Patrice Motsepe, né à Soweto, l’un des quartiers les plus pauvres de Johannesburg, a annoncé qu’il allait donner la moitié de sa fortune à une association caritative, suivant ainsi l’exemple de deux des milliardaires les plus renommés de la planète : Bill Gates et Warren Buffett. « J’ai décidé il y a quelque temps de donner au moins la moitié des fonds générés par nos actifs familiaux pour élever des Sud-Africains défavorisés, pauvres et marginalisés », a justifié cet homme de cinquante et un ans. Et si Bill a sa Melinda, Patrice a sa Precious, sa femme avec laquelle il a créé sa fondation « pouraméliorer le quotidien et les conditions de vie des Sud-Africains pauvres, handicapés, chômeurs, femmes, jeunes ou ouvriers ».
Car en Afrique les temps changent. Les fortunes ne se cachent plus. Elles sont devenues plus avouables, liées à l’économie réelle plus qu’à l’économie souterraine. « Il y a une transition économique depuis 2000 en Afrique, observe Adama Wade, directeur de la rédaction de Lesafriques.com. Le continent est entré dans un cycle long avec de la croissance. Et les nouvelles fortunes se sont bâties non pas dans les mines, mais dans les télécoms, l’agroalimentaire, la distribution. Elles se rapprochent des consommateurs. C’est aussi le signe d’une classe moyenne qui monte et qui a besoin de nouveaux services. On estime cette classe à 300 millions d’habitants, l’équivalent de la population américaine. Avant, l’Afrique était connue pour l’exportation brute de ses matières premières ; aujourd’hui, se crée un véritable marché intérieur avec de la croissance. »
Un monde d’hommes
Aly-Khan Satchu, ancien du Credit Suisse First Boston, investisseur au Kenya, abonde dans ce sens : « Ce n’est pas à proprement parler l’apparition d’une nouvelle classe de riches Africains, mais plutôt l’émergence d’une classe moyenne et supérieure. La preuve, la hausse de 74 % des ventes du whisky Johnnie Walker en Afrique de l’Est. Elle se manifeste aussi par un taux de croissance élevé des chiffres du transport aérien de l’Afrique vers le reste du monde. » Selon une étude réalisée par le spécialiste de l’immobilier de luxe Knight Franck, l’Afrique devrait compter 75 milliardaires en 2022, contre 35 en 2012. Le nombre de millionnaires est estimé à un peu plus de 2.500, une paille par rapport aux 150.000 millionnaires russes, autre pays riche en ressources minières et agricoles.
Les Africains commencent à peine à profiter de l’immense richesse du sous-sol, mais aussi d’une population grandissante. Les inégalités restent importantes (plus de 90 % des Africains disposent d’un patrimoine inférieur à 10.000 dollars selon « la pyramide mondiale des richesses » de Credit Suisse), mais l’émergence de l’Afrique devrait voir apparaître rapidement de nouvelles fortunes dans la distribution, les banques, les services, à condition de connaître la paix et la stabilité. « C’est un des grands enjeux de la décennie à venir, le renforcement de l’Etat africain et sa légitimité à intégrer les communautés ou les divergences ethno-linguistiques », estime Adama Wade. « Ce qui se passe depuis deux ans au nord du Mali, au nord du Nigeria ou au Cameroun est lié à un affaiblissement progressif de l’Etat régalien, qui dans certaines régions n’a plus le monopole de la violence légitime. »
En attendant, la croissance est là pour les lions africains, les pays comme l’Algérie, le Botswana, l’Egypte, l’île Maurice, le Maroc… Les entreprises locales s’enrichissent et leurs actionnaires avec. « Depuis 1998, les revenus des 500 plus importantes entreprises africaines (hors banques) ont augmenté de 8,3 % par an », note le Boston Consulting Group dans son étude sur les « Challengers » de l’Afrique. Des niveaux pas si éloignés des tigres asiatiques. « Il ne faut pas regarder l’Afrique à travers le rétroviseur. Six des dix pays à plus forte croissance dans le monde sont ici. Il est donc tout à fait logique que cette vague croissante favorise l’émergence de nouvelles fortunes », explique l’investisseur Aly-Khan Satchu, auteur de « Anyone Can Be Rich ».
Mais ces nouveaux milliardaires ou multimillionnaires, qui sont-ils ? C’est d’abord un monde d’hommes… jusqu’à cette année avec l’entrée d’Isabel Dos Santos dans le classement « Forbes » à la 736 e place. Une héritière, fille du président angolais en poste depuis trente-trois ans. « Elle représente cette dérive de la gestion des Etats pétroliers. Elle est de l’ancienne école, qui ne s’est pas enrichie par mérite personnel. Elle ne représente pas le modèle universel, qui s’est imposé par son talent, son innovation ou par la qualité de son travail », regrette Adama Wade. Car il reste aussi beaucoup de millionnaires à l’ancienne, tel Uhuru Kenyatta, considéré comme l’homme le plus riche du Kenya. Il vient d’être élu président du pays, presque cinquante ans après son père, Jomo Kenyatta, l’architecte de l’indépendance.
