L’Eglise catholique à la croisée des chemins

Contexte : Les Evêques ivoiriens ont rendue publique dès dimanche dernier une déclaration sur les violences en Afrique sous la forme d’une exhortation faite à tous les chrétiens du pays.
Enjeu : Mais cette déclaration ménage la susceptibilité de Ouattara qui est le premier fossoyeur de la réconciliation dans le pays et qui fait la promotion de la justice des vainqueurs. Les Evêques se gardent d’ailleurs de le dire.
Ce matin de juillet, A. K. n’est pas à la paroisse Notre Dame par hasard. Après mille et une hésitations, il a décidé de passer la bague au doigt de la mère de ses enfants. Il attend dans l’un des fauteuils attenants à la salle à manger du presbytère le prêtre qui doit s’occuper de la partie religieuse de cet engagement. Il est 8 heures et le père S.Z. prend son petit déjeuner fait d’un morceau de pain et d’une tasse de café sans lait. La table est bien remplie. La prêtrise est une vocation de cochon a écrit un auteur camerounais que personne ne peut défendre de ne pas être méchant en parlant ainsi. Le beurre « Le président » est délicatement posé sur la table entre le couteau de table et la cuillère à café, loin du pâté de campagne presque gelé. Une grande bouteille de jus de fruit complète le tableau. Le reste est fait d’ingrédients habituels : sucre, lait, confiture… Un homme entre dans la salle à manger et sans s’occuper des personnes attablées, dépose un lot de journaux. Un autre prêtre qui rejoint S.Z. sur la table feuillète rapidement Fraternité Matin le journal du gouvernement avant de lire en diagonale Soir Info et L’Inter. Puis il passe quelques secondes à regarder les titres de l’Intelligent d’Abidjan et rejoint enfin son confrère qui termine son petit déjeuner. 
C’est la tradition à l’Eglise catholique de se couper de l’opinion de ceux qui ne sont pas au pouvoir. Ici, les journaux bleus n’ont pas leur place. Trop connotés et trop dangereux à leur goût peut-être. Et parce qu’elle refuse de voir autre chose que ce que dit le pouvoir, les Evêques ivoiriens ont fait une déclaration qui ne souffle pas un traitre mot des tueries à Duékoué, juste parce qu’elles sont contraires à l’amour que Dieu réclame aux hommes d’avoir les uns pour les autres. Exit donc les morts de Duékoué mais aussi celles de tous les jours quand il plaît aux FRCI de faire passer leurs proies de vie à trépas. Exit surtout les morts de la crise postélectorale et les prisonniers pour lesquels le mutisme de l’Eglise fait scandale dans de nombreuses masures. Comment aller à la réconciliation avec toutes ces personnes d’un seul camp en prison ? La réponse des prélats est à peine gênée. C’est un devoir pour tout chrétien de pardonner dit la déclaration. « En Eglise catholique, le clergé et les laïcs sont appelés à assumer, avec responsabilité, leur mission respective, et à accomplir, avec détermination et foi dans la force de l’Esprit du Christ, le ministère de la réconciliation (…) Elle est selon le pape, une réalité pré-politique ». Cette responsabilité chrétienne que les Evêques veulent faire comprendre à leurs ouailles est nécessaire parce « qu’il faut partir du Christ pour comprendre la responsabilité chrétienne en matière de justice, de réconciliation et de paix dans le monde », écrivent les Evêques ivoiriens.
Pas question d’une façon ou une autre de les ramener sur terre pour qu’ils se rappellent que la commission vérité et réconciliation est sabordée par le chef de l’Etat lui-même. Et que cela manque de cohérence de faire une justice jubilatoire quand on est en partie responsable de ce qui est arrivé. D’ailleurs pour les Evêques de Côte d’Ivoire, la seule existence de cette commission montre clairement que les nouveaux gouvernants sont fermement engagés à faire de la réconciliation nationale une priorité. On est en plein dans le déni.
Plus d’un an après s’être faits tout petits pour ne pas faire les frais d’un engagement partisan, l’Eglise de Côte est désormais en mission commandée pour Ouattara. Trop silencieuse, y compris sur les attentes de la vérité, elle est largement complice de la terreur qui continue de déferler sur le pays. Même lorsque ses propres prêtres son malmenés comme celui de Guitry, ligoté et frappé par ses assaillants parce qu’il aurait eu beaucoup d’argent de Gbagbo. Ses supérieurs hiérarchiques n’ont jamais élevé la voix pour que cela cesse. Et pour que de manière générale, notre pays retrouve la raison.
C’est ce que pensent d’ailleurs les prisonniers politiques pour lesquels les gouvernants trouvent toutes sortes de délits capables de les maintenir en prison à vie. Il est 11 heures le dimanche 29 juillet. L’Eglise N. vomit par grappes compactes les foules qui y ont pris place deux heures plus tôt. Dans la cour de la paroisse, le débat s’anime. « Comment peut-on demander aux gens de pardonner quand on ne fait même pas cas des centaines de prisonniers qui croupissent dans les goulags du nord ? ». Pour celle qui pose la question, l’Eglise affirme sa complicité avec la terreur. Elle a peur de dire la vérité qui ne plaît guère à Ouattara. « Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix. Là où est le doute que je mette la vérité… Là où sont les ténèbres, que je mette la lumière ». Cette prière de Saint Augustin est psalmodiée dans toutes les Eglises catholique du pays. En pure perte.

Joseph Titi in Aujourd’hui

Wed, 01 Aug 2012 00:46:00 +0200

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