Les stars africaines et la politique

George Weah
De son côté, le précurseur Adou Elenga s’était mis sur l’avant-scène en sonnant l’hallali du colonialisme avec son intarissable chanson «Ata Ndele, mokili ekobaluka» (Ndlr : Tôt ou tard, le monde changera). Ras-le-bol, disent les uns. Vent de changement, rajoutent les autres.
L’artiste international, le Sénégalais Youssou Ndour s’est déclaré candidat à la présidence de la République de son pays pour la présidentielle de février 2012. «Je suis candidat à l’alternative de l’alternance… Si je suis élu, je réduirais le train de vie de l’Etat et je m’attacherais à l’autosuffisance alimentaire qui sera une réalité à la fin de mon mandat», a-t-il déclaré, avant de tracer en deux lignes son programme.
Musicien professionnel de son état, Youssou Ndour est devenu un grand homme d’affaires, s’appuyant sur un vaste réseau de médias. Il affiche nettement ses ambitions de faire de son groupe une multinationale. Aussi, estime-t-il que sa candidature est un devoir patriotique «pour faire un meilleur don de soi».
Les premiers propos de Youssou Ndour sont très significatifs. Ils sont à la fois une expression personnelle et citoyenne, un état d’esprit de tout homme progressiste, un état des lieux d’une nation. Enfin, une manifestation qui précède et accompagne tout élan de changement pour briser l’immobilisme, diversifier les sources du progrès.
Bien avant Youssou Ndour, une autre star avait pris la même décision. Il s’agit du Libérien George Weah, un dieu des stades et du ballon. Alors que son pays était déchiré par une guerre fratricide des plus féroces, il s’est occupé entièrement de l’équipe nationale de football du Liberia. Manager, entraîneur, joueur, il était tout à la fois jusqu’au seul bailleur de fonds.
Dès qu’un semblant de calme est revenu au Liberia grâce au concours de la communauté internationale, il crut bon de poursuivre son action dans le domaine politique.
Il s’est alors porté candidat à la présidence de la République. Certainement qu’il aurait tenu les mêmes propos que Youssou Ndour : «C’est un devoir patriotique pour donner le meilleur de soi».
Que l’on dise de Youssou Ndour et de George Weah qu’ils auraient dû rester stars, le premier répond simplement que «la politique est une fonction et non une profession». Il peut demeurer musicien ou footballeur, mais faire correctement la politique. Le contraire est difficile à réaliser.

FRUSTRATION, CHANGEMENT

Aussi, un artiste qui sort de son milieu de prédilection pour la politique, voilà qui pousse loin la réflexion. Comme pour dire que quelque chose ne marche pas bien dans ce domaine et qu’une nouvelle impulsion s’avère nécessaire. Qu’il y a un ras-le-bol qui suscite une réaction de tout citoyen.
L’écrivain nigérian Wole Soyinka en avait ras-le-bol de ce Nigeria caporaliste, corrompu. Il était allé au-delà de la simple écriture. On en dirait autant de George Weah devant l’horreur des groupes armés qui décimaient son pays. Le Liberia était déchiré, écartelé. Il avait décidé de prendre la place des politiciens dans l’espoir de recoller les morceaux pour bâtir un nouveau pays en remettant le Liberia sur les voies des Etats viables.
Certes, le Sénégal est le seul pays africain qui n’ait pas connu de coups d’Etat. L’alternance s’est toujours opérée de façon démocratique. Mais, la tendance à un certain atavisme conduisant à une dérive autoritaire exaspère les Sénégalais, empoisonne le climat politique et social. Youssou Ndour a certainement trouvé les mots justes en parlant de «l’alternative à l’alternance». Si le Sénégal peut se féliciter donc de l’alternance politique, l’obsession aux privilèges du pouvoir supplante les préoccupations de la société, retarde la réalisation de grands projets communautaires, au-delà les principaux programmes de développement national.

