JUDAÏSME, CHRISTIANISME, ISLAM: À QUOI RESSEMBLE LEUR PARADIS

Ce samedi 2 novembre, les catholiques célèbrent les défunts. Ce lendemain de Toussaint pointe vers l’horizon commun à tous les croyants: vivre l’éternité aux côtés de Dieu. Pour impalpable, et soumis au doute qu’il soit, le monde qui attend les morts n’est pas qu’un concept abstrait. Au contraire, textes sacrés et traditions ont bâti un imaginaire et une cartographie du paradis.

“Mon royaume n’est pas de ce monde”, prévient Jésus dans l’Evangile de Jean et le judaïsme comme l’islam soulignent aussi cette discordance des temps. L’au-delà surplombe ainsi l’ici-bas, et le paradis échappe aux regards de l’humanité. Les trois monothéismes en ont cependant livré leurs visions. BFMTV.com s’est tourné vers des spécialistes de la théologie et des questions religieuses pour éclaircir la particularité de chacun des paradis représentés et tenter d’en tracer un panorama.

Le judaïsme est le premier de cordée du monothéisme. Il faut pourtant se garder de le considérer comme gravé dans le marbre, identique et constant des origines à nos jours. Sa conception du devenir des défunts, elle-même, a connu un point de bascule.

Très tôt, dans les livres de la Bible hébraïque, il lui donne même un nom: le sheol. A dire vrai, le monde des morts en reçoit d’autres: Eretz (qui signifie la “terre”), ou encore Bôr (la “fosse”). “Mais sheol est bien le terme générique”, note auprès de nous Daniel Faivre, historien et auteur entre autres de Vivre et mourir dans l’ancien Israël. Pour être générique, il n’en est pas moins obscur. “C’est un terme complexe. Il y a une bonne dizaine d’hypothèses possibles et aucune de vraiment satisfaisante. Le mot sheol n’apparaît pas dans les autres langues sémitiques”, pose le spécialiste qui avance tout de même une piste: “Sheol est d’abord le nom d’une divinité puis on a associé le nom du dieu au lieu.”

Un dieu, à côté du Dieu d’Israël, l’imprononçable Yahvé, la perspective peut étonner. Mais Daniel Faivre appelle à “rompre avec l’image des Hébreux comme peuple monothéiste depuis le début”. “Ils le sont devenus à partir de l’exil à Babylone donc au VIe siècle avant Jésus-Christ. Auparavant, il y avait un dieu principal, national. Il faut donc plutôt parler de monolâtrie que de monothéisme”, poursuit-il. Or, “Yahvé apparaît véritablement comme le dieu de la vie, il est céleste. Et il n’a aucune prérogative avec le monde des morts, qui est un monde à part”.

État des lieux du Sheol 

A quoi ressemble-t-il, alors, ce sheol? L’Ecclésiaste en donne un pénible aperçu. “Chien vivant vaut mieux que lion mort, car les vivants savent qu’ils mourront, mais les morts ne savent plus rien”, proclame-t-il au chapitre 9, verset 4 et 5. “Tout ce que ta main trouve à faire, fais-le avec la force dont tu disposes, car il n’y a ni travaux, ni projets, ni science, ni sagesse, au séjour des morts où tu vas”, assène-t-il encore au verset 10.

Daniel Faivre dresse l’état des lieux: “Le monde des morts biblique est un monde de poussière. C’est clairement un monde souterrain et donc obscur. C’est un monde où les hommes ont une vie ralentie. On ne parle pas d’éternité mais davantage d’une vie prolongée. Il semble que les morts sont aussi au courant de ce qui se passe ailleurs”.

Les morts eux-mêmes y changent de nature: “Quand on meurt, on bascule dans une autre nature. Le mort devient ‘elohim’, un être non-humain.”

Basculement 

Le tableau rappelle davantage la fosse commune que le paradis. “Les textes n’en parlent pas comme d’un enfer. Ceux qui partent sont sans crainte, c’est l’idée de repos. C’est une espèce d’assurance: quels que soient les aléas de la vie, on allait pouvoir se reposer”, intervient toutefois Daniel Faivre.

Soudain, au sein même de la Bible, la fosse cesse d’être commune et les morts se mettent à faire chambre à part. On lit ainsi dans le livre de Daniel au chapitre 12, versets 2 et 3: “Beaucoup de gens qui dormaient dans la poussière de la terre s’éveilleront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour la honte et la déchéance éternelles.”

La mort sépare désormais les justes et les injustes. Daniel Faivre explique cette bascule: “Daniel est le seul à évoquer une apocalypse dans la Bible hébraïque. La rédaction du livre de Daniel est tardive, au IIe siècle avant notre ère selon les exégètes. C’est un texte très imprégné de la révolte des Macchabées qui se sont soulevés contre l’hellénisation forcée”. De cet épisode politique précis, naît une prise de conscience. “Il y a donc cette idée de révolte et de juifs mourant pour la bonne cause. Or, à ce moment-là, la rémunération par Yahvé pendant la vie paraît de moins en moins évidente. Cette question de la césure du monde des morts apparaît donc là.”

