Face-à-face Laurent Gbagbo / Alassane Ouattara : Voici l’intégralité des échanges

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Qu’est ce qui motive votre candidature à l’élection pré- sidentielle ?

ALASSANE DRAMANE OUATTARA: Je vous remercie. Mes chers compatriotes j’ai décidé d’accepter la candidature de mon parti pour rendre service à mon pays. Oui, je considère que la Cote d’Ivoire a be- soin de tous ses fils, surtout en pé- riode de crise et j’ai une expérience de la gestion de l’Etat dans mon pays également dans la sous-région, mais aussi dans le monde entier. Quand on a des difficultés dans son pays on doit pouvoir apporter sa contribu- tion. C’est pour cela que j’ai décidé d’être candidat. Je voudrais ajouter évidemment que cette élection est importante, d’abord avec ce débat que j’ai avec mon frère Gbagbo Laurent. C’est la première fois que nous avons un débat entre deux can- didats, puisqu’il y a un deuxième tour. Le premier tour s’est déroulé dans de bonnes conditions, il y a eu des élections apaisée, bien entendu, nous avons déploré quelques irrégu- larités mais cela n’entame en rien, je crois, la force de paix de nos com- patriotes. Je voudrais dire à mes compatriotes ce soir que ce débat est une très bonne chose parce que chacun de nous pourra dire à nos compatriotes ce que nous vou- lons faire pour la Cote d’Ivoire et pour les Ivoiriens et j’ajoute que le taux de participation qui a été très élevé, 84% littéralement, qui n’a été vu nulle part dans le monde, est vrai- ment la confirmation du désir de paix des Ivoiriens par les urnes, c’est également, à mon sens, un signal d’un besoin de changement par les Ivoi- riens. Je voudrais dire que je suis heureux de participer à ce débat. Je suis reconnaissant que mes compatriotes me donnent l’opportunité de parti- ciper au deuxième tour de la prési- dentielle. Je souhaite que ce deuxième tour soit apaisé. Les informations que nous avons ici et ça sont alar- mants. Mais personnellement, je fais confiance aux Ivoiriens. Je sais que, au finish, ces élections seront apaisées comme au premier tour. Je souhaite donc à mon frère que nous ayons un débat courtois, c’est ce que vous avez souhaité, et que nous puissions dire aux Ivoiriens ce que nous proposons pour sortir de la crise. Je vous remercie.

LAURENT GBAGBO: Merci. Je voudrais aussi remercier le Premier ministre pour sa présence sur ce plateau et le féliciter. Mais avant de commencer, je voudrais que toute la Côte d’Ivoire observe une minute de silence en mémoire de toutes les vic- times de ces crises qui ont commen- cé en 99 et des gens qui sont morts mutilés. Je voudrais que chacun dans son foyer, devant sa télévision, se lève et observe une minute de silence. (Silence). Je peux maintenant répondre. Je suis candidat parce que c’est l’aboutissement d’une longue lutte, parce que j’ai commencé à militer quand j’avais 18 ans. J’étais dans les syndicats d’élèves avec les (…) Koudou Paul, les Abi Blaise. J’étais dans les syndicats d’étudiants, avec Djédjé Madi Alphonse, Ehui Bernard. J’étais dans les syndicats d’enseignants du secondai- re, avec Angèle Gnonsoa et Djeni ko- bina, J’étais dans le syndicat de la re- cherche. Aujourd’hui, nous avons créé un parti politique, le Fpi, et où nous nous sommes battus pour que le multipartisme arrive, il est arrivé. Nous nous sommes battus pour que la démocratie arrive et elle est arrivée. Nous nous sommes bat- tus pour que l’alternance arrive, elle est arrivée. Et donc, c’est dans la continuation de tous ces combats que je suis candidat pour apporter un mieux-être à mes compatriotes. Pour mettre surtout définitivement fin à cette crise. Cette élection, elle est importante non pas seulement parce qu’il faudra choisir un prési- dent, mais surtout parce qu’il faudra mettre fin définitivement à la succes- sion de coup d’Etat, à la succession de guerre et à la succession de crises.

Le premier tour de l’élection présidentielle a eu lieu le 29 octobre 2010 dans des conditions jugées satisfaisantes. Comment jugez-vous l’atmosphère du second tour et dans quel état d’esprit vous l’abordez?

LAURENT GBAGBO : Je suis un peu désolé, parce que je vois que de dérapages se dessinent. Aujour- d’hui même à Daloa la gendarme- rie m’a signalé qu’on a arrêté 21 per- sonnes avec des camions pleins de cartouches, on a arrêté des sacs pleins de machettes, je n’accuse pas quelqu’un encore sur ces points. Mais je voudrais dire que cette atmosphère là n’est pas bonne. J’ai dû prendre des mesures et certaines de ces mesures seront annoncées demain (ndlr : ce vendredi). Première mesure, j’ai décidé de réquisitionner les FANCI qui généralement sont en troisième position pour le main- tient de l’ordre. J’ai dû les réquisitionner pour qu’on les déploie pour renforcer les gendarmes et les policiers qui ont en charge le maintien ordi- naire de l’ordre. Demain, je signerai un autre décret pour instaurer le couvre-feu à partir de dimanche. Il faut que les élections aient lieu, mais il faut qu’à partir de 22 heures, le temps que les urnes soient revenues, les rues soient libres et que les policiers et les gendarmes patrouillent. Pour tout vous dire, j’ai une inquié- tude quand je regarde l’atmosphère et quand j’écoute les gens parler. Nous prenons des dispositions et je crois que ca va aller. Nous sommes
assez murs pour faire en sorte que le dérapage n’ait pas lieu ça ne se- rait pas bon pour la Côte d’Ivoire, ce ne sera pas bon pour aucun acteur politique, ce ne sera pas pour l’Afrique. Dans la situation où je je suis obligé de prendre des mesures pour rassurer, donc je rassure les Ivoiriens. C’est vrai, il y a beaucoup de bruit, c’est vrai il y a beaucoup de tintamarre, mais je vous rassure que toutes les dispositions seront prises pour que nul n’en ignore et pour qu’on puisse terminer ces élections avec le sourire aux lèvres.

Monsieur Ouattara, même question ?

ALASSANE DRAMANE OUATTARA: je l’aborde dans un état d’es- prit très positif. Je m’y attendais, nos compatriotes ont fait preuve de sé- rénité. Le premier tour s’est dérou- lé dans de bonnes conditions et au plus profond de moi-même, je pen- se que le deuxième tour va se pas- ser dans les mêmes conditions par- ce que je fais confiance aux Ivoiriens. La Côte d’Ivoire a toujours été un pays de paix n’eut été ces der- nières années de crises que nous avons vécu, il faut faire en sorte que nous sortons définitivement de cet- te crise par des élections apaisée. Cela dit je condamne les violences qui ont été portées à notre connaissance ces derniers jours que ce soit à Daloa. Laurent en parlait que ce soit à Lakota ou à Abidjan, le siège du RHDP a été attaqué. Je ne voudrais pas revenir sur des choses qui peuvent créer de l’animosité. Je regarde tous mes compatriotes droit dans les yeux, je vais vous dire que la violence ne mène nulle part, donc je demande qu’il soit mis fin a ces violences et je considère que les mesures qui sont prises sont bonnes. Bien sur, je ne souhaite pas que l’ar- mée intervienne en aucun moment puisque l’élection sera apaisée. Les forces de gendarmerie et de police sont des forces de maintien de l’ordre et se sont elles qui doivent as- surer la sécurité des Ivoiriens et le faire partout sur le territoire national en rapport avec les accords qui ont été mis en place avec le centre de com- mandement intégré. Laurent Gbag- bo me dit qu’il a décidé d’instaurer un couvre feu à 22 heures, je pen- se que par courtoisie « Laurent, tu aurais dû me passer un coup de fil, nous sommes deux candidats à trois jours des élections, c’est une question de bonnes relations que nous avons. On aurait pu en discuter parce je pense que le couvre-feu dramatise les choses on aura les sen- timents qu’il y a péril devant nous ». Ce sont des incidents importants, dé- solants, que je condamne mais qui sont localisés. Prendre une mesure de couvre-feu pour cela donne un message de danger et je n’aimerais pas qu’on ait cette perception. Mais ceci étant la décision a été prise, je voudrais dire à tous nos compa- triotes que ces élections doivent être apaisées. Moi, je les rassure que j’ai dit à mes militants à tous ceux du RHDP qui me soutiennent que nous devrons aller à des élections apai- sées. Pas de violence, ne répondez pas aux provocations. Cette atmosphère là n’est pas bonne.
Je regarde tous les compatriotes, droit dans les yeux. Je vais vous dire que la violence ne mène nulle part. Je demande qu’il soit mis fin à cet- te violence, Je considère que les mesures qui sont prises sont bonnes. Je suis sûr que les élections seront apaisées. La police et la gendarmerie sont les forces qui doivent assurer la sécurité partout sur l’en- semble du territoire, par rapport aux accords qui ont été signés avec le centre de Commandement intégré. Laurent Gbagbo a dit qu’il a décidé d’instaurer un couvre-feu, à 22 heures. Je pense que par courtoisie, Laurent, tu devrais me passer un coup de fil. Nous sommes quand même deux candidats au second tour. C’est une question de bonne relation, Nous devrions en discuter. Car les couvre-feux dramatisent les choses. On a l’impression qu’il y a du péril devant nous. Ce sont des évé- nements désolants que je condamne. Mais ce sont des événements qui sont localisés, mais, instaurer un couvre-feu, cela donne un message qu’il y a danger. Ceci étant, la déci- sion a été déjà prise. Mais je voudrais surtout rassurer nos compatriotes, les rassurer. Je dis à mes militants, mes sympathisants du RHDP, à tous ceux qui nous soutiennent que nous de- vons aller à des élections apaisées. Je leur demande de ne pas céder aux provocations.

Après dix ans de crise, quel est votre diagnostic de climat socio politique ?

ADO : Je vous remercie. Cette cri- se a été véritablement terrible pour la Côte d’Ivoire. Nous devons en sortir par les élections. J’ai personnel- lement déploré que notre pays se soit retrouvé dans cette situation, et la division s’est installée pendant quelque temps, Cette division a provoqué des crises successives que nous connaissons, Je pense que ça, c’est du passé, Moi j’aimerais tourner vers l’avenir. Nous connaissons les causes de cette crise. Certaines ont été réparées et d’autres n’ont pas été réparées, On a tenté de le faire lors du forum national de ré- conciliation, Mais c’était un premier pas. Par la suite, on s’est réuni à Marcoussis, à Pretoria, etc. Avec l’Accord de Ouagadougou, il y a eu une évolution positive. C’est aux Ivoiriens que nous devons parler et de dire à nos compatriotes que la Côte d’Ivoi- re est notre patrie, Elle nous coûte très cher. Nous devons la préserver. Nous devons tout faire toujours pour elle, Je considère que cette élection nous permettra de sortir définitivement de la crise, surtout qu’elles soient apaisées, et que le vaincu ira féliciter le vainqueur. Il y aura par la suite des élections légis- latives, municipales. Pour cela, nous devons renforcer la démocratie. La démocratie ne peut pas aller seule sans la paix sociale, La Côte d’Ivoi- re a connu des difficultés écono- miques importantes, Nous aurons l’occasion d’en parler tout à l’heure, Vous savez, une économie, c’est comme un gâteau. Il y en a qui sont plus gourmands que d’autres, L’utilisation de ce gâteau pose problème, Nous allons appliquer une politique sociale qui prendra en compte les plus défavorisés et faire en sorte que les ambitions des uns et des autres trouvent satisfaction. La cohésion est importante, la gestion économique est importante également, ainsi que la sécurisation du pays, Nous devons en tirer des leçons pour l’avenir,

Vous pouvez répondre à la- quelle question M. Laurent Gbagbo ?
LAURENT GBAGBO : Au plan na- tional, c’est la plus grande divergence entre mon frère, le Premier mi- nistre Ouattara et moi-même. Je vou- drais dire qu’à un certain moment, sa conduite a été contre la loi. Sep- tembre 1999, il dit : «Je frapperai ce pouvoir au moment opportun et il tombera ». Ce n’est pas une phrase à annoncer par un démocrate. Et ef- fectivement, en décembre 1999, le régime du président Bédié s’est écroulé. Revenu en décembre en Côte d’Ivoire, le Premier ministre Ouattara dit à Odienné : «Les Ouat- tara et les Cissé sont des hommes de parole. J’avais dit que je serai can- didat et que malgré les tracasseries, je maintiendrai ma candidature. Quand un mandat d’arrêt a été lancé, j’ai dit que je rentrerai au pays avant la fin de l’année. Me voici, J’ai dit que je vais gagner au premier tour et je le ferai, Toujours, dans les citations de ce même type, en décembre 2001, le Premier ministre dit : «Nous n’attendrons pas cinq ans pour aller aux élections ». En août 2002 : « je rendrai le pays ingouvernable, s’ils veulent, on va tout gnagami (mélanger, en malinké)». Ce sont des citations du Premier ministre, ça ne plait non pas à Gbagbo, mais ça ne plait pas à la démocratie, la paix et la sécurité. Il a dit quelque chose tout à l’heure, c’est tout à fait juste. On ne peut pas faire une économie prospère si on n’a pas la paix, si on n’a pas la stabilité. Mais les phrases de ce genre amènent l’instabilité, les coups d’Etat, c’est ce qui est arrivé à par- tir de 1999, 11 ans de turbulence, c’est trop.

