Dr Famahan Samaké : La Cedeao au pied du mur à Bamako et à Bissau

L’organisation sous-régionale dénommée CEDEAO – Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest – est plus que jamais au pied du mur avec les récents coups d’État à la fois rébarbatifs et rétrogrades au Mali et en Guinée-Bissau.
Rien ne dit mieux le malaise de la démocratie dans notre sous-région que l’irruption hirsute des soldatesques malienne et bissau-guinéenne au-devant de la scène politique dans leurs pays respectifs à cinq semaines du premier tour d’une présidentielle à laquelle le président sortant ne se portait nullement candidat dans un cas, et, dans l’autre, à seulement douze jours du second tour de l’élection.
Dans ce dernier cas, le coup a un caractère éminemment anti-démocratique dès lors qu’il est uniquement motivé par la victoire quasi-certaine de l’ancien Premier ministre, Carlos Gomes Junior, que l’armée ne supporte point de voir, même en peinture !

Il semble que l’armée à Bissau est la seule entité de l’État qui soit qualifiée pour ‘’choisir’’ le président de tout le peuple bissau-guinéen en lieu et place des électeurs régulièrement inscrits sur les listes électorales. Et ce petit pays très pauvre est très assidu et régulier quand il s’agit de perpétrer des coups d’État.
Il en exécute un en moyenne tous les quatre ans et aucun de ses présidents démocratiquement élus n’a pu aller au terme de son mandat. Tous, sans exception, sont déposés par les militaires, ou plutôt à l’exception de Malam Bacai Sanha épargné de putsch uniquement en raison de son décès en plein mandat.
Ce qui est important à cette heure, c’est ce que la CEDEAO peut faire pour faire respecter ses prises de positions fermes rejetant ces ascensions politiques d’hommes en treillis et exigeant leur retrait pur et simple du pouvoir. La menace a été exprimée à l’envi et nous attendons tous sa mise à exécution.
La CEDEAO pourra-t-elle mettre son argent là où sa bouche se trouve ? En d’autres termes, donnera-t-elle du poids à ses mots en envahissant le Mali et la Guinée-Bissau pour mettre de l’ordre et dissuader les soldats des autres pays d’émuler leurs renégats de collègues ? Lequel des pays de la sous-région enverra ses hommes de troupe combattre pour la démocratie dans un pays tiers, sur le terrain de l’adversaire et non de l’ennemi ? Et avec quels moyens militaires partiront-ils jouer les Rambo jusqu’aux confins de l’Algérie ?
Le plus simple n’est certainement pas de combattre des ‘’ennemis’’ multiformes, – AQMI, Ançar Dine, le MNLA et une partie de l’armée malienne favorable à Amadou Haya Sanogo – mais d’entrer sur le territoire malien qui est extrêmement vaste et largement désertique.
L’approvisionnement des troupes en eau et en vivres, leur ravitaillement en munitions et même l’envoi rapide de renforts poseraient d’énormes problèmes, tant le champ de bataille est potentiellement gigantesque et le terrain extrêmement difficile, voire impraticable pour beaucoup de soldats Ivoiriens, togolais, béninois, guinéens, ghanéens, sénégalais et nigérians qui ne se sont jamais entraînés dans le Sahel. Les soldats américains et britanniques – qui sont mieux équipés et qui ont coutume de se battre dans le désert contre l’Irak – y ont connu force-déboires.
Les Britanniques, en particulier, avaient des fusils qui refusaient de tirer dans le sable ardent irakien en 2003-2004 !
Le capitaine Sanogo semble avoir roulé la médiation et la CEDEAO dans la farine en acceptant de ‘’céder le pouvoir aux civils’’ sur papier sans jamais rien lâcher en pratique. Pourra-t-on le combattre frontalement dès lors qu’il a accepté de signer un accord-cadre et transféré la présidence à Dioncounda Traoré ? Le cas bissau-guinéen serait sans doute plus aisé à résoudre militairement à cause de la petite taille de ce pays et de sa population peu nombreuse, pour une armée qui n’est pas aussi large que celle de la Corée du Nord, ni aussi équipée que celle de Kim Jong-Un.
En définitive, la CEDEAO est véritablement au pied du mur cette fois. Et je n’aimerais certainement pas échanger ma place avec le président en exercice de l’organisation, tant le défi est grand et la charge lourde de conséquences. Si la CEDEAO est incapable de bouter dehors les putschistes dans les deux pays, elle perdra le peu le crédit qu’elle détient encore et deviendra la risée de l’Afrique et du monde.
De plus, d’autres soldats se lèveront çà et là pour se hisser violemment au sommet de leur pays, convaincus qu’ils n’auront à affronter qu’une guerre du verbe sous forme de menaces creuses. Si elle tente de dégager les militaires maliens et bissau-guinéens sans succès, ce serait un camouflet historique, une infamie que l’histoire retiendra.
Si elle réussit, elle serait obligée de faire la guerre à tous les prochains putschistes dans quelque pays où ils se lèveront pour éviter de faire du deux poids deux mesures. Mais au moins, elle dissuaderait certainement les aspirants faiseurs de coups d’État. Pour l’heure, la CEDEAO est proprement dans un bourbier d’où elle a obligation de se dégager ici et maintenant. Sa crédibilité et sa survie sont à ce prix.

Dr Famahan SAMAKÉ
Royaume-Uni

Thu, 10 May 2012 03:56:00 +0200

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