CPI-GBAGBO/”La CPI gagnerait a asseoir sa credibilité…”selon Vincent HUGUEUX

Connu pour ses enquêtes sur les régimes africains et la Françafrique, le journaliste Vincent Hugeux, grand reporter à « l’Express », vient de publier aux éditions CNRS un essai intitulé : « Afrique :le mirage démocratique ». Interrogé par Robert Kongo, notre correspondant en France, il évoque avec une pertinente clarté d’un observateur la question de la démocratie en Afrique.

Qu’est- ce qui vous a poussé à écrire cet essai ?

L’aventure est parfois au coin de la rue, dit-on. Un matin, à 200 mètres de chez moi, à Vanves, une petite ville tranquille au sud de Paris, je croise une Africaine trentenaire, dont je découvrirais par la suite qu’elle est Franco-Ivoirienne. Outrée par mes propos tenus à la radio et à la télévision pendant la phase la plus aigüe de la crise ivoirienne, elle me regarde et m’agresse verbalement. L’index pointé, elle éructe, crache sa rancœur et son dépit. Tout y passe, tout y est : « Il serait temps de respecter les Ivoiriens ! Je vous ai vu à la télé. Vous devriez avoir honte de vos mensonges. Que ça vous plaise ou non, Gbagbo a gagné. Ouattara, qui n’est même pas ivoirien, lui a volé sa victoire avec l’aide de Sarkozy et de types comme vous ! De toute façon, vous êtes payé par Ouattara… ». Son ressentiment se traduisait par la rudesse de ses propos. A tel point qu’il était impossible d’engager le dialogue. Intrigué par la scène, un curieux, noir de peau lui aussi, s’approche au guidon de son vélo pour calmer « sa sœur ». Je m’adresse spontanément au Monsieur : « Ne vous inquiétez pas. Madame est en train d’écrire le prologue de mon prochain bouquin. » Voilà comment est née l’idée de cet ouvrage.

Des propos tenus par cette Franco-Ivoirienne vous paraissent-ils absurdes ?

Evidemment non. Je ne prends pas du tout cette épisode comme une sorte d’agression personnelle. Ce qui m’intéresse, c’est de l’analyser et d’en comprendre le ressort. La rancœur intense de cette femme est sincère. Elle est très heurtée par l’éviction , qu’elle trouve injuste de Laurent Gbagbo. Mais son amertume m’apparaît comme une sorte de névrose identitaire.

C’est-à-dire ?

C’est une femme déchirée, tiraillée entre la France et la Côte-d’Ivoire. Elle vit en France, elle a un passeport français, et en même temps, elle crache sur ce pays qu’elle considère comme à l’origine de tous les maux de sa patrie d’origine et de cœur. Elle tente à imputer tous les maux de son pays, du continent ensuite, à une sorte de dessein pervers, néocolonial, récurrent. Tout serait explicable par ce prisme et c’est à partir de ce moment que je décroche. Je suis parfaitement réfractaire au déni historique. Pire, une certaine intelligentsia bardée de diplômes, parfaitement maîtres de nos codes lexicaux et culturels, joue de cette rancœur sincère pour des calculs politiques. Cette façon de penser relève d’une régression intellectuelle flagrante.

Comment comprendre que la France intervienne pour faire respecter les résultats des urnes en Côte-d’Ivoire et qu’elle refuse à le faire au Gabon ?

Je consacre une partie de l’ouvrage à cette question, autrement dit, cette aptitude de la France à saper son propre catéchisme en n’appliquant pas le même régime aux uns et aux autres. Vous citez le cas gabonais qui est excellent car nous savons que de pesantes suspicions planent sur la victoire d’Ali Bongo. Le cas du Mali pourrait également illustrer ces deux poids deux mesures. On va sauver la démocratie à la pointe du fusil en Côte-d’Ivoire. Au Mali, on entérine à minima l’éviction d’un président élu auquel il restait quelques semaines de mandat, et qui à la différence de beaucoup de ses pairs africains, n’avait pas bricolé sa constitution pour briguer un troisième mandat, celui de trop. Je dis également que la Cour Pénal International (CPI) gagnerait infiniment à asseoir sa crédibilité en déjouant le procès en dissymétrie. Et c’est vrai dans le cas de la Côte d’Ivoire.

Que pensez-vous des résultats de l’élection présidentielle du 28 novembre 2011 en RDC ?

Pour moi, toute la séquence avant, pendant et après le scrutin du 28 novembre 2011 en RDC, c’est l’archétype du processus électoral dévoyé. Je l’explique très clairement dans le bouquin.

