LES FÊTES EN AFRIQUE : PSYCHOLOGIE FESTIVE, ALIÉNATION CULTURELLE ET SOUMISSION ÉCONOMIQUE

L’Afrique est le continent qui a le plus souffert de la colonisation et de la traite humaine. Les Africains continuent à célébrer avec faste les fêtes de ceux qui les ont réduits au rang de marchandise. Dans cette chronique, c’est ce contraste que je me propose de décrypter. Après une analyse de la psychologie festive moderne en Afrique, j’établis le lien inextricable entre cette dernière et la situation socioéconomique des Africains.

L’AFRIQUE, TERRE D’AVENIR

Le continent qui regroupe la population la plus pauvre au monde, le cœur du Tiers-Monde, dont la grande majorité des pays fait partie du groupe des pays les moins avancés de la planète. Parallèlement, c’est aussi le continent qui dépense le plus pour enrichir les autres et très souvent pour des produits inutiles. Les faux cheveux par exemple, communément appelés mèches/kabelo. Un article publié par un blog ivoirien en 2013 révélait que les femmes africaines dépensaient en moyenne 1,5 milliards de francs CFA par an en acquisition de faux cheveux. Et il ne s’agit que des femmes de la zone CFA. Rajoutons à ce montant les dépenses pour les autres faux (faux cils, faux ongles, faux sourcils, fausses pupilles [lentilles de couleur]). Ne parlons même pas des autres produits importés dont le sol africain regorgerait s’il était bien administré. Tenez le riz ou le poulet. Est-ce normal qu’en République Démocratique du Congo, un pays de 80 millions d’hectares de terres arables, on importe encore du riz de Thaïlande ? Est-il normal que le poulet consommé provienne de fermes brésiliennes ?

L’Afrique est vraiment le continent de tous les possibles, le continent d’avenir pour les autres. Il n’y a qu’à voir comment les chinois ont investi même les partis politiques pour s’en rendre compte.

PERIODES FESTIVES EN AFRIQUE

Force est de constater que les fêtes les plus largement célébrées sont importées d’ailleurs, comme presque tout le reste. Cela est dû d’une part à l’aliénation culturelle, héritage de l’esclavage et de la colonisation, et d’autre part à l’incapacité de l’élite africaine moderne à sortir le continent de cette impasse.

La psychologie festive 

Lorsqu’on observe attentivement le comportement des Africains, il est un trait de caractère qui leur est presque commun : la jovialité. Le corollaire de la jovialité étant l’ambiance qui va avec, il n’est pas étonnant de constater que les Africains cherchent tout le temps à faire la fête. Peut-être est-ce une réaction épidermique face aux longs siècles de privation de liberté que nous avons connus ?! Toujours est-il que l’Homme africain ne rate presque jamais une occasion de ‘‘s’enjailler’’. Une qualification de l’équipe nationale de football à la coupe du monde ? On fait la fête ! Une troisième place à la Coupe d’Afrique des Nations ? On fait la fête ! Un enfant qui passe de l’école maternelle à l’école primaire ? On fait la fête ! Une victoire du FC Barcelone sur le terrain du Réal Madrid ? On fait la fête !

La question se pose en termes de moyens, car faire la fête nécessite d’engendrer des dépenses. Or nous sommes sur le continent le plus pauvre. Il est alors courant de voir des gens emprunter de l’argent pour faire la fête, quitte à se retrouver avec une dette impossible à rembourser. Regardez bien autour de vous, vous verrez des gens vendre leurs biens en Janvier pour honorer des dettes contractées pour célébrer Noël. L’Africain étant déjà enclin à la consommation abusive, son comportement dépensier s’aggrave lors des périodes festives. Une situation qui contraste bien avec l’aspect socioéconomique du continent. Un paradoxe du pauvre qui avait déjà été mis en exergue par Tocqueville dans son Mémoire sur le paupérisme (1835). L’africain moderne se définissant de plus en plus par le matériel et l’accessoire, il lui est presqu’impossible de ne pas verser dans le m’as-tu vu. C’est ainsi que vous verrez des familles africaines dépenser beaucoup d’argent pour importer des caisses de vin rouge de Bordeaux, afin de réussir l’organisation du réveillon dans l’attente de la naissance du petit Jésus, tandis qu’en France, ces réveillons familiaux sont de moins en moins organisés, crise économique oblige. Vous verrez même votre locataire qui vous esquive depuis le début du mois sabrer un champagne « bon marché » à 50 dollars, deux fois le prix de son loyer mensuel !!! Lorsqu’on accepte de sacrifier deux mois de loyer juste pour célébrer la naissance de l’enfant Jésus – qui, soit dit en passant, serait mort et aurait ressuscité il y a deux millénaires, et vivrait déjà à la droite du Père – je considère qu’il s’agit d’un effet d’aliénation.

