CÔTE D’IVOIRE – Constitution, Front du Refus, législatives : La grande interview de Mamadou Koulibaly (LIDER)

Irez-vous aux élections législatives qui se profilent à l’horizon ?

Mamadou Koulibaly: Oui. En tant que parti politique, LIDER a, hier soir, (jeudi, ndlr) bouclé et déposé nos 14 candidatures ; et puis en tant que Front du Refus, je sais qu’il y d’autres partis et mouvements qui ont des candidats. La logique de ces législatives pour nous, c’est de prolonger le combat que nous avons commencé dans la rue, pour protester contre l’instauration de cette nouvelle constitution. Dans tous les mouvements politiques, il y a des branches parlementaires et des branches extra-parlementaires. Et, si le peuple de Côte d’Ivoire a dit non à cette constitution, nous avons senti comme un devoir, pour nous, d’aller auprès de ce peuple et de lui dire : comme Ouattara est passé en force avec sa constitution, nous devons envoyer au parlement des gens qui vont l’empêcher d’appliquer cette constitution et c’est pour cette raison que nous y allons. La rue garde ses droits mais nous tentons de nous donner des moyens parlementaires pour poursuivre les mêmes objectifs et d’atteindre les mêmes résultats.

Votre partenaire le Fpi a dit qu’il n’y va pas. Comprenez-vous son point de vue ?

Oui, bien sûr que nous le comprenons. Je comprends très bien l’argument et les deux attitudes se complètent. Aussi bien pour ceux qui y vont que pour ceux qui n’y vont pas, nous sommes tombés d’accord de ne rien faire et ni dire, les uns et les autres, qui soit de nature à ce que ces législatives mettent en danger l’existence du Front du Refus qui est constitué et qui continuera aussi son travail avec la Coalition du Non.

Mais le Fpi explique qu’aller à ces législatives, en dehors de ce qu’on sait – les conditions de transparence qui sont pas réunies –, c’est légitimer la constitution sous l’emprise de laquelle elles vont être organisées.

C’est un argument que nous comprenons. Mais nous avons décidé, au sein du Front du Refus, de prendre quand même le risque d’y envoyer des gens qui vont, de l’intérieur, essayer de se battre contre. Quand nous marchons, quand nous sommes dans la rue et que nous avons deux députés parmi nous, Kkb et Gnangbo Kakou, avec leurs échappes, ça compte. Et nous nous sommes dit que c’est vrai qu’ils ne sont pas nombreux, mais le fait qu’ils aient voté non, à l’intérieur de l’institution, doit nous motiver à y envoyer un nombre plus grand de personnes pour continuer à dire non. Ça n’empêche pas qu’une autre branche de cette opposition garde toute sa légitimité dans la rue qui demeure un moyen démocratique de contestation de cette constitution. Nous gardons plusieurs fers au feu. Les deux attitudes n’ont pas été jugées contradictoires en notre sein. Dans le Front du Refus, il y a des partis et des personnalités libres de leurs choix.

Oui, mais on peut s’interroger sur l’unité au sein du Front du Refus ?

Oui, on pourrait le faire en effet ! Mais vous savez, dans les combats politiques, il y a, et nous n’en sommes pas encore là, mais, il arrive souvent qu’il y ait des branches politiques et des branches armées sans que pour autant les deux branches ne soient en contradiction. C’est une manière de mener le combat, d’avoir une branche intra-parlementaire et une branche extra-parlementaire. Les deux options ne sont pas en contradiction. Et cette diversité d’options renforce l’harmonie autour des objectifs fixés que nous devons pas perdre de vue : Faire en sorte que cette constitution ne soit pas applicable.

Ne passez-vous pas par pertes et profits le combat qui a toujours été évité, et qui reste la transparence du scrutin ?

