Depuis l’exil, Konaté Navigué : «Le peuple ivoirien est dans l’enfer »

Notre Voie : Charles Blé Goudé, Jean-Yves Dibopieu et le Commandant de Gendarmerie Abéhi, trois exilés politiques ivoiriens, ont été récemment extradés vers Abidjan dans une procédure opaque conclue entre les gouvernements ivoirien et ghanéen. Quel regard jetez-vous sur tout cela ?

Konaté Navigué : Je ne pense pas du tout que ce soit un arrangement entre le gouvernement ghanéen et les autorités Ivoiriennes. Vous m’offrez l’occasion de rassurer tous les Ivoiriens que les autorités ghanéennes qui nous accueillent ne peuvent être complices d’une telle forfaiture. Il faut plutôt les remercier pour ce qu’elles font pour ces milliers d’exilés et de réfugiés ivoiriens depuis plus de deux ans. Ce serait vraiment être ingrat et irresponsable de notre part de dire ou même de penser que le gouvernement ghanéen peut faire de la duplicité. Je pense que Blé Goudé, Dibopieu et Abéhi ont été les victimes d’un kidnapping mené par les autorités ivoiriennes à la suite d’un guet apens dont les intéressés étaient la cible. C’est ma conviction jusqu’à ce que j’obtienne d’autres éléments sur les faits. Il faut donc éviter les amalgames sur ces événements.

N.V. : Le régime Ouattara affirme que les exilés politiques pro-Gbagbo installés au Ghana veulent le déstabiliser. Qu’en dites-vous ?

K. N. : Le régime de M. Ouattara fera toujours de nous des boucs émissaires. C’est une vieille stratégie de communication qui consiste à cacher son incompétence en accusant toujours l’autre de tous les péchés. Aujourd’hui, les Ivoiriens ne vivent plus, ils survivent. Il n’y a plus de sécurité, plus de pouvoir d’achat, plus de cohésion sociale. Vous avez écouté les différents discours des travailleurs à l’occasion de la fête du travail, le 1er mai dernier. Toutes les centrales syndicales sont unanimes que rien ne va. En clair, les Ivoiriens survivent dans le désespoir. C’est un désastre. Le peuple ivoirien est dans l’enfer. Au lieu de trouver des solutions aux problèmes existentiels du peuple, on fait toujours de la diversion en indexant les pro-Gbagbo. Mais à force de l’utiliser, ce disque est rayé. C’est du déjà entendu. Le régime Ouattara fait une marche cyclique. Il part du pareil au même et du même à l’identique. Il veut nous faire passer forcément pour des démons alors qu’en la matière, nous sommes des anges. Non, arrêtons ça et pensons à la Côte d’Ivoire qui se meurt.

N.V. : Dans un rapport de l’Onu rendu public, le dimanche 28 avril 2013, des experts mandatés reprennent cette accusation du régime Ouattara. Que répondez-vous à ces accusations contenues dans ce nouveau rapport de l’Onu ?

K. N. : Ah! Parce que vous faites une différence entre les soi-disant experts de l’Onu et les autorités ivoiriennes ? Je pense que ce sont les mêmes, car ils travaillent ensemble. J’ai lu tout le rapport (300 pages) et j’ai été ahuri de constater qu’un organe comme l’Onu a pu pondre un rapport aussi léger, incohérent, contradictoire et illogique. C’est une misère morale et intellectuelle. Ce sont des allégations fantaisistes sur la base d’informations infondées que les autorités ivoiriennes ont livrées à l’Onu juste pour incriminer les pro-Gbagbo. Ce qui enlève tout crédit à un tel rapport. Je ne crois même pas que les Ivoiriens accordent une importance particulière à ce rapport parce qu’ils savent que dans le contexte actuel, des individus trouveront toujours des prétextes pour pondre des textes. D’ailleurs, pour bien montrer le manque de sérieux du rapport, les pro-Gbagbo ont écrit un ouvrage collectif disponible actuellement dans les librairies dans lequel, sans être experts, nous avons démonté les arguments des « experts » de l’Onu. Il n’est peut être pas superflu de rappeler que dans sa démarche, le Front populaire ivoirien (Fpi) a choisi la transition pacifique à la démocratie et que le très célèbre slogan du Président Laurent Gbagbo, « asseyons-nous et discutons », est notre marque déposée.

N.V. : Le 21 avril dernier, se sont tenues des élections municipales et régionales en Côte d’Ivoire marquées par un très fort taux d’abstention des populations. Comment de l’exil, avez-vous interprété cette attitude des Ivoiriens ?

