Sévices sexuels sur les mineurs: Silence, on viole dans l’impunité

Des jeunes filles victimes de viol dans un centre d'écoute Crédits: Unicef
Sévices sexuels sur les enfants: SILENCE, ON VIOLE DANS L’IMPUNITE

«C’était le 10 octobre 1992. Mon tuteur, un sous-officier de police, s’est introduit nuitamment dans ma chambre. Il m’a violée après m’avoir violemment brutalisée et mis en lambeau mes dessous». Celle qui s’exprime ainsi se nomme K. Cynthia.

La trentaine révolue, Cynthia est aujourd’hui cadre commercial dans une entreprise de la place. Dix-neuf ans après, elle revit, comme si cela datait d’hier, la douleur atroce qu’elle a ressentie ce jour là. Surtout que, selon cette jeune femme qui, à l’époque avait 15 ans et «n’avait jamais eu de relations sexuelles». Cynthia explique que, orientée en classe de seconde A dans un lycée de Grand Bassam, elle a été accueillie par une cousine éloignée de sa veuve de mère qui s’occupait seule d’elle.

«Mon tuteur a menacé de me chasser de chez lui et aussi de se séparer de ma tante, si je rendais publique cette situation. Comme je ne voulais créer de problèmes à personne, mais aussi, comme je ne savais pas chez qui aller, je n’ai rien dis », rapporte Cynthia la gorge nouée. Qui souligne toutefois que, pendant les grandes vacances scolaires de cette année 92, de retour chez sa mère à Toumodi, elle informa sa génitrice du viol dont elle avait été victime. Cette dernière lui demandera de garder le silence. La rentrée scolaire suivante, la jeune élève devenue boursière d’Etat, a pu intégrer sans grande difficulté l’internat des jeunes filles de l’école.

Une autre infortunée a vécu quant à elle une histoire incroyable. Les yeux remplis de larmes, Angeline Kouamé raconte aujourd’hui plus de 10 ans après, le calvaire qu’elle a vécu dans le foyer de sa propre mère. Son beau-père, c’est-à-dire le mari de celle-ci, la violait à chaque fois que sa maman s’absentait de la maison. Et cette situation a duré des années, jusqu’à ce qu’Angeline, qui avait à peine 13 ans et une forte corpulence à cette époque, se décide à en parler à sa mère. Mais, quelle ne fut sa surprise !

En lieu et place de la révolte qu’elle était en droit d’attendre de sa génitrice, ou à tout le moins de la compassion maternelle, c’est plutôt les foudres de sa mère qu’elle va essuyer. L’adolescente est battue comme plâtre par sa mère et accusée de vouloir briser le foyer de cette dernière. Le violeur de mari, lui, a nié les faits et décidé, d’un commun accord avec sa femme, de ne plus prendre sous leur toit, la petite Angeline. Pire, le chef de famille a décidé de ne plus s’occuper des études de la jeune fille.

N’ayant pas été reconnue par son père à sa naissance, la jeune fille n’a eu pour refuge que le domicile de la cousine de sa mère, la seule personne à comprendre la fillette et à lui apporter son soutien lorsque la grande famille a été informée de la situation.

Comme Cynthia et Angeline, elles sont nombreuses ces jeunes filles ivoiriennes à subir, dans un silence presque coupable, des sévices sexuels. Cette situation s’est aggravée avec la crise militaro-politique que la Côte d’Ivoire connaît depuis bientôt 10 ans.

En effet, selon les estimations de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) publiées récemment dans un document d’Ocha/Irin et intitulé «Corps meurtris, rêves brisés : La violence à l’égard des femmes mise à jour » qui prend en compte la situation en Côte d’Ivoire, quelques 25% de filles et environ 8% de garçons subissent une forme d’abus sexuel.

«Les enfants dont l’âge est compris entre 7 et 13 ans sont les plus vulnérables face à la violence sexuelle», soutient Dr Kassi Herman, un pédiatre. Le praticien indique qu’il a eu à suivre des enfants qui ont subi des sévices sexuels. Dr Kassi révèle que généralement les enfants violés subissent une pénétration au niveau des organes génitaux à l’aide du sexe du violeur, d’un doigt ou d’un objet.

Mme Zadi Aline confirme ces pratiques obscènes. Elle raconte que sa fillette de 6 ans a été agressée sexuellement par son voisin, la quarantaine révolue. «Mon voisin gardait ma fillette chaque fois que je sortais faire une course. Il profitait de ces occasions pour faire des attouchements sexuels à ma fille. Elle se plaignait constamment d’un mal de ventre. J’avais aussi observé que sa démarche avait également changé. Elle marchait les jambes écartées», indique-t-elle. Une visite chez le pédiatre a montré une forte déchirure au niveau des parties génitales de la fillette.

En réaction à cette agression sur sa fille, Mme Zadi porta plainte à la police contre son voisin qui, du reste, est du même groupe ethnique qu’elle. Mais, suite aux pressions et interventions des membres influents de la communauté et de ses propres parents, Mme Zadi a dû se résoudre, à son corps défendant, à retirer sa plainte pour un règlement à l’amiable. Au risque de se mettre à dos…toute sa communauté.

Dr Kouadio Daniel, un autre pédiatre, explique en détail le cynisme de ces violeurs qui « pour avoir accès à la partie génitale d’un nourrisson, l’agresseur doit d’abord créer un canal reliant le sexe du bébé au rectum périnéal par insertion forcé d’un objet. Cette forme de viol expose immédiatement le nourrisson à un danger de mort suite à une hémorragie ou une infection abdominale, même traitées ».

