Politicien et homme d’État : des oiseaux de même plumage ?

Julien Freund définissait la politique comme “l’activité sociale qui se propose d’assurer par la force, généralement fondée sur le droit, la sécurité extérieure et la concorde intérieure en garantissant l’ordre au milieu de luttes qui naissent de la diversité et de la divergence des opinions et des intérêts” (cf. ‘L’essence du politique’, Paris, Dalloz, 1965).

Aristote, dont la pensée a beaucoup influencé Freund, estimait que cette politique devrait permettre à chacun d’avoir “une vie bonne” dans la cité (polis en grec). Les citoyens ne peuvent atteindre cette vie bonne, ajoutait-il, que dans une société qui ne tolère pas l’injustice en son sein. Une société vit dans l’injustice lorsqu’une minorité y a droit à des avantages et privilèges de toutes sortes pendant que la majorité, privée du strict minimum vital, est soumise à l’arbitraire et aux ratonnades. On comprend dès lors pourquoi le Stagirite condamne le capitalisme excessif et l’esclavage (cf. Aristote, ‘La Politique’). Cette précision étant faite, qu’est-ce qui distingue le politicien de l’homme d’État ?

Sauf au Québec, le substantif “politicien” a une connotation péjorative car il désigne un individu qui, en plus d’être coutumier des coups bas et des intrigues en politique, utilise tous les moyens pour parvenir à ses fins.  

Le politicien promet beaucoup mais réalise peu. D’ailleurs, il pense que “les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent”. Une formule que l’on doit à Henri Queuille, ministre sous la IIIe République en France, et qui sera reprise par Charles Pasqua et Jacques Chirac en 1988. Lorsqu’un candidat promet de donner des milliards de franc CFA à toutes les villes du pays, de n’exercer qu’un mandat de 5 ans, de sévir contre tous les coupables de crimes contre l’humanité, d’être au service de tous les citoyens et qu’il fait autre chose une fois arrivé au pouvoir, c’est un politicien. L’homme d’État, lui, met un point d’honneur à tenir ses promesses; il est soucieux de faire ce qu’il dit. Le respect de la parole donnée est une règle sacro-sainte chez lui.

Le politicien ne voit pas la politique comme “l’art de résoudre les problèmes, mais de faire taire ceux qui les posent” (H. Queuille). Au début des années soixante, un certain nombre de jeunes cadres du PDCI avaient posé des problèmes qui méritaient l’attention du gouvernement et du parti. Par exemple, ils regrettaient que la France continue d’avoir la mainmise sur le pays après 1960, l’année des fausses indépendances. En réponse à leurs justes préoccupations, Houphouët, probablement à l’instigation de Foccart, les fit arrêter et emprisonner à Assabou après les avoir accusés de comploter contre lui. 4 ans plus tard, Houphouët avouera avoir été induit en erreur par le commissaire Goba (cf. Samba Diarra, ‘Les faux complots d’Houphouët-Boigny. Fracture dans le destin d’une nation : 1959-1970’, Paris, Karthala, 1997). Jeter en prison journalistes et enseignants parce qu’ils ont soulevé de vraies questions tout en laissant en liberté des criminels connus de tous est le propre des politiciens. Parce qu’il reconnaît le droit au désaccord, parce qu’il adhère à l’idée que “à vouloir étouffer les révolutions pacifiques, on rend inévitables les révolutions violentes” (John Fitzgerald Kennedy), l’homme d’État n’embastille pas ceux qui critiquent sa gestion de la Res publica. Charles de Gaulle était constamment vilipendé par Jean-Paul Sartre qui qualifia le scrutin présidentiel de décembre 1965 “d’élections pièges à cons” mais, quand des militaires voulurent arrêter Sartre pendant les événements de mai 1968, le général refusa en disant: “On n’emprisonne pas Voltaire.” 