K.N. : Le Fpi a lancé le mot d’ordre du boycott passif en toute responsabilité. Les Ivoiriens l’ont suivi. Le 21 avril dernier, les Ivoiriens étaient partout sauf dans les bureaux de vote. C’est une victoire politique. Lorsqu’un parti politique lance un mot d’ordre qui est suivi, cela signifie que ledit parti compte dans l’opinion. Nous avons salué cette victoire électorale et félicité la direction du Fpi pour son option. Parti de masse, le Fpi gagne chaque jour et toujours en popularité. Si le peuple a écouté le parti, c’est qu’il a fait le bon choix. Le désaveu du peuple au régime Ouattara vient rappeler que le régime n’est pas légitime. De plus, ce désaveu montre que le président Gbagbo incarne toujours l’espoir du peuple ivoirien. Je voudrais saluer toutes les structures du parti pour leur implication dans l’exécution du mot d’ordre. Je salue particulièrement la Jeunesse du Fpi qui a mobilisé plus de 30 délégations à l’intérieur du pays pour la campagne du boycott. Du bureau national jusqu’aux comités de base, en passant par les fédérations, je les félicite tous. Parce que la lutte continue, nous devons rester debout. Je voudrais profiter de cette interview pour féliciter et saluer également nos camarades d’Aboisso qui viennent d’être libérés. J’invite tout le monde à davantage de cohésion, de responsabilité et de sérénité dans les différentes fédérations. Il faut avoir le réflexe militant de saisir systématiquement le bureau national en cas de problème. C’est ensemble dans la solidarité et la cohésion que nous serons utiles à notre parti et à la Côte d’Ivoire. Pour tout dire, ces élections sont une victoire des Ivoiriens.

N.V. : La Commission électorale indépendante (Cei) soutient que ces élections locales ont connu un taux de participation avoisinant les 60%. Une estimation totalement différente du constat fait par tous les observateurs nationaux et internationaux. Qu’en pensez-vous?

K.N. : J’ai ri aux éclats quand j’ai entendu le taux de 60%. C’est ridicule parce que personne ne croit à ce taux y compris même les membres de la Cei. A force de vouloir sauver la face du régime Ouattara, la Cei l’enfonce. Tous les observateurs ont parlé du très faible taux de participation. La presse occidentale qui est leur soutien a même parlé de désert électoral. Malgré cela, la Cei, par on ne sait quelle magie, annonce un taux de 60%, là où les chancelleries parlent d’un taux qui oscille entre 13 et 15 %. C’est aussi la preuve que la Cei n’est pas crédible. Le Pdci-Rda a même dénoncé la mascarade. Une commission électorale aux ordres, il faut la casser, tout simplement.

N.V. : Quelle Cei voulez-vous pour 2015 afin d’éviter les désastres électoraux que le pays connait depuis 2010 ?

K.N. : Il nous faut une commission électorale véritablement indépendante. Elle l’était avant les accords de Pretoria. Pendant ces accords, pour rétablir la paix, on a changé la composition en y introduisant les partis politiques et des mouvements rebelles. Dès lors, elle a été prise en otage et est devenue inopérante. C’était d’ailleurs une commission électorale adh’oc qui devrait cesser de fonctionner après les élections présidentielles. Il faut donc la casser et revenir à l’esprit et à la lettre du code électoral, c’est-à-dire prendre des gens de la société civile dont l’intégrité morale ne fait l’ombre d’aucun doute et leur donner le pouvoir de leur indépendance politique et financière. Ça se passe comme ça ailleurs et cela peut se faire en Côte d’Ivoire. Certaines personnes estiment qu’il faut faire appel à des organismes internationaux pour l’organisation des élections en Côte d’Ivoire. Je suis contre une telle proposition parce qu’étant souverainiste, je pense qu’il faut faire confiance aux Ivoiriens et à leur intelligence.

N.V. : Alassane Dramane Ouattara a annoncé sa candidature pour la présidentielle de 2015. Votre commentaire ?

K.N. : En annonçant maintenant sa candidature pour la présidentielle de 2015, M. Ouattara, à mon avis, entendait lancer un message. C’est quand même curieux que seulement après deux ans de gouvernance et à trois ans de la fin de son mandat qu’un candidat annonce déjà sa candidature. Pourquoi si tôt? A qui s’adresse-t-il ? Vraisemblablement, il s’adresse à ses partisans qui sont dans une logique de querelles intestines de succession. Il veut leur dire de cesser toute velléité de lutte parce qu’il est encore dans la course. En dehors d’un tel message, je ne vois pas pourquoi il annoncerait maintenant sa candidature.

N.V. : Comment jugez-vous l’appel du Fpi au Pdci-Rda pour sauver la Côte d’Ivoire qui sombre ?

K.N. : Je veux limiter cet appel à sa juste proportion. Je pense qu’il s’agit d’un appel de circonstance. Face au hold-up électoral qui se préparait, le Fpi a vivement interpellé le Pdci-Rda sur le danger qui le guette en tant que parti et qui guette la Côte d’Ivoire entière si le Pdci était complice d’une telle mascarade. Les faits donnent aujourd’hui raison au Fpi. Pour le reste, s’il doit y avoir un appel ou un rapprochement stratégique dans le futur, le parti mènera sereinement un débat en interne et avisera.

Interview réalisée par Didier Depry didierdepri@yahoo.fr
In Notre Voie

Sat, 11 May 2013 09:34:00 +0200

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