Éditorial : Que la vérité soit…

Une phrase m’obsède au moment où j’écris ces lignes. Une phrase, peut-être deux, serinée par un Henri Konan Bédié qui ne décolère toujours pas contre le président Gbagbo on ne sait trop pourquoi. Ce jour-là, M. Bédié pronostiquait, sans doute en connaissance de cause, que Gbagbo n’échapperait pas à la CPI. Et nous qui ignorions tout du manège, parfois pour mieux exorciser cette nouvelle guère rassurante, ne comprenions pas pourquoi c’était si important pour lui, autant que pour Alassane Ouattara qui récoltait en partie les morts que son impatience avait occasionnés, de déporter l’adversaire le plus tolérant et le plus compréhensif qu’il eût. Puis les jours passèrent et les chroniques sur les modalités de l’arrestation du président Gbagbo, de même que son humiliation scénisée par la France qui le livra par la suite aux FRCI, n’eurent plus d’intérêt. Alors nous comprîmes que le manège consistait à l’éloigner. Certes, la déportation à l’intérieur du pays, dans les goulags nordistes, montrait déjà clairement le signal mais le terrain de la CPI nous renvoyait aux mêmes paradigmes qui avaient présidé à l’arrestation et à la déportation de tous les héros de la cause anticoloniale. On les tenait loin de leurs concitoyens qui demeuraient alors sans guide au point de ne plus se soucier du combat. Quant au héros lui-même, il perdait finalement tout contact avec son peuple et mourrait loin des siens. C’était donc ça qui réjouissait Henri Konan Bédié pourtant largement sustenté par la magnanimité de l’Etat ivoirien durant la présidence Gbagbo. Mais c’était également sur cela que les solutionneurs sans génie, souvent en manque de la plus petite étincelle de sagesse, comptaient aussi pour faire l’OPA espérée sur la vie politique nationale.
Tous les deux avaient oublié que le président Gbagbo s’était incrusté dans les veines de millions d’Ivoiriens avec qui il partageait trente années de combat contre l’injustice pour qu’adviennent, sorties de cette nuit noire de la répression houphouëtienne, la liberté et la démocratie. Qu’au surplus, et parce qu’il leur était finalement impossible de théoriser le monde dans lequel ils vivaient, il y avait internet capable de servir de point d’ancrage à des luttes majeures et qu’à lui seul cet instrument pouvait rassembler tous les démocrates dans le monde qui avaient vu de leurs yeux, presqu’en en mondovision, les bombardements de l’armée française s’abattre sur la résidence de Gbagbo.
Mais Ouattara et Bédié avaient aussi cru, par-dessus toute naïveté, qu’ainsi le monde ne connaîtrait jamais de vérité que leur seule version des événements à Abidjan. Alors Ouattara devint alerte et il livra Gbagbo à la CPI, se frottant les mains. Il était loin d’imaginer que celui-ci occuperait à lui seul l’espace médiatique et politique, qu’il y aurait cette sorte d’overdose Gbagbo à travers le monde entier et que ses partisans surprendraient tout le monde par la ténacité de leur affection.
Quel est ce dictateur dont l’emprisonnement ne fait pas plaisir à ceux qu’il est censé avoir fait souffrir et que Ouattara est obligé, pour le moment, de les contenir en déployant ses milices dans les rues abidjanaises et à l’intérieur du pays ? Les populations de La Haye dont la réputation de ville paisible souffrait subitement des agitations des foules qui s’y déployaient régulièrement, se le demandèrent ? Mais au-delà, pourquoi on ne parle plus de Guy-André Kieffer, ce journaliste franco-canadien censé avoir été assassiné par des proches de Simone Gbagbo parce qu’il détiendrait des dossiers hautement compromettant pour le pouvoir de son époux ? Où sont passées, là aussi, les multiples accusations qui affirmaient à l’époque que le budget de souveraineté du président Gbagbo était de 60 milliards pour les plus généreux et de 100 milliards pour les autres ? Qu’est devenu le charnier de Yopougon censé montrer la fureur contre les musulmans ? Pourquoi toutes ses soi- disant affaires qui mettaient en cause les fondements de notre pays, ne constituaient plus que de dérisoires faits divers ? A quoi tient un tel miracle ?
Que la vérité soit donc ! Même si du fond de nos cœurs contrariés, nous continuons à croire que le président Gbagbo ne peut pas être jugé à la CPI tandis qu’Alassane Ouattara qui porte, à tout le moins à titre de coauteur indirect, la responsabilité des premières tueries de Duékoué, continue ses escapades insipides dans les cieux européens. Que Gbagbo soit enfin jugé puisque c’est le seul moment qu’il a de dire sa part de vérité sans que les médias de toutes sortes, spécialistes autoproclamés de la Côte d’Ivoire, ne monopolisent les débats par des mensonges grotesques.
Et puis, qui mieux que Gbagbo, déchargé des responsabilités nationales qui l’obligeaient à la réserve, pourrait nous dire l’étendue de la conjuration de l’ONUCI dont le Secrétaire général s’est parfois transformé en vulgaire coursier de la cause Ouattara ?
A partir du 13 août, une autre histoire de la Côte d’Ivoire va s’écrire. Et tous ceux dont les interrogations se perdaient régulièrement soit dans le fracas de la violence des pro-Ouattara ou dans le silence des vaincus totalement émasculés, pourront enfin avoir droit à la lumière qu’ils attendent depuis trop longtemps.
A titre personnel, j’ai un seul regret. J’aurais en effet aimé que l’ancien procureur de la CPI Ocampo soit dans le box face au président Gbagbo le 13 août prochain. Pour le voir défendre sa théorie de la mascarade fondée sur une prétendue politique d’extermination des nordistes au premier rang desquels figurerait Alassane Ouattara, cet homme qui n’a plus jamais été objet de la moindre menace depuis l’arrivée de Gbagbo au pouvoir. Peut-être qu’à titre de comparaison, il nous dirait ce que veut dire le rattrapage ethnique défendu par Ouattara dans les colonnes du journal français « Le Figaro » et si cette théorie fondée sur la justice vindicative et totalement instrumentalisée ne mérite pas d’être combattue comme toutes les théories invalidantes qui se terminent par des ratonnades.
Pour terminer, je voudrais partager quelques certitudes qui m’habitent depuis quelque temps. Elles vont au-delà de l’issue de l’audience de confirmation des charges. Parce qu’elles sont dictées par l’histoire des hommes qui est partout la même. A savoir que le président Gbagbo sortira de la CPI si telle est la volonté des Ivoiriens. Mais pour cela, nous devons aller jusqu’au bout de nos forces, c’est-à-dire là où se termine l’espoir.

Joseph Titi in Aujourd’hui

Wed, 01 Aug 2012 22:17:00 +0200

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