Lorsque nous nous sommes battus contre Ouattara aux présidentielles avec la Cnc, puis contre Ouattara au referendum avec le Front du Refus et que, chaque fois, il est passé en force, nous avons conclu qu’il fallait diversifier nos moyens de lutte et dans ces moyens de lutte il y a les requêtes que nous avons déposées au Conseil constitutionnel, rejetées, mais, ça ne nous a pas empêché d’engager une requête auprès de la CEDEAO. On ne sait pas ce que ça va donner. Pour mémoire, vous avez vu qu’une requête introduite par l’Apdh auprès de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a abouti à la conclusion que la Cei est illégale. Ça ne va pas nous empêcher aussi d’engager une branche de cette opposition dans les législatives, sachant très bien que les règles ne sont pas bonnes ; mais, d’y aller quand même et pour l’amour du combat, et pour entretenir cette ferveur née dans les populations. Pour ne pas totalement désespérer les populations, nous leur disons : «Nous vous avons dit d’utiliser tous les moyens possibles pour combattre cette constitution ; vous vous êtes engagées, nous vous avons vu dans les meetings, dans les marches, dans les rassemblements, nous vous avons demandé de rester mobilisées en attendant. Et puis, en complément, certains d’entre nous vont à ces législatives demander vos suffrages, demander que vous puissiez leur donner mandat pour que de l’intérieur du parlement, ils puissent continuer de se battre et empêcher que Ouattara puisse appliquer sa constitution, l’empêcher de faire voter ses lois organiques afin de mettre en application cette constitution.» On ne rate aucune occasion de nous battre contre cette constitution, même dans les conditions les plus discutables. Notre refus doit pouvoir s’exprimer partout, même si nous continuons à nier à la Cei et à Ouattara leur légitimité.

Mais Professeur, est-ce qu’il vous arrive d’analyser le timing des législatives comme une manœuvre destinée à phagocyter le Front du Refus qui avait réussi à refaire l’unité de l’opposition ?

Oui ! Mais je ne pense pas que les législatives et leur agenda puissent diviser ce Front du Refus. Le Front du Refus a son agenda, et dans les jours qui viennent, il va envoyer des missions à l’intérieur du pays pour expliquer le mal fondé de cette constitution et pourquoi, malgré sa promulgation, il ne faut pas baisser les bras et considérer la fin de la lutte. Le Front du Refus a aussi des candidats aux législatives qui vont pour dire la même chose aux populations. A savoir que cette constitution est mauvaise et qu’il faut la combattre. Mais en même temps que nous allons nous mobiliser sur le terrain pour la combattre, nous envoyons des gens au parlement pour prolonger notre combat. Il n’y a donc pas de contradictions. Au contraire, l’agenda des législatives nous donne les moyens d’expliquer qu’entre les manifestations de rue, la voie parlementaire et la voie judiciaire auprès des instances de la Cedeao et de l’Union africaine, l’opposition reste réunie pour garder tous les fers au feu et continuer à se battre. Nous devons veiller, en attendant d’avoir gain de cause définitivement, à limiter les dégâts de cette constitution et ses effets pervers sur les populations qui comptent sur nous. Nous évitons de mettre tous nos œufs dans le même panier.

Vous voulez dire que les législatives ne soldent pas la crise référendaire ?

Pas du tout ! Ouattara est passé par force avec ce référendum. Il l’a promulgué, il lui reste maintenant à l’appliquer. D’abord, dans l’application, il faut qu’il prenne des lois organiques pour mettre en place toutes les institutions, depuis le budget 2017, jusqu’à la cour suprême en passant par la vice-présidence, le sénat et autres. La présence de cette opposition dans l’Assemblée servira à boquer cette mise en application. Même si les députés ne sont pas en nombre suffisant, ce sera déjà bon de montrer aux populations que nous continuons le combat avec les moyens du bord. Peu importe le nombre de députés. Deuxièmement, nous avons montré pendant ce référendum que Ouattara était minoritaire auprès des populations de Côte d’Ivoire. Le taux de participation qu’il a donné, bien qu’étant totalement truqué, montre bien que ce n’est pas la majorité des populations ivoiriennes qui sont allées pour lui donner le droit de promulguer cette constitution. La démonstration que nous voulons faire maintenant, c’est de faire savoir que dans toutes les circonscriptions, en tous cas, dans la plupart des circonscriptions dans lesquelles l’opposition sera, que cette minorité de Ouattara se confirme. Si, sur l’ensemble du pays, il vaut 42% de taux de participation, il faut montrer que dans toutes les circonscriptions électorales il vaut beaucoup moins que ça, il faut continuer la démonstration. Donc le combat n’est pas soldé. Même si, après les législatives, la preuve est faite qu’il est minoritaire mais qu’encore une fois il est passé par force, nous irons aux municipales pour montrer que dans toutes les communes, il est aussi rejeté. Et, même s’il passe encore force, nous l’attendrons aux prochaines présidentielles. Ce que je veux vous dire, c’est que les victoires de Ouattara, depuis 2010 ne sont que des victoires à la Pyrrhus. Il passe chaque fois, il proclame qu’il a gagné, mais il perd tellement de plumes et de crédibilité que arrêter le combat lui permet de se ressourcer. Au contraire, il faut continuer la pression. A chaque «victoire», tout le monde voit qu’il est tricheur et qu’il truque et à chaque «victoire», il perd de la crédibilité, et plus lui il en perd, mieux l’opposition se porte et se soude.