Le pays est en train de sortir de cette phase de turbulence, alors quelles sont vos recettes pour aller définitive- ment à la paix ? Quelle est votre conception du pouvoir et de l’Etat, M. Laurent Gbagbo?

LG : Nous avons hérité d’un Etat fort qui, évidemment, était appuyé sur le parti unique. Que je condamne, Parce que certains Ivoiriens pensent que le parti unique était le paradis, Ce n’est pas le paradis, Nous avons un régime présidentiel, Au moment de l’élaboration de la Constitution, mes amis et moi, nous avons propo- sé un régime parlementaire, Tous ceux qui participaient à l’élaboration de la Constitution ont proposé un régime présidentiel où le Premier ministre est l’animateur de l’équipe gouvernementale, Je crois que le régime en lui-même n’est pas mauvais, sauf si celui qui le dirige a des ten- dances dictatoriales. Pour le moment, je n’ai pas envie qu’on fasse changer la nature du régime, Nous voulons une République sociale, c’est-à-dire qu’il faut veiller à ce que les plus faibles ne soient pas écrasés, et que les plus riches ne soient pas arrogants et prêts à donner des miettes aux autres. Je pense que c’est de cette façon qu’on peut garantir la prospérité. Il faut garder le caractère républicain du régime, C’est une condition pour que des in- vestisseurs reviennent

ALASSANE OUATTARA : Ecoutez, je crois qu’il est facile d’accuser sans preuve et sans enquête. Dire qu’Alas- sane Ouattara a fait ceci ou cela, a fait des déclarations par-ci. Mais, moi aussi j’ai ici des déclarations faites par Laurent Gbagbo…
Quand le coup d’Etat est arrivé en 1999, il a dit que c’était « un coup d’Etat salutaire ». Il a aussi dit que c’était un « coup de pouce à la dé- mocratie ». Et quand il est arrivé de Libreville, via Bouaké, il a été escor- té depuis le corridor de «Gesco » en champion, par les militaires. Mais, pour moi, cela ne veut pas dire qu’il est l’auteur du coup d’Etat. Parce que prendre des phrases et à partir de là porter des accusations, ce n’est pas juste. Je pense qu’il faudrait al- ler encore plus loin. Alors, parlons de
ce fameux coup d’Etat. Le FPI a, tout de même, accompagné le régime militaire jusqu’au bout. Moi, j’avais annoncé dès le départ que j’étais contre les coups d’Etat. Et quand j’ai vu l’évolution du régime militaire, dès le mois de mai 2000, nous avons démissionné du gouvernement militaire. Mais Laurent Gbagbo, lui, a continué avec ce gouvernement militaire. Lida Kouassi, membre du FPI, était même le conseiller militaire du Général Guéi. Gbagbo et Guéi sont allés aux élections ensemble, en nous excluant, le prési- dent Bédié et moi. Mais, vous savez, si on veut entrer dans ces choses, je crois qu’on va perdre du temps. Ce qui m’intéresse, c’est de connaître les causes, les causes de cette crise. Il faut qu’on y mette fin. Parce qu’il faut rappeler que Laurent Gbagbo n’a pas été élu en 2000. D’abord, avec le fait que le président Bédié et moi-même avions été écartés, ce n’était pas une élection démocra- tique. Deuxièmement, à la proclama- tion des résultats, nous savons que cela s’est fait par un coup de force. C’est le plus fort qui a gagné. Gbagbo avait plus de militaires de son côté que le Général Guéi. Mais je ne voudrais pas revenir sur le passé. Quant à votre question concernant la séparation des pouvoirs, pour moi, le pouvoir doit être un pouvoir démocratique. Les institutions doi- vent être assez responsables et qu’elles prennent des décisions, même si celles-ci sont difficiles. Je suis pour le régime parlementaire mais de manière complète. Le régime présidentiel que nous avons au- jourd’hui est un bon régime pour la sortie de crise. Mais, je proposerai des modifications en temps opportun, pour que la Magistrature soit présidée par les Magistrats. Il y aura la séparation des pouvoirs. Un pouvoir exécutif, un pouvoir législatif t un pouvoir judiciaire. J’aurai l’occa- sion d’en parler.

Quelles réformes institutionnelles ou constitutionnelles, une fois élu ?

ALASSANE OUATTARA : Je trouve que quand un pays sort de crise .C’est mon expérience que j’ai eue ailleurs quand j’étais au Fonds Monétaire international (FMI) et que je m’occupais des pays qui sortaient de crise, comme le Kosovo et bien d’autres . il faut un régime fort au départ. Nous devons donc mainte- nir le régime présidentiel pour une partie de la durée de notre mandat. A partir de là, il faut des accommodations. Peut-être qu’il faut une Assemblée qui ait tous les pouvoirs. Parce qu’aujourd’hui, l’As- semblée n’a aucun pouvoir. Le Premier ministre, par exemple, est nommé par le chef de l’Etat et par la volonté du chef de l’Etat. Il peut être, à tout moment, démis de ses fonctions. Ce n’est pas normal. Deuxième modification, il faut un Se- nat des hommes et femmes d’expérience, pour que tout ce qui doit être adopté de manière définitive comme loi, puisse bénéficier de l’expérience de ceux qui ont déjà géré la nation à des niveaux divers. Et troisièmement, je dis qu’il faut la séparation des pouvoirs. Il n’est pas normal que dans notre pays que nous soyons dans une situation, où le chef de l’Etat est le président du Conseil supérieur de la Magistrature. Nous avons hérité cela de la France. Mais, il faut que nous soyons dans une situation où nous aurons le pouvoir exécutif avec le chef de l’Etat, le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif.
Parce que l’Etat de Droit n’est pas véritablement appliqué, Il y a des paroles, il y a des décrets, mais ce n’est toujours pas le cas. Il faut faire en sorte que la liberté de la presse, la liberté d’expression, comme le disent les Américains, soit la première des libertés. Parlant donc des réformes institutionnelles importantes à faire, je pourrais parler des questions de défense. Mais ceci entre dans le cadre des secrets de défense. Je voudrais donc dire que des réformes sont nécessaires. Il faut que ce soit fait par des personnes d’expérience, dont la voix et les écrits convainquent les Ivoiriens.
LAURENT GBAGBO : Naturellement, je vais répondre. Mais je vais d’abord m’élever contre ce qu’il (Alassane Ouattara) a dit. Il a dit que Laurent Gbagbo n’a pas été élu en l’an 2000, Je regrette. Mais il faudra qu’on mette cela en application au cours de cette élection. Il ne faut pas qu’un candidat se proclame vain- queur. Les résultats sont proclamés par la Commission électorale. Après, ils sont confirmés ou non par le Conseil constitutionnel. En 2000, d’après la Commission électorale, j’ai été élu avec 59 % des voix. L’adver- saire qui s’est proclamé élu, ça ne compte pas. Il faut que la Commis- sion électorale soit libre de travailler. Je voudrais mentionner cela. Maintenant, vous voyez que sur beaucoup de points, nous sommes d’accord. Sur le Senat, pour ceux qui ont lu mon ouvrage, il est écrit que nous allons créer un Senat. Je comprends que le Premier ministre Ouattara soit maintenant d’accord avec moi. Parce qu’au départ ce n’était pas tout à fait évident. Pour ce qui est de la séparation des pouvoirs, je crois qu’il le faut. Mais voyez-vous, nous avons dans la constitution des instances judiciaires à créer : la cour de cassation et… (hésitation) et la haute cour de justice qui n’ont pas été créées, faute de majorité à l’Assemblée nationale. Comme nous sommes tous les deux candidats d’accord pour la séparation des pouvoirs, j’espère que nous allons, après cette élection, voter ces lois im- portantes. Sur la liberté de la Presse, il (Alassane Ouattara) a raison. Il n’ y a jamais une liberté de la pres- se totale en période de guerre. Et ces élections sont faites pour nous sor- tir de la guerre. Mais quand même, contrairement à tous les autres dirigeants africains, j’ai pris une loi, in- terdisant aux Magistrats de condamner les journalistes à une peine privative des libertés. Cela, c’est quand même une chose qu’on doit me reconnaître.
La Côte d’Ivoire compte neuf tribunaux et cinq cents magistrats. Ce qui donne un ratio d’un tribunal pour deux millions d’habitants. Et un magistrat pour 40 mille ha- bitants. Quelles reformes comptez-vous mettre sur pied pour un fonctionnement efficient de la justice en Côte d’Ivoire ?

LAURENT GBAGBO : La justice n’est pas en bonne santé. Bien au contraire, ce serait se moquer des Ivoiriens. Mais, je dis aussi que ce n’est pas dans les périodes de
trouble qu’on fait les reformes de ce genre. Parce qu’une reforme de la justice est une reforme fondamentale. Mes amis travaillent dessus. Il faut d’abord faire en sorte que les ju- ridictions épousent les contours des entités décentralisées. On va créer des régions-je souhaite qu’avec 10 le ministre de l’Intérieur m’en pro- pose 11 ou 12- il faut dans chaque région, qu’ il y ait au moins une Cour d’appel. J’ai assisté par curiosité à une ou deux réunions du Conseil supérieure de la Magistrature, je ne sa- vais pas bien ce que je faisais d’ailleurs là, mais il faut séparer. Il faut séparer le Pouvoir exécutif, le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif. Donc il faut créer une Cour d’appel par région. A partir de là, il faut étendre les juridictions de base. Mais, il y a autre chose qui est plus importante. C’est que les juges du siège, ils sont quasiment inamovibles.
Et cela pose des problèmes. Les juges du parquet sont nommés par l’Etat sur proposition du ministre de la Justice. Les juges du siège sont inamovibles et quand ils rendent des dé- cisions, qui vont contre certains intérêts, surtout économiques, cela pose problème. Donc, c’est surtout dans le domaine économique qu’on parle surtout de la place de la justice. Parce qu’il y a des décisions qui empêchent certains investisseurs d’investir. J’ai eu à régler au niveau de la présidence, deux questions, trois questions. Une entre un opérateur économique et la Société générale, une entre Exxon Mobil et les Centor routiers, et une autre, je ne sais plus encore, un truc téléphonique-là. Mais il faut faire en sorte que les juges assis soient les juges flexibles.

ALASSANE OUATTARA : Je suis heureux que mon frère Laurent Gbagbo reconnaisse qu’il y a des problèmes dans la justice. Mais avant d’en arriver là, je voudrais dire que l’élection de 2000, ce n’est pas pour parler du passé, c’est l’avenir qui m’intéresse. Le général Guéi s’est proclamé le matin et Laurent Gbagbo s’est proclamé l’après-midi. Et c’est après cela que le président de la commission est allé refaire des décomptes etc. C’est du passé. Moi, ce que je retiens, vous savez dans chaque chose, qui s’est passé dans notre pays, il faudrait en tirer les leçons. Les leçons de ces choses, c’est que cette fois-ci, nous fassions vraiment confiance à la CEI. Que le résultat que la Commission va an- noncer, soit accepté par tous. En tout cas, moi je l’accepterai et je sou- haite que Laurent Gbagbo dise éga- lement par avance qu’il acceptera la décision de la CEI. A partir de là, il n’y a plus de tensions. Même si les gens s’amusent à faire des sms, des déclarations ici et là, cela n’a plus au- cune importance. Nous savons que nous avons une institution respectée, une institution consensuelle, qui donne les résultats. Et c’est à cela que nous devons nous en tenir. Et nous devons tous les deux l’encou- rager à ce que cela se passe dans les 24 ou 48 heures. C’est possible d’avoir des résultats. Donc dès lun- di, nous devons avoir les résultats préliminaires.
Pour en revenir à votre question, c’est facile parce que moi j’ai déjà rencontré les acteurs du monde ju- diciaire. Je leur ai dit qu’il y avait des disfonctionnements, des lenteurs, la corruption, et qu’il fallait nécessai- rement faire des réformes impor- tantes de la justice. Et je leur ai dit que la justice, pour être crédible, doit être efficace et impartiale. Mais, ce n’est pas le cas aujourd’hui. Pour les citoyens, pour obtenir un acte de justice, il faut payer. Les retards sont considérables. Il faut éliminer tous ces « margouillats » qui rodent autour des palais de la justice. J’ai l’ambition de construire une grande Ecole de magistrature. C’est dans notre programme. Dix milliards de F CFA. Parce que je crois que cela per- mettra de former et de bien former les magistrats. Et je promets que dans le budget de l’Etat, je vais aug- menter la part de la justice de 2 à 3 %. Parce qu’il y a des questions d’hommes mais il y a également des questions d’infrastructures. Il faut traiter les deux questions pour être sûr de mettre en route une bonne reforme de la justice.
Il y a la question de l’aména- gement du territoire. La Côte d’Ivoire aujourd’hui, c’est 19 régions, c’est 58 départe- ments, deux districts Abidjan et Yamoussoukro, 229 sous- préfectures, 197 communes, récemment 10 nouveaux dé- partements ont été crées. 55 nouvelles sous-préfectures et 520 nouvelles communes. Quelle suite allez-vous don- ner à la politique d’aména- gement du territoire, quels moyens pour que ce soit plus efficace ?