Quant à Mme Blawa Henriette, elle témoigne que son petit garçon de 7 ans a eu de la chance. Son voisin, un jeune travailleur qui n’a jamais été vu dans le quartier en galante compagnie, forçait son bambin à regarder des films pornographiques. Pendant ce temps, rapporte-t-elle, le violeur montrait ses parties génitales à l’enfant. Au point où ce dernier est venu rendre compte à sa maman. « Je ne prenais pas au sérieux ce que disait mon fils. Pour moi, il avait beaucoup d’imaginations. Jusqu’à ce que je surprenne un jour mon voisin montrant ses parties intimes à ce dernier », indique cette mère de famille.

Silence autour des sévices sexuels

Le lieutenant Oulaye de la police des mœurs explique que dans nombre de cas, les agresseurs sexuels sont des personnes proches ou vivent dans l’environnement immédiat des victimes. « La plupart sont leurs pères, beaux-pères, grands-pères, oncles, frères, beaux-frères, cousins, voisins ou encore des amis de la famille », a-t-il souligné. Avant de faire remarquer qu’«il peut s’agir de personnes influentes au sein de la communauté, qui tirent profit du pouvoir dont ils disposent (des professeurs, des dignitaires religieux ou des médecins). Enfin, les agresseurs sont parfois des enfants plus âgés ou des jeunes gens : petits amis, camarades de classe ou autres connaissances », indique le document d’Ocha/Irin intitulé « Corps meurtris, rêves brisés : La violence à l’égard des femmes mise à jour » sur le sujet.

Selon la coordinatrice auprès de l’International Rescue Committee (IRC) dans le domaine de la violence sexuelle en Côte d’Ivoire, Mme Bakayoko-Topolska, les pressions exercées à la fois par la famille de la victime et par celle du violeur en faveur d’un arrangement à l’amiable, en dehors du système judiciaire officiel, sont l’un des nombreux facteurs qui découragent généralement les victimes et leurs parents à porter plainte auprès des autorités judiciaires.

En fait, selon des défenseurs des droits de l’homme, le viol n’est pas perçu par nombre d’Ivoiriens comme un crime grave. Pour eux, c’est simplement «un truc sexuel». Ces personnes ne comprennent pas pourquoi on peut conduire quelqu’un devant la justice où en prison au motif qu’il a violé une fille. Alors que le problème peut être réglé à l’amiable. Les agresseurs présumés sont généralement libérés après une courte période de détention.

Et pourtant, les victimes des sévices sexuels restent marquées psychologiquement toute leur vie par cette situation. Dans certains cas, elles font face à des séquelles physiques.

En effet, selon le Psychiatre, Pr. N’goran Amani, les victimes de sévices sexuels peuvent développer le syndrome de stress post-traumatique. Les victimes peuvent aussi avoir des tendances suicidaires, si elles ne sont pas prises en charge psychologiquement.

Outre les effets psychologiques, certaines victimes connaissent des problèmes physiques. C’est que, selon les experts, les filles qui ont subi des sévices sexuels au cours de leur enfance seront plus susceptibles d’adopter un comportement sexuel à risque. Elles seront donc exposées, à long terme, aux maladies sexuellement transmissibles etc.

«Ces fillettes peuvent avoir un dysfonctionnement sexuels, une fois adulte », explique un médecin gynécologue, Dr. Kouamé Arsène. Avant de souligner que certaines ne pourront pas avoir d’enfants.

Le phénomène des viols à visage découvert a également pris de l’ampleur dans le pays avec la crise militaro-politique que connaît la Côte d’Ivoire depuis 2002. En tout cas, c’est le grand ouest ivoirien qui est le plus concerné par cette situation déplorable.

Théodore Kouadio

theodore.kouadio@fratmat.info

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QUAND L’IMPUNITE CONFORTE LES VIOLEURS !

Selon les différents rapports des Nations unies sur la Côte d’Ivoire, le phénomène des viols est particulièrement grave le long de la route de 35 kilomètres qui mène de Duékoué à Bangolo, dans l’ouest ivoirien.

Dans son dernier rapport de l’année dernière intitulé «Terrorisés et abandonnés : L’anarchie, le viol et l’impunité dans l’ouest de la Côte d’Ivoire », l’Organisation non gouvernementale internationale Human Right Watch (HRW) affirme que plusieurs femmes et filles sont de façon récurrente agressées sexuellement, violentées et violées en groupe lors de ces actes criminels dans le grand ouest ivoirien.

« Les femmes et les filles sont systématiquement sorties des véhicules de transport, une par une, et emmenées dans la brousse où elles sont violées tandis que d’autres bandits montent la garde. On compte parmi les victimes des enfants très jeunes, y compris des bébés, et des femmes de plus de 70 ans », relève le document. Avant de souligner que lors d’attaques à domicile, des maris sont ligotés et forcés à regarder tandis que leurs épouses, leurs filles et d’autres parentes sont violées.

Le rapport explique aussi que «des femmes sont parfois enceintes à la suite de ces agressions, même si le non signalement et des avortements à risques et clandestins masquent probablement de nombreux autres cas».

Le problème soulevé par les défenseurs des droits de l’homme est l’impunité. En effet, selon eux, les gangs criminels, les policiers, les gendarmes et les forces rebelles infligent à la population un flux incessant d’exactions notamment des actes de banditisme, d’agressions, d’extorsions et le viol de femmes, de filles et même de bébés.

« Les institutions de l’État chargées de la prévention et de faire rendre des comptes aux auteurs de ces violences se sont largement abstenues d’agir, permettant à une dangereuse culture de l’impunité de s’installer… », a conclu le rapport de l’ONG internationale Human Right Watch (HRW).

T K

In fratmat.info

Mon, 05 Aug 2013 03:49:00 +0200

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