En même temps, les militants de l’opposition ne comprennent pas aussi tout à fait bien ?

Mais parce que l’opposition n’a pas eu autant de temps qu’il aurait fallu pour faire comprendre tout ça à ses militants ! Vous savez, dans une démocratie normale, ce que je suis en train de vous dire là devrait l’être sur un plateau de télévision ou sur la radio nationale. Pour que les gens au plus profond du pays puissent comprendre les enjeux. Or, nous n’avons pas accès à ces médias de service public. Cela réduit fortement nos capacités, bien que ce soit un droit constitutionnel à l’information qui est totalement violé par Ouattara. Il nous faut continuer à nous battre et c’est vrai que ça crée un décalage entre la posture de la direction et les élites de l’opposition politique et la posture des populations, qui en ont ras-le-bol, mais qui ne savent pas encore par quel bout prendre la chose.

Est-ce qu’ils ne finiront pas par être désenchantés ?

Non, je pense que les populations sortent d’un désenchantement, et nous sommes arrivés à briser le carcan de ce désenchantement. Maintenant, elles ont moins peur. La seconde phase, c’est de leur donner un peu plus de courage et, pour ça, nous ne resterons plus à Abidjan ; nous irons cette fois à l’intérieur du pays pour leur expliquer qu’il faut avoir du courage. Ça ne va peut-être pas avoir l’impact nécessaire tout de suite, mais on espère bien que, dans les mois qui viennent, l’impact se verra mieux et en profondeur.

Qu’est ce qui a justifié la pause que nombre de militants n’ont toujours pas compris ?

Bien des gens en Côte d’Ivoire ont considéré que la question référendaire était plus une question politique, pour la classe politique, pour les élites politiques, pour les partis politiques. Il y a, entre les populations et les partis politiques de l’opposition, des maillons qui n’ont pas adhéré au combat contre le référendum et qui ont considéré que c’était une affaire des politiciens. Et il s’agit de la société civile, il s’agit du mouvement social, des syndicats, des associations des droits de l’homme, des Ong. Tous ont considéré que le combat des partis politiques de l’opposition contre ce référendum était un combat politique et que, eux, en tant que mouvements de la société civile, ne se sentaient pas concernés. Les syndicats, pour la plupart, ont en effet jugé que se mêler au combat politique leur faisait prendre trop de risques pour des bénéfices qui ne seraient bons que pour les politiciens et que, eux, en tant que syndicats, préféraient se concentrer sur leurs revendications catégorielles, sur les questions de salaire, sur les questions de retraite, mais que la constitution était une affaire trop lointaine. Donc, entre les partis et les populations, il a manqué ce chainon-là. Et du coup, lorsque nous avons pensé que les populations étaient prêtes pour un soulèvement populaire pour dire non à cette constitution, nous nous sommes rendu compte que, c’est vrai, nos militants et sympathisants étaient prêts, mais que le reste de la population a considéré que c’était politique.

Vous êtes en train de me dire que vous avez échoué ?

Quelque part, la société civile n’a pas suivi autant qu’on aurait voulu, mais c’est un succès. Nous revenons de loin. Nous venons d’une situation dans laquelle personne n’aurait levé la tête pour dire non publiquement à Ouattara, dans la rue et en plein jour. Les populations ont pu faire cela. Ce que je veux dire, c’est qu’entre sortir d’une torpeur, vaincre la peur, descendre dans la rue, affronter Ouattara pour lui dire «on n’est pas d’accord» et le moment où on a le courage pour dire à Ouattara «on en a ras-le-bol, dégage cette constitution», il y a un moment que nous n’avons pas pu réaliser. C’est un mouvement social inachevé, le combat politique n’est pas achevé et nous continuons.