Transfert du pouvoir
Il y a aussi les vieilles fortunes, originaires pour la plupart du Maghreb. De véritables dynasties comme les Sawiris et les Mansour en Egypte. Onis Sawiris, quatre-vingt-trois ans, le patriarche d’origine copte, et ses fils Nassef, Naguib et Samih régnent sur la galaxie Orascom (télécoms, construction, tourisme). La famille continue de prospérer et d’investir malgré les turbulences qui touchent le pays et malgré l’opposition de plus en plus farouche de Naguib Sawiris à l’égard des Frères musulmans. Moins riches, les frères Mansour, Mohamed, Yassen et Youssef, pèsent à eux trois plus de 6 milliards de dollars selon « Forbes ».
Ils ont fait fortune en important « l’American way of life » via leurs relations commerciales avec General Motors, Caterpillar, McDonald ou encore Philip Morris. L’Egypte, une terre de millionnaires. On en dénombre 490, dont le célèbre propriétaire du Ritz et de Harrod’s, Mohamed Al-Fayed (103 e fortune mondiale). Rien de surprenant selon Adama Wade : « C’est un pays à l’économie très libérale, malgré les années de dictature, avec une économie très américanisée qui profite aussi d’une population très importante : 82 millions d’habitants.
C’est un autre paramètre important, les milliardaires apparaissent dans les pays très peuplés, comme le Nigeria (162 millions d’habitants). » Une exception ? Le Swaziland, 1,3 million d’habitants dont Nathan Kirsh, 437 e fortune mondiale. Un Blanc qui a développé son business dans le commerce du maïs puis dans la grande distribution, en s’appuyant sur son géant voisin, l’Afrique du Sud. Le Maroc compte aussi quelques vieilles fortunes, comme Othman Benjelloun, quatre-vingt-six ans, présent dans l’assurance, la banque (BMCE) et depuis peu dans les télécoms et les technologies de l’information. Sans oublier Miloud Chaabi, quatre-vingt-quatre ans (2,1 milliards de dollars), qui a démarré en 1948 dans la construction de maisons et possède aujourd’hui une importante chaîne d’hôtels low cost.
Il y a ensuite les héritiers, nés dans un milieu propice, comme Aliko Dangote, qui pèse 16 milliards de dollars. Il est devenu le Noir le plus riche au monde et pour la première fois, ce n’est pas un Américain. Ce Nigérian, 43 e fortune mondiale, est issu d’une grande famille de commerçants musulmans. Il a mis trente ans à bâtir sa fortune. Il a commencé dans le ciment avant de se diversifier dans le sucre, le riz, puis le transport, l’immobilier au sein du pays le plus peuplé d’Afrique. Un homme bien né qui a su aussi profiter des circonstances. A la suite d’un coup d’Etat militaire en 1983, de nombreux hommes d’affaires sont emprisonnés par la junte, car jugés corrupteurs. Le riz vient rapidement à manquer. Une aubaine pour Aliko Dangote, qui s’empresse de combler le vide avec ses dizaines de camions de transport.
Autre Nigérian, Mike Adenuga (4,3 milliards). Cet homme très discret a démarré avec la scierie familiale et est devenu millionnaire à vingt-six ans, en vendant notamment du Coca-Cola. Depuis, il a investi dans les télécoms et le pétrole. Autre héritier, le Sénégalais Cheikh Yerim Sow (groupe Teylium), fils d’un géant du BTP local, qui a construit sa fortune de 330 millions de dollars dans les télécoms mobiles.
Enfin, il y a les hommes d’un monde qui change, liés au « black economic empowerment » mis en place par Mandela en Afrique du Sud. Ce système veut favoriser le transfert du pouvoir économique au profit des Noirs. « C’est l’un des éléments de la transition en cours. Le BEE a été le précurseur de la montée en puissance d’une bourgeoisie, notamment en Afrique du Sud, même si cela n’a pas toujours eu une bonne presse en raison des conditions dans lesquelles certains ont accédé aux richesses. Cela peut rappeler un peu la Russie, avec une relation étroite entre le monde politique et le business au sein de l’ANC », selon Adama Wade.
Patrice Motsepe en est l’illustration, premier milliardaire noir dans un monde blanc. Mais il n’est pas le seul comme en témoigne l’ascension de l’ancien syndicaliste Cyril Ramaphosa. La fortune de l’actuel numéro deux de l’ANC est estimée à 675 millions de dollars, sans états d’âme : « Notre peuple aime voir s’enrichir des hommes d’affaires noirs, il a besoin de modèles pour s’identifier. » Des modèles qui se cachent de moins en moins, même s’ils restent souvent plus discrets que certains Russes, à la fortune ostentatoire. Mais là aussi, cela change. Le 31 décembre dernier, un milliardaire ivoirien anonyme aurait déboursé 10 millions de dollars pour organiser un concert privé de Chris Brown et Rihanna.
Source : lesechos.fr
Thu, 11 Apr 2013 14:48:00 +0200
Je recommande ceci