Dialogues foutraques

Représentation naïve classique de la course des spermatozoïdes vers l'ovule
-Regarde Lady Gaga, l’idole des jeunes effrontées, elle a décidé à lancer un parfum à base de sang et de sperme qui s’appellerait Monster. Le Figaro fait le dégoûté mais c’est une vieille histoire d’utiliser le sperme à des fins cosmétiques, non, docteur ?

-Avec sa couleur laiteuse, son odeur âcre, sorte de sirop d’homme, signature de l’amour, associé à l’orage de la jouissance, le sperme a toujours été paré de qualités thérapeutiques et magiques. Parfums aphrodisiaques pour attirer les femmes… onguents pour embellir le teint… brûlis amers pour séparer les amants… il entre dans la composition d’innombrables recettes médicales et sorcières, ce dans tous les pays, de tous les temps.

-Je lis dans le journal qu’une société norvégienne vend une crème à base de spermine baptisée Bioforsknin, qui serait un excellent anti-ride et anti-oxydant… Aux Etats-Unis, un certain Paul Photenhauer publie un livre de recettes à base de sperme, « Naturel Harvest », où il vante ses qualités nutritives et l’originalité de son goût. Il remplace le blanc d’œuf par du sperme dans la pâte à crêpe, et épaissit ses crèmes au chocolat… Personnellement, je ne partage pas l’avis libertin de Brantôme, l’auteur d’une "Vie des dames galantes" qui décrit « l’eau de vit » comme « étant si douce, sans sucre ». J’ai toujours trouvé le foutre acerbe…

-Son pH est alcalin, d’où son amertume… Cela dit, bien des récits érotiques décrivent des scènes exaltées de badigeonnage de sperme, désiré tant pour son goût fort que sa réputation de substance magique.

-Il faut croire, dans son "Ode à Priape" (qui lui coûta l’Académie), le poète Piron, rival de Voltaire, dit d’une femme légère : “S’il pleuvait du jus de couillon, on vous verrait sous la gouttière”. Ce n’est pas dangereux, question m.s.t ?

-Il n’y a pas de risque à ingérer le sperme d’un homme sain. Il contient surtout de l’eau, ajoutons quelques minéraux, potassium, magnésium, sélénium, cuivre, zinc, quelques protéines, glucides et lipides, de la vitamine C, des acides gras, et voilà… Gluant, peu nourrissant, amer, mais rien d’empoisonné !

– Mais celui d’un herpétique ?

-La fellation est dangereuse en cas de plaie dans la bouche, d’aphte, de gingivite, mais il faut savoir que le VIH et la plupart des virus sont inhibés par la salive et détruits par l’acide gastrique.

– Mon grand-père disait qu’une giclée de sperme équivalait à une perte de sang, et m’interdisait de me masturber…

– Vu sa couleur laiteuse, son origine, sa composition, sa fertilité, des théories médicales aujourd’hui obsolètes et des légendes persistantes présentent le sperme comme une liqueur riche, nourricière, vitale, plus riche encore que le lait, dont l’élaboration réclame beaucoup d’énergie. Dans "Les manières de jouir du siècle des Lumières à l’avènement de la sociologie", l’historien Alain Corbin cite nombre de textes de confesseurs et de traités médicaux du XIXe parlant du sperme comme l’extrait le plus pur de la lymphe, assurant qu’une perte de trente grammes de cet élixir équivaut deux cents grammes de sang.

– Il est vrai qu’on mange toujours des couilles de taureau et de mouton en Espagne et en Afrique du Nord en espérant renforcer sa virilité, cuisine des bourses de tigre en Asie pour obtenir un sperme plus consistant. Au Japon, comme on le voit sur le site http://pervarea.blogspot.fr/, on prépare différentes crèmes et gâteaux au sperme au cours de rencontres culinaires où les hommes délivrent un bouillon frais à des jeunes cuisinières nues. Regarde, d’après Libération, des prostituées de Côte d’Ivoire revendent 10.000 francs CFA une capote pleine du blanc de leurs clients aux marabouts. Ils s’en servent pour confectionner des amulettes qui apportent le succès aux commerçants, ou font revenir les maris infidèles. Et au Zimbabwe, des femmes enlèvent des hommes, menacent de les tuer s’ils ne se masturbent pas pour donner leur sperme. Elles le monnayent comme ingrédients pour des cérémonies magiques. À se masturber fréquemment, on risque sa santé ?