Est-ce que vous ne courez pas vers le même échec, en vous engageant dans un autre combat politique, vu que les élections législatives sont éminemment politiques ? Je ne vois pas comment vos candidatures peuvent pousser les catégories sociales et les populations à devenir le moteur de la révolte ?

Abou Drahmane Sangaré l’a dit, au dernier meeting de Yopougon à Ficgayo. Nous sommes tous revenus là-dessus : il faut garder patience dans la dynamique que nous avons créée. Il ne faut pas se précipiter au risque de tout perdre. C’est comme quelqu’un qui a été infirme pendant longtemps ou qui sort d’un accident qui ne lui permettait pas d’avoir l’usage de ses membres inférieurs et supérieurs et puis vous lui demandez brusquement de faire une course de fond. Vous risquez de perdre les bénéfices. Ça demande, comme disent les médecins, de l’entraînement, de l’adaptation, de l’acclimatation, de la rééducation et nous sommes obligés d’aller progressivement.

Mais en même temps, le Front du Refus est toujours une structure informelle…

Oui, c’est un choix délibéré. Nous nous sommes dit, puisque ça marche ainsi, gardons le format ainsi. Quand le Front du Refus fixera un autre objectif que celui de combattre cette constitution, peut-être qu’en ce moment, on adaptera ce Front du Refus, peut-être qu’on changera de nom, peut-être qu’on aura une structure plus formelle, mais, pour le moment tous les membres ont jugé que c’était un bon instrument de combat, que ça marchait et qu’il fallait le conserver en l’état. Nous sommes plénipotentiaires, on pourra changer quand ce sera nécessaire. Pour le moment, tout ce qu’on dit, c’est que c’est bon comme ça !

Ça ne ressemble pas à la Cnc ?

Non, heureusement ! La Cnc, c’était pour les élections présidentielles, avec plusieurs candidats potentiels. Nous nous sommes dit à l’époque, on y va, si on obtient les conditions, on verra qui sera candidat. Et puis, au bout du compte, on n’a pas obtenu les conditions et certains sont allés comme candidats. Il y avait des querelles de leadership. Qui va être le candidat de la Cnc contre qui ? Avec la constitution, on n’a pas cette question-là. On est tous d’accord sur une chose, il faut rejeter ce texte. On a essayé de le rejeter dans sa confection, nous avons été totalement ignorés. On a essayé de le rejeter dans les débats qui suivent sa confection ; il n’y a pas eu de débat, on a été ignorés. On a essayé de le bloquer pendant le référendum, Ouattara est passé en force. On continue le combat, ce n’est pas terminé.

Mais en même temps, je ne comprends pas bien à quel moment vous pourrez arriver à bout de ce décalage persistant vis-à-vis des populations.

Je pensais avoir expliqué que nous partons maintenant à l’intérieur pour, en plus des populations d’Abidjan, mobiliser les populations de l’intérieur du pays en leur expliquant des choses simples qui seront d’ailleurs valables pour la société civile ivoirienne. Si vous pensez que la constitution est juste une affaire des partis politiques, d’accord. Vous nous avez regardés faire jusqu’à présent. Mais, lorsque monsieur Ouattara mettra sa constitution en application, vous verrez le budget qui va sortir comme conséquence de cette constitution, qui va intégrer les coûts du sénat, les coûts de la vice-présidence, les coûts de la chambre des rois et des chefs coutumiers, les coûts du conseil économique, social, culturel et environnemental, les coûts de tous ces présidents d’institutions, il y en a au moins 14 ou 15. Quand à côté de ces coûts, il va falloir que vous payiez pour entretenir toute cette grosse machine de l’état, vous comprendrez alors que la constitution n’est pas qu’une affaire de partis politiques et que c’est un problème social et que c’est vous qui en payerez les charges, alors qu’avant cette constitution ,vous vous plaigniez déjà du cout élevé de la vie, sans vous faire entendre.

Pourquoi ne parlez-vous pas avec les syndicats qui sont les plus réfractaires ?

