Bousculade du Plateau Voici le trou de la mort

On se fraye un chemin pour emprunter un couloir. Des manoeuvres et de simples curieux font des va-et-vient. Sous un arbre, sont déposées des roses. Un bandeau rouge et blanc délimite l’espace situé entre une cabine téléphone et le mur de la grande école du coin. Le couloir débouche sur l’entrée principale d’un chantier fermé par un portail artisanal. Le site se trouve dans la commune du Plateau. A proximité du Stade Félix Houphouet-Boigny, de l’immeuble abritant la représentation de l’Union européenne et de l’hôtel Tiama. C’est un immeuble R+8 prévu sur 1000 mètres carrés avec deux sous-sols qui doit sortir de terre d’ici à huit mois, selon les informations en notre possession. Ce mercredi matin, aucune activité ne se déroule sur l’immense chantier. Cependant, quelques manoeuvres sont présents. Ils devisent par petits groupes. Le vigile en faction note nos identités dans un registre. Puis il annonce notre présence au chef du chantier. Après les civilités, on nous remet deux casques de couleur blanche par mesure de sécurité. Dègla Anicet nous recommande de les porter avant de pénétrer l’espace. «Cela fait partie des mesures de sécurité. En contrebas Depuis l’ouverture du chantier, nous travaillons de jour comme de nuit. Le chantier est totalement éclairé », explique-t-il, pendant que nous descendons les marches fabriquées avec des planches. Puis nous avançons vers le lieu où des fêtards ont vraisemblablement trouvé la mort. Nous traversons en ligne droite le chantier. En contrebas, on aperçoit des piliers en béton et une grue de taille moyenne. Avant de descendre dans le creux, Anicet répète invariablement qu’aucune victime de la bousculade n’a été retrouvée à cet endroit. «Personne n’est tombé dans ce trou et n ‘ y a trouvé la mort. Nos installations sont sécurisées», se défend-il.
Comme pour mettre fin à la polémique naissante. Une probabilité pourtant clairement affirmée hier en début de soirée par le Premier ministre Daniel Kablan Duncan, sur les ondes de RFI. Toujours d’après le chef chantier, en raison de la Saint-Sylvestre, le site a été fermé. Et les ouvriers ont rejoint leurs familles pour célébrer le nouvel an. «Dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier, nous n’avons pas travaillé. Donc, il n’y avait personne sur le chantier. Sauf les deux vigiles qui surveillent nos matériels », ajoute notre interlocuteur. Dans le creux, nous remarquons des pas plus ou moins récents dans la boue. M. Dègla indique que ces traces ont été laissées par des ouvriers qui auraient travaillé la veille. Et que ces derniers auraient cassé un mur en béton mal construit. Il a été impossible pour nous de vérifier cette information. La raison inévoquée. « Ils (les manoeuvres en question) ne sont pas encore revenus. Nous attendons que les choses se normalisent avant de reprendre le chantier », affirme le responsable du site en construction. Lorsque nous remontons à la surface, Ouattara Tidiane s’invite à la discussion. Il est le responsable des agents de sécurité de la zone. Comme Anicet, il soutient aussi qu’aucun des fêtards n’a chuté dans le trou profond de 7,10 mètres.

Des arguments battus en brèche

Informé du drame par les deux vigiles (Mé Kouadio Olivier et Kassa Lamadjouma), Tidiane s’est déporté sur les lieux vingt minute après avoir reçu le message. « Les deux agents qui étaient-là le jour des faits sont de repos. Ils reprennent le travail en début d’après-midi (hier, ndlr). Nous n’avons trouvé aucune victime dans le trou. Ce que j’ai remarqué, c’est que les troncs d’arbre qui avaient été rangés du côté du mur du Stade Félix Houphouet- Boigny se sont retrouvés au milieu de la chaussée. Qui a déplacé ces troncs d’arbres ? », s’interroge-t-il. Joint par téléphone en présence du chef de chantier et du responsable de la sécurité, Mé Kouadio Olivier affirme qu’aucune victime n’a échoué dans le trou. «Mieux, lors de la bousculade, mon collègue et moi avons aidé les gens. Nous avons ouvert notre portail. Et plusieurs personnes ont été évacuées. Elles ont traversé le chantier pour sortir vers l’immeuble Atlas. Les sapeurs pompiers militaires sont arrivés 45 minutes après le drame. Nous sommes descendus ensemble dans le trou pour voir s’il y avait des gens. Mais ils n’ont vu personne dedans », confie le vigile qui a été auditionné mardi par la police criminelle. Avant de prendre congé de nos interlocuteurs, le chef de chantier se targue d’avoir mis en place des mesures de sécurité pour les travailleurs. « Nous recommandons le port d’une ceinture de sécurité pour les travaux en hauteur. Le personnel est tenu de porter des gangs, des lunettes, des chaussures appropriés et des paires de bottes. Ce sont des consignes strictes et nous veillons à cela », insiste-il.

Indices troublants

A l’extérieur du chantier, du côté du Stade Félix Houphouet-Boigny, des passants marquent le pas. Ils jettent un coup d’oeil sur la clôture construite avec des feuilles de tôles. Ils murmurent des paroles puis poursuivent leur chemin. Toutefois, certains crient leur douleur surtout quand ils aperçoivent sur le mur et sur le bitume des traces de sang. Au milieu de la dizaine d’hommes, une femme vêtue d’une robe noire crie sa colère. Elle porte le deuil. «Ce n’est pas normal. Les gens viennent se réjouir et ils trouvent la mort. La clôture a effectivement cédé et les gens se sont retrouvés dans le trou. Ils sont morts après leur chute », soutient-elle. La discussion s’anime. Un homme, habillé d’un tee-shirt de couleur noire et d’un pantalon «jean» se dirige vers nous.
Il est partagé entre tristesse et amertume mais il est lucide. «Il est impossible qu’une foule soit confinée dans un espace. Et que la clôture ne puisse pas céder. Elle a cédé et les gens sont tombés dans le trou», renchérit-il. Lors de nos échanges, nous découvrons que notre interlocuteur est un enquêteur. T.S confie qu’il est sur le terrain pour relever des indices. Selon lui, il existe des pistes qui convergeraient vers la thèse de la chute des victimes dans le trou. Et qu’elles ont été retrouvées mortes là-bas. Il justifie ses propos en faisant trois observations pertinentes. D’abord, les tôles ont été froissées par endroits et elles portent des traces de sang. Ce qui démontre la grande pression de la foule à cet endroit précis. Ensuite, il relève que de nouveaux clous ont été utilisés. Ce qui n’est pas normal. Enfin, il fait remarquer que les piliers de la clôture n’étaient pas solides pour supporter le poids de la foule. « Les piliers ont cédé et les gens sont tombés morts dans le trou», conclut-il.

Ouattara Moussa in Nord-Sud

Sun, 06 Jan 2013 04:25:00 +0100

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