De l’aliénation culturelle… 

S’il est un terme usité dans le jargon indépendantiste révolutionnaire africain, c’est bien celui de l’aliénation. L’aliénation en Afrique est surtout culturelle, mais elle est aussi intellectuelle, religieuse, mentale, économique. L’aliénation culturelle est le résultat de l’aliénation religieuse, elle-même résultant de l’esclavage et la colonisation, deux vastes entreprises économiques ayant détruit, à dessein, les structures culturelles et les valeurs ancestrales de cette Afrique autrefois prospère. J’en discutais déjà en 2015 dans « Révolution culturelle et développement économique de l’Afrique noire ».

Aliénation culturelle oblige, il se trouve que la plupart des fêtes qui sont célébrées au niveau national et même au niveau régional, sont des fêtes chrétiennes et musulmanes. En effet, très rares sont les fêtes traditionnelles ancestrales érigées en fêtes nationales  – même après les indépendances – et célébrées avec faste. Quelques rares exemples de fêtes traditionnelles nous proviennent du Cameroun par exemple, avec la fête du Ngondo ou celle de l’élection de la princesse Bonapriso. Toutefois, ces fêtes n’ont pas l’envergure nationale et même régionale qu’ont les fêtes de Noël ou de la Tabaski. Les africains sont donc enclins à beaucoup dépenser pour célébrer des fêtes qui ne sont même pas les leurs. Pire encore, ces fêtes sont héritées des périodes les plus sombres de l’histoire du continent.

En RDC par exemple, aucune fête traditionnelle ancestrale n’est érigée au rang de fête nationale. Pour savoir qu’il en existe, il faut consulter les vieillards, et pour voir leur manifestation, il faut aller dans les villages. La seule véritable période festive est celle de la fin d’année, avec l’incontournable – et non moins insensé – Noël, ainsi que la Saint Sylvestre (qui sera probablement bientôt un évènement politique majeur de notre histoire). Au Cameroun et dans d’autres pays où existe une forte proportion de musulmans, il faut ajouter la fête de la Tabaski et celle du Ramadan. On voit comment les périodes festives en Afrique sont marquées par des célébrations venues d’ailleurs, léguées par les esclavagistes et colonisateurs musulmans et chrétiens.

… À la soumission économique

Avoir mis l’accent sur l’aliénation culturelle nous permet d’établir rapidement le lien entre la psychologie festive des africains modernes et la situation économique du continent. L’Homme africain étant naturellement enclin à la réjouissance, l’observation de son comportement en période festive révèle qu’il ne ménage aucun effort pour festoyer. Il est enclin à dépenser plus que de coutume, et quand on sait que l’Afrique est une importatrice invétérée, un tout petit effort d’analyse permet d’affirmer, sans crainte d’être contredit, qu’en période de fêtes, l’Afrique enrichit encore un peu plus les autres.

En effet, il y a fort à parier que la plupart des dépenses de consommation effectuées en période de fêtes le sont pour des produits fabriqués ailleurs, même si la matière première provient presqu’exclusivement d’Afrique. Les fêtes étant d’origine étrangère, quoi de plus normal que les accessoires, le code vestimentaire qui vont avec (guirlandes, sapins de Noël, boules de Noël, soutanes) proviennent de l’étranger ? Sans parler des vins et autres boissons, ainsi que d’autres gâteries qui sont le lot de ces périodes festives et qui sont presque tous produits ailleurs.

C’est là que se rencontrent psychologie festive et aliénation culturelle pour perpétuer la domination économique actuelle des autres sur l’Afrique.

QUELLES SOLUTIONS ? 

En tant qu’africain vivant en Afrique et côtoyant des absurdités grotesques au quotidien, l’indignation ne suffit pas, il faut proposer des solutions. Ainsi, comme toute bonne critique, celle-ci se doit d’apporter des propositions pour amélioration, des pistes de sortie de crise.

La renaissance africaine… 

Le concept de renaissance africaine a été largement expliqué par Cheick Anta Diop. Il s’agit pour l’Homme africain de renaître, de retrouver ses origines est les valeurs ancestrales qui ont fait de l’Afrique ce continent jadis prospère. Ce concept se base sur les idées de la renaissance en Europe, qui a vu les structures du Moyen Age considérées comme un frein à l’épanouissement des peuples, tomber au profit de la restauration des systèmes de pensée et des valeurs qui existaient dans l’Antiquité.

… via une révolution culturelle… 

« On applique généralement le terme de révolution aux brusques changements politiques, mais cette expression doit être attribuée à toutes les transformations subites, ou paraissant telles, de croyances, d’idées et de doctrines. » Gustave Lebon, La révolution française et la psychologie des révolutions, 1912.

Il s’agit ici d’une vraie révolution, au sens de celle que Mao a instaurée en Chine, non pas d’une révolution de façade comme celle de Mobutu, qui s’est lui-même finalement substitué à l’administration coloniale, commettant les mêmes types d’abus sur ses frères au nom d’un fallacieux principe d’authenticité – son authenticité culturelle ne résidait que  dans l’africanisation des prénoms.

En effet, le terme révolution renferme en lui-même l’idée du renversement total et de la destruction de ce qui est établi. Les théoriciens du socialisme que sont Karl Marx et Friedrich Engels en parlaient comme d’un renversement des institutions politiques établies. Ainsi, la révolution prolétarienne signifie le renversement total et la destruction de l’Etat capitaliste par les prolétaires.

