Côte d’Ivoire : des patrons qui ne sont pas étrangers à la relance

Nombreux sont les patrons libanais qui ont tenu le cap pendant la grave crise post­électorale. Quand beaucoup d’Occidentaux, notamment français, pliaient bagage. Par solidarité avec les Ivoiriens, les chefs d’entreprise originaires du pays du Cèdre ont en effet continué de faire tourner leur société, surtout dans l’importation de produits alimentaires, la grande distribution et l’industrie. Même si cette attitude, dans ce contexte difficile, les a exposés et que plusieurs d’entre eux se sont retrouvés dans le collimateur des partisans de l’un ou de l’autre camp. « Au fil des années, notre poids n’a cessé de croître dans l’économie du pays, confie l’un d’entre eux. Cela aurait été une catastrophe si nous avions fermé nos entreprises pendant cette période chaotique. »
Dans la grande distribution, où il détient un solide monopole (80 % des parts de marché) avec douze enseignes – dont Hayat, Cash Center, Cash Ivoire, Sococé, Trade Center, Bonprix, Leader Price… -, le groupe Prosuma, dirigé par la famille libanaise Fakry et par Abou Kassam, d’origine pakistanaise, a gardé ses magasins ouverts. Ses centrales d’achat avaient des stocks pour plusieurs mois, qui ont permis d’assurer l’approvisionnement de ses quatre-vingts boutiques, supérettes et supermarchés à travers le pays. Le minimum vital a également été assuré dans le négoce du cacao avec Ali Lakiss, le patron de Saf Cacao et de Choco Ivoire. Très présent dans l’agroalimentaire à travers SDTM-CI (premier importateur de riz du pays, avec près de 70 % des parts de marché), Global Manutention, Copraci, Spaghetti Maman, Ciprem-CI et Farine Malika, le Libano-Ivoirien Ibrahim Ezzedine a maintenu ses activités, de même que l’agro-industriel Roland Dagher, ancien membre du défunt Conseil économique et social, ce qui a permis d’éviter les pénuries de produits de première nécessité. L’un et l’autre ont cependant été épinglés pour soutien actif et avéré au pouvoir illégitime de Gbagbo. D’où leur présence sur la liste noire de l’Union européenne, assortie de l’interdiction de voyager et du gel de leurs avoirs. Aujourd’hui, les sanctions contre Roland Dagher ont été levées. Quant à Ezzedine, même si ses avoirs sont toujours gelés, il continue de faire tourner sa dizaine d’entreprises, de faire travailler ses quelque 6 000 employés, et il est redevenu « fréquentable » pour les nouvelles autorités.

Dynamiques

L’heure est à la normalisation et à la relance économique. Que les patrons libanais sont « prêts à accompagner », souligne Joseph Khoury, le président la Chambre de commerce et d’industrie libanaise en Côte d’Ivoire, selon laquelle les pertes directes et indirectes subies par ses entreprises membres en 2011 sont estimées à 80 milliards de F CFA (près de 122 millions d’euros).
Une kyrielle de projets d’investissement sont en chantier. Dans la construction, le dynamisme des entreprises dirigées par des Libano-Ivoiriens s’est accru. Ainsi, la Société moderne de développement et de travaux de Côte d’Ivoire (SMDTCI) de Pixie Séklaoui est très présente sur les chantiers de reconstruction postcrise. De son côté, Eurofind Participation, dirigé par Adham El Khalil (lire 1er encadré), poursuit l’extension de son aciérie dans la zone industrielle de Yopougon, à Abidjan.

Le groupe s’apprête par ailleurs à lancer Les Brasseries ivoiriennes, d’une capacité de 250 000 hectolitres (bières et sodas). Un projet de 25 milliards de F CFA financé par la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), Société générale de banques en Côte d’Ivoire (SGBCI) et la Banque internationale pour le commerce et l’industrie de la Côte d’Ivoire (Bicici), filiale de BNP Paribas. Pionnier de l’agroalimentaire, aux côtés d’André Blohorn et de Pierre Billon, et ancien roi de la confiserie en Afrique de l’Ouest, l’industriel Roger Abinader (représentant du français Alstom en Côte d’Ivoire) a dépoussiéré ses projets de développement et envisage d’investir dans la construction d’unités de transformation (chocolat, confiserie, tomates…), en partenariat avec des groupes européens et asiatiques. Enfin, dans la grande distribution, Prosuma a relancé les travaux de construction de son vaste centre commercial du quartier résidentiel de Riviera Allabra, à Abidjan. Quant au géant sud-coréen Samsung Electronics, dont le représentant local est Nasser Séklaoui (frère de Pixie), il projette de faire d’Abidjan son hub commercial pour l’Afrique de l’Ouest. Le groupe y ouvrira en mars son plus grand show-room sur le continent (540 m2). Coût de l’investissement : environ 1,9 million d’euros.

Adham El Khalil, digne successeur
PDG du groupe Eurofind Participation

Il a dû travailler des années dans l’antichambre du fondateur d’Eurofind Participation, son beau-père, l’homme d’affaires libano-ivoirien Mustafa Khalil, avant que ce dernier se retire dans son Liban natal au cours des années 2000. Depuis, Adham El Khalil a pris les rênes du groupe (actif dans les matériaux de construction en acier, les produits laitiers, le caoutchouc, l’agriculture…), dont il coordonne les nouveaux projets depuis ses bureaux de l’immeuble Sipim, dans le quartier d’affaires du Plateau, à Abidjan.

Par Baudelaire Mieu

B.M.

Mohamad Khachab, capitaine d’industrie
PDG de Thunnus Overseas Group

L’entrepreneur libano-ivoirien a commencé sa carrière en 1975 en tant qu’importateur et distributeur de poisson congelé. Il est aujourd’hui l’un des plus grands industriels du continent dans la production et la commercialisation de conserves de thon, avec trois usines – la Société de conserveries de Côte d’Ivoire (Scodi, rachetée au français Saupiquet), Pêche et Froid Côte d’Ivoire (PFCI, rachetée à Optorg, filiale du marocain ONA) et Pêche et Froid Madagascar (PFM, acquis en 2007). Sans oublier un entrepôt à Dunkerque, en France, où il détient 25 % des parts de marché du secteur. Mohamad Ali Khachab a réussi la restructuration de son groupe en faisant entrer dans son capital, en 2009, deux fonds d’investissement – l’américain Emerging Capital Partners (ECP) et le panafricain Kingdom Zephyr Africa Management (lire p. 109), qui ont injecté plus de 36 millions d’euros dans Thunnus Overseas. Ce qui lui permet de maintenir aujourd’hui son leadership, malgré la montée en puissance de la concurrence chinoise et européenne.

B.M.

In Jeuneafrique.com

Sun, 19 Feb 2012 14:05:00 +0100

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