Influence entre cousins 

L’auteur parle même d’une “révolution funéraire”, entre les “deux testaments”, d’une “fracture” provoquée entre le IIe siècle avant notre ère et la fin du Ier siècle. “Quand on quitte l’Ancien Testament, le monde des morts est en ruines, sans dieu, comme le montre le texte de L’Ecclésiaste, et quand on ouvre le Nouveau Testament, le monde des morts est clairement divisé entre paradis et enfer”, explicite-t-il. Si la rupture avec le sheol des anciens se consomme lors de cette période charnière, les croyants continuent, en aval, de creuser ce céleste sillon. Certains chercheurs élaborent ainsi l’idée d’un judaïsme influencé par le christianisme.

“On a souvent l’image d’un judaïsme premier puis d’une création filiale du christianisme, mais je développe l’idée que c’est une façon erronée de penser la chose. Il y a une religion biblique de l’Ancien Testament qui disparaît avec la chute du Temple, puis la naissance de deux religions séparées, cousines”, appuie Daniel Faivre.

Le livre de Daniel annonce une seconde révolution, celle de la résurrection des corps, parachevée, justement, par le christianisme.

Le corps glorieux et les cieux du christianisme 

Selon la religion chrétienne, après la mort et le salut, le défunt connaîtra une existence physique dans l’au-delà. Il habitera alors son “corps glorieux”. Si Jésus fournit le premier exemple d’une telle consécration, Saint Paul est le premier à l’avoir théorisée. “Corps glorieux” apparaît dans la première lettre aux Corinthiens, mais surtout dans celle aux Philippiens, au chapitre 3, versets 3-21:

“Car je vous l’ai souvent dit, et maintenant je le redis en pleurant: beaucoup de gens se conduisent en ennemis de la croix du Christ. Ils vont à leur perte. Leur dieu, c’est leur ventre, et ils mettent leur gloire dans ce qui fait leur honte; ils ne pensent qu’aux choses de la terre. Mais nous, nous avons notre citoyenneté dans les cieux, d’où nous attendons comme sauveur le Seigneur Jésus Christ, lui qui transformera nos pauvres corps à l’image de son corps glorieux, avec la puissance active qui le rend même capable de tout mettre sous son pouvoir.”

Le père Gérard Billon, bibliste à l’Institut catholique de Paris, président de l’Alliance biblique française, a dissipé pour nous les ombres autour de cette notion. “Ce qu’on appelle le corps glorieux, c’est d’abord celui du Christ ressuscité. Paul pensait vraisemblablement qu’il verrait la fin des temps de son vivant, et donc le Christ. Et il pensait qu’à ce moment-là nous serions transformés”, éclaire-t-il. Quant à savoir comment, précisément, se traduira cette transformation, l’affaire se complique singulièrement. “Il ne s’engage pas sur ce que sera cette transformation. C’est le corps du Christ tel que Dieu l’a voulu mais la forme de ce corps ni Paul ni l’Eglise ne s’engagent là-dessus”, enseigne le père Billon.

Un corps sans âge 

Une scène tirée de la fin de l’Evangile de Jean est demeurée célèbre. Thomas ne veut pas croire à la résurrection du supplicié. Jésus vient alors à lui, lui montre les traces de clous sur ses mains, et lui fait tâter les plaies sur ses flancs. Si on suit cette logique, les êtres semblent devoir conserver dans la vie éternelle les traces de leur passage sur terre. “Ce n’est pas que le Christ garde la trace des accidents de la vie, il garde celles de la crucifixion, ce moment du don total du Christ à son père et aux hommes, du don de soi et du salut”, nuance le bibliste.

Un corps régénéré, oui, mais lequel? Durant toute la vie, le visage et le reste ne cessent d’évoluer, de se remodeler, plus simplement de vieillir, dans un étourdissant bal des têtes. “Il y a une question qui revient souvent : nos corps glorieux auront quel âge? En fait, il n’y a pas d’âge. On ne sait pas. Le langage est infirme pour parler de cette réalité”, balaie le théologien.

L’union avec Dieu 

Celui-ci précise que c’est l’union à Dieu qui caractérise le corps glorieux:

“La question du corps n’est sans doute pas tant physique…Quand Paul dit qu’on sera semblable au corps du Christ, il dit qu’on sera le nouvel Adam, donc l’être humain dans sa plénitude. Un corps de gloire est un corps en relation avec Dieu, qui peut voir Dieu.”

La vie après la mort bénéficie dans les cultures chrétiennes d’une vaste iconographie et d’une littérature bien fournie. Aucun interdit ne pesant sur les images dans le christianisme, contrairement au judaïsme et à l’islam, peintres, poètes et écrivains ont fait un large usage de cette licence. L’italien Dante, notamment, a immortalisé ce face-à-face entre l’Homme et Dieu dans son Paradis, inclus dans sa Divine comédie.

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