LIDER Répond à ADO: si l’argent ne circule pas, c’est parce les Ivoiriens sont de plus en plus pauvres.

Jean Jaurès disait que les illusions s’évanouissent, les habiletés passent, la vérité reste.
Lors de son discours à la nation, à la faveur du nouvel an, le président Alassane OUATTARA est revenu sur la rareté de l’argent en Côte d’Ivoire. Pour se justifier il a dit ceci : « .j’entends dire que « l’argent ne circule pas ! ; sachez cependant que l’argent travaille. Et c’est grâce à cet argent qui est au travail, que chaque jour, la construction d’un pont progresse, qu’un grand axe routier voit le jour, que pour la première fois depuis notre indépendance, une ville comme Doropo, dans le Zanzan, a de l’eau courante, que nous venons d’ouvrir la vanne qui alimentera toute la ville de Man en eau potable, que Bouna a de l’électricité 24h/24. C’est encore grâce à cet argent qui travaille que 1900 kilomètres de routes ont été reprofilées, que des milliers d’enfants, avec des kits scolaires gratuits, étudient sur des bancs neufs, que nos universités ont été entièrement rénovées et équipées de technologies de pointe, aux standards internationaux.. ».
Cherchant à expliquer ce qui apparaît comme une énigme, la rareté de l’argent, le président Alassane OUATTARA a une fois de plus enrichi le vocabulaire des concepts en Côte d’Ivoire : désormais, ce ne sont plus les hommes qui travaillent mais c’est l’argent qui travaille à la place des hommes.
Dans les lignes qui suivent, nous donnons quelques raisons pour lesquelles l’argent ne circule pas en Côte d’Ivoire.

1. Définitions des termes et présentation de quelques chiffres

1.1. Définitions des termes
Le PIB ou produit intérieur brut est un indicateur économique de la richesse produite par année dans un pays donnée. Cet indicateur représente la valeur ajoutée totale des biens et des services produits sur un territoire national. Il est utilisé pour mesurer la croissance économique d’un pays. Le rapport PIB / habitant est utilisé quant à lui pour mesurer le niveau de vie des habitants.
La masse monétaire est la quantité de monnaie présente à un instant donné dans une économie. Elle est mesurée par des agrégats monétaires, grandeurs synthétiques qui regroupent des actifs monétaires ou quasi-monétaires (livrets de Caisse d’Epargne, épargne-logement, etc.) détenus par les agents non financiers auprès des institutions financières monétaires (IFM). Ces agrégats se distinguent par les degrés de liquidité des éléments qui les composent. On a :
M1 est un agrégat étroit qui regroupe tous les moyens de paiement, au sens strict du terme, en CFA: pièces, billets, avoirs en comptes chèques ;
M2 (souvent assimilé à « la masse monétaire ») regroupe M1 et tous les comptes sur livrets détenus par les résidents de la zone cfa (dépôts remboursables d’une durée inférieure ou égale à 2 ans auprès des IFM et de l’administration centrale) ;
– M3 regroupe M2 et les instruments négociables, les titres d’OPCVM monétaires ainsi que les titres de créance d’une durée initiale inférieure ou égale à 2 ans émis par les IFM.

La vitesse de circulation de la monnaie est le nombre de fois qu’une même unité de monnaie (une pièce de francs cfa par exemple) est utilisée au cours d’une année. Elle a un impact direct sur les besoins en monnaie de l’économie et donc sur la politique de la banque centrale. Plus la vitesse de circulation est grande, moins l’économie a besoin de monnaie et il y a une baisse relative de la monnaie oisive dans l’économie. Et c’est la preuve que les revenus en quantité de monnaie ont servi au paiement d’un volume de règlements de transactions plus ou moins importantes. La vitesse de circulation est l’inverse du taux de liquidité des banques.

1.2. La présentation de quelques chiffres

Tableau 1 : Evolution de quelques variables macroéconomiques
Vitesse de circulation de la monnaie
PIB nominal (milliards de FCFA)
Crédits à l’économie (milliards de FCFA)
Masse monétaire (milliards de FCFA)

2008 3.5 10 485 1 290,5 2995,7
2009 3,3 10 880 1 520,4 3296,9
2010 2.7 11 352 2,065.7 4 172,7
2011 2,5 11 360 2 067,0 4 596 ,8
2012 2,4 12 575 2 226,6 5 305,9
Source : Les données issues du FMI
Figure 1 : Evolution de la vitesse de circulation de la monnaie de 2008 à 2012