– Une saillie ne représente pas plus d’une calorie. Si un homme ne jouit pas, il évacue le trop plein pendant le sommeil, les fameuses cartes de France… Masturbes-toi autant que tu l’entends…

Chez les Sambia de Nouvelle-Guinée, pendant un rituel de passage, les adolescents ingèrent le sperme des adultes pour recevoir leur force virile et leurs pouvoirs.
– Dans plusieurs cultures, le sperme est censé contenir l’essence même de la masculinité. Chez plusieurs tribus de Papouasie-Nouvelle-Guinée, comme les Sambia et les Etoro par exemple, on croit que le sperme apporte la maturation sexuelle aux jeunes. Aussi, au cours d’un rituel de passage vers le statut d’homme, les prépubères sont isolés des mères, les adultes les font saigner par le nez et les purgent pour les purifier. Ensuite, les jeunes font une fellation à leurs aînés et avalent leur semence afin d’ingérer la force virile, l’autorité et le pouvoirs des Anciens. On retrouve ces rituels, en partie homosexuels, chez plusieurs peuples de la région côtière…

– Chez les premiers chrétiens, comme les Borborites et d’autres sectes gnostiques, on ingérait du sperme, qui symbolisait le Corps vivant du Christ. Ils faisaient des orgies pour en consommer, comme en Nouvelle-Guinée. D’ailleurs, l’extravagant Aleister Crowley a composé une « Messe gnostique » où les officiants mangent du sperme en guise d’hostie.

-Ce vieil Aleister, comme à son habitude, parodiait et détournait les rituels de notre civilisation judéo-chrétienne.

– Elle aussi s’est construite sur un modèle patrilinéaire, appuyée sur un philosophie véritablement panspermique de la création. Le linguiste Pierre Guiraud, spécialiste de la sémiologie de la sexualité, a bien montré comment dans la Bible, par le Verbe, Jéhovah, Dieu le Père, tout puissant, donne forme au Chaos, engendre l’ordre et le monde. Ici, le Verbe divin est semence, il engendre les choses en leur donnant un nom, il crée le monde à son image, comme le fils est à l’image du père. Il leur donne vie comme le soleil déclenche la germination, soulève les moissons, réchauffe et ensemence la Terre. Tout un tissage symbolique naît alors, avec un système d’analogies appuyé sur la puissance, l’énergie et la semence paternelle, dont les théologiens chrétiens se souviendront en faisant du Christ le Fils… Pierre Guiraud montre qu’on file aussi ces métaphores dans la philosophie religieuse romaine, pour qui le dieu des dieux, Jupiter, est « peter », le père fécondateur. Quant aux les Grecs, le "semen", la semence, désigne l’énergie créatrice fondamentale, «energeia», l’action en acte, la puissance conçue comme une sorte de panspermie universelle, assimilée à la foudre de Zeus, mais encore au soleil et sa chaleur infinie, qui régénère la Terre.

Onan représenté par Robert Crumb
-Voilà pourquoi la masturbation, le crime d’Onan, a été damnée tout au long du XIXe par les médecins et les curés, jusque dans les années 1960. Le malheureux onaniste ne disperse pas seulement trois gouttes de foutre, mais la divine semence, le symbole de la fécondité paternelle. Il attente à la création cosmique !

– Ce qui m’énerve c’est que, dés 1673, Reinier de Graaf identifie l’ovulation féminine. En 1860, l’anatomiste allemand Theodor L.W Bischoff met à jour les mécanismes de fécondation et le rôle actif de la femme dans l’affaire. En 1911, Gregor Mendel, le fondateur de la génétique, explique l’hérédité bisexuelle, identifie les chromosomes mâles et femelles, brisant la légende de la régénération de l’humanité par le seul sperme.

-Nous avons été dominés par ce paradigme du père tout puissant jusqu’aux années 1970. Puis la déferlante contestataire et hédoniste de 1968, la révolution sexuelle, le féminisme, les luttes pour la parité, l’abolition du statut du chef de famille ont ébranlé ce fond patriarcal…

– Quand on regarde les récits populaires relatant les mouvements des spermatozoïdes dans l’utérus, on trouve encore une saga très virile, où le sperme est assimilé à un combattant épique. Si tu ouvres l’épais « Sexe de l’homme » de Ronald Virag, pionnier des traitements contre l’impuissance masculine, récemment réédité en poche, tu lis : « Les survivants remontent l’utérus en une première vague d’assaut, une sorte de commando d’éclaireurs (…) Pour la plupart il s’agit d’une opération suicide (…) Ils se transforment pour être en mesure de percer l’énorme citadelle (…) Pour triompher, il faut ruser (… autour de ) la muraille ovocytaire… qu’il faudra perforer de leur tête chercheuse ».

-La saga des spermatozoïdes ou «Les douze millions de salopards». Une série Z, pas X.

