Interview / SEM Pierre Aimé Kipré : ‘’Je n’ai reçu que 950 millions pour le cinquantenaire’’

Photo : DR

Cela fait deux ans que vous êtes en fonction à Paris. Peut-on faire un bilan à mi parcours de votre mission ?

J’avais trois axes principaux à mettre en œuvre par rapport à la feuille de route que le président m’a donnée. Premièrement, renforcer la coopération entre notre pays et la France, dans le respect mutuel et dans l’intérêt bien entendu de nos deux pays. Deuxièmement, faire en sorte que la communauté ivoirienne soit plus solidaire, plus cohérente et qu’elle comprenne surtout qu’elle est elle aussi à sa manière un ambassadeur de notre pays dans le pays qui les accueille. Troisièmement, promouvoir le respect mutuel entre nous-même. Cela passe donc par la mise en œuvre d’actions qui se fondent sur trois principes : le travail, le respect scrupuleux des institutions de la République, le respect mutuel entre les agents de cette ambassade. Le travail, pour qu’il soit efficace, il faut qu’il soit partagé, rigoureux et il faut qu’il traduise bien qu’on se met à la disposition des usagers de l’ambassade. C’est ce que nous essayons de mettre en place. Troisièmement, lutter un peu contre certaines mauvaises habitudes d’absentéisme, de mauvais accueil des usagers et de célérité. Au plan financier, c’est encore un peu plus difficile, parce que j’aurais aimé revoir les salaires de mes agents. Deuxième axe financier, c’est celui des bourses. J’avais préconisé la mise en place d’un système de carte de crédit permettant à nos boursiers d’accéder directement à leurs comptes régulièrement alimentés à partir d’Abidjan. Malheureusement, le ministère de l’Economie et des Finances m’a dit de patienter pour que lorsque la situation deviendra normale, on reprenne le système ancien de perception à date régulière. Je comprends quand les jeunes gens viennent revendiquer devant l’ambassade. L’autre aspect, c’est le renouvellement du matériel roulant et le paiement d’un certain nombre d’arriéré que nous avons vis-à-vis des prestataires de services qui avoisine les 500 millions de FCFA ; ce qui représente près de 40% du budget de notre ambassade. Et j’espère que le ministère de l’Economie et des Finances comprendra et nous viendra en aide. Car ce budget de fonctionnement de l’ambassade vient d’être amputé de 30% en raison des difficultés financières du pays. Dans le même temps les retombés des visas, les recettes ont été réduites puisqu’il faut que désormais ça soit la SNEDEC qui doit nous reverser. Non seulement il y a des retards mais quand cela arrive, tout le compte n’y est pas. Ce qui réduit nos capacités d’intervention.

A écouter vos réactions et discours parfois, on se rend vite compte que vous êtes plutôt dans une mission purement militante que diplomatique. Qu’est-ce qui vous lie honnêtement au président Gbagbo ?

Le président Gbagbo et moi sommes des condisciples. Nous nous connaissons depuis 50 ans. Nous avons eu le même directeur de recherches. Nous avons fait nos thèses avec la même personne. Lui pour sa thèse de 3e cycle et moi pour ma thèse de 3e cycle et thèse d’Etat. Nous sommes aussi des amis. Mais ces liens personnels sont fondés sur le partage d’un certain nombre d’idées fortes depuis notre adolescence. L’un de ces points de partage, c’est notre foi en l’Etat. Pour le Président Gbagbo comme pour moi, au dessus de l’Etat, il n’y a rien si ce n’est Dieu. Le respect des institutions est une chose sacrée, le respect de la loi est chose obligatoire pour tout citoyen. L’autre chose que nous partageons et il n’a pas changé dessus, c’est la nécessité de justice sociale. Tous les citoyens d’un pays doivent avoir leur part, non seulement à la création des richesses, mais également à la distribution des richesses. La troisième chose que nous partageons, c’est le respect de l’autre. L’autre question que les gens se posent, c’est de dire, « il était au PDCI, maintenant il est venu au FPI ». D’abord je ne suis pas au FPI. Depuis 2000, j’ai mis entre parenthèse mes activités politiques au niveau du PDCI, pour différentes raisons sur lesquelles je ne voudrais pas revenir. Je n’ai pas adhéré au FPI en 90, car la question de la transition politique me semblait mal posée. Il ne suffit pas de dire multipartisme pour dire démocratie. Je préfère me définir plus qu’un intellectuel de la société civile, mais un intellectuel qui se met au service de l’Etat. Je peux avoir mes préférences au niveau des individus lors des élections présidentielles, législatives ou municipales, certes, mais de ma position de représentant de l’Etat, je me dois d’être au dessus des partis. Mais il est bien évident que si demain, les résultats des élections présidentielles donnaient une réponse qui ne soit pas celle à laquelle j’adhère et pour laquelle je prie tous les jours, étant déjà à la retraite de la fonction publique, ne recherchant aucune gloire, aucun cursus honorable en politique, je préférerais me retirer dans mon laboratoire et continuer de faire mes travaux de recherche comme j’avais commencé de le faire depuis août 2000.