A propos de cette élection, on a pas beaucoup entendu la voix de la France…

A mon avis, il y’a deux raisons à cela. D’abord, La RDC appartient à la sphère francophone historique certes, mais elle est plus belge que française. La France n’a pas beaucoup d’influence en RDC comme elle en aurait dans ses anciennes colonies d’Afrique. Ensuite, la France a des intérêts à préserver au Congo. Il faut bien qu’elle y agisse avec circonspection et diplomatie.

Aujourd’hui, le Mali va mal et risque d’exploser d’un moment à l’autre. N’est-ce pas inquiétant pour la démocratie en Afrique francophone ?

Le premier trimestre 2012 en Afrique francophone a été pour le moins contrasté. Il y’a eu une bonne et une mauvaise nouvelle ! Pour la bonne nouvelle, il s’agit de la quasi divine surprise du Sénégal, qui après une décennie de dérive narcissique, clanique et monarchique de la famille Wade, renoue avec l’expérience inaugurale de l’an 2000. Le 25 mars dernier, l’alternance apaisée entre Abdoulaye Wade et le nouveau président du Sénégal, Macky Sall , a été saluée dans le monde entier comme ce fut le cas il y’a douze ans entre Abdou Diouf et le vieil opposant Wade. Pour la mauvaise nouvelle, il est question de la situation politique au Mali…

Pourtant, le Sénégal et le Mali étaient présentés comme les deux vitrines de la démocratie en Afrique…

C’est vrai. Mais quand on compare les deux pays, on constate que le Sénégal a une tradition d’Etat. Même si l’Administration a ses défauts et ses imperfections mais elle fonctionne. Ce qui n’est pas le cas pour le Mali dont les structures étatiques sont faibles. Donc, il ne suffit pas d’adopter les rituels démocratiques pour fonder une démocratie. Pour créer un contexte plus propice à la démocratie et au développement économique, il faut des structures étatiques fortes.

C’est pourquoi dites-vous que la démocratie ne serait qu’une illusion en Afrique ?

Il faut nuancer mes propos parce que je dis aussi que je m’inscris radicalement en faux contre l’essentialisme chiraquien qui se résume par la fameuse formule : « l’Afrique n’est pas mûre pour la démocratie ». Mon objection à cette formule n’est pas seulement philosophique, elle s’appuie sur des faits. Je cite des exemples dans cet ouvrage des pays qui ont accédé à une maturité démocratique assez remarquable eu égard à leur jeunesse, tant dans la sphère francophone que dans la sphère anglophone. En revanche, je dis que du côté africain comme du côté occidental, on se contente très souvent d’un rituel démocratique qui ne correspond pas à un enracinement d’une tradition pluraliste et d’alternance dans les esprits. On va employer les lexiques et les outils de la démocratie pour sauver les apparences. L’occident, moitié par naïveté moitié par calcul, et au nom de la sacro-sainte stabilité, se contente trop aisément de ce théâtre d’ombre. Un candidat se fait élire puis réélire en usant des subterfuges que je décris par l’exemple dans l’ouvrage : modification de la constitution visant pour l’essentiel à obtenir le droit de briguer un mandat de plus qui est toujours un mandat de trop et le recours au scrutin à un seul tour qui favorise le président sortant soutenu par la coalition des partis au pouvoir. Donc, on peut parfaitement maintenir l’illusion d’une vie démocratique avec l’ouverture politique et l’autorisation de nombreux partis politiques, dont la plupart de ces groupements ne sont d’ailleurs que des partis satellites, mais ce n’est pas ça la démocratie !

A vous entendre, la démocratie est vouée à l’échec sur le continent noir…

Non. Il y’a beaucoup de raisons d’espérer. Les contre-exemples existent. Il faut avoir un regard équitable là-dessus. Il y’a certains pays qui ont déjà fait l’honneur dans la démocratie. On peut citer notamment le Ghana, la Zambie, le Botswana, le Sénégal et l’Afrique du sud. C’est la preuve par l’exemple qu’il n’y a pas de fatalité. La démocratie est bel et bien possible en Afrique.

Selon vous, quelle démocratie pour l’Afrique ?

Les Africains ont besoin d’un modèle démocratique qui s’enracine dans le pluralisme en favorisant l’alternance politique et qui tient davantage compte de leurs réalités. L’importation, en Afrique, du modèle de démocratie occidentale n’a pas permis de résoudre le problème de développement de ces pays dans la mesure où ces derniers ont été contraints, sur fond de colonisation, à adopter, dans leur système administratif , la politique de la métropole à la lettre.