ALASSANE OUATTARA :Je dois dire très franchement que je ne suis pas d’accord avec cette politique de décentralisation de Laurent Gbag- bo. Il y a eu création de sous-préfectures et de départements ici et là, qui, à mon sens, n’ont pas le poids d’une véritable région. Ceci étant, il faut une décentralisation. Vous savez, la décentralisation est une question tellement sensible, parce que c’est organiser la manière de gérer du Pouvoir local, du pouvoir dé- partemental. Et pour ce faire, il faut une loi. Donc dans mon pro- gramme, ce que j’envisage de faire, c’est de refaire un découpage du pays en régions, en départements et en communes etc… Avoir des mil- liers de communes, je ne suis pas sûr que cela en vaille la peine. En plus il faut avoir les moyens. On est tous d’accord qu’il faut rapprocher le plus possible les citoyens de la gouvernance. Mais on ne peut le fai- re à n’importe quel prix. Parce que cela coûte de l’argent. Je vais pro- poser une loi à l’Assemblée nationa- le, après une étude sérieuse de ce qui a été fait ces dix dernières an- nées, pour que ce soit l’Assemblée nationale, comme elle l’a fait pour les Députés, qui arrête le nombre de régions, de départements, de com- munes etc .. pour que nous n’ayons plus cette idée quand un chef de l’Etat va en visite officielle quelque part, les gens lui disent ‘’on veut une sous-préfecture’’ et on leur répond « voici votre sous-préfecture ». Où on dit « les autres ont eu un départe- ment, nous on n’en a pas eu », donc on vous donne un département. Je comprends l’acte politique. Mais il faut que ce soit organisé. Pour que les citoyens se disent que le traite- ment c’est par la loi. Et cette loi est applicable à nous tous. Alors au-delà des textes, il faut trouver des ques- tions essentielles qui sont les ques- tions des ressources de ces régions et départements. Ce problème n’a pas été traité encore. Moi j’ai l’ambition de revoir la fiscalité de l’Etat. Qu’elle soit nationale ou qu’elle soit décentralisée. Pour qu’une grande part, ou une part substantielle des ressources soit relevée directement à ce niveau-là. Et en troisième lieu, il y a la question des infrastructures. Il faut tout de même, réunir certaines infrastructures avant de commencer à nommer les préfets ou sous-pré- fets. Si vous nommez un sous-préfet et qu’il n’a pas de véhicules et qu’il est obligé d’emprunter le bus ou de se faire transporter par un citoyen,… j’en ai vu même qui était en mobylettes quand j’effectuais mes tournées, il n’a plus la force de l’autorité de l’Etat. Donc voici ce que j’envisage de faire.

LAURENT GBAGBO : Merci, mais on veut finir définitivement avec les élections de 2000. Parce que le Premier ministre a dit une chose qui n’est pas vraie. Il a dit que le président Guéi s’est proclamé élu le ma- tin et moi je me suis proclamé élu l’après-midi. Ce n’est pas vrai. Ce n’est pas vrai. Le général Guéi s’est proclamé élu, et les gens sont des- cendus dans la rue. J’ai lancé un ap- pel parce qu’on était dans la rue et lui-même, je ne sais pas si c’est lui ou c’est un de ses lieutenants qui l’a dit- que le pouvoir était dans la rue. Donc on était tous dans la rue. Donc la dessus si je tiens à ce que la lumiè- re soit faite, c’est pour que nous puissions en tirer des leçons pour les élections. Je suis heureux de l’en- tendre dire que nous allons tous nous plier aux décisions que la CEI va dire. Vraiment cela me fait plai- sir. Mais en 2000, les résultats pro- clamés par la Commission électorale me donnaient gagnant. Et cela se trouve dans le Journal officiel. Et ce sont ces résultats qui ont été confir- més par la Cour suprême. Après cela, nous parlons de la décentralisation. Je suis heureux que certains aujourd’hui acceptent ce qu’ils n’acceptent pas avant. Mais je n’ai encore créé aucune région. Les propositions de création de régions sont sur ma table. Tout le monde peut aller à la Présidence et rentrer et voir sur le grand bureau. J’ai créé des départe- ments. Parce que dans des localités, les routes sont tellement mauvaises que les gens ont de la peine à arri- ver à la préfecture, pour un certain nombre de dossiers. Dans la région d’Abengourou, quand j’ai créé le dé- partement de Bettié, ce n’est pas pour faire plaisir à quelqu’un de Bét- tié. Mais c’est parce que manifeste- ment, les gens de Béttié, n’ont pas les moyens d’aller ou à Adzopé ou à Abengourou ou de descendre sur Aboisso. Il fallait faire quelque cho- se, donc il fallait leur donner une en- tité administrative pour que leurs pa- piers soient faits. C’est pour cela que nous créons les départements. Mais les régions, nous n’en n’avons pas encore faits. Et puis naturellement il faudrait faire- j’en ai dit un mot mais pas assez- la fiscalité.
C’est pour que nous puissions obte- nir des élections que nous jugeons ouvertes. Je suis heureux qu’il ait dit que nous allons tous nous plier aux décisions que la CEI va dire. Ça m’a fait plaisir. Mais je veux dire les ré- sultats proclamés par la Cei en 2000 et me donnaient gagnant. Cela se trouve dans le journal officiel. Et ce sont ces résultats qui ont été confir- més par la Cour suprême. Aujour- d’hui, nous parlons de la décentralisation. Je suis heureux que tout le monde accepte ce qu’il n’acceptait pas avant. Mais je n’ai encore créé aucune région, car il dit que j’ai créé des régions alors que je n’en ai créée aucune. Les propositions de création de région sont sur ma table. J’ai créé des départements parce que dans des localités les routes sont tellement mauvaises que les gens ont de la pei- ne à arriver à la Préfecture pour fai- re même des dossiers. Dans la région d’Abengourou, dans le départe- ment de Bettié, ce n’était pas pour faire plaisir à quelqu’un de Bettié. Mais parce que les gens de Bettié n’avaient pas les moyens d’aller à Adzopé ou Abengourou ou de des- cendre sur Aboisso. Il fallait faire quelque chose. Donc il fallait leur donner une entité administrative pour que leurs papiers soient faits. C’est pour cela que nous créons des départements. Les régions, nous n’en n’avons pas encore fait. Il a même dit que nous devons faire de la fiscalité régionale. Oui, nous de- vons faire de la fiscalité régionale. Mais j’en parlerai tout à l’heure, si vous m’en donnez l’occasion.

Nous allons boucler maintenant cette première partie réservée à la politique nationale avec cette dernière question. Si vous êtes élu président, qu’est-ce que vous ferez pour réconcilier les Ivoiriens et les rassembler ?

LAURENT GBAGBO : D’abord, je ferai comme j’ai fait en 2000. C’est- à-dire, je convoquerai un Forum pour qu’on se parle. Plus on se par- le, plus on s’éloigne des antago- nismes. Avant que ce travail ne commence, j’expliquerai aux uns et autres que la Justice, je ne dis pas l’appareil judiciaire mais la Justice, dans mon gouvernement est la clé de voûte, le ciment qui met tous les citoyens ensemble. Et l’injustice au contraire éloigne les uns des autres. Donc il faut faire cela. Et puis, moi, j’ai posé des actes pour que nous ar- rivions à la Paix et à la Réconciliation. D’abord, quand le pays a été atta- qué, agressé, je ne suis pas allé là où on ne m’a pas invité. Je ne suis pas allé à Marcoussis parce que je n’y étais pas invité. Mais quand on m’a invité à Kleber, j’y suis allé même si je n’étais pas d’accord avec tous les textes qui avaient été pris. Quand on m’a invité à Accra I, II et III, j’y suis allé. Quand on m’a invité à Pretoria I et II, j’y suis allé. Et à Pretoria, j’ai accepté que la Cei soit revue. Il y avait une loi sur la Cei. Malgré cette loi j’ai accepté que la Cei soit re- vue et que ceux qui étaient opposés
à moi, c’est-à-dire mes opposants, aient la majorité. C’est la première fois que l’on voit cela en Afrique. Je leur ai donné la majorité à la Cei. Le Premier ministre le sait bien. J’ai ac- cepté une deuxième chose. On avait un problème avec l’article 35. Dans les éléments à modifier, j’ai donc demandé au président Thabo M’Beki devant le Premier ministre Ouatta- ra et le Président Henri Konan Bédié de nous écrire pour que j’utilise l’ar- ticle 48 pour rendre éligible tous ceux qui étaient à Marcoussis. C’est ce que j’ai fait. Et ça c’est un acte de réconciliation. Si aujourd’hui nous sommes face-à-face, c’est bien par- ce que des choses ont été faites. Voyant que cela a été fait, je suis allé plus loin pour obtenir la sortie de cri- se véritable. J’ai engagé le dialogue direct avec ceux qui dirigeaient la ré- bellion. Et cela a abouti aux accords politiques de Ouagadougou. Donc, les actes que j’ai posés sont actes de réconciliation. Nous allons continuer dans ce sens. Ce qui est fait nous al- lons le consolider.

M. Ouattara, quelle politique de réconciliation met- trez-vous en place après dix années de conflit ?

ALASSANE OUATTARA : Je pense que c’est une question centrale. Il faut cependant que les Ivoiriens connaissent la vérité de l’évolution de l’histoire récente de notre pays. L’une des première choses que je vais faire, c’est de faire des enquêtes. Des commissions d’enquête sur le coup d’Etat de 1999. Parce que moi aussi je veux savoir qui a fait ce coup d’Etat. Pourquoi ça été fait et dans l’intérêt de qui. En tout cas, ce n’était pas dans mon intérêt puisque je n’ai pas été porté par ce coup d’Etat jusqu’aux élections. Je vais mettre en place aussi une commis- sion d’enquête sur la rébellion pour savoir comment la rébellion a été or- ganisée, qui l’a organisée, qui l’a fi- nancée. Et pourquoi il y a eu tant de dégâts et de souffrances et de tue- ries de frères Ivoiriens entre eux. Je ne voudrais pas revenir sur cela. Ce sera donc une commission d’enquê- te qui permettra de comprendre ce qui s’est passé. Les déclarations des uns et des autres, ce n’est pas cela qui m’importe. Mais je prends l’engagement de faire la lumière sur ces choses. L’assassinat du Général Gueï, de Boga Doudou, ça, c’est la première chose. La deuxième cho- se, il faudra mettre en place une commission Vérité-Réconciliation. C’est ce que l’on a tenté de faire pour le Forum de la Réconciliation. Malheureusement, les résultats n’ont pas été tous appliqués ou cela a pris du temps. Mais cette fois-ci, il fau- dra non seulement faire la Commis- sion Vérité et Réconciliation, mais il faudra qu’elle donne les mesures à appliquer ainsi que le chronogram- me des mesures à appliquer. Com- me cela, il n’y aura plus de faux- fuyant. On saura ce qu’on a décidé de faire ensemble. On prendra l’en- gagement de l’appliquer et l’Assem- blée nationale, s’il s’agit de prendre l’amnistie, le fera. S’il s’agit d’indem- niser les victimes, les parents des vic- times, les enfants des victimes, il faut le faire également. Mais bien enten- du, on ne peut pas payer la souffran- ce des uns et des autres. Des gens ont été mutilés, des femmes ont été violées. Tout cela a été horrible.
Donc je ne voudrais pas revenir sur les dou- leurs. Mais concernant les actes qui
ont été posés par Laurent Gbagbo, c’était bien. Mais pourquoi avons- nous tardé pour avoir des élections ? Parce qu’il n’y a pas eu d’applica- tion effective et rapide de toutes ces décisions. Peut-être que nous aurons le temps d’en parler. Parce que Marcoussis, Accra, Pretoria et l’Ac- cord de Ouaga, ça fait quand même cinq ans.
Je voudrais qu’on aborde la deuxième partie de cette émission consacrée à la Dé- fense et à la Sécurité. Avec l’accord politique de Ouaga- dougou, il s’est posé la for- mation de la nouvelle armée. Quelle sera sa configuration et de quels moyens dispose- ra cette armée pour la défen- se du pays ?