Si, on est en discussion avec les syndicats, car ce que je dis là est aussi valable pour les syndicats. Parce que la réaction des syndicats, aujourd’hui, c’est de dire : «Les gars, votre affaire de constitution-là, nous on comprend bien, mais c’est une affaire politique. Nous, ce qui nous intéresse, c’est notre argent, ce sont nos salaires, ce sont nos conditions de travail, nos conditions de retraite, nos conditions de rémunération.» C’est pourquoi nous disons que quand la constitution sera en application, que chaque syndicat, chaque travailleur, chaque ménage verra que la facture de cette constitution a un impact sur son salaire, sur sa retraite, sur son niveau de vie, en ce moment-là, les partis politiques n’auront même plus d’efforts à faire. Chacun verra tout de suite que la constitution est plus une affaire sociale qu’une affaire politique.

La perte du pouvoir d’achat n’a jamais poussé les Ivoiriens à la révolte, ce n’est pas nouveau.

Non, non, jusqu’à un certain degré. Vous avez vu en 90 ? Quand le gouvernement était coincé et ne savait pas où trouver l’argent pour payer les salaires et la dette en même temps ? Il était question de couper les salaires de tout le monde. Les partis d’opposition, à l’époque, parlaient de cela mais les populations regardaient ça juste comme l’expression de l’ambition des politiciens pour accéder au pouvoir. «Ah, ils veulent quoi même, ils veulent fatiguer Houphouët-Boigny ; ils n’ont qu’à laisser le vieux là tranquille comme ça…» entendait-on. Mais le jour où, explicitement, le ministre Komoué Koffi et les autres sont passés à la télé pour dire : «Bon, voilà la situation, nous allons couper les salaires et du secteur privé et du secteur public» personne n’a attendu les partis politiques. Le mouvement s’est déclenché seul… on connait la suite.

Oui, sauf que Ouattara a retenu la leçon ?

On n’en sait rien. Deuxième exemple, c’est sur le coût de l’électricité. Pendant quelques moments, nous avons signalé à tout le monde que le gouvernement est en train de faire des choix qui vont coûter cher. Le gouvernement est en train de faire des choix de dette et d’investissement de dépenses publiques qu’il va falloir payer à un moment donné. Les gens disaient : «Oui, bon ça, c’est les partis d’opposition, toujours en train d’être alarmistes.» Et puis, le jour où les factures d’électricité sont tombées, que chacun a vu que sa facture était passée du simple au double ou au triple, on n’a plus eu besoin des partis politiques. Ce sont les populations elles-mêmes qui ont dit : «ah non, non, non, on n’est pas d’accord. Demain on va marcher, après demain on va marcher.» Le gouvernement n’a même pas eu besoin de convoquer les partis politiques ; il a tout de suite compris le message. Il a tout juste essayé d’entourlouper les populations, sans renoncer à sa politique de hausse du prix du courant, mais, à faire passer la pilule d’une autre façon. C’est dire que chaque fois que les populations sont touchées dans leur assiette, dans leur revenu, elles n’ont pas eu besoin de la lumière des politiciens et des partis d’opposition pour réagir. Mais elles ne pourront pas dire à ce moment-là qu’elles n’ont pas été prévenues. Et, nous notre devoir c’est de dire, voilà, techniquement, sur la base de la gestion rationnelle de l’Etat, ce que le gouvernement est en train de faire va vous coûter cher, sous peu. Comme c’est sous peu, les gens disent : «Vous là, on vous connait, vous dites çà parce que vous voulez les places de ceux qui sont au pouvoir.» C’est un argument, c’est le but des partis d’opposition : créer l’alternance ou de devenir l’alternative. Mais à partir du moment où les populations utilisent ce type d’arguments pour dire «Comme c’est pour chercher le pouvoir, nous on ne s’engage pas au combat avec vous», nous ne pouvons rien faire d’autre que de préparer nos dossiers, et puis de les publier et d’attendre. Le jour où, en janvier, le courant va augmenter, que les impôts vont augmenter, que la retraite va diminuer, que Ouattara va commencer à appliquer cela effectivement, aucun syndicat n’aura besoin de partis politiques. On se retrouvera tous dans la rue à dire qu’on ne veut pas. Le changement social, c’est aussi comme ça.