Beaucoup ne comprennent pas comment un homme qui a épousé par le passé les idées d’Houphouët-Boigny, donc du PDCI, puisse aujourd’hui suivre le leader du Front Populaire Ivoirien, l’actuel Chef de l’Etat ivoirien, Laurent Gbagbo. En un mot, comment un Houphouétiste peut du jour au lendemain devenir Gbagboïste ?

Avec des hauts et des bas, avec des ombres et des lumières, tout le monde s’accorde à dire que Houphouët a bâti cet Etat. Au regard de ce que nous voyons tous, c’est quelque chose que le président Gbagbo montre aussi. Tout faire pour que l’Etat de Côte d’Ivoire soit debout. Je ne me définis pas comme un Houphouétiste, même si j’ai été celui qui a écrit sur la naissance du RDA, je ne connais pas toute la philosophie politique d’Houphouët-Boigny aussi bien que ceux qui ont été ses compagnons de tous les jours, mais j’ai seulement eu l’honneur d’être dans son entourage, les trois dernières années de sa vie, au moment où il était déjà déclinant. Il y a des choses qui me paraissent importante dans ce qu’il a dit, dans ce qu’il a écrit, mais je regarde cela avec les yeux de l’historien. Des personnes comme le président Fologo, le président Bédié, Sery Gnoleba ou Guikahué, peuvent se prévaloir d’être des Houphouétistes, parce qu’ils connaissent à fond la pensée d’houphouët. Mais, il n’est pas antinomique d’avoir été du PDCI et d’adhérer aux idéaux du FPI ou suivre Gbagbo. Il ne faut pas diaboliser l’autre. Il faut essayer de comprendre ce que l’autre fait, peut-être a-t-il raison sur tel ou tel point. Et puis il faut le dire, le PDCI est le parti qui a crée cet Etat. Il serait illogique que ce soit ce même parti qui le détruise. Il faut aller plutôt dans le sens du renforcement de la construction de l’Etat.

On a appris que l’ambassadeur de Côte d’Ivoire en France, aurait financé certains mouvements proches du camp présidentiel à faire obtenir des extraits de naissances pour des pétitionnaires lors de l’enrôlement des Ivoiriens de France…

Beaucoup de nos compatriotes étaient confrontés à des difficultés au moment de l’enrôlement. J’ai pris sur moi, sans demander la carte de parti de X ou Y et sur proposition du mouvement citoyen qui voulait que le plus d’Ivoiriens soient enrôlés et qui disait qu’il y avait beaucoup d’ivoiriens qui ne pouvaient pas aller à Abidjan pour faire leurs extraits de naissance, faute de moyen, j’ai pris sur moi, avec mes propres deniers, d’aider. Certainement, ce mouvement est peut-être devenu proche du président Gbagbo maintenant, mais je vous dis qu’il y a des gens qui sont venus me voir et qui m’ont dit qu’ils n’appartenaient à aucun parti que j’ai aidé. Je crois qu’il faut que cela soit une action personnelle de solidarité. Vous avez vu que j’ai été le premier à monter au créneau pour dire que c’était anormal que peu d’Ivoiriens soient enrôlés en France (16 000 sur 60 000). Non seulement je l’ai dit publiquement, mais j’ai écrit au président de la CEI à Abidjan. En dehors de ça, il y a la solidarité nationale. Si nous ne nous entraidons pas, qui va le faire ? Par contre si des gens viennent sous la casquette d’un parti politique, PDCI, FPI ou RDR, je me tiendrai à l’écart. Mais s’ils viennent en tant qu’Ivoirien simplement je suis prêt à les aider. Je fais la différence entre les relations de famille, les relations politiques et les relations de travail.