La révolution culturelle ici proposée signifierait donc un balayage total des institutions, des normes culturelles modernes établies à la suite des vastes drames culturels que furent l’esclavage et la colonisation. Ceci ne peut se faire que par la réappropriation par les africains de leur religion ancestrale, car il est bien connu que c’est la religion qui fonde la culture. Un peuple chrétien ne peut qu’adopter les us et coutumes que la religion chrétienne approuve et valorise. Aujourd’hui en Afrique, il est presqu’impossible d’épouser plusieurs femmes, simplement parce que les mentalités s’étant christianisées, il est presque blasphématoire de penser à la polygamie. Ce qui n’était pas le cas dans l’Afrique précoloniale. Et cette Afrique là n’était pas aussi malheureuse que la nôtre, à en croire les écrits de célèbres explorateurs comme IBN Khaldoun et IBN Battuta. Il faudra une véritable révolution pour réaliser la renaissance africaine, comme celle qui a été menée en Chine et qui a porté ses fruits indéniablement, même après la libéralisation économique. Je dirais même que la révolution culturelle en Chine fut un bon préalable à la libéralisation de l’économie chinoise, car elle a posé les fondements d’une conscience nationale historique qui fait que même ouverts au monde, les chinois restent concentrés sur l’essentiel, à savoir le rayonnement culturel de leur pays. Ils ont compris que pour dominer l’économie mondiale – comme le font les Occidentaux – il faut dominer les cerveaux et les cœurs.

La révolution culturelle est alors un préalable indéniable à la renaissance africaine et partant, au rayonnement économique de l’Afrique dans le monde.

… portée par un leadership politique fort ! 

La révolution culturelle, comme toute autre forme de révolution, doit être populaire certes, mais elle doit surtout être portée par une élite convaincante. Comme le dit Gustave Lebon, qui a longtemps étudié la psychologie des foules, « La foule représente un être amorphe, qui ne peut rien et ne veut rien sans une tête pour la conduire. Elle dépasse bien vite ensuite l’impulsion reçue, mais ne la crée jamais […] Les grandes révolutions commencent généralement par en haut et non par en bas, mais quand le peuple est déchaîné, c’est à lui qu’elles doivent leur force. »

En effet, pour pouvoir mobiliser les africains afin que la révolution ait lieu, le besoin d’un leadership politique à la fois aux niveaux national et régional s’impose.

L’idée de la révolution culturelle étant à mon sens aussi permanente que celle de la révolution prolétarienne, il est important, pour qu’elle réussisse, que toute l’Afrique soit unie. L’unité de l’Afrique étant une donnée géopolitique d’envergure, elle a besoin, pour être réalisée efficacement, d’un ensemble de leaders politiques nationaux forts et attachés au même objectif. La révolution culturelle ne pourra jamais se faire dans un seul pays pris séparément ; si elle réussit au début, elle est vouée à l’échec sur le long terme, car les interactions avec les autres pays sont inévitables. Je réitère donc mon appel à la révolution lancé dans les chroniques « Pour une véritable révolution socialiste en Afrique » et dans « 2017, une autre année perdue ».
Nous pouvons conclure en disant que les périodes festives en Afrique sont subordonnées aux fêtes héritées du colonialisme et de l’esclavage. Nous avons vu comment l’aliénation culturelle se combine à la psychologie festive des africains pour aggraver et perpétuer la soumission économique du continent. A mon sens, le seul moyen de sortir de la panade réside dans une série de révolutions, dont la révolution culturelle ici présentée. Elle aura pour effet de contribuer à la renaissance culturelle et partant, économique de l’Afrique. Cependant, elle ne peut être réalisée sans un leadership politique fort et déterminé. Si les africains doivent célébrer des fêtes, autant que ce soient celles de leurs ancêtres. S’ils doivent consommer à outrance durant ces fêtes, autant consommer local.

« […] Nous sommes obligés de lutter contre l’impérialisme et ses manifestations. L’impérialisme aujourd’hui sait qu’il est très important, plus utile pour lui de nous dominer culturellement, beaucoup plus que militairement. La domination culturelle est la plus souple, la moins coûteuse, la plus efficace. C’est pourquoi nous disons qu’aujourd’hui, pour renverser le régime de Haute Volta, il n’est peut-être pas nécessaire d’amener des mercenaires puissamment armés, il suffit simplement d’interdire l’importation du champagne ou du rouge à lèvres ou des vernis à ongles. Cela suffit à nous renverser, parce que la petite bourgeoisie est convaincue qu’elle ne peut se passer de ces produits là. Eh bien, il nous faut travailler à décoloniser les mentalités. Nous travaillons à reconditionner notre peuple, à accepter de vivre tel qu’il est, à ne pas avoir honte de ses réalités, à s’en contenter, et même à s’en glorifier. C’est bien si les autres vivent comme cela, mais c’est normal que nous nous vivions autrement, nous l’avons choisi […] »

Thomas Sankara

Par

 

Thu, 27 Feb 2020 22:43:00 +0100

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