A propos de changement, un évènement pour les Africains : c’est l’élection de l’américain Donald Trump que LIDER n’a pas vraiment commenté

Oh si ! Il y a trois ou quatre mois, même avant l’investiture de Donald Trump, à LIDER ici, on était convaincu que, sauf si l’Amérique avait changé, qu’il n’y avait pas de raison que Donald Trump ne gagne pas ces élections. Il nous a semblé que, par rapport à son adversaire, il avait beaucoup plus de chances. Donc, après son élection, on n’a pas dit grand-chose et puis bon, çà, c’est la politique américaine. On a nos propres chats à fouetter, ici, entre temps.

Oui, mais justement le monde entier a commenté cette élection donc ça ne serait pas l’Afrique qui serait la seule rêveuse de l’histoire. Par ailleurs, on a un début de sa politique étrangère, africaine notamment qui postule que l’Afrique a besoin qu’on renforce son leadership, mais pas qu’on lui donne de l’argent. Qu’est-ce que vous en pensez ?

C’est la thèse que j’ai personnellement toujours soutenue, depuis Bush à maintenant. Nous avons moins besoin de dollars que d’institutions solides. Et cette approche de Donald Trump a fait que moi, j’étais en accord avec lui. Je pense que nous donner de l’argent dans une main et puis nous le retirer de l’autre main n’est pas judicieux. Malheureusement, tous les gouvernements pensent bien faire pour l’Afrique, en nous promettant de nous dorloter, de nous aimer, de nous faciliter les choses, mais ce qu’il nous faut, ceux sont des institutions solides, pas des dollars. Si nous avons, sur ce continent, la démocratie ancrée, le droit à la justice, c’est-à-dire que nous sommes tous égaux devant la loi et le président n’est pas au-dessus, le droit à l’information égal pour tous, si nous avons ces deux composantes clairement entendues par les Etats-Unis, l’Union européenne, les Nations Unies et tous les pays du monde, l’Afrique peut s’en sortir sans avoir besoin du dollar de quelqu’un.

Alors sur cette base, est-ce que ce qu’il dit constitue un espoir de changement démocratique en Afrique ?

Donald Trump est d’abord président des Américains. Quel que soit ce qu’il pourra dire ou faire pour l’Afrique, si nous-mêmes, les élites, ne mettons pas en concordance les valeurs de la démocratie, les valeurs de la prospérité et la volonté des peuples, à la fin de son mandat, on ne pourra rien gagner du tout. Mais si nous sommes capables sur le continent de comprendre enfin que le président de la République n’a pas à imposer ses propres valeurs au peuple mais que ce sont les valeurs du peuple qui doivent s’imposer constitutionnellement au président de la République, alors on aura gagné. En Afrique, c’est le contraire qu’on fait. Ce que Ouattara fait et promeut ce sont ses propres valeurs de tricherie, de fraude électorale, de non-respect de la loi, de non-respect de la constitution, de capitalisme de connivence, de duplicité entre ses fonctions de président de la République et ses fonctions de chef de parti. C’est tout ça qu’il constitutionalise et impose au peuple de Côte d’Ivoire. Or ce n’est pas comme ça que ça marche. On prend les valeurs de la démocratie, celles qui font que nous sommes tous égaux devant la loi, tous égaux par rapport à l’information et puis la propriété. On prend tout ça, on met au-dessus et puis ça s’applique à tout le monde. Ouattara, lui, il dit que les terres de Côte d’Ivoire sont propriété de l’Etat, donc pour lui, il peut rester à Abidjan et offrir des terres à Tieningboué à qui il veut. Ce n’est pas normal !! A Tieningboué, il y a des populations, des familles qui sont des propriétaires légales, légitimes, depuis des millénaires, c’est à elles la propriété de la terre. Mais lui, il piétine cela, prend ses propres valeurs et nous les impose. Quel que soit ce que Donald Trump peut faire pour nous, si nous ne remettons pas au cœur de notre société les valeurs de démocratie, de propriété privée, de liberté, ça ne nous servira à rien. On peut applaudir ou décrier Trump mais il est président américain après tout. Il n’est pas président des Africains. Ce ne sont pas les Zimbabwéens qui ont voté pour lui !