ALASSANE OUATTARA :Je trouve qu’il y a eu des suggestions im- portantes et intéressantes dans l’Ac- cord de Ouagadougou. Mais, par rapport à la formalisation du cadre avec la réunification et la tenue des élections, je m’en félicite et je fé- licite l’initiateur. Mais ceci étant, il y a tout de même toujours des ques- tions fondamentales à régler. Il y a tous ces jeunes gens qui ont été de part et d’autres utilisés, que ce soit par les Forces nouvelles et de l’autre côté les miliciens, qui ont quelque- fois des kalachnikovs et qui se pro- mènent pour faire du brigandage ici et là. Il faut tenir compte de leur ave- nir. La démobilisation ne suffit pas. Nous aurons l’occasion d’en parler dans le volet économique. Il faudra mettre en place un programme économique qui permettrait une croissance très forte et une absorp- tion du chômage. Au contraire ces jeunes ont fait du tort à la Nation – mais en fait, ils ont été manipulés – Ils ont pris des décisions de leur propre chef. A partir de là, j’estime qu’il faut une grande reforme de la défense et de la sécurité, j’ai une am- bition pour cela, parce que aujour- d’hui tout le monde se plaint de ce qui se passe actuellement dans l’ar- mée. Je ne suis pas militaire, mais ce que j’ai lu dans la presse, il y a du fa- voritisme et quelquefois, c’est la cor- ruption. Et les conséquences ne sont pas prises en compte. Il faut que les militaires renoncent à cela et s’asseyent pour définir la loi sur la promotion. En tout cas en mon temps, c’est ce qui se faisait. C’est le chef d’Etat-major Guéi qui faisait la proposition au ministre de la Dé- fense. Le Ministre de la Défense Léon Konan Koffi venait lui-même me voir et m’expliquait « voici telle person- ne qui doit passer à telle grade. Et je leur disais, allons voir le Président Houphouët pour qu’il puisse donner son accord », sinon il n’y a pas de problème. Il faut également régler le problème de sécurité. Il y a des mai- sons de sécurité attribuée à telle éco- le. Certains ont refusé et d’autres n’en n’ont pas. La ville d’Abidjan est devenue telle que n’importe qui peut se procurer des armes. Donc, il y a un travail de refonte et de ré- formes. J’envisage de faire en sorte que ce domaine soit un domaine prioritaire. Parce que à l’issue de la guerre, il faut s’assurer que l’armée est forte, c’est vrai. L’armée est fai- te pour défendre nos frontières. Mais, il faut s’assurer que le minis- tère de l’Intérieur et la sécurité sera organisée par la police et la gendar- merie. Bien entendu, il faut qu’ils y aient des moyens pour que ces deux entités soient mieux organisées.

LAURENT GBAGBO : Oui, la nou- velle réforme sur l’armée, on va en parler. Mais, je voudrais bondir sur une question qu’il a soulevé tout à l’heure. En disant que c’est parce que les décisions n’ont pas été vite appliquées qu’il y a eu du retard dans l’organisation des élections. Ce n’est pas vrai. Dans notre Constitution, on ne peut pas organiser des élections quand le pays est coupé. C’est ce qui a fait qu’on n’a pas pu organiser les élections en 2005. M. Seydou Diar- ra a été Premier ministre, nous avons bien fixé une date. Et dès que nous avons pris des décisions, pour que tous ceux qui étaient à Marcous- sis soient candidats, on n’a pas réussi à faire en sorte que le pays se retrouve. Il a fallu engager des dis- cussions pour l’Accord de Ouaga- dougou. Et c’est après seulement les décisions de l’Accord de Ouagadougou et la nomination de Soro Guillaume comme Premier ministre qu’on a commencé à faire tomber toutes les barrières. Soit avec le Nord, soit avec le Centre, soit avec l’Ouest etc. Je viens de préparer une loi de programmation militaire qui va faire en sorte que l’Armée construi- se une vraie armée puissante, par- ce qu’on ne peut pas fermer les yeux sur une réalité. La Côte d’Ivoire est la première puissance économique de l’UEMOA. Et la deuxième puissan- ce économique de la CEDEAO. Or, jusqu’à présent, nous n’avons pas encore une armée à la dimension de notre force économique. Regardez par exemple dans le monde tous les pays qui sont puissants, développés, ont une armée qui est à la dimension de leur économie. C’est ce qu’il faut faire. C’est pour cela qu’il faut une nouvelle proclamation militaire. Celle qui a été prise en 2002 est maintenant dépassée. Il faut regarder le dispositif militaire sur l’ensemble du pays. Vous parlez de la gendarmerie et la police, c’est ça qu’il faut fondamentalement faire. Quand on parlera de l’économie, on verra. Mais, notre économie va aller mieux quand la croissance va être lancée quand il y aura du travail, on ne par- lera plus tellement des jeunes gens qui ont pris des armes, ce sera un souvenir lointain et ce sera heureux ainsi. Mais, il faut une loi de pro- grammation dans l’armée. Par rapport à des grades, les pratiques n’ont pas changé, depuis le temps ou le Premier ministre était aux af- faires.

ALASSANE OUATTARA : Ah ! ça je ne sais pas!

LAURENT GBAGBO : Ah non, les pratiques n’ont pas changé. Ce sont les militaires qui font des pro- positions et le chef d’Etat-major les transfère au ministre de la Défense. Ensuite le ministre les examine, mais moi, j’appelle tous les chefs de corps avant de prendre toutes les décisions.
Agression, banditisme, cou- peur de route. Parfois ont paraît impuissant devant tous ces phénomènes. Com- ment M. Gbagbo pourra-t-il faire pour assurer la sécuri- té des biens et des per- sonnes dans ce pays ?

LAURENT GBAGBO : Il faut renforcer la gendarmerie et la police. Nous avons commencé à mettre les bataillons et les compagnies de po- lice à Divo et à Gagnoa. Odienné aura un bataillon de CRS, il y aura Korhogo, Borotou. Dans toutes les capitales de région nous mettrons des policiers en nombre suffisant. C’est un des domaines sur lequel il ne faut pas lésiner. Nous avons déjà fait des réformes. Nous avons augmenté les traitements salariaux des policiers. Nous avons égale- ment amélioré le traitement salarial des gendarmes. Mais, il faut faire plus. Il faut recruter pour qu’il y ait un déploiement sur toute l’entendue du territoire national. Donc, le bra- quage qu’il y a sur les routes, avec les coupeurs de route, il faut rendre la gendarmerie et la police mobile. Quand j’étais petit, on parlait de gendarmerie. Donc il faut les rendre mobile. C’est-à-dire que sur l’auto- route, il y ait une équipe qui parte d’Abidjan jusqu’à Yamoussoukro. Il faut que ça circule. Parce que les brigands ont peur de la force qui marche. Il faut rendre les policiers et les gendarmes très mobiles. Et il faut les armer, il faut les équiper. Il faut que ces forces soient plus équipées que maintenant. Or, aujour- d’hui, on voit des policiers et des gendarmes qui n’ont pas d’armes. Alors que les brigands sont armés jusqu’aux dents. Cela est insuppor- table. Il faut régler ça. Il faut qu’ils soient sur les grands axes. La poli- ce et la gendarmerie prennent le pas sur les coupeurs de route. Il faut que dans les agglomérations comme Abidjan, on pense à des patrouilles pédestres (gendarmes et policiers à pieds) et les patrouilles mobiles. Nous sommes prêts à le faire.

M. Ouattara, que comptez- vous faire pour lutter contre l’insécurité et assurer la pro- tection des biens et des per- sonnes ?

ALASSANE OUATTARA : Nos concitoyens sont déçus par le travail des services de sécurité. Avant
d’aborder cela, je vais compléter la question de la défense. Pour la configuration que je prévois et sur- tout répondre à ce que Laurent Gbagbo a dit, qu’il y avait eu des dif- ficultés. Je ne voudrais pas revenir là- dessus. C’est pour cela que je veux que la Commission vérité et Récon- ciliation établisse un chronogramme de ce que nous devons faire et quand est-ce que nous devons le fai- re. Comme ça, ce sera très clair pour tout le monde. En matière de défen- se, j’ai prévu dans mon programme la création d’un service national. On va dire qu’on jette une boule d’air à la face de mes concitoyens. Mais, non. La création d’un service obliga- toire sur une courte période, com- me par exemple le service militaire laisse une liberté de choix pour la jeunesse. Et surtout un aménage- ment important, c’est que nous de- vons faire la scission entre le mon- de politique et l’armée. L’armée doit être véritablement la grande muette. Ce qui n’a pas été le cas par le passé. C’est important qu’on le fasse. Un Lida Kouassi Moïse, Conseiller technique du général Guéï, ce n’était pas normal. Mais, c’est du passé. Il y a les questions de réduction des effectifs, les conditions de vie des militaires, mais sur la sé- curité, il faut un effort pour la sécu- risation des biens et des personnes. Il faut travailler à la réorganisation de la police et de la gendarmerie. Dans mon programme, j’ai prévu 60 milliards de FCFA pour cela. Il faut l’in- tensification de l’action des forces de l’ordre sur le terrain. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Il faut l’accélération des traitements des cas de délin- quance par la justice. Et puis la mise en place d’un dispositif social pour lutter contre la délinquance. C’est pourquoi, j’ai prévu l’école obliga- toire jusqu’à 15 ans. Cela permettra aux jeunes gens d’avoir un certain niveau avant de vouloir faire autre chose. Et enfin, il y a la question des baux administratifs des policiers qui sont jetés dehors parce que ses baux ne sont pas payés. Donc, on doit trouver les ressources néces- saires pour régler les problèmes des policiers et faire en sorte que toutes ces questions de logement qui em- poisonnent l’atmosphère soient ré- glées. Et ils seront en sérénité. Et ils seront bien également.

Nous avons terminé avec ce chapitre. Nous allons abor- der le troisième volet de cette émission, consacré à l’économie. M. Ouattara, comment se porte l’écono- mie ivoirienne ?

ALASSANE OUATTARA :Ecoutez, l’économie ivoirienne ne se porte, malheureusement pas bien. Moi, je ne suis pas très content ou fier de le dire. Pas les chiffres. Mais la réalité est là. Les Ivoiriens la vivent au quotidien. Ils souffrent. Les prix des denrées alimentaires ont augmenté, que ce soit le riz, l’huile, le sucre etc. Il y a vraiment des pro- blèmes majeurs dans l’économie nationale. Pour moi, la cause, c’est peut-être que l’allocation des res- sources n’a pas été bonne. Parce que quand vous avez une économie na- tionale, vous devez vous assurer qu’il y a un minimum de ressources allouées à l’investissement. Parce que c’est l’investissement qui permet de faire des travaux, de créer des emplois, et ainsi de suite. Nous avons maintenant un budget qui est consacré à 95% à la consommation. Vous avez une maison, que vous avez achetée et pendant dix ans, vous ne faîtes pas l’entretien de la maison. Vous ne faîtes que payer vos frais d’électricité et d’eau. Mais, à un moment donné, vous avez des pro- blèmes dans une partie de la maison. Donc, il faut reprendre la gestion économique, ce n’est pas un travail facile, parce que ça demande des dé- cisions difficiles. Il faut dans ces dé- cisions prendre soin de protéger les plus défavorisés. Ceux qui ont très peu. Aujourd’hui, on apprend, et tout le monde le sait, qu’il y a beaucoup de familles qui ne mangent qu’une ou deux fois par jour. Ce n’était pas cela la Côte d’Ivoire, il y a vingt ans. Beaucoup d’Ivoiriens se plaignent au niveau de la santé. Ils n’ont pas 5000 FCFA pour ache- ter des médicaments. Et ainsi de sui- te. Je pourrai faire toute une liste. Ce n’est pas ça l’objet. Qu’est-ce que nous allons faire ?
Moi, j’envisage, un investissement massif de 12 000 milliards en cinq ans, pour améliorer les conditions de vies des Ivoiriens en investissant dans l’eau, l’électricité, mais en améliorant également les condi- tions d’emploi notamment l’emploi des jeunes, parce que si ces jeunes n’ont pas d’emploi, ce sera des lendemains difficiles pour nous- mêmes et pour le pays entier parce qu’ils sont majoritaires. Il faut donc leur trouver des emplois rapide- ment. Et j’ai les moyens de le faire parce que c’est ça que je sais faire le mieux.

