Ian Brossat, Président du groupe Communiste et élus du Parti de gauche (PCF-PG) au Conseil de Paris : «La France doit peser pour obtenir un vrai dialogue en Côte d’Ivoire»

Notre Voie : Comment avez-vous vécu, le 6 mai dernier, la victoire de François Hollande à la présidentielle française ?
Ian Brossat : J’ai été heureux de cette victoire. Parce que je faisais partie de ceux qui se battaient pour que Nicolas Sarkozy parte, pour qu’on se débarrasse de Sarkozy à la tête de l’Etat. Donc le Front de gauche a participé à la victoire de François Hollande. Nous sommes très heureux que Nicolas Sarkozy ne soit plus Président de la république, parce que pendant cinq ans, les Français ont vécu le martyr avec Sarkozy à l’Elysée, à part une petite minorité de privilégiés qui s’en est mis plein, les poches. Donc l’objectif est atteint. J’ai un deuxième motif de satisfaction, c’est le score réalisé par le Front de gauche à travers notre candidat,?Jean-Luc Mélenchon, qui a obtenu plus de 11% des voix. Ce qui est considérable dans une élection présidentielle. D’autant que c’est un scrutin qui ne nous était pas favorable. Je suis donc doublement satisfait par ce résultat.

N.V. : Lors du dernier meeting de campagne du Front de gauche, à la place Stalingrad à Paris, Jean-Luc Mélenchon avait dit souhaiter une victoire ample. On voit bien que le résultat final fut un peu serré. N’êtes-vous pas déçu tout de même ?

I.B. : L’essentiel, c’est la victoire et la conséquence de cette victoire qui est que Nicolas Sarkozy ne sera plus Président de la république. On l’a mis, d’une certaine manière, hors d’état de nuire. Cela dit, le score réalisé par la droite au second tour reste élevé. Mais il est dû au fait que Sarkozy a mené une campagne en semant des idées de haine et de racisme. Tout cela finit, malheureusement, par peser dans la tête des gens. Ceci dit, maintenant que l’objectif qui est de se débarrasser de Nicolas Sarkozy a été atteint, il va falloir faire en sorte que la France sorte par le haut de la crise dans laquelle elle est aujourd’hui, en faisant de la justice sociale, en répartissant les richesses autrement. Bref, en tournant la page des cinq ans qu’on a subis avec Nicolas Sarkozy à l’Elysée.

N.V. : Vous vous dites satisfait du score réalisé par Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle. Mais on a vu dans les médias qu’il y avait un peu un sentiment d’échec du candidat du Front de gauche, non seulement par rapport à ce qui était annoncé, mais aussi par rapport à Mme Le Pen. Qu’en dites-vous ?

I.B. : Les sondages, c’est toujours virtuel. Il faut comparer la réalité, à la réalité. La réalité, c’est que nous avons réalisé quasiment quatre millions de voix. Que nous avons fait plus de 11% à l’élection présidentielle alors que cinq ans plutôt, notre candidate (Marie-George Buffet, ndlr) avait réalisé 2%. Donc c’est une progression considérable. Ça faisait plus de vingt ans que le parti communiste n’avait pas réalisé un score à deux chiffres à une élection présidentielle. Je le vois dans un certain nombre de quartiers populaires de Paris, comme celui où je suis candidat, on a des scores qui avoisinent les 20% à la Goute d’Or, par exemple. Et ça, c’est un motif de satisfaction considérable. Nous avons commencé avec le Front de gauche à tracer un chemin. Cela va se poursuivre et nous allons encore grandir. Je trouve donc que ce résultat est une satisfaction et surtout qu’il ouvre un espoir pour tous ceux qui veulent radicalement changer de société.

N.V. : L’autre question aujourd’hui, c’est l’avenir du Front de gauche.?Allez-vous évoluer vers la fusion des?différents courants en un seul parti, vu que la personnalité de M. Mélenchon a été pour beaucoup dans votre score ?

I.B. : Je pense que le Front de gauche va perdurer parce qu’on voit que c’est une formule qui fonctionne. Beaucoup de gens aujourd’hui ont envie de s’impliquer dans le Front de gauche. Dans le même temps, le parti communiste est le moteur du Front de gauche. Nous avons 130.000 adhérents, nous avons des milliers d’élus qui sont implantés sur l’ensemble du territoire. Donc nous allons continuer comme nous l’avons fait jusqu’à présent. C’est-à-dire en construisant le Front de gauche et en son sein, le parti communiste qui, à mon sens, doit avoir un rôle encore plus important, dans les années à venir. Je crois que quand on a une formule qui fonctionne, on ne la change pas. Il faut, au contraire, continuer à développer le Front de gauche sur les bases qui lui ont permis de rencontrer ce succès.

