On leur a dit : ‘’on vous donne un délai, jusqu’à un an’’, étant entendu que la priorité est de résoudre le problème de l’intégrité territoriale. Alors, nous décidons ensemble, de renouveler toutes les Institutions : la médiation, la Cour suprême, et même l’Assemblée. Le mandat des députés sera renouvelé pour une année. Cette Assemblée est là, a un président, qui est devenu le président de la république. Mais pourquoi changer ? Pourquoi toutes les Institutions de la république doivent être renouvelées, et le président intérimaire que les Maliens ont voté, en vertu de la Constitution malienne, cela ne doit pas être appliqué ? Pourquoi le président de l’Assemblée qui a été élu par les députés maliens — ce n’est pas nous qui l’avons élu — pourquoi, ine doit-il pas rester pour l’intérim ? Notre position est simple. Nous ne voulons pas nous mêler des décisions maliennes. Nous voulons que ces décisions soient conformes à la Constitution malienne et aux vœux des Maliens exprimés à l’occasion de l’élection de leurs députés.

RFI : Dernière question : la France vient de connaître une alternance, une alternance vis-à-vis d’un ami. Un ami proche, Nicolas Sarkozy, qui a perdu les élections, qui a été avec vous, qui a été l’un de vos soutiens, pendant toute cette période difficile en côte d’Ivoire. Maintenant, François hollande est le nouveau président de la république. Quelle réaction avez-vous ? Etes-vous triste après le départ de votre ami ? Quelle relation avez-vous avec son remplaçant ? Est-ce qu’il vous soutiendra dans ce travail de reconstruction et de réconciliation que vous faites ici ?

ADO : Comme on dit vulgairement : de quoi je me mêle ? Les Français ont voté, ils ont élu un président à qui j’ai adressé mes félicitations. Je souhaite qu’il réussisse parce que c’est dans l’intérêt de la Côte d’Ivoire. La France est un pays qui représente 5% du Pib mondial, qui contribue au commerce, qui a un rôle à jouer et qui joue un rôle important au Fmi et aux Nations unies. Quel que soit le dirigeant français, nous lui souhaitons bonne chance, parce que si ça va bien en France, ça veut dire que la France contribuera à ce que ça aille mieux dans le monde. Et si ça va mieux dans le monde, ça va bien pour la Côte d’Ivoire, d’autant plus que la France est notre premier partenaire, premier exportateur et premier importateur. Je ne veux donc pas me mêler de politique française. C’est l’affaire des Français. Les Ivoiriens m’ont élu pour cinq ans. Je fais mon travail, je fais les choses pour redresser la situation ivoirienne. Je travaillerai avec tous les gouvernements. Je considère que le président Hollande a été élu, que je lui ai adressé un message de félicitation. Je souhaite qu’il réussisse. Nous ferons en sorte de renforcer les excellentes relations qui existent entre la Côte d’Ivoire et la France.

Retranscrits par Thiery Latt et Lancina Ouattara in Le Patriote

Mon, 21 May 2012 05:27:00 +0200

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