Il faut donc réinventer un nouveau modèle de démocratie…

Je pense qu’il n’est pas utile de juger les démocraties africaines à l’aune de leur conformité avec un éventuel hypothétique modèle occidental. Que l’on désigne son représentant par le jeu d’une élection avec une urne transparente, un isoloir…ou qu’on le désigne sous l’arbre à palabre après que chacun eut la possibilité de s’exprimer et qu’un consensus émerge à la fin sur le choix d’un délégué du village, du département, de la province… cela ne pose aucun problème. A mon avis, la deuxième formule serait plus solide et plus durable que la première parce qu’elle serait véritablement en phase avec le substrat culturel.

Cette illusion démocratique s’applique souvent en Afrique francophone qu’en Afrique anglophone. Comment expliquez-vous cela ?

C’est un phénomène extrêmement intéressant, mais là aussi, il faut nuancer. L’exemple du Kenya est éloquent : figure de proue anglophone, s’il en est un, ce pays est passé de la démocratie au chaos dans les années 2008, 2009. Mais sur le fond, je souscris bien entendu à votre constat. Il est vrai que les espaces de statu quo de régression démocratique appartiennent bien davantage à la sphère francophone. Je pense que la façon dont des indépendances ont été négociées, consenties et arrachées divergeait, selon qu’on était à Londres ou à Paris. Je pense aussi que les rapports aux élites locales et le système d’éducation n’étaient pas les mêmes. Je pense surtout qu’il y’a une spécificité qui est résumé par ce néologisme Françafrique. Il n’existe pas d’Angloafrique ou d’Hispanoafrique… Cela veut bien dire que dans la vision des élites françaises des années 50,60 et 70, mais aussi dans celle d’une bonne partie des élites africaines de l’époque, il y’avait une spécificité que l’on retrouvait d’ailleurs dans la tentative avortée de De Gaulle : instaurer l’association de la France avec les peuples d’Afrique. Très clairement, il y’a là une sorte de travers français consistant à considérer que l’indépendance accordée aux colonies d’Afrique était formelle. En vérité, la tutelle continue, mais une tutelle consentie. La mise sous tutelle ne rime pas avec indépendance et démocratie.

Les occidentaux se complaisent donc à ce que vous appelez « le mirage démocratique »…

Ils se contentent , eux aussi, même trop souvent, de cette démocratie formelle. Il y’a, par exemple, une sorte de culte au respect du calendrier, comme si la tenue d’un scrutin à l’échéance fixée était une fin en soi. Et comme la tendance est plutôt au désengagement politique, économique, militaire…, on est enclin, avec un lâche soulagement, de conclure que l’élection a eu lieu à la date prévue. Certes, il y’a eu des accrochages ici, des bourrages des urnes là-bas, mais grosso-modo, la sincérité globale de la consultation a été respectée, soutiennent-ils. Cela s’appelle mettre la charrue avant le bœuf. Une élection pour être véritablement un moment démocratique doit être l’aboutissement d’un processus et non pas son début. Si vous avez une élection, alors qu’il n’y a pas eu véritablement de campagne pluraliste d’accès aux médias pour les opposants, pas d’équité de l’Etat…, on ne peut parler du pluralisme et de processus démocratique. Ce que j’ai tendance à reprocher, non seulement à la France, mais à l’occident en général, c’est justement de se contenter de l’apparence d’un processus démocratique et non pas de s’assurer qu’il est enraciné dans une véritable banalisation du pluralisme et de l’alternance. Les occidentaux ont toujours cette tendance à considérer que un tiens vaut mieux que deux tu l’auras, c’est-à-dire le président sortant a ses défauts, on le connait, on a les codes, alors que l’opposant est toujours perçu comme un aventurier. C’est aberrant. Il y’a souvent beaucoup de méconnaissance, de naïveté, de simplisme dans le regard que les décideurs occidentaux portent sur le mécanisme politique en Afrique.

Croyez-vous au « printemps noir »?

Non. Je ne crois pas à un vent démocratique qui balaierait toute l’Afrique. Je pense plutôt qu’il y’aura sur la carte des foyers démocratiques qui vont naître et se consolider. Ils serviront d’exemple à d’autres pays. Il sera donc plus compliqué pour un despote de justifier son quatrième mandat, alors que trois pays limitrophes ont opté pour l’alternance.

Propos recueillis par Robert Kongo, correspondant en France in Le Potentiel

Mon, 04 Jun 2012 00:47:00 +0200

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