N.V. : Quels sont les espoirs du Front de gauche pour les élections législatives à venir ?

I.B. : Les élections législatives, c’est essentiel. Parce que les lois ne se votent pas à Elysée, mais au Parlement. Pour nous, l’enjeu des élections législatives est fondamental. Même si on sait que le taux de participation est souvent inférieur aux législatives par rapport à la présidentielle. C’est vrai que la droite cherche à obtenir une cohabitation, c’est assez drôle parce que la droite a toujours eu les mots les plus durs contre la cohabitation. Je pense qu’elle prend ses rêves pour la réalité. Les Français ne sont pas schizophrènes, ils ne vont pas valider le bilan de Nicolas Sarkozy qu’ils ont rejeté quelques semaines auparavant. Donc, la droite dans sa revendication de cohabitation est absolument grotesque. En revanche, la vraie question, c’est le rapport de force à gauche. Quel sera le poids du Front de gauche dans la prochaine majorité, notamment à l’Assemblée nationale. C’est le combat que nous menons pour que le Front de gauche ait des dizaines de députés pour porter des avancées pour notre peuple. Notre objectif, aujourd’hui, c’est que dans un maximum de circonscriptions, nous ayons des députés du Front de gauche. Si on a envie d’avoir des députés qui se battent vraiment pour sortir de la crise du capitalisme dans laquelle nous sommes, c’est sur les députés du Front de gauche qu’on pourra compter. Pour nous, la bataille, le troisième tour, ce sont ces élections législatives. Et nous allons mener campagne, tambours battants, dans les jours qui nous restent avant le premier tour des élections législatives, le 10 juin prochain.

N.V. : Pour ces législatives, vous êtes candidat dans le 18e arrondissement de Paris. Quelles sont vos chances ?

I.B. : Je suis candidat dans une circonscription qui est à cheval entre le 18ème et le 19ème arrondissement de Paris. C’est une circonscription qui compte, en réalité, les quartiers les plus populaires du 18ème et du 19ème. C’est une circonscription qui est très ancrée à gauche. Il ne fait donc pas de doute qu’elle aura un député de gauche en 2012. La vraie question, c’est quel sera ce député. Il y a un député socialiste sortant et moi, le candidat du Front de gauche. C’est d’ailleurs la circonscription de Paris où Jean-Luc Mélenchon a obtenu son meilleur score. Donc mon espoir aujourd’hui, c’est d’être en tête de la gauche dans cette circonscription et devenir le représentant des populations de cette circonscription à l’Assemblée nationale. C’est une circonscription très populaire et métissée qui a subit durement la politique de Nicolas Sarkozy. Si vraiment les habitants de cette circonscription ont envie de tourner définitivement la page du sarkozysme, alors je suis le meilleur candidat pour les représenter demain à l’Assemblée nationale.

N.V. : En Côte d’Ivoire, on a entendu parler de vous quand vous avez boycotté la visite du chef de l’Etat ivoirien, Alassane Dramane Ouattara, à l’hôtel de ville de Paris. Pourquoi avez-vous agi ainsi ?

I.B. : J’ai boycotté cette visite, d’ailleurs avec l’ensemble des élus du Front de gauche, pour plusieurs raisons. D’abord, parce que son élection a été entachée de soupçons. Il y eu un refus de recompter les voix, ce qui ne fait que renforcer les soupçons sur son élection. Ensuite, parce que la politique qu’il défend est une politique antisociale et liberticide constituée notamment d’attaques contre les syndicalistes. On connaît la mobilisation qu’il y a aujourd’hui de la part de la CGT pour obtenir la libération du leader de la centrale Dignité, Basile Mahan Gahé. Tous ces éléments m’ont conduit à faire le choix de boycotter la visite de M. Alassane Ouattara. Ce que je constate aussi c’est que d’autres responsables politiques ont fait le choix de boycotter la venue de M. Ouattara, comme M. Jean-Pierre Bel, le président du Sénat, qui ne l’a pas reçu non plus. Donc, j’ai regretté que Bertrand Delanoë l’ait fait. Moi, j’ai fait ce choix comme l’ensemble des élus communistes et du parti de gauche.

N.V. : Le lendemain de sa défaite, Nicolas Sarkozy a reçu la visite d’Alassane Ouattara justement à l’Elysée. Comment aviez-vous perçu cela ?

I.B. : Il y a manifestement une proximité très nette entre Alassane Ouattara et Nicolas Sarkozy. En plus, je crois qu’il y a un accord entre son parti et l’Ump. Il y a là des connexions qui sont fortes et Nicolas Sarkozy a profité de ses derniers jours à l’Elysée pour s’enfoncer un peu plus dans la complicité qui le lie à Alassane Ouattara. Je trouve que c’est regrettable et condamnable. ça témoigne du rôle coupable que la France a eu dans ses relations avec Alassane Ouattara au cours de ces derniers mois.