M. Laurent Gbagbo, quel diagnostic faîtes-vous de l’économie ivoirienne ?

LAURENT GBAGBO : L’économie ivoirienne et en partie parce qu’il y a eu la guerre. Vous savez, pendant qu’on sortait de la crise militaro-ci- vile, j’ai repris les négociations avec les institutions de Bretton Woods. Dès que je suis arrivé au pouvoir, j’ai trouvé une dette de 6700 milliards de FCFA. Cette dette était assuré- ment trop forte pour un petit pays comme la Côte d’Ivoire. Donc, nous avons commencé à négocier et ça marchait très bien. Et puis la guer- re a éclaté. Le FMI et la Banque mon- diale se sont écartés. Nous avons continué à vivre sur nos propres recettes. Après la signature de l’accord politique d’Ouagadougou, j’ai repris langue avec les institutions de Bret- ton Woods. Et nous avons bien évolué. Nous avons eu le point de décision de l’initiative PPTE. Et il y a des conditions à remplir pour avoir le taux d’achèvement et pour ça, les élections sont une des conditions.
Après les élections, nous aurons le point d’achèvement et cela nous rapportera au minimum 500 milliards par an que nous gagnerons au lieu de les utiliser pour rembourser les dettes. Avec cet argent, nous allons faire des investissements en créant des écoles, en construisant des dispensaires… Nous avons du pétrole et après le pétrole, il y a du fer, du manganèse… Nous sommes heureux que la Guinée ait achevé son processus électoral parce que sur le mont Nimba, il faut absolument que les trois pays Côte d’Ivoire, Guinée, Liberia, travaillent ensemble pour l’exploitation des minerais. Et ce doit aller de pair avec la construc- tion d’un chemin de fer : Touba-San Pedro. Donc, les perspectives sont bonnes. Mais, il faut d’abord sortir de la crise.
Quels sont les secteurs prio- ritaires de la relance écono- mique et quelle place allez- vous accorder à l’agricultu- re qui constitue l’épine dor- sale de l’économie ivoirienne?

LAURENT GBAGBO : L’Agriculture est aujourd’hui l’épine dorsale de notre économie. Elle a été diversifiée au niveau des plantations depuis Félix Houphouët-Boigny. Il y avait le café et le cacao. Aujourd’hui, il y a l’hévéa, l’ananas, la banane, la noix de cajou etc. L’agriculture d’exploi- tation a été, c’est vrai, l’épine dor- sale de l’économie ivoirienne. Mais, il faut mettre l’accent sur l’agricul- ture vivrière. J’ai envoyé une équipe au Brésil, pour étudier avec les Bré- siliens comment nous pouvons mé- caniser l’agriculture et la rendre très forte. Ils sont d’accord. Dès la fin des élections, quand je serai élu dimanche, nous allons les inviter à venir et nous allons discuter pour l’installation des usines ici pour monter des machines outils. Ces ma- chines outils seront achetées pour agriculteurs confirmés ou par des co- opératives. En tout cas, elles vont tra- vailler. Mais, il y a mieux que ça, pour le cacao, nous sommes leader mon- dial. Nous produisons environ 1,2 millions de tonnes ou 1,4 millions de tonnes par an. Mais j’ai estimé qu’il nous fallait doubler notre production sur les dix ans à venir. Et il est pos- sible d’atteindre 2 millions de tonnes en remplaçant les plants vieux, cer- tains ont mon âge, par de nouvelles variétés qui sortent des instituts de recherche ivoiriens, ghanéens, ma- laisiens… Et nous tenons sur les 20 ans de réussir à produire les 2 mil- lions de tonnes. Ayant produit, il nous faut faire toute la transforma- tion sur place ici, ça va créer une deuxième ligne d’emplois. Et tous les pays qui nous achètent le cacao fève sont d’accord là-dessus. Il nous res- tera donc à négocier si nous pou- vons mettre au moins une usine dans chaque département producteur. Dans certains départements comme San Pedro, Soubré, Tabou qui pro- duisent beaucoup de cacao, il fau- dra plus d’une usine. Mais, il ne faudra faire ça. Doubler notre produc- tion de cacao et transformer tout ce que nous produisons comme cacao ici, cela nous évitera au moins un autre voyage.

M. Ouattara, quels sont dans votre programme, les sec- teurs prioritaires de la relan- ce de notre économie et quelle place accordez-vous à l’agriculture ivoirienne ?

ALASSANE OUATTARA : Je voudrais d’abord dire à mes compa- triotes que la pauvreté n’est pas une fatalité. Ce pays était prospère, il y a vingt-trois ou vingt-cinq ans. Quand j’étais Directeur Afrique du FMI dans les années 80 , nous avions une économie plus forte que certains pays de l’Afrique du Nord, comme le Maroc le Ghana et beau- coup d’autres pays. Malheureuse- ment, il y a eu détérioration. Je connais les souffrances des uns et des autres. Je sais que la plupart des prix ont doublé depuis dix ans. Que ce soit le riz, l’huile et certaines den- rées de base. Je voudrais leur dire que moi je suis d’abord un écono- miste. Je leur demande de me faire confiance. Le programme que je pré- vois, c’est de résoudre le problème économique, social du peuple. Ça se fait dans plusieurs domaines. Je n’ai pas envie de rentrer dans les dé- tails. Mais fondamentalement, le problème de la dette sera réglé l’année prochaine après les élections. Laurent Gbagbo l’a dit, je crois que nous devons tous nous en féliciter. A partir de là, il faut créer des res- sources et faire des investissements importants dans les secteurs qui sont des secteurs de relance. Pour cela, il faut donner également un rêve au secteur privé. C’est de créer les conditions juridiques pour que les investisseurs aussi bien nationaux qu’internationaux, puissent investir. Vous savez que les Ivoiriens détien- nent plus de trois milliards de dollars dans leurs comptes bancaires à l’étranger. Pourquoi ? Parce que beaucoup n’ont pas confiance. Ils gardent cet argent à l’extérieur. Ils vont le ramener quand on aura une élection apaisée et que nous serons tous d’accord que cette élection se sera bien passée.
Laurent, le dimanche, c’est plutôt moi qui serai aux affaires. Mais, ça, ce sont les Ivoiriens qui auront à dé- cider. Par rapport à l’agriculture, c’est un secteur où l’investissement doit être considérable. Moi, j’ai d’autres priorités. Il y a d’abord l’emploi pour la jeunesse, je l’ai dit, ce sont 600 milliards que j’ai prévus dans mon programme. L’agriculture, c’est la même chose. Parce que nous avons constaté que la gestion du secteur agricole n’a pas été bonne. Nous allons créer d’autres structures. Je l’ai déjà dit, nous allons nous as- surer que les paysans obtiennent plus de la moitié du prix international. Nous allons faire des transformations par des usines. Nous avons la capa- cité d’attirer toute une série d’investisseurs pour le faire. Pas seule ment les investisseurs traditionnels, mais des investisseurs venant d’ailleurs. J’aurai voulu avoir tellement de temps pour parler de mon programme économique, mais nous avons seulement trois minutes et je trouve que ce n’est pas insuffisant.

Que pensez-vous du secteur privé ? Vous l’avez abordé ra- pidement, c’est un secteur important, pourvoyeur d’em- plois. Plusieurs chefs d’entreprises et opérateurs écono- miques nous ont appelés avant cette émission pour savoir ce que vous leur réser- vez. Qu’est-ce que vous proposez pour redynamiser ce secteur ?

ALASSANE OUATTARA : Pour le secteur privé, c’est l’environnement des affaires. Il faut que les question de justice soient réglées et ça, c’est essentiel. Deuxièmement, les ques- tions de justice ont un impact sur toutes les questions de rackets, d’utilisation abusive des pouvoirs de l’Etat par rapport aux entreprises pri- vées. Moi, je suis très fier de dire que je suis un libéral-social. Donc, nous allons donner une priorité à faire en sorte que les entreprises puissent investir et gagner de l’argent.
La troisième chose qu’il faut faire pour les entreprises privées, c’est toute la question de la fiscalité. Déjà de 1990 à 1993, nous avons fait des efforts considérables pour faire baisser la fiscalité et ça égale- ment, c’est un domaine sur lequel, je vais m’appuyer. Il faut baisser la fiscalité. Parce que s’il y a moins d’impôts, même ceux qui essaient ’éviter les impôts vont payer leurs impôts. Si au lieu de payer de 25 ou 30%, on leur dit de payer 10 ou 15%, peut-être que ceux qui pensent que naturellement, il faut éviter le fisc, ils viendront eux-mêmes payer leurs impôts. Ça augmente de manière considérable les ressources. En plus, il faut maintenant que dans les secteurs que sont le pétrole et les mines, que nous ayons de grands projets, des BOT qui permettrons à des entreprises de construire par exemple, le chemin de fer San Pedro – Touba – Odienné – etc. Il faudrait de nouveaux barrages hydroélectriques. Ça demande des centaines de millions d’Euro d’investissements. Il faudrait encore un certain nombre de construction de châteaux d’eau menées par le privé. Il faut donner aux privés la capacité d’investir dans le pays. C’est ce que j’appelle la li- berté d’entreprise. J’ai la capacité de le faire, je considère que les Ivoiriens ont besoin d’une économie forte, une économie à croissance rapide pour absorber le chômage et pour alléger la souffrance de mes compa- triotes. Dans le domaine des affaires, il faut également tenir compte de l’ensemble des partenaires. Donc, je suis fier, je ne citerai pas de noms, d’avoir aidé des jeunes entrepreneurs en son temps. Beaucoup de jeunes entrepreneurs ont été encouragés par moi. Beaucoup sont devenus après archi milliardaires et ont fait de bonnes affaires. Je crois qu’il faut en- core recommencer à donner des possibilités aux jeunes ivoiriens. Sur- tout que depuis vingt ans, beaucoup plus se sont formés. Certains sont à l’intérieur, d’autres sont à l’extérieur. Il faut donc créer un cadre spécial de retour aux investissements.

Monsieur Laurent Gbagbo que proposez-vous sur ce secteur ?

LAURENT GBAGBO : Depuis 1987, j’écoute et je dis que le secteur privé est le centre et le nerf. C’est le secteur privé qui est pour- voyeur d’emplois et de richesses. Donc depuis 1987, je me répète. Mais tout à l’heure, le Premier mi- nistre a dit : « Je suis un économis- te, je vous demande de me faire confiance ». Nous sommes à une élection présidentielle. Une élec- tion présidentielle, on ne cherche pas forcément un bon économiste. Par- ce que les grands dirigeants et de
grands chefs d’Etat dans ce monde n’étaient pas du tout économistes. De Gaulle en France était un militai- re, Pompidou qui l’a remplacé était un professeur de lettres et qui est de- venu banquier par la suite comme mon ami Danho Paul est devenu banquier par la suite. François Mit- terrand était avocat comme Sarko- zy aujourd’hui l’est. Même Houphouët-Boigny dont aujourd’hui se réclame le Premier ministre était un médecin. Je veux dire, diriger un Etat, c’est d’abord avoir le sens de l’Etat. Je suis frappé par le fait que nous faisons des propositions simi- laires sans que je ne sois économis- te et lui il l’est. Mais c’est parce que se sont les réalités du pays, baisser la fiscalité, il l’a dit. Mais, je suis heu- reux. Nous, en arrivant à partir de la loi de 2002, nous avons effacé 300 milliards de dettes dues par des en- treprises à l’Etat. Nous l’avons fait puisque c’était une créance morte. Certaines entreprises avaient dispa- ru, d’autres se portaient très mal. Nous n’allons pas encore les acca- bler. Qu’on prenne la loi fiscale de 2002, on verra que nous avons laissé trois cent milliards. Sur l’élec- tricité, effectivement, nous avons commencé les négociations avec de grands groupes pour faire le barra- ge de Soubré qui aurait dû être fait depuis longtemps et qui ne l’a pas été. Après le barrage de Soubré, écouté et regardé avec l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest pour voir mes paires de la CEDEAO m’ont confié la réflexion sur le transport que sur l’énergie. Nous sommes en train de travailler dessus pour voir quelles sont les solutions que nous allons uti- liser ensemble pour qu’on ait les sources d’énergie qui soient utiles à tous les pays de l’Afrique de l’Ouest.

comment envisagez-vous fai- re pour permettre aux Ivoi- riens de bien se soigner ?

ALASSANE OUATTARA : Un ci- toyen en bonne santé est un citoyen productif, qui peut travailler plus pour permettre à la collectivité d’avoir plus d’argent, plus de dispo- nibilité, ainsi de suite. Laurent Gbag- bo a parlé tout à l’heure de l’AMU (assurance maladie universelle), qui existerait. Nous, nous avons parlé d’un plan santé. Nous prévoyons une cotisation de 1000 FCFA, ceci per- mettra de prendre en charge les per- sonnes qui ont des problèmes de santé. Nous comptons le faire, gra- tuitement pour les plus faibles revenus. C’est important, nous comptons fournir les centres de santé de mé- dicaments de premières nécessités, comme l’aspirine et autre. Au delà, il faudrait parler de la réalité du ter- rain. Aujourd’hui l’espérance de vie est tombée en Côte d’Ivoire à 46 ans,elleétaità55ans,ilya quelques années. La malnutrition touche un enfant de 5 ans sur trois, sa forme aigue un enfant sur 15. Sur trois personnes dépistées du VIH SIDA, un n’a pas accès au traitement. 40000 à 60000 femmes meurent chaque année en donnant la vie. Ce que nous avons prévu dans notre plan santé, en plus de l’assurance gé- nérale qui permettra de prendre en compte les plus défavorisés, il s’agi- ra de construire 5 CHU, c’est de fai- re en sorte qu’un certains nombre de centres de santés soient construits, et surtout qu’aucun Ivoirien n’ait à parcourir plus de 5 km avant d’avoir accès à un centre de santé. Cela veut dire qu’il faut réhabiliter les centres de santé existant, il faut en créer de nouveaux. Il faut surtout les équiper en médicament de base et cela gratuitement. Il faut faire en sorte qu’il y ait un hôpital tous les 5km. Il faut évidemment un programme de réseau électrique et la prise en charge de moyens. Tout cela va coû- ter de l’argent. Mais, c’est le domai- ne de par mon expérience, où on peut trouver facilement de l’argent. Ce n’est pas très difficile. Si on a un programme cohérant, et qu’on est capable de l’expliquer à l’internatio- nal, on trouve de l’argent facilement. Toutes les grandes Fondations, Bill Gate, Microsoft et autres sont vrai- ment désireuses d’aider. Nous allons avec leur aide pouvoir régler ce problème.