Le politicien cherche à faire carrière. Il se gardera donc d’aborder les sujets qui fâchent comme l’homosexualité, le départ des soldats français d’Afrique, la fin du franc CFA, les multinationales Bouygues, Bolloré, Lagardère, Orange, Areva qui “s’enrichissent outrageusement alors que l’espérance de vie en Afrique est de 49 ans et qu’un enfant sur 3 n’y mange pas à sa faim” (Michel Collon, journaliste belge). L’homme d’État n’a pas peur de prendre position sur ces questions parce que, pour lui, il s’agit de protéger ou de défendre le peuple. Pour lui, il est inacceptable que le peuple soit famélique et porte des guenilles pendant que les députés, maires, ministres et président de la République sont bien nourris, roulent dans de grosses cylindrées et se soignent avec leurs familles dans les meilleurs hôpitaux de Paris, Londres ou Genève.

Le politicien n’a pas d’autre métier que la politique. Un métier qui le nourrit et l’entretient. L’homme d’État, par contre, a souvent exercé un métier (médecin, pharmacien, enseignant, agriculteur, ingénieur ou facteur comme Olivier Besancenot en France) avant de descendre dans l’arène politique. S’il est fatigué de la politique, il n’a pas honte de retourner à ce qu’il faisait avant. 

L’homme d’État pense en même temps au court et au long terme tandis que le politicien n’est intéressé que par ce qui arrive aujourd’hui. Comme l’a bien résumé l’Américain James Freeman Clarke, “la différence entre le politicien et l’homme d’État est la suivante : le premier pense à la prochaine élection, le second à la prochaine génération”.

Le politicien est capable d’invoquer les grandes figures littéraires et humanistes (Zola, Camus, Guevara, Jean Moulin, Gandhi, Luther King, Nelson Mandela, Mère Teresa, Nkrumah, Nyerere, Sankara…) mais fera le contraire de ce que ces hommes et femmes ont accompli. Tel est le cas de François Hollande qui, le 23 avril 2014 à Carmaux (dans le Tarn), rendait hommage à Jean Jaurès, grande figure de la gauche française assassinée en 1914. Pourtant sa politique ultra-libérale et sa propension à plaire au Medef n’avaient rien à voir avec les idées de Jaurès. Pour Michel Onfray, seuls des “guignols” sont capables de se revendiquer de Jaurès ou de Jean Moulin tout en soutenant oligarques, dictateurs et criminels. En Côte d’Ivoire, Ouattara, quoique se réclamant d’Houphouët, n’hésita pas en 2011 à faire bombarder la résidence du chef de l’État construite par le même Houphouët. Il ne s’installa jamais à Yamoussoukro contrairement à une promesse de campagne. Le fait que la prison, l’exil ou les gaz lacrymogènes soient ses seules réponses aux légitimes revendications de l’opposition montre qu’il n’a rien à voir avec Houphouët qui, dit-on, était attaché au dialogue. Pire encore, la capitale politique, abandonnée depuis 1993, se meurt pendant qu’il s’enrichit et thésaurise. 

L’homme d’État s’efforce d’être cohérent avec lui-même. Cela veut dire qu’il se gardera de reconnaître un individu qui vient de briguer un 3e mandat illégal. Jamais il ne l’appellera “président”. Le politicien, lui, ne voit aucun inconvénient à participer à des élections bidon organisées par une commission électorale inféodée au dictateur. Car l’important, pour lui, ce n’est pas le peuple, mais sa petite personne, l’argent qu’il gagnera avant ou après le scrutin, son poste et sa carrière. Il a une obsession : entrer dans l’Histoire. Peu lui importe par quelle porte il y entre. Ni les reniements ni les compromissions ne lui posent donc aucun problème. L’incohérent, c’est aussi le socialiste qui, une fois parvenu au pouvoir, tourne le dos aux valeurs de la gauche que sont la simplicité, l’autocritique, l’intégrité, le partage avec les démunis et la solidarité avec les camarades. 

Tout ce qui précède nous montre que ce sont les politiciens qui donnent une mauvaise image de la politique. Sinon, celle-ci est au départ une activité noble, “le champ de la plus vaste charité” (Pape Pie XI en 1927). 

N’est-il pas temps de sanctionner les politiciens de tous les camps si nous voulons redonner à la politique ses lettres de noblesse ?

Jean-Claude DJÉRÉKÉ

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