N.V. : De nombreux ivoiriens sont sceptiques devant un changement de politique de la France en Côte d’Ivoire voire en Afrique avec la victoire de François Hollande. Que leur répondez-vous ?

I.B. : C’est vrai que sur cette question, comme sur d’autres d’ailleurs, François Hollande a pu donner le sentiment d’hésiter. Il a successivement expliqué qu’il était hostile à la présence des forces militaires françaises en Côte d’Ivoire, avant de dire qu’il n’y était pas totalement défavorable. On a parfois avec lui, un peu de mal à suivre. Ce qui est certain, c’est que s’il y a un parti politique qui a tenu une ligne cohérente sur la Côte d’Ivoire, c’est le parti communiste français et le Front de gauche dans son ensemble, à travers son candidat, Jean- Luc Mélenchon qui a eu des mots forts sur la situation en Côte d’Ivoire. Si nous voulons demain avoir des députés à l’Assemblée nationale qui disent clairement qu’il faut que les troupes françaises se retirent de Côte d’Ivoire et d’Afghanistan, il faudrait qu’on ait des députés du Front de gauche qui puissent avoir cette parole claire. Donc plus nous serons nombreux, plus François Hollande sera obligé de tenir compte de ce que nous disons sur ce sujet et sur le reste.

N.V. : Il est clair que votre point de vue peut influencer les choix de M. Hollande. Pourquoi dans ce cas, avez-vous refusé de participer au gouvernement ?

I.B. : Je crois que ce n’est pas la participation à un gouvernement qui fait qu’on pèse sur les choix. Le vrai lieu de décision, c’est l’Assemblée nationale et le rapport de force politique qu’on crée dans le pays. Ce n’est pas parce que le Front de gauche aura un ministre des transports ou un ministre du logement qu’il pèsera sur la politique internationale de la France. Je doute d’ailleurs que si on participait à un gouvernement, on nous confie le ministère des affaires étrangères. Donc la vraie question, c’est le poids politique qu’on aura dans la prochaine majorité. Moi, à titre personnel, je ne suis pas favorable à ce que le Front de gauche participe à un gouvernement. Parce qu’aujourd’hui, les conditions ne sont pas réunies pour le faire. Par exemple, sur les sujets dont nous venons de parler, François Hollande n’est pas sur des positions qui nous agréent. Donc la vraie question sera de savoir si le Front de gauche aura demain un groupe charnière à l’Assemblée nationale qui lui permettra de peser sur la politique étrangère de la France, comme sur tous les autres sujets, économiques et sociaux, comme le souhaite tout militant du parti communiste.

N.V. : Faisons un peu de politique fiction. Si le Front de gauche avait aujourd’hui un groupe parlementaire comme vous le souhaitez, que feriez-vous, par exemple, concernant la politique étrangère. Plus particulièrement sur la situation en Côte d’Ivoire ?

I.B. : Je vous l’ai dit très clairement. Par exemple, la nécessité que les troupes françaises se retirent de Côte d’Ivoire. C’est une question qui me paraît essentielle. La France doit peser pour obtenir un vrai dialogue en Côte d’Ivoire au lieu de contribuer à perpétuer la situation actuelle avec une partie de la population stigmatisée et de nombreux prisonniers d’opinion. Je pense notamment au leader syndical, Mahan Gahé, aux universitaires et à mon compatriote Michel Gbagbo dont la mère réclame depuis des mois un rapatriement humanitaire et sanitaire. Si le Front de gauche a un poids réel à l’Assemblée nationale, nous pourrons peser sur François Hollande et le gouvernement de façon générale afin que l’ensemble de ces points soient pris en compte. Et je vous le dis franchement, si demain nous n’avons pas un poids suffisant à l’Assemblée nationale, toutes ces questions passeront à la nasse Pour moi, c’est essentiel. C’est ce pourquoi je me bats comme candidat aux élections législatives.

N.V. : On voit bien qu’il y a davantage de français d’origine africaine qui votent en France et participent au débat. Le Front de gauche a-t-il une politique en leur direction ?

I.B. : Je ne défends pas ces convictions sur la Côte d’Ivoire, parce que je souhaite m’adresser à une communauté. Mais parce que ce sont mes convictions et je les affirme devant tout le monde. Donc, il ne s’agit pas de draguer telle ou telle communauté. C’est la question du droit des peuples qui est posée. C’est la question de la démocratie et du rapport aux syndicats. Ce sont des questions qui, à mes yeux, doivent être portées partout, notamment en Côte d’Ivoire.

Interview réalisée à Paris par Guillaume Gbato Envoyé spécial en France

Wed, 13 Jun 2012 01:20:00 +0200

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