Source : figure élaborée avec les données du FMI

Le tableau 1 et la figure 1 appellent quelques commentaires. Depuis 2008, le PIB nominal croît chaque année même si la variation n’est pas significative de 2010 à 2011 (+8 milliards de FCFA). Le crédit à l’économie et la masse monétaire ont progressé. De 2011 à 2012, le PIB a connu une croissance de 10,69% selon les prévisions, le crédit à l’économie 7,72% et la masse monétaire, 15,42%. Un paradoxe apparaît : la vitesse de circulation de la monnaie décroît depuis 2008. Elle est passée de 3,5 en 2008 à 2,4 en 2012. Cela signifie simplement que l’argent circule de moins en moins au sein de l’économie ivoirienne. Dire comme le président Alassane OUATTARA l’a fait, que l’argent se fait rare parce qu’il est utilisé pour des grands travaux n’est pas suffisant. Les raisons de la faiblesse de la vitesse de circulation de la monnaie sont ailleurs.

2. Les raisons pour lesquelles l’argent ne circule pas.

L’économiste découvre la nature juridique de la monnaie, au travers de son fonctionnement. Les économistes en distinguent trois: une unité de compte qui permet d’exprimer les prix des biens; un moyen d’échange reconnu par tous, qui permet d’effectuer des transactions; et une réserve de valeur, une des formes de la richesse, qui permet de reporter dans le futur l’acquisition d’un bien ou d’un service.
Si l’argent ne circule, c’est pour plusieurs raisons : soit il est thésaurisé, soit la reprise économique est lente et les chantiers en cours sont financés par endettement, soit le système bancaire bloque l’argent dans ses coffres il est alors dit surliquide, soit la pauvreté augmente.
La première raison est l’incertitude grandissante. L’insécurité confortable constatée depuis 2011 accroît les comportements attentistes des agents économiques (les investisseurs comme les ménages). Les attaques contre les positions des FRCI, les répressions organisées par les mêmes FRCI, le manque de visibilité dans le processus DDR et les rumeurs de coups d’Etat sont autant de facteurs qui entretiennent l’incertitude. Dans ces conditions, la demande de monnaie pour motif de précaution s’accroît répondant ainsi au besoin des agents de se prémunir contre l’imprévu, de saisir des opportunités d’achat à prix favorable (qu’il s’agisse de biens réels ou de titres) ou de garder un avoir en valeur nominale immuable pour faire face à une obligation future stipulée en monnaie. Les lendemains incertains expliquent la non circulation de l’argent.
En Côte d’Ivoire ce comportement s’est transformé en thésaurisation qui est le fait de conserver son argent sans le faire fructifier. C’est une forme d”épargne. Cela ne fait donc pas circuler l’argent et donc cela ne stimule pas l’économie. En intégrant dans les phénomènes monétaires et l’incertitude dans la vie économique comme influençant bien les prévisions des agents économiques et particulièrement des entrepreneurs, il va s’en dire qu’en période d’instabilité politique et d’insécurité, les agents économiques ont tendance à détenir une épargne de précaution qui prend la forme de thésaurisation. Les pertes des sociétés, les faillites des entreprises et le chômage des hommes mènent à un pessimisme et une perte de confiance, ce qui a son tour conduit à la thésaurisation et une diminution supplémentaire de la vitesse de circulation.

Une deuxième raison réside dans la lenteur de la reprise économique. Contrairement à l’excès d’enthousiasme du gouvernement, la reprise économique est lente. En réalité, l’économie ivoirienne est dopée par la dette publique. Puisque la monnaie est en partie détenue parce qu’elle facilite les échanges et que la monnaie dépensée est strictement égale à la valeur des marchandises qu’elle permet d’acheter, il en découle qu’une économie où l’argent ne circule pas beaucoup, est une économie en récession ou que la reprise est lente. C’est le signe que les niveaux de vie ont baissé en termes de revenu par tête et que le volume des transactions et donc des échanges dans le pays ont baissé.
Par exemple, le non-paiement de la dette intérieure par l’Etat de Côte d’Ivoire handicape sérieusement l’activité économique et donc la relance économique. Ce sont les grands travaux financés par l’endettement excessif du gouvernement qui constituent l’essentiel de l’activité économique en 2012. Le taux d’investissement brut est passé de 8,2% en 2011 à 12,1% du PIB tandis que l’épargne nationale brute est passée de 14,9% à 9,3 % du PIB. C’est la dette qui a financé les dépenses publique en infrastructure en Côte d’Ivoire en 2012.
L’augmentation des importations en 2012 peut expliquer également la rareté de l’argent. Même si au niveau du commerce extérieur, le volume des exportations a connu une croissance (de -3,5 en 2011 à 5,6% en 2012), les importations ont fortement augmenté (taux de croissance de -10, 3% en 2011 à 18,6% en 2012), tirées par les travaux publics de reconstruction. Le recours à l’endettement excessif du gouvernement a servi à financer les importations et les dépenses de prestige ayant un faible effet d’entrainement sur le reste de l’économie. Le plus souvent, les emprunts de l’Etat forment des rentes financières car ils contribuent à augmenter « de plus en plus les fortunes pécuniaires stériles » puisqu’ils ne sont pas la contrepartie d’une activité nationale. En Côte d’Ivoire, « l’argent importé » du président OUATTARA n’a profité qu’à une minorité de kleptomanes qui s’engraisse sur le dos des ivoiriens.