Je voudrais qu’on dise un mot sur la corruption. Quel- le votre perception de la corruption ? Je voudrais rappeler que l’indice de la per- ception de la corruption IPC classe la Côte d’Ivoire à la 151e place sue 180 ; La corruption, l’enrichissement rapide et illicite, sont un véri- table phénomène en Côte d’Ivoire. Comment comptez-vous lutter sur ce phéno- mène?

LAURENT GBAGBO : Selon ma propre expérience, je pense que ce qu’il faut faire, malheureusement ce n’est pas cela qui est toute la réalité. J’ai montré déjà que quand dans un secteur j’ai l’information qu’il y a corruption, je réagis en saisissant la justice qui fait ensuite son travail. Vous savez, il y a quelque chose qui m’a beaucoup gêné, c’est que nous étions dans un gouvernement de ré- conciliation nationale. Beaucoup de personnes étaient quasiment in- touchables, parce que si je veux les faire arrêter, comme ils sont des autres partis politiques, on va me dire que je casse l’accord et l’esprit de l’accord. Ce qu’il faut faire, est que dès la fin de l’élection, il faut un au- dit généralisé de tous les minis- tères. Cela permettra d’y voir ce qui s’est passé durant ces années de cri- se, pour voir ce qui s’est passé et à partir de là, saisir la justice pour qu’elle fasse son travail. Je crois qu’il ne faut pas avoir peur de cela. Il faut saisir la justice sur tous les cas de fraude. Ceci dit, nous avons voté une loi contre la corruption, contre l’en- richissement illicite. Peut être, qu’il faut la reprendre pour la rendre plus vigoureuse et la rendre plus actuel- le et la rendre plus performante. Mais tout cela est en rapport avec les problèmes dont nous avons parlé tout à l’heure, les problèmes de la justice. Parce ce que si vous amenez quelqu’un devant la justice et que cette personne vient vous narguer deux jours après, ce n’est pas la pei- ne de le faire. Il faut que cela aille de paire avec la justice. Donc, nous le ferons. Mais il faut dire première- ment à nos compatriotes que tous les ministères seront audités après cette élection. Là où il y a eu frau- de, la justice sera appliquée dans toute sa rigueur. Deuxièmement, nous allons mettre sur pied la Hau- te cour de justice, dès que cela est fait, personne ne pourra se retran- cher derrière le portefeuille ministé- riel qu’il occupe ou bien même der- rière la fonction de Président de la République. Sur la question je suis très catégorique. Il faut être carré dans cette lutte là.

Monsieur Ouattara ?

ALASSANE OUATTARA : Je vous remercie. Sur ce point, nous sommes d’accord. Nous sommes d’accord parce que la corruption est une dé- perdition de ressources. Le pays a des difficultés, il faut faire rentrer l’ar- gent de l’Etat dans les caisses de l’Etat. Il faut également s’assurer que cet argent est bien utilisé. Ceci étant, il faut quand même faire quelques remarques. Est-ce que tout l’argent qui est collecté par ldouane, par l’impôt rentre dans les caisses de l’Etat ? Je ne me fais au- cune idée. Mais il y a beaucoup de doutes sur la question. Toutes les re- cettes qui sont collectées à partir des recettes, au niveau des ressources pétrolières et minières, rentrent toutes dans les caisses ? Je ne veux pas faire d’accusation. Mais, il y a aussi la question des différents fonds crées pour gérer le café et le cacao. Cela a démontré que pendant plusieurs années il y a eu une corruption active et agressive. Malheureu- sement ces personnes sont restées en poste pendant longtemps. Je suis content qu’à un moment donné Laurent Gbagbo ait mis fin à cela. Mais, ces personnes sont en prison depuis 2 ans, il faut bien que justi- ce soit rendue pour que les coupables répondent de leurs actes et que les autres recouvrent la liberté. Je suis d’accord avec lui qu’il faut sévir. Ceux qui sont un peu âgés se souviennent que quand moi je suis arrivé en tant que Premier ministre, c’est ce que je faisais. Quand j’avais, après enquête, découvert qu’un fonctionnaire était indélicat, on pre- nait des sanctions contre lui. Main- tenant, quand Laurent Gbagbo dit que c’est un gouvernement de ré- conciliation, je suis désolé parce que si moi, Laurent Gbagbo, Chef de l’Etat, m’avait appelé pour dire : « tel ministre de ton parti politique, sur le- quel on des preuves et cela après en- quête, est impliqué dans une affai- re de corruption, je te demande de le remplacer, je l’aurais fait. Parce ce que je n’admets pas la corruption. Je ne veux pas qu’un de mes mi- nistres soit en fonction et qu’il dé- tourne les deniers de l’Etat. Je trou- ve cela inacceptable. Parce qu’à force de couvrir ces gens là, on va penser que c’est moi qui suis com- plice de ces agissements, alors que je me considère comme un homme honnête. Par conséquent il fallait me le dire, avec les preuves. Moi, je t’au- rais dit de te débarrasser de ce ministre. Ceci étant, je suis entièrement d’accord pour l’audit généralisé. Je voudrais dire à Laurent que je suis désolé, parce que le lundi matin, tu m’appelleras pour me dire bravo, tu as gagné. Il faut que le vainqueur mette sérieusement en garde nos fonctionnaires pour leur dire que la corruption, c’est terminé.

Nous sommes pris par le temps. Je voudrais vous poser une dernière question sur ce chapitre. Face aux grandes mutations, lancées par les nouvelles technolo- gies de l’information et de la communication dans le mon- de, que prévoyez vous pour le développement de la com- munication audiovisuelle en Côte d’Ivoire?

ALASSANE OUATTARA : Sur la question, je crois que la Côte d’Ivoi- re a une petite avance dans ce do- maine. Il faut s’en féliciter. Ce n’est pas assez. Mais nous devons faire en sorte de faire mieux. Mon ambition, c’est que nous serons les meilleurs. Il y a 25 ans, nous avions l’éducation télévisuelle. Personne n’avait ça en Afrique. Nous, nous l’avions. Nous avions fait de grandes choses par le passé dans ce domaine. Il faut que nous reprenions. Il faut qu’on sen- te que la Côte d’Ivoire est de retour pour devenir le pays phare, pas seulement de la sous région, mais également du continent africain. Il faut faire en sorte que ces jeunes gens qui ont été bien formés ici com- me à l’étranger, reviennent avec leur expérience au niveau des nou- velles technologies de l’informa- tion et de la communication. J’ai sur mon bureau, des centaines de de- mandes de retour de jeunes gens. Nous avions pris quelques uns qui travaillent au ministère des NTIC. Ils donnent satisfaction. Ce sont des jeunes qui travaillent à des postes de responsabilité dans de grandes en- treprises françaises, notamment. Malgré tout, ils ont accepté de ve- nir et prendre des salaires qui était le 1/5 de ce qu’ils percevaient. Il y a un patriotisme très fort de nous tous. Voilà, le pays a des difficultés, je pen- se que si on crée le cadre nécessai- re, beaucoup de jeunes reviendront. C’est un domaine qui compte, c’est un domaine où malheureusement, nous n’avons beaucoup de cadres sur place. Il faut les chercher à l’ex- térieur. Ces jeunes cadres qui ont fait des études au Canada ou ailleurs n’attendent qu’un cadre propice pour mettre leur expertise à la dis- position du pays. Dans notre plan, nous avons prévu installé l’Internet dans les lycées et collèges, et faire en sorte que cela soit accessible. Il y a déjà des Fondations que je ne nommerais pas, qui ont eu à offrir des salles multimédias à certains ly- cées. Nous considérons que la trans- mission de savoir doit être rapide maintenant. Vous savez, quand nous nous étions à l’école, Laurent Gbagbo et moi, l’arithmétique on le faisait avec un crayon, on a eu en- suite la règle à calcul. Aujourd’hui, tous ces jeunes gens ont leurs ordi- nateurs, à 6 ans ils savent s’en ser- vir et rentrer en contact avec le mon- de entier. C’est une ambition légiti- me. Nous devons tout faire pour être parmi les meilleurs dans ce domai- ne.

Monsieur Laurent Gbagbo ?

LAURENT GBAGBO : avant de répondre à cette question il ne peut y avoir de grandes divergences, je voudrais dire parce qu’il a insinué sans le dire, qu’il n’est pas sûr que tout l’argent du pétrole rentre, que toutes les recettes douanières et des impôts rentrent dans les caisses de l’Etat. Je voudrais dire que sur le pé- trole, Houphouët-Boigny a pris sa première coupe de champagne en 1977, parce qu’on venait de décou- vrir le pétrole. Mais c’est sous Gbag- bo Laurent qu’on parle des res- sources du pétrole. De 77 à 2000 on n’a jamais parlé des ressources de pétrole. C’est déjà un signe de transparence. Cela a été l’une de sa- tisfaction qui a permis au FMI de prendre la décision du FMI. Si on avait failli sur la question, ils ne nous auraient pas accordé le PPTE. C’est complètement transparent, on peut donc chercher. Je voudrais dire au Premier ministre que depuis que je suis Président, on ne vient pas chez moi le soir avec des valises d’argent. Ni la douane et là, vous pouvez de- mander à Gnamien Konan, qui fait campagne pour vous maintenant. Ni la douane, ni les impôts, ne le tré- sor, ne m’amènent une valisette remplie d’argent les soirs. Cela n’est pas manière de vivre. J’ai déjà dit à tous les Ivoiriens que moi, j’ai un seul compte banque. Il se retrouve à la Riviéra, le Premier ministre sait où j’habitais. Il s’agit de la société gé- nérale qui est à quelques mètres de mon lieu d’habitation. Allez vérifier mon compte et vous verrez que c’est le salaire que je me suis donné en tant que Chef d’Etat, qui y est viré tous les mois. Je n’ai aucun autre compte ailleurs. Ceci étant, pour les NTIC, c’est le langage nouveau dans le monde. On ne doit plus laisser un enfant sortir de l’école sans com- prendre cette langue là. C’est pour- quoi, j’ai dit tantôt qu’il faut instrui- re cet outil dès l’école primaire, le ni- veau sera déterminé par la suite. Il faut également que chaque étudiant, sorte de l’université ou de l’école en sachant utiliser le langage infor- matique, en sachant naviguer sur In- ternet. Cet outil me rend des services énormes. Quand je dois faire mes discours, je n’ai plus besoin de fouiller des livres savants, nous ta- pons sur Internet et nous sommes dans toutes les grandes biblio- thèques du monde pour avoir toutes les informations.
Je dois te dire que d’habitude on se tutoie. On s’appelle Alassane, Laurent. Et ce soir, tu es là, tu dis Monsieur le Premier ministre. Il faut que les Ivoiriens le sachent, sachent que nous n’avons pas de problèmes.

GBAGBO LAURENT : En aucun cas, je ne dirai que nous avons des problèmes.

ALASSANE OUATTARA : D’accord!