– Souvent, en lisant les journaux, ou les livres de vulgarisation, on croit entendre l’histoire du Cid Campeador, mais à l’envers. Nous partîmes des millions, mais par de prompts efforts, je me retrouve seul en arrivant au port. La geste du spermatozoïde serait un effrayant « parcours du combattant », plein d’embûches, où le « plus endurant», le plus déterminé, vaillant Lancelot, triomphe et reçoit la fille du roi en récompense.

– La lourde princesse Ovule…

– La première épreuve se présente dés l’entrée de la grotte fatale, où une substance «mortelle », le mucus (la mouille), «empoisonne» 95% des chevaliers. Seuls quelques pelotons résistent, les plus combattifs. Puis, c’est le pénible passage du col de l’utérus. Là, de nouvelles pertes massives surviennent, entre les « concurrents ». Un dernier bataillon de ces héros de la fécondation filent enfin dans la trompe, où le volumineux ovocyte femelle attend son "vainqueur".

– On dirait une épreuve sportive, un gymkhana où participerait une ville entière, ou un marathon ! Ou alors le raccourci de la dure lutte pour la survie dans un monde néolibéral. Une course brutale, sans pitié, avec beaucoup d’appelés, quantité de laissés-pour-compte, d’innombrables losers, un seul winner. Mais que sait-on, en biologie, des mouvements réels des spermatozoïdes dans l’utérus ?

– Ce sont des piètres nageurs. Ils se déplacent à la façon des serpents d’eau, en remuant leur longue queue, les flagelles, mais se cognent partout, zigzaguent, s’égarent dans la mauvaise trompe. Beaucoup s’agglutinent, se collent entre eux, font des paquets, s’égarent dans les replis.

-L’ovule féminine ne joue aucun rôle dans le processus ?

-Bien sûr… Elle attire et sélectionne les spermatozoïdes en produisant des protéines qui lui permettent de capturer celui qui va la féconder. Il existe une forme d’interaction permanente, une attraction chimique, entre eux.

-Rien à voir avec la mythologie du héros solitaire et rentre-dedans…

-Pendant les années 1980-1990, une anthropologue des mentalités, l’américaine Emily Martin a étudié comment les conceptions sexuelles dominantes influencent la presse populaire, jusque les compte-rendus des découvertes scientifiques. Elle a décrypté le mensuel de vulgarisation scientifique Discover, qui proposait cette couverture : « Les guerres du sperme. La bataille pour la conception ». On y trouvait ce portrait du spermatozoïde : « C’est une formidable arme de 00024 pouce, avec une tête de missile chimique ». La métaphore militaire est filée de bout en bout. Elle a encore décrypté début 1990 les résultats rapportés par une équipe de biologistes de l’université du Wisconsin sur la fécondation des oursins. Quand un premier spermatozoïde entre en contact avec l’ovule, il tisse un filament de protéines vers l’énorme oeuf. Voici un processus chimique classique, difficile à romancer. Pourtant dans l’article scientifique, nos chercheurs, des hommes, n’ont pas pu s’empêcher d’écrire que le spermatozoïde « tire » puis « harponne » l’ovule.

– Ned Land en personne !

– Emily Martin écrit avec humour : “Les hommes associent toujours puissance et sperme fort. Ils rêvent que leur semence leur ressemble. Personne ne voudrait croire que ses spermatozoïdes ressemblent à des torpedos ».

– Il faut remercier Wikipédia de n’être pas tombé dans ce travers, présentant une vision neutre, sans pathos, sbien sourcée et documentée du parcours des spermatozoïdes .

– Tant mieux, car la vulgarisation d’un sperme plein d’homoncules combattants, porteurs de la semence paternelle, a beaucoup affecté les discours politiques et médiatiques, les législations concernant l’homoparentalité, l’avortement, l’éducation sexuelle, les crédits accordés à la recherche, les politiques de natalité… et découragé les recherches sur la contraception masculine. La mythification du spermatozoïde héroïque, petit être tenace plein de vie, presque un bébé déjà, n’a pas aidé à la légalisation de l’avortement et la contraception. Cette personnification d’un gamète microscopique, représentant l’homme, portant ses valeurs, va de pair avec la personnalisation du fœtus, décrit comme un bébé miniature, un enfant déjà, par les opposants à l’ivg. C’est avec ce genre de discours qu’ils entretiennent sans arrêt la confusion entre un « tissu vivant » et un véritable « être vivant », indépendant, autonome, l’enfant.

– Ces talibans voudraient nous faire retourner à l’époque des faiseuses d’ange et des avorteurs, 20.000 à 60.000 décès de femmes par an en France dans les années 1930…

-Foutredieu !

sexe.blog.lemonde.fr

Mon, 09 Apr 2012 00:44:00 +0200

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