Parlons maintenant du cinquantenaire. Dans un numéro de Jeune Afrique, le Premier Ministre ivoirien, Guillaume Soro a indiqué que le cinquantenaire sera triste si les élections n’ont pas lieu avant le 07 Août. Le Chef de l’Etat a par la suite envisagé la suppression de la grande parade militaire au cas où ? Cela ne tue pas en la motivation que vous aviez pour l’organisation de ce cinquantenaire ?

Toutes les activités que nous avons programmées, en dehors de la parade, sont en cours ou sont en préparation. Du 1er au 5 août 2010 par exemple, nous aurons un colloque international à Yamoussoukro ; le 6 août nous aurons la grande fête du chorégraphe ivoirien, Georges Momboye au stade Félix Houphouët-Boigny à Abidjan. Déjà à la fin de ce mois de juin, nous aurons deux pré-colloques, l’un sur « Agriculture et sécurité alimentaire » et l’autre sur « Cadre de vie et environnement » à Gagnoa. En octobre, il y aura d’autres activités. Les études sectorielles que nous avons lancées sont en préparation. Le forum des jeunes est en préparation. Bref, nous continuons, parce que nous avons choisi de fêter ce cinquantenaire tout au long de l’année. Maintenant, j’entends ici et là que la commission nationale d’organisation du cinquantenaire aurait un budget de plus de 20 milliards. C’est faux ! Nous n’avons pas 23 milliards de FCFA comme il se dit dans le milieu. Le ministère de l’Economie et des Finances, pour marquer cette mission, a décidé de m’accorder que 4 milliards de FCFA pour l’ensemble des activités. Et depuis juillet 2009 que j’ai commencé les activités jusqu’à fin mai 2010, je n’ai reçu en tout et pour tout que 950 millions de FCFA. Pour réussir ce que vous avez vu jusque là, on essaie de mettre en mouvement beaucoup de bénévoles. Nous avons aussi l’appui parfois de quelques sociétés d’état telles que la PETROCI, la SIR, la Caisse d’Epargne qui nous ont aidé à hauteur de parfois 20 millions de FCFA, 50 millions de FCFA. Il y a également quelques entreprises privées comme UNIWAX, la SOTRA, Air ivoire qui nous font des facilités.

Le président du Faso, médiateur dans la crise ivoirienne a déclaré depuis Nice lors du 25e sommet Afrique-France et sur la chaîne française France 24, qu’il se désengagerait de la médiation ivoirienne si le processus de sortie de crise en Côte d’Ivoire n’avance pas. Quel commentaire faites-vous de ces propos ?

D’abord le président Compaoré a dit que si jusqu’à la fin de 2010, l’affaire ne se réglait pas, alors il ne faudrait pas compter sur lui. Deuxièmement, cela ne me dérange pas qu’il l’ait dit à Nice en dehors du CPC (cadre permanent de concertation). C’est un chef d’Etat. Il faut le respecter. Jusqu’à présent, il a été un facilitateur très efficace. Troisièmement, je pense qu’il a eu de bons résultats, parce que les choses se sont améliorées. Il ne fait que faciliter le dialogue inter- ivoirien. Ce sont les Ivoiriens eux-mêmes qui sont les acteurs principaux de leur réconciliation. C’est comme cela ça se passe dans nos familles, dans nos villages. Il n’est pas un arbitre, sl facilite. Il est l’acteur principal dans ce rôle, mais il y a d’autres chefs d’Etats qui l’aident dans l’ombre. Nous même, nous nous sommes appropriés le processus et j’ai foi. Regardez la démarche faite par le président Gbagbo, qui s’est déplacé pour aller voir le président Bédié qui est son aîné, ils ont parlé ; ensuite, il est allé voir le Premier ministre Alassane Ouattara, ils ont parlé. Après il rencontre son Premier Ministre, ils parlent, ils échangent. Ils arrivent petit à petit à trouver les meilleures solutions pour nous tous, pour la paix. Il n’y a pas de rivalité lorsque son pays est en danger. Tout est une question de bonne volonté et c’est à tout honneur pour le président Compaoré d’avoir créer cette bonne volonté. Moi j’ai confiance aux hommes politiques de notre pays. De toute façon, ils sont condamnés à régler ce problème qu’ils le veuillent ou non. Nous devons tous prier pour qu’ils réussissent et ils réussiront avant la fin de l’année

Recueillis par Philippe Kouhon

Fri, 18 Jun 2010 03:24:00 +0200

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