C’est une déclinaison du «pouvoir appartient au peuple». Vous avez mis combien de temps à forger ce slogan ?

C’est sur le lieu du meeting, quand j’ai écouté les populations, les jeunes qui étaient là dire «vraiment, il ne va pas s’imposer à nous comme ça, c’est nous le peuple…» que je me suis dit : C’est le peuple qui est souverain. C’est à ce peuple que le pouvoir appartient. Ce n’est pas à Ouattara, il n’est pas souverain. Dans aucun de nos textes, vous trouverez que le président de la République est souverain. Le souverain, c’est peuple et je n’ai fait que répéter ce que les populations disaient déjà. Pourquoi il veut nous imposer son histoire ? Pourquoi veut-il s’imposer à nous ? Pourquoi il ne nous écoute pas ? Le pouvoir au peuple ! Le pouvoir au peuple ! le pouvoir au peuple !

Vous n’êtes donc pas surpris de son succès ?

C’est un slogan qui est venu de la base. Je ne fais qu’écouter et dire aux gens : le pouvoir au peuple. C’est ce que nous devons crier à Ouattara, qu’il soit dans son palais, qu’il soit dans sa voiture blindée, qu’il soit dans son bureau, qu’il soit dans son avion, quel que soit l’endroit où il sera, criez lui «Le pouvoir au peuple ! Monsieur, vous ne pouvez pas imposer vos valeurs au peuple de Côte d’Ivoire, c’est le contraire qu’il faut faire». Sinon c’est de la dictature.

Pendant les meetings, on dit «le pouvoir au peuple» mais on dit aussi «Koulibaly revenez au Fpi». Est-ce que ça vous fait juste plaisir ou bien que ça répond à une vraie préoccupation mûrie ?

Je pense que ça répond à un désir profond d’unité de cette opposition. Mais l’idéal ne serait pas de s’arrêter uniquement à «Koulibaly revient». C’est toute cette opposition qui est en train de prendre forme pour produire quelque chose de nouveau. Et ce n’est pas une affaire entre Koulibaly et le Fpi, c’est une affaire entre l’opposition ivoirienne et sa base qui demande à voix haute une plus grande harmonie, un rassemblement plus cohérent pour que cette opposition devienne encore plus décisive. Quand j’entends «Koulibaly revient», dans mon esprit ce n’est pas Koulibaly qui est visé. Ce sont tous ceux que vous voyez-là dans le Front du Refus et la Coalition du Non, ce sont tous ceux-là que je vois en train de se transformer en une puissance de combat.

Ils connaissent bien leurs noms, mais ils disent «Koulibaly revient»…

Je suis très sensible à ce qu’ils disent. Et humblement, j’ai un profond respect pour cet appel, pour cette voix. Ils disent «Koulibaly revient» certes, mais je traduis cela en un désir profond des populations de voir une opposition unie. Vous avez commencé votre interview par-là. Cette opposition, est-ce qu’elle ne va éclater ? Et je vous ai rassuré que non, elle ne va pas éclater. Et, je pense que c’est ce désir et cette préoccupation que ces populations expriment. Il faut l’écouter, l’entendre et la comprendre.

Vous bottez en touche sur le sujet, n’est-ce pas ?

Non, non, non, je prends ça très au sérieux. Ah, je prends ça très au sérieux.

Est-ce que le retour au Fpi est possible ou c’est exclu ?

Laissons évoluer nos différentes démarches. Vous savez, il y a quelques années, là-bas, dans le lointain, Bamba Moriféré et Abou Drahmane Sangaré autour d’une même table, c’était à peine imaginable. Et il n’y a pas très très longtemps encore, ceux que vous voyez-là, dans les deux groupes, pouvaient à peine penser se mettre ensemble. L’occasion est là, il ne faut pas se précipiter. Il faut aller méthodiquement, sans oublier la cible, l’objectif, qui est la constitution de Ouattara. Tous les moyens qui peuvent permettre qu’on y arrive doivent être capitalisés pour qu’on y arrive. Ne ramenons pas tout de suite cela à des questions personnelles. Sinon, ça va nous détourner du fond du débat.

Interview réalisée par Sévérine Bla et Stéphane Sylla in Aujourd’hui du 21 novembre 2016

Wed, 23 Nov 2016 08:17:00 +0100

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