Une troisième raison réside dans le sous-développement du secteur bancaire et financier. La première caractéristique d’un secteur bancaire sous-développé, c’est qu’il n’accorde pas de crédit et de services bancaires.
En Côte d’Ivoire, la faiblesse de la circulation monétaire peut également s’expliquer par la faiblesse de la création monétaire nette. Cette dernière est la différence entre la création monétaire et la destruction monétaire. La destruction monétaire se fait lors du remboursement d’un crédit par le bénéficiaire, d’un titre d’emprunt arrivé à échéance ou lors de la vente de devises par une banque à un agent non financier. Les dépôts en 2011 s’élevaient à 3694 milliards de franc CFA contre 3136 milliards de franc CFA en 2010. Quant aux crédits bancaires, les banques ont injecté dans l’économie 3 113 milliards de franc CFA en 2011. En 2012, selon les chiffres de l’association professionnelle des banques et établissements financiers de Côte d’Ivoire (APBEF-CI), les ressources des banques s’élevaient à 3701,22 milliards de franc CFA avec 3060,01 comme emplois. Les ressources tirées de la clientèle s’élevaient à 3324,4 milliards de franc CFA et les emplois à 2136,3 milliards de franc CFA. Les banques enferment l’épargne des ivoiriens dans leurs caisses faisant apparaître une surliquidité bancaire. Les banques ont retiré l’argent de la poche des opérateurs économiques pour le garder dans leurs coffres.

Une autre raison réside dans la baisse des revenus des ménages. A prix constant, la faiblesse des revenus peut entrainer la faiblesse de la vitesse de circulation de la monnaie. Les licenciements massifs à la RTI, à la Sotra, à la Société Les Palaces de Cocody, au Port autonome d’Abidjan, à la CEI et dans bien d’autres secteurs, ont appauvri les populations. Dans ce même ordre d’idées, les décrets portant augmentation du taux de cotisation de la pension de retraite de 18 à 25 % dans le secteur public et de 8 à 12% dans le secteur privé, sans au préalable avoir débloqué les salaires ni relevé le Smig, conformément aux accords avec les Centrales, ont eu un impact négatif sur le budget des ménages ivoiriens. L’épargne nationale en pourcentage du PIB a donc fortement baissé du fait des prélèvements obligatoires qui ont augmenté.

Tableau 2 : L’Evolution de l’investissement brut et de l’épargne nationale brute en % du PIB
Investissement brut
(en % du PIB) Epargne nationale brute (en % du PIB)

2010 9,0 10,1
2011 8,2 14,9
2012 12,1 9,3

Source : Les données sont du FMI.

Le produit intérieur brut de la Côte d’Ivoire ayant globalement augmenté de 2008 à 2012, la circulation fiduciaire devrait croître toutes choses égales par ailleurs. Les variations de la demande de monnaie sont imputables aux quantités de bien de consommation que les agents désirent consommer.
En effet, une augmentation du nombre de pauvres entraîne une augmentation du nombre de personnes ayant un besoin important de petite coupure de monnaie pour réaliser leur transaction quotidienne, pourtant dans le même temps il y a une diminution de la petite monnaie disponible dans les achats quotidiens ; par conséquent on aboutit à une aggravation de la rareté de la petite monnaie.

Conclusion
La gouvernance du président Alassane Dramane OUATTARA accroît l’incertitude, décourage l’investissement privé, produit le chômage et les dépenses publiques d’infrastructures assises sur l’endettement. La conséquence directe est la paupérisation de la population. Président, si l’argent doit travailler à la place des Hommes, nous serons tous au chômage ! Peut-être que c’est lorsque les ivoiriens trouveront un travail qu’ils feront plus circuler la monnaie. Essayez d’y penser sérieusement !

Dr PRAO Yao Séraphin
Délégué national au système monétaire et financier à LIDER

Sat, 05 Jan 2013 20:37:00 +0100

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