Youssou Ndour
DE ADOU ELENGA À TABU LEY

Les stars africaines ont toujours été à l’avant-garde de grands mouvements d’auto-détermination, de l’émancipation de l’Afrique. A moins que l’on méprise leur métier et leur place au sein de la société en les prenant pour des laisser-pour – compte.
La RDC peut être citée en exemple. En effet, dans les années 50, Adou Elenga avait brisé la glace en chantant «Ata Ndele ». Traduisez «Tôt ou tard». Il affirmait que le cours de l’histoire était irréversible et que le changement inéluctable et incontournable. Il dénonçait ainsi la mauvaise gouvernance, l’oppression du
colonisateur. Arrêté, jeté en prison, rien n’y fit. Le temps a fini par lui donner raison pendant que sa chanson demeure toujours de brûlante actualité. Inoxydable, souligneraient les autres.
A l’orée de l’accession du Congo à l’indépendance, Kabasele Joseph, alias Kallé Jeef, cette voix limpide et charmante, lança «Indépendance cha cha» pour saluer ce moment historique de notre pays, l’accession à la souveraineté nationale, le 30 juin 1960. Mû par ce sentiment nationaliste, Kallé Jeef ne cessait de prôner l’unité nationale, de rappeler les souhaits exaucés du peuple congolais pour prendre la direction de ce Congo, de préserver et de sauvegarder le patrimoine national : le majestueux fleuve, les rivières Kasaï de l’Equateur, le cuivre du Katanga, les minerais du Kivu sont toutes les richesses du Congo qu’il faille bien gérer dans l’intérêt supérieur des Congolais. Il est demeuré nationaliste jusqu’au-boutiste, à telle enseigne que sa mort avait soulevé une certaine polémique au sein de la classe politique au pouvoir à cette époque.
Quant à Tabu Ley Rochereau, il n’est pas demeuré en reste. Il s’était inscrit dans la même lignée que Kabasele Joseph pour mettre en exergue les potentialités congolaises. Notamment le léopard, le bois, la pointe d’ivoire, le diamant, l’okapi, le barrage d’Inga autant de ressources naturelles qui font de la RDC un pays riche.
Bien plus, Tabu Ley souligne dans ses chansons, le rôle éminent et déterminant du Congo en Afrique. Dans «Congo nouveau, Afrique nouvelle», il se tourne vers la classe politique en vue de l’inviter à plus de hautes responsabilités politiques pour qu’elle prenne la juste mesure de cette position géostratégique de la RDC au cœur de l’Afrique. C’est dans ces entrefaites qu’il a fini par faire son entrée, de façon active, en politique.

DES SIGNES AVANT-COUREURS

Loin de ces musiciens qui versent dans l’idolâtrie du contexte culturel du «Théâtre de chez nous», l’entrée des stars africaines en politique n’est nullement un fait divers. Mieux que cela, elle constitue des moments historiques qui s’inscrivent dans la quête d’un «Nouvel ordre national et africain» et qui signifient aussi un ras-le- bol qui caractérise ces discussions byzantines dont raffolent les acteurs politiques africains, oubliant sûrement l’essentiel.

Cette nouvelle posture indique qu’il est temps que les Africains s’assument, afin de réaliser le «grand rêve africain» dans ce monde en pleine mutation, que seule la mauvaise gouvernance fait de cette Afrique riche, une Afrique de pauvres, de misères, de fatalité ; alors que le joueur le mieux payé au monde est un Africain : le Camerounais Samuel Etoo ; alors que les grandes maisons
d’édition de disques en Europe tomberaient toutes en faillite à l’image de leurs banques, n’eussent été les musiciens de la trempe du Sénégalais Youssou Ndour, du Malien Salif Keita, des Congolais Ray Lema, Koffi Olomide, Papa Wemba, de la Capverdienne Cesaria Evora, et nous en passons de meilleurs…

Freddy Monsa Iyaka Duku in afriquejet.com

Wed, 26 Sep 2012 20:50:00 +0200

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