La Charte de la Renaissance culturelle de l’Afrique, adoptée en 2006 par les chefs d’État africains à Khartoum, au Soudan, vise à instaurer une Afrique autonome, fière de son histoire et enracinée dans ses valeurs culturelles. Toutefois, ce texte semble provoquer des résistances chez certains dirigeants africains, sans doute en raison de ses positions sur la décolonisation culturelle, y compris la critique des religions introduites par les conquérants arabes et occidentaux.
Ces religions, qui font aujourd’hui partie intégrante de la vie de nombreux Africains, sont blâmées pour avoir légitimé l’esclavage, la traite négrière et la colonisation. L’Église catholique a historiquement cautionné l’asservissement des Noirs.
En 1452, le pape Nicolas 5 a émis une bulle papale, Dum Diversas, qui autorisait les royaumes chrétiens d’Europe, notamment le Portugal et l’Espagne, à réduire en esclavage les populations non chrétiennes, en particulier en Afrique. Trois ans plus tard, en 1455, le pape Nicolas 5 a publié le décret Romanus Pontifex, qui renforçait cette légitimation en accordant au roi du Portugal, Alphonse 5, des droits exclusifs sur les terres et peuples découverts, consolidant ainsi le système de l’esclavage et préparant le terrain pour une forme précoce de domination coloniale en Afrique.
Les missionnaires chrétiens, qui ont souvent accompagné les colonisateurs, prêchaient l’obéissance et approuvaient implicitement les politiques de domination. De même, les sociétés musulmanes ont pratiqué la traite des Noirs, dite arabo-musulmane, qui a duré environ 13 siècles.
L’ouvrage monumental de l’UNESCO, Histoire générale de l’Afrique, insiste sur le rôle pionnier du continent africain dans l’élaboration des concepts religieux. Il met en lumière le fait que l’Égypte antique, peuplée par des Noirs, a eu une influence majeure sur la Grèce antique, berceau de la civilisation occidentale. À ce propos, le savant Cheikh Anta Diop affirme que l’Égypte a été « l’institutrice de la Grèce dans tous les domaines ». Il relève également des similitudes troublantes entre les figures religieuses égyptiennes et celles du christianisme, notamment entre Osiris, Horus et Jésus-Christ, ainsi qu’entre Isis, déesse noire, et Marie, mère de Jésus. Selon l’Histoire générale de l’Afrique, « L’influence religieuse égyptienne sur certains aspects de la religion gréco-romaine est particulièrement apparente pour l’historien, comme en témoigne la popularité de la déesse Isis et de son culte dans l’Antiquité classique. »
Face à ce lourd héritage, la Charte recommande explicitement l’introduction de l’Histoire générale de l’Afrique dans les programmes scolaires. Ce projet, s’il était mis en œuvre, permettrait aux Africains de connaître leur histoire précoloniale, déformée par les récits des peuples esclavagistes dans le but d’imposer leur supériorité sur les Noirs.
Cependant, tout laisse croire que cette mesure est perçue comme subversive par certains dirigeants. Ces derniers, responsables de la mise en œuvre de la Charte, sont eux-mêmes profondément influencés par des systèmes de pensée hérités de la colonisation, qui les enferment dans la perpétuation de la domination culturelle étrangère.
Ainsi, bien que la Charte de la Renaissance africaine soit entrée en vigueur, sa promotion sur le continent reste marginale, particulièrement en Afrique subsaharienne. De fait, le manque de volonté politique en est la principale cause. De nombreux dirigeants hésitent à soutenir des idées qui remettent en question l’ordre religieux et social actuel, car cela bouleverse leurs croyances héritées des religions étrangères.
De plus, un grand nombre d’Africains, dont des membres des classes dirigeantes, ne connaissent pas les principes de la Charte, en raison d’un manque de sensibilisation.
En effet, pour que la Charte devienne un véritable outil de transformation, il est essentiel de vulgariser ses enseignements et de s’assurer qu’ils soient bien compris. Cela implique que les dirigeants africains surmontent leurs contradictions, acceptent une critique honnête de l’histoire, reconnaissent le rôle nocif des religions importées et promeuvent les valeurs culturelles africaines. Le renforcement de l’éducation historique, pour que chaque Africain connaisse ses racines et soit fier de son patrimoine, est un impératif.
En définitive, la Charte de la Renaissance africaine représente une opportunité inestimable pour rétablir l’identité africaine. Cependant, elle paraît constituer une menace pour certains chefs d’État et responsables politiques, pris entre leur attachement aux religions introduites par la colonisation et leur responsabilité d’encourager l’émancipation du continent. Tant que ces incohérences ne seront pas résolues, la Charte risque de rester un document symbolique, sans impact sur la société africaine.
Axel Illary