Les langues en Afrique : situation et perspective

Déjà à l’époque coloniale, drapés sous le manteau du développement et de la science, les Occidentaux guidés par leurs ambitions expansionnistes et colonisatrices, avaient avancé que la pensée africaine, le/les religions africaines et les langues africaines n’étaient pas compatibles avec la marche du continent vers un meilleur avenir.
Après avoir parachevé la conquête du continent le fusil à la main, chaque colonisateur a pris le soin d’implanter sa langue dans son pré-carré, comme langue de travail pour la nouvelle administration coloniale. Après les indépendances, les nouvelles élites africaines dans leur large majorité ont validé ces thèses et consacré les langues européennes comme langues officielles dans leurs pays respectifs quand bien même moins d’un pour cent de leur population savaient lire et écrire dans de telles langues.
Au bout d’un demi-siècle de fonctionnement avec les langues européennes, il est plus qu’impératif de faire un bilan. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’actuellement, les langues africaines semblent être dans une situation de déclin.
Que ce soit dans la communication quotidienne, dans l’éducation des enfants ou dans la vie économique et politique, on leur préfère les langues occidentales. Quel est l’impact de cette situation sur la culture, l’identité, les valeurs et le devenir de l’Afrique?

La langue comme fondement de l’identité d’un peuple

La langue est pour un peuple, ce que l’ADN représente pour un être humain. Elle est le principal moyen de communication; elle permet de mieux signifier ce que l’on veut faire savoir, et de mieux comprendre ce que l’on désire connaître. Elle est, pour un peuple, l’outil nécessaire à l’expression de ses sentiments, de sa vision du monde, de ses croyances et de sa culture. Orale, gestuelle ou écrite, elle donne ainsi à un peuple le meilleur moyen de s’identifier et de marquer sa différence avec les autres.
Il faut noter toutefois que ce n’est pas juste l’assemblage des mots les uns à la suite des autres ou le respect des règles de la syntaxe qui lui confère ce caractère identitaire. C’est plutôt l’art avec lequel on s’exprime, raisonne et séduit son interlocuteur qui fait de la langue le dépositaire des mœurs d’une société.

Le Mooré peut nous offrir à cet égard un repère d’analyse. En effet, les Moose utilisent couramment dans leur langue des citations, des proverbes, des analogies et des métaphores pour mieux exprimer leurs émotions, communiquer leurs pensées et affirmer leurs positions ou oppositions sans brutalité, pour éviter de heurter les sentiments de leurs interlocuteurs. Bien plus qu’un gage de paix social, ces outils linguistiques peuvent constituer une marque de raffinement ou un signe de solennité à l’occasion. Cela est constitutif de l’identité des Moose.

La langue est également le support de l’hérédité d’un peuple car elle est transmise de génération en génération par ceux qui ont précédé, et ce, de façon naturelle. Elle est le pilier de la culture et également ce fil qui nous lie avec le passé. A ce propos, le Malien Seydou Badian KOUYATE [1] dit : « …Par la langue, nous avons ce que le passé nous a laissé comme message et ce que le présent compose pour nous. C’est la langue qui nous lie, et c’est elle qui fonde notre identité »

C’est pour ces raisons que l’on peut affirmer qu’un peuple qui perd sa langue au profit d’un autre peuple perd tout ou une partie de son identité. Des nuances existent cependant dans la perte de l’identité et il convient de les relever. En outre, plusieurs peuples peuvent appartenir au même berceau civilisateur sans nécessairement parler la même langue. En d’autres termes, plusieurs peuples peuvent parler des langues différentes, mais partager les mêmes réalités culturelles. Par exemple, la quasi-totalité des pays européens partagent les mêmes humanités classiques (celles de la Grèce antique) mais chaque pays européen possède sa langue qu’elle défend.