GBAGBO LAURENT : Ce que je ne dis pas, c’est que le moment est so- lennel. C’est la première fois que les Ivoiriens voient tout çà, donc je veux lui concéder son caractère solennel. C’est pourquoi. Sinon.
ALASSANE OUATTARA : Ça n’empêche pas que ce soir on s’ap- pelle comme on s’appelle d’habitu- de. Pour toute la sincérité que je sou- haite que nous ayons devant nos compatriotes.
Pour la dette intérieure, vous savez, les institutions d’économie en par- lent. Une dette comme la nôtre ne peut se régler – c’est comme une banque qu’on relance – qu’en payant la dette intérieure, ça permet aux entreprises d’avoir de l’argent et d’aller donc beaucoup plus vite par rapport à tout ce qui a trait au recru- tement, au paiement des fournis- seurs et ainsi de suite. Donc pour moi, c’est une priorité en ce qui concerne 1500 milliards de dette in- térieure. Je ne sais pas combien je peux payer en un an, mais certaine- ment, il ne faudra pas prendre cinq ans pour payer les 1500 milliards. Dans notre programme, nous avons prévu que, dès la première année, nous devons payer au moins un tiers de la dette intérieure. Parce que c’est comme ça qu’on relance. Je veux créer les leviers qu’il faut pour relan- cer l’économie. Dès donc l’année prochaine, ainsi nous allons pouvoir à la fin de l’année 2011 ou en 2012 aller vers une économie de croissance de 6 à 8% et qui nous permet d’absorber donc le chôma- ge. Et de créer des emplois auxquels tout le monde, notamment les jeunes, aspire.
Pour la dette extérieure, je crois qu’on en a parlé. Je voudrais signaer que même s’endetter n’est pas in- utile. C’est normal qu’un Etat s’en- dette. Tout dépend de la proportion dans laquelle on s’endette. C’est ça la question de fond. Nous nous sommes endettés, c’est vrai. Mais il y a des choses en contrepartie. On a des routes, on a des autoroutes, on a tout même la construction de Yamoussoukro. C’est comme tu dis, il y a vingt ans, il y avait une infra- structure qui était la meilleure dans toute l’Afrique y compris l’Afrique du Nord. Donc s’endetter n’est pas quelque chose qu’il faut encourager. Moi, j’ai l’ambition, non seulement après qu’on ait réglé ce problème de la dette extérieure de 6000 milliards, avec le PPTE, ça va se régler en un an ou deux, je veux moi-même em- mener la Côte d’Ivoire sur les mar- chés internationaux pour emprunter. Vous voyez le Ghana qui était der- rière nous, il y a dix ans, l’année pro- chaine, le Ghana sera classifié par la Banque africaine de développement comme étant un pays émergent. Mon ambition, c’est de faire de la Côte d’Ivoire, en cinq ans, un pays émergent qui peut aller sur les mar- chés de capitaux emprunter à court et moyen termes pour pouvoir donc consacrer cela au paiement de la dette intérieure. Mais également à la relance de l’économie.

Nous allons aborder le 4e et avant-dernier chapitre de cette émission consacrée aux questions de société. On va commencer par l’éco- le. Le système éducatif ivoi- rien, on le sait était l’un des plus performants de la sous- région. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Beaucoup d’Ivoiriens le disent.
L’école est en crise : des effectifs pléthoriques dans les classes, il y a insuffisance de ressources et des infrastructures, la vio- lence. Conséquence, le taux de réussite est très bas. Quel est votre projet pour réhabi- liter l’école ivoirienne? On va commencer par Mr Ouattara.

ALASSANE OUATTARA : Je vous remercie. L’école est un problème majeur. Je dirais que dans mon pro- gramme, les priorités – tout est priorité – je dirais les premières priorités, c’est la santé d’abord et en- suite l’école. Vous avez tout dit en parlant de l’école. Je me souviens que quand je suis arrivé en 90 et que j’ai rencontré les étudiants, leur première requête, c’étaient les infrastructures. Et aussi quelque fois les professeurs. C’est comme cela que j’ai pris l’engagement avec eux de construire de nouvelles universités et en trois ans, j’ai pu construire deux universités. L’université d’Abobo- Adjamé et Bouaké ensuite. Pour décongestionner. Donc pour le pro- gramme de cinq ans que j’envisage, j’ai dit, je vais construire cinq univer- sités. Parce qu’il faut décongestion- ner l’université. Il faut que l’univer- sité sorte de la ville d’Abidjan. J’ai l’ambition de faire un grand campus universitaire à Bingerville ou ailleurs ou même à plus de 40 km d’ici. Pour que ce soit un campus qui doit pou- voir accueillir des dizaines de milliers d’étudiants avec des infrastructures modernes et tout ce qui a trait avec les nouvelles technologies. C’est important parce qu’à partir de là, il y a une aération et les étudiants se trouveront dans un environne- ment où la violence ne prendra plus le pas. Parce que toutes ces questions de logement, de bourse, d’indemnités, créent des difficultés. Donc, il y a des infrastructures qu’il faut régler. Il y a la question fonda- mentale de l’enseignement lui- même. Moi, je ne suis pas ensei- gnant de profession, mais mon co- mité d’experts me dit qu’il faut qu’on révise notre programme pé- dagogique. C’est que nous avons du retard par rapport aux pays voisins, sans compter avec les pays occiden- taux. Donc, il y a l’infrastructure, la pédagogie et également la forma- tion des enseignants et le recrute- ment des enseignants. Nous avons fait un petit calcul dans notre pro- gramme. Vous savez, il y a 700000 naissances en Côte d’Ivoire chaque année. C’est pratiquement autant qu’en France. Quand vous faites le calcul, il faut recruter des dizaines de milliers d’instituteurs sur les cinq ans. Vous voyez, quand je dis 60000 ins- tituteurs, c’est parce que la démo- graphie l’exige. Donc, nous avons un investissement massif à faire égale- ment dans l’école. Nous devons construire des infrastructures, nous devons recruter des professeurs, des instituteurs et nous devons fai- re en sorte que la stratégie globale soit révisée par ceux dont c’est le métier.

M. Gbagbo ?

GBAGBO LAURENT : Ce qu’il dit est une très bonne chose. Mais il faut que je relève certaines choses par- ce que les Ivoiriens sont vraiment dans l’émotion plus que dans les faits. En 1991, ils disent que l’éco- le a chuté aujourd’hui. Mais en 1991, pour le CEPE et l’entrée en 6e, on avait 21% de réussite en 1991. En 2002, on a 64% de réussite. Au BEPC, en 1991, on a eu 32% de réussite. En 2002, on a eu 36,47% de réussite. Au Baccalauréat en 1991, on a eu 27,25% de réussite. En 2002, on a eu 27,25% de réus- site. Je vais prendre en 1994. CEPE et Entrée en 6e, 37,34% de réussi- te. En 2004, nous avons 68,94% de réussite. Au BEPC, en 1994, nous avons 7,85% de réussite. En 2004, nous avons 31,43% de réussite. Au Baccalauréat en 1994, on avait 13,52% de réussite. En 2004, nous avons 23,71% de réussite. Donc, les Ivoiriens sont dans l’émotion actuel- le. Ils ne regardent pas les chiffres. Nous faisons mieux aujourd’hui qu’il y a vingt ans. Malgré tout, nous fai- sons mieux qu’il y a vingt ans. Ceci dit, ça ce n’est pas pour nous excu- ser, il faut dire qu’au niveau de l’éco- le primaire et de l’école secondaire, il y a un problème. Quand on crée un centre où les enfants déjeunent, une cantine, le taux de scolarisation est plus fort. Et les enfants tra- vaillent mieux. Je vais nommer un Se- crétariat d’Etat à l’Education Natio- nale qui sera chargé des conditions de vie des écoliers, des élèves et des étudiants. Donc nous allons créer un Secrétariat pour ça. Ensuite, il faut introduire l’anglais dès l’école primai- re. Et aucun étudiant ne doit sortir de l’université s’il n’a appris à mani- puler l’informatique.
On parle de la santé, la san- té qui coûte chère. Les Ivoi- riens n’arrivent pas à se soi- gner convenablement, les hôpitaux démunis, désertés par les membres du corps médical, démotivés. Com- ment permettre aux Ivoi- riens juste de bien se soigner et à moindre frais ?
GBAGBO LAURENT : Ecoutez, la santé coûte chère. Il faut le dire aux Ivoiriens. C’est ce que j’essaie de leur dire. Et pourtant, il faut les soigner. Il faut créer les conditions pour que chacun puisse suivre le traitement que son état de santé nécessite. Vous ne pouvez pas savoir combien de personnes frappent à la porte de la Présidence pour se faire soigner, pour se faire opérer, pour se faire ceci, pour se faire cela. Ça coûte cher à la Présidence. Ça coûte cher à la Présidence. La Présidence de la Ré- publique est devenue le plus grand
centre social du pays. C’est pourquoi j’ai décidé qu’il faut qu’on crée l’Assurance maladie universelle. Il faut qu’on crée l’Assurance maladie universelle. C’est-à-dire, c’est une as- surance, mais ce n’est pas une assu- rance privée. C’est une Assurance. Chacun cotise. Chacun cotise et une fois qu’il a cotisé, il a un papier, une carte à partir de laquelle on peut le soigner gratuitement. C’est-à- dire, c’est pas gratuitement. L’Assu- rance maladie va payer. Chez les pay- sans, il y aura la caisse sociale agri- cole. Et là, on pourra prendre déjà sur le café, le cacao, l’hévéa, le pal- mier à huile, etc, pour créer leur cais- se. Pour les fonctionnaires et les em- ployés du privé, on va discuter. J’avais proposé 5% sur leur salaire mensuel, mais ça ce sera à discuter. Pour tous ceux qui ont plus de 18 ans et qui n’ont pas d’emplois, on va décider ensemble. Soit 10000 F, soit 20000 F. Voilà ! Il faut construi- re des centres de santé dans les vil- lages, dans les sous-préfectures, dans les communes, etc. Mais il faut surtout faire en sorte que chacun ait une Assurance pour aller tranquille- ment vers le médecin quand son état de santé l’exige. Alors, nous allons en plus faire les régions et dans chaque région faire une université. Et à chaque université est accolée un CHU. Ça c’est vraiment très bien. C’est très bien. C’est comme ça ! C’est dans cette direction qu’il faut aller. On peut discuter de la maniè- re d’organiser l’Assurance maladie. On peut discuter. Elles n’ont pas toutes la même forme en Alle- magne et en France. Elles n’ont pas la même forme en France et en An- gleterre et tout ça. Mais le principe, c’est chacun qui vit en Côte d’Ivoi- re doit être tranquille au niveau de sa santé. Quand il a une mauvaise santé, partout où il est, il doit être capable d’être en face d’un infirmier, d’un médecin ou d’un spécialiste pour les soins que son état nécessi- te.
GBAGBO LAURENT : Nous sommes liés par des accords. Nous sommes membre créateur de l’UE- MOA. Nous sommes membres créa- teurs du conseil de l’Entente. Nous sommes membre de l’union des Etats du fleuve Mano, nous sommes membres de la CEDEAO. Toutes ces unions ont des règles dont la libre circulation et la libre information. Voila le problème de la Côte d’Ivoi- re. Quand un pays comme la Fran- ce dit « je ne veux pas tant étranger », elle n’est dans un accord particu- lier, dans un accord de voisinage, ni avec la Côte d’Ivoire ni avec l’Afrique du Sud ni avec la Namibie. Mais ils sont dans un accord avec l’union des pays occidentaux et ils, ne peuvent pas chasser un membre du pays d’Europe occidental membre de leur union de leur pays. Donc nous avons cette contrainte là. Le problème, c’est de savoir comment on surveille le flux d’immigration et le flux d’émigration. C’est ce qu’il faut chercher. Et comment aussi nous donnons une dignité à chaque étranger qui se retrouve chez nous. J’ai supprimé la carte de séjour. Ce n’est pour faire du « anti ouatarraisme » comme certains de ces parti- sans le disent. Mais quand vous ins- taurez la carte de séjour, ça nous nuit, nous Ivoiriens. Parce que les gens qui doivent payer la carte de sé- jour et qui ne la payent pas vont vers les faussaires pour faire de fausses cartes d’identité et ces cartes nous envahissent et deviennent les pièces les plus utilisées. Pour éviter qu’on attaque notre identité par des pièces fausses, j’ai du supprimer la carte de séjour. Mais il faut approfondir la ré- flexion et la mener avec les autres Etats. Il faut la mener avec la CE- DEAO, l’UEMOA, le Conseil de l’En- tente et les pays de l’Union du fleuve Mano.
ALASSANE OUATTARA : Je vous remercie et je commencerai par dire que je crois en l’intégration, à l’intégration sous régionale. Je consi- dère que dans le nouveau monde mondialisé, les Etats sont trop petits et même, les pays qui sont suppo- sés être les membres du G8 ont trou- vé intérêt à se mettre ensemble. L’Europe a une monnaie commune et je me réjouis qu’elle nous ait re- joint maintenant. Les questions d’immigration, on doit les traiter de manière très délicate. Mais ne pas donner le sentiment que nous avons une xénophobie. La diversité de la population nationale montre bien que la Côte d’Ivoire, comme l’in- dique son hymne national est un pays d’hospitalité. Et il faut veiller à cela. En le faisant, il faut s’assurer de la bonne intégration des étrangers dans notre pays. Bien à conditions que toutes les lois soient respectées. Je ne reviens pas sur le cas des cartes de séjour parce que c’est du passé même si nous considérons que dans tous les pays du monde, il y a eu des recensements pour savoir qui est étranger et qui est national. Fort heu- reusement ce débat est derrière nous. Je pense aussi que nous de- vons améliorer les conditions de l’accueil des Ivoiriens dans les autres pays. Parce qu’il faut que nos com- patriotes soient bien intégrés. Beaucoup qui me rencontre dans certains pays se plaignent qu’ils n’ont pas les mêmes avantages dans les pays où ils vivent, que les avantages que nous donnons à certains ressortissants de pays voisins. Tout ça, c’est par des accords, des réunions ensemble et une volonté commune d’aller de l’avant et de créer un cadre institu- tionnel régional. Parce que si l’on y prend garde, dans 20 ou 30 ans, beaucoup de pays africains pour- raient ne pas exister parce qu’ils n’auront plus de ressources pour avoir une armée, une administration, une police. La misère serait encore plus grande et ce sera les flux migra- toires terribles vers des pays que je considère prospères comme la Côte d’Ivoire ou ailleurs. Nous-mêmes avons intérêt à prendre le leadership et à organiser les flux migratoires pour qu’un jour nous n’ayons pas de problèmes. Et que nous ne soyons pas l’exemple vivant de la France de l’Afrique. Que tout le monde se re- trouvent en train de venir ici parce que la Côte d’Ivoire va bien. Nous sommes prêts à accueillir tous nos frères qui veulent s’intégrer, mais il faut que ces lois s’appliquent dans l’ensemble de la CEDEAO et je pen- se que nous pouvons le faire.

