Interview / Jean-Marc Guillou : ‘’Il y a des nuls à la tête du football ivoirien‘’

Non pas du tout. La meilleure façon de « tuer » quelqu’un aujourd’hui, au sein d’une société où le faire-savoir, est de l’ignorer. La Fédération ivoirienne de football (Fif) ne parle pas de Guillou et nie jusqu’à son existence. Elle ne se préoccupe que de sa propre communication et c’est fort compréhensible, car dans le domaine du foot, elle ne fait rien de bon. Pourtant, il y a un potentiel énorme de joueurs dans la sélection. La Fif a fini par dévoyer les principes de jeu que nous avions inculqués aux Académiciens. L’équipe de Côte d’Ivoire, j’ai le sentiment que ce ne sont pas les mêmes joueurs que j’avais eu à former à l’Académie Mimosifcom. Ils ont été « déformés » par des conseils et des consignes totalement anti-football. Quand on somme un joueur de se battre sur le terrain, quitte à en repartir sur une civière, il ne faut pas s’étonner qu’il mette la semelle et écope de cartons rouges. Le foot, ce n’est pas la guerre.
N’y aurait-il pas une volonté délibérée de casser ce que l’on a appelé « l’Académie dépendance » ?
C’est sûr : rappelez-vous les « prestations » des Eléphants lors de la Can 2010 en Angola ! Les casseurs de l’Académie dépendance ne se sont pas aperçus qu’ils détruisaient l’essentiel : le sens du jeu collectif que nous avions développé à l’Académie Mimosifcom et qui a permis d’obtenir des bons résultats. Notre philosophie est de mettre le talent individuel au service de l’esprit d’équipe. Un individu si doué soit-il ne sera jamais aussi bon que s’il respecte le jeu collectif. Les Académiciens de la sélection semblent avoir tourné le dos à ces principes. Ils jouent bien par éclairs, rarement de manière liée. Ce n’est pas suffisant pour conquérir des titres. En février 1999, sous les couleurs de l’Asec d’Abidjan, la première promotion des Académiciens (la moyenne d’âge était de 17 ans et demi) avait remporté la Supercoupe des clubs aux dépens de l’Espérance sportive de Tunis (3-1). Plus de dix ans après, avec l’apport des jeunes de la deuxième et troisième promotion, il y a une richesse d’effectifs qui aurait pu faire de la Côte d’Ivoire un prétendant à la Coupe du monde. Mais il lui aurait fallu gagner d’abord des Coupes d’Afrique. Elle ne l’a pas fait. Parce qu’à la tête du football ivoirien il y a des nuls – on ne peut pas les appeler autrement – qui, bien entendu, s’entourent de nuls!
Je ressens l’évolution actuelle des Académiciens comme un échec personnel. Leur comportement en Angola ne préfigure rien de bon pour le Mondial 2010 qui pourrait être le dernier pour eux.
Henri Michel en 2004-2006, Ulrich Stielike en 2006-2007, Gérard Gili en 2008, Vahid Halihodzic en 2008-2010… Les « sorciers blancs » se sont succédé à la tête des Eléphants sans être parvenus à tirer profit de l’effectif mis à leur disposition. Ont-ils été mal conseillés ou influencés ?
Ils l’ont été par ceux qui les ont employés et grassement rémunérés. Ils étaient payés pour occuper la fonction d’entraîneur. Sans plus. Et s’ils avaient été plus compétents, ils auraient refusé d’être manipulés.
Il leur arrivait de vous contacter ?
Henri Michel l’a fait, mais au début de sa prise de fonction. Je lui avais conseillé d’appeler Emmanuel Eboué qui était à l’époque en pleine bourre. Il a tergiversé. J’ai été très dur avec lui à l’occasion du match de Coupe du monde 2006 Côte d’Ivoire-Cameroun, disputé à Abidjan (2-3). Il avait titularisé Guel Tchiressoua qui ne jouait nulle part et aligné une équipe sans queue, ni tête ! La défaite aurait pu priver les Ivoiriens du Mondial. Pour moi, il avait commis un crime contre le football et avait fait preuve de plus de faiblesse que d’incompétence. Il s’était laissé abuser.
Roger Milla, Abedi Pelé et certains dirigeants de la Caf ne cessent de pronostiquer une victoire africaine à la coupe du monde 2010. Est-ce réaliste ?
Bien sûr que non ! Actuellement, la meilleure équipe d’Afrique est celle d’ l’Egypte, et elle ne va pas en Afrique du Sud. Elle est bonne sans toutefois surclasser les autres, sinon elle n’aurait pas raté la qualification. Au vu de la Can 2010 du début d’année, il me paraît invraisemblable, voire impossible, que l’un des six représentants africains remporte le trophée mondial. A moins d’un miracle ou d’une sorcellerie. Je n’y crois pas. Accéder aux demi-finales, ce serait déjà miraculeux, même si le niveau actuel du football mondial n’est pas extraordinaire. Il n’y a qu’à voir jouer l’équipe de France. Je ne vois pas une formation africaine réussir un match correct face à l’Espagne, championne d’Europe. L’écart et grand.
Source : Afrique Asie
Fri, 23 Apr 2010 08:08:00 +0200
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