Si vous êtes élu le 28 no- vembre, quelles sont les nouvelles orientations que vous donnerez à la diplomatie ivoirienne ? Notamment avec les pays de la sous-région, l’Europe, en particulier la France et les pays émergents ?

ALASSANE OUATTARA : Je dis que je suis d’abord un homme d’intégration, un homme d’ouverture. Je considère que depuis ces derniers temps malheureusement, il y a eu beaucoup de difficultés dans nos re- lations internationales et que nous devons tout faire pour réparer cela. La Côte d’Ivoire est un pays qui res- pecte ses engagements, qui respec- te les citoyens des autres pays vivant chez nous et que la Côte d’Ivoire, ré- solument prête à faire en sorte que l’Afrique est une réalité. Je crois beaucoup en l’Union africaine. Cer- tains pensent que c’est une idée comme ça, pas très réfléchie, mais moi j’y crois. Vous savez que j’ai eu la chance de m’asseoir à la table des grands, dans le G8, dans la prépa- ration des grands sommets et j’ai vu que l’Afrique était marginalisée. Il est donc temps que nous soyons une grande unité, très forte et respectée. C’est comme cela que nous devons apporter. L’Afrique, c’est des cen- taines de millions d’habitants. C’est
aussi le seul endroit où les questions d’environnement sont apaisantes. C’est le seul endroit où nous avons moins de pollution qu’ailleurs. Nous n’avons pas de difficultés, nous avons le soleil qui nous donne l’énergie, sans nous polluer avec l’es- sence et le gasoil. Nous avons donc un rôle à jouer. Mais, ce rôle nous ne pouvons le jouer qu’en allant avec une diplomatie forte avec des hommes et des femmes expérimen- tées, avec un code de conduite des ambassadeurs.

GBAGBO LAURENT : Oui, le problème de la diplomatie est un problème que les gens minimisent sou- vent. Mais ce n’est pas rien. Chaque fois, on voit dans le débat des ques- tions sur lesquelles, il n’y a pas d’affrontement. Parce que les inté- rêts d’un pays sont les intérêts d’un pays. Je crois que l’Afrique a une si- tuation particulière. Et en Afrique noire, la Côte d’Ivoire ressemble beaucoup à l’Afrique du Sud au ni- veau de l’Afrique Australe. La Côte d’Ivoire est en Afrique Occidentale ce que l’Afrique du Sud est en Afrique Australe. C’est-à-dire une zone de prospérité entourée de pays qui sont moins prospères. Donc les gens viennent, mais il faut appliquer l’adage selon lequel c’est la géographie qui fait l’histoire. C’est la géographie qui nous a pla- cés comme ça et nous devons assu- mer notre rôle historique de leader. En même temps, je pense que l’Afrique seule ne peut pas s’en sortir. Il faut prospecter avec les autres Nations, les voies et moyens pour faire venir l’énergie pour ser- vir toute l’Afrique de l’Ouest. C’est parce que j’ai créé ce langage que les membres de la CEDEAO, les chefs d’Etat de la CEDEAO m’ont confié les réflexions et sur le trans- port et sur l’énergie. Mais il faut al- ler toujours plus haut et chercher des moyens et faire en sorte que l’Afrique de l’Ouest ait un dévelop- pement croissant. Ce n’est pas nor- mal que dans tel pays, il n’y a pas de succès et dans tel autre il n’y a rien. Dans tel pays où des chefs d’Etat sont logés dans des villas où l’élec- tricité se coupe, l’eau se coupe. Quant à l’Afrique, elle a un destin commun et il nous faut construire l’Afrique. Nous sommes trop pres- sés. Les Européens ont commencé la construction de l’Europe en 1945, à la fin de la guerre. Ils ont commen- cé la construction de l’Europe et c’est maintenant qu’ils ont eu la monnaie commune. Mais parce que tous les problèmes ont été étudiés. Tous les problèmes ont été répertoriés, etc.

Nous sommes bientôt au terme de cette émission et j’ai beaucoup apprécié le ton et je pense, beaucoup d’Ivoiriens avec moi. A l’ap- proche du second tour, cer- tains Ivoiriens sont en train de faire des provisions. Est- ce qu’en une minute, vous êtes prêts à réitérer tout ce que vous avez dit sur ce plateau, votre volonté d’ac- cepter les résultats ?

LAURENT GBAGBO : Oui, mais le Premier ministre m’appellera vers 2h ou 3h du matin pour me féliciter. On s’appelle souvent et il n’y a pas de problème. Pour être plus sérieux, c’est impérieux que celui qui a ga- gné gagne et que celui qui a perdu perde. Parce que sinon qu’est-ce qu’on offre à nos enfants ? Qu’est- ce qu’on offre à la Côte d’Ivoire ? Nous ne pouvons pas accepter au- jourd’hui d’offrir la Côte d’Ivoire en holocauste. Moi je suis vraiment na- vré pour les Ivoiriens pessimistes et moi je ne suis pas ivoiro-pessimiste. On a crié sur tous les toits au mo- ment du premier tour que le 31 oc- tobre serait le début d’une guerre tri- bale, ethnique, religieuse. Mais on a vu, en ce qui me concerne, je me suis promené presque toute la nuit, je me suis couché à 7h du matin parce que les résultats ne venaient pas et j’étais furieux contre la CEI. Main- tenant, il faut rééditer l’exploit. Je compte sur le Premier ministre. En tout cas, moi je suis prêt, je pense qu’il m’appellera.

ALASSANE OUATTARA : Je pen- se que nous sommes d’accord que nous nous appellerons réciproquement. C’est Laurent qui m’appellera. Mais, il dit que moi, je l’appelle- rai aussi. Moi je sais que jusqu’à 22h, 23h, il va m’appeler puisqu’on aura les résultats un peu plus tôt cette fois ci, parce qu’il n’y a que deux candidats. Et par conséquent, on peut le faire. J’ai déjà dit que moi, j’accep- terai les résultats de cette élection. J’ai accepté les résultats du premier tour. Je considère que c’est une élec- tion qui a pris du temps, cela a pris cinq ans pour être organisée. Mais néanmoins nous y sommes arrivés. Je pense qu’il fallait ce temps aussi pour apaiser les esprits, pour apla- nir les problèmes et les difficultés. J’étais confiant quant au bon dérou- lement du premier tour de l’élection présidentielle et il y a beaucoup d’ambassadeurs, des confessions religieuses sont venus me voir. Je leur ai dit que moi je connais mes compatriotes, il n’y aura rien. C’est vrai qu’il y a quelques énergumènes qui envoient des SMS, je leur ai dit qu’ils n’aient pas peur, parce qu’il n’y aura rien. Et c’est le même sentiment que je voudrais exprimer ce soir. Je suis sûr que ce deuxième tour va se dérouler dans de bonnes condi- tions. Laurent et moi appelons tous nos concitoyens à aller voter tran- quillement. De ne pas accepter les provocations. Les quelques pro- blèmes qu’on a eus doivent rester derrière nous. Il nous reste un seul jour de campagne et par consé- quent, l’essentiel est fait. Les extré- mistes qui se sont exprimés sur tel ou tel terme, excusez-moi du terme, qu’ils la ferment et nous laissent conduire la Côte d’Ivoire vers la paix et vers le changement.

Conclusion ALASSANE OUATTARA :

Mes chers compatriotes, nous avons eu ce débat courtois, ce débat respon- sable. Beaucoup de nos compa- triotes avaient eu peur. Ils pen- saient que Gbagbo et moi allaient nous donner des coups de poings. Je crois que nous sommes de frères. Je crois que tout le monde connaît que tout s’est bien passé et je vou- drais que vous reteniez chers Ivoi- riens. Cette élection est importante certes, mais moi je ne suis pas venu en politique pour chercher un pos- te. Je vais gagner parce que je vais offrir quelque chose à mon pays. Et si je perds, ce n’est pas un problè- me. Mais je pense que je vais gagner. Je vais gagner parce que j’ai des so- lutions pour la Côte d’Ivoire. J’ai des solutions pour les Ivoiriens. Je pen- se que la situation actuelle est très grave et que nous devons tout faire pour : 1 – Renforcer la cohésion sociale. Donc mettre il faut arrêter tous les discours de haine et de division. 2- Il faut faire en sorte qu’il y ait une vraie réconciliation et que le pardon suive. C’est pour cela que j’ai prévu mettre en place, une commission vé- rité et réconciliation. 3- Je vais former un gouvernement d’union avec un Premier ministre issu du PDCI et j’aurai également des mi- nistres issus du FPI. Parce que je crois que les grandes formations politiques du pays doivent contribuer au ren- forcement de la cohésion nationa- le. J’ai un programme, j’en ai parlé suf- fisamment lorsque j’ai parcouru les régions de la Côte d’Ivoire. Ce pro- gramme a été enrichi par ce que vous m’avez dit. J’ai saisi votre message. Vous voulez que ça change, je vous apporterai ce changement. Je voudrais, chers compatriotes, vous remercier du fond du cœur. Moi je vous ai parlé avec sincérité. Je vous ai parlé en toute tranquillité, j’ai la conscience tranquille. Je pense que c’est Dieu qui donne le pouvoir et nous sommes croyants. Je considè- re que ce qui est important, c’est que Dieu garde sa main sur la Côte d’Ivoire et que nous soyons un pays en paix après ces élections pour que nous puissions nous mettre au tra- vail pour alléger les souffrances des Ivoiriens. Je vous remercie chers compatriotes de m’avoir donné cet- te opportunité. Et de faire que tout se passe bien pour la Côte d’Ivoire au soir du 28 novembre.

GBAGBO : D’abord merci à la télé- vision ivoirienne et au CNCA pour avoir organisé une telle rencontre. La Côte d’Ivoire reste la Côte d’Ivoire. C’est la première fois en Afrique Noi- re occidentale qu’un tel débat a lieu. Je suis fier de ce débat et Dieu a déjà exhaussé ma prière pour ce soir. Par- ce qu’avant de venir, j’ai prié et de- mandé à Dieu pour que le débat se passe bien pour les deux interlocu- teurs. Que tout se passe normale- ment et que nous ne donnions pas de frayeur aux Ivoiriens. C’est pour- quoi nous devons tout mettre en œuvre pour que les élections se pas- sent dans la sérénité. Et qu’on pro- clame les résultats. Si j’ai pris un dé- cret pour instituer le couvre-feu, ce n’est pas pour effrayer mais, c’est pour rassurer. Tous les Ivoiriens où qu’ils soient sont concernés par ce débat. Tous les Africains nous regardent. De tous les pays, c’est la première fois que ça se passe et la Côte d’Ivoire est toujours débout. Pour nos compatriotes qui sont à l’étranger, je suis en train de rédiger avec mon cabinet, ce qu’on appelle la Côte d’Ivoire élite pour que les Ivoiriens qui sont à l’extérieur puissent revenir. Les Ivoiriens de la Côte d’Ivoire, je les salue. Je leur dis que je suis avec vous depuis longtemps. Nous avons traversé toute la crise, nous avons fait des sacrifices. Je vous ai demandé de faire des sacrifices et certains sont fâchés mais ils ont ac- cepté. Nous sommes arrivés à l’aboutissement. Ce n’est pas seule- ment une raison pour choisir un Chef d’Etat, c’est une élection après onze années d’errements, après onze d’année de crise pour amener la paix. Bonne chance à la Côte d’Ivoire et que chacun vote librement. Je suis heureux que le Premier ministre et moi ayons acceptés chacun les résultats. Je pars d’ici plus récon- forté que quand j’étais venu.
Que Dieu bénisse la Côte d’Ivoire.

Avec l’Intelligent d’Abidjan

Sat, 27 Nov 2010 05:26:00 +0100

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