Il en est de même pour les pays africains du moins pour sa partie noire. Le berceau africain se trouve être l’Égypte antique malgré la diversité des langues sur le continent.On perd sa langue en la substituant progressivement par une autre langue, généralement dite langue seconde qui finit par tuer la première et la remplacer définitivement. Si cette langue seconde appartient au même berceau de civilisation que la première, la perte de l’identité est moindre. Ainsi, un habitant de l’Espagne qui perd l’usage de l’Espagnol au profit du français perdra peut être son identité d’Espagnol mais gardera toujours son identité d’Européen.
Si cette langue seconde n’appartient pas au même berceau de civilisation que la première, la perte de l’identité devient grave et traumatisante. Elle conduit inéluctablement vers l’aliénation culturelle. Si notre habitant de l’Espagne perd l’usage de sa langue maternelle au profit du Haoussa, il aura perdu non seulement son identité d’Espagnol mais aussi et surtout son identité d’Européen puisqu’il devrait penser, réfléchir, manger, et s’habiller comme un Haoussa.

Bref, il devrait épouser la culture du berceau africain qui est loin d’être le sien. Il sera un aliéné culturel. Au final, il sera perdu car il ne sera ni Espagnol, ni Haoussa. Cette langue demeurera nécessairement pour lui selon les termes de Michel Mourlet [2] «une sorte de code chiffré syntagmatique dont il peut posséder quelques clés usuelles, mais sans jamais en pénétrer profondément la substance, les recoins, les subtilités » . On comprend alors le processus par lequel l’usage des langues européennes sur le continent conduit les Africains vers la perte de leur identité.
De ce qui précède, on se demande comment l’Afrique en général et le Burkina Faso en particulier peuvent prétendre exister réellement sur la scène internationale à travers des langues venues d’ailleurs? Comment conserver cette si riche culture africaine si on perdait les langues africaines?

La réponse est bien simple. La culture et la civilisation africaine disparaîtront simplement si la tendance n’est pas inversée. Avec ces langues empruntées aux colons, les Africains ne voient plus le monde à travers leur propre prisme de lecture, mais plutôt à travers celui de leur adversaire. On en est arrivé au point où certaines élites et hauts responsables africains, pour s’adresser à leur propre peuple, réfléchissent d’abord dans la langue étrangère avant d’entreprendre une certaine traduction dans leur langue maternelle, s’ils ne l’ont pas simplement oubliée. Cet état de fait permet de comprendre la nette rupture qui existe parfois entre les dirigeants et leurs peuples.

La seule possibilité pour l’Afrique de conserver sa grande culture, de se réconcilier avec elle-même, de faire rayonner ses valeurs; en un mot d’exister pleinement sur la scène internationale, est de raviver ses langues et de les valoriser. Cela ne signifie guère qu’il faille s’interdire d’apprendre d’autres langues. Apprendre d’autres langues, c’est aussi s’ouvrir à d’autres cultures. Une langue seconde, comme le français qui est d’ailleurs utilisé pour la rédaction du présent article, doit servir comme outil de communication avec d’autres peuples, comme un pont pour la découverte d’autres horizons, mais en aucun cas cette langue seconde ne devrait remplacer la langue maternelle dans l’éducation, l’enseignement, la communication quotidienne, l’expression de la culture, les simples blagues, etc…

La langue maternelle, meilleur support pour l’éducation des enfants

Éduquer un enfant, c’est le former, l’instruire aux règles de la famille et de la société, aux croyances et à la vision du monde de son peuple, de telle sorte qu’il puisse s’épanouir et transmettre aux générations futures, les valeurs et la culture de son peuple. Avec l’éducation, l’enfant apprend l’importance de la famille, la notion du respect d’autrui, la tolérance, les valeurs intrinsèques de son peuple. En Afrique, l’éducation d’un enfant ne se limite (limitait) pas seulement à la famille restreinte, mais à la grande famille, et même à la citée toute entière. L’éducation se fait bien souvent à travers les jeux, les analogies, les contes, les devinettes, etc.
En prenant en compte tous ces principes de l’éducation en Afrique, la question qui se pose est bien évidemment : comment peut-on réussir une bonne éducation à travers des langues d’emprunts ? Comment transmettre aux générations suivantes les valeurs de la société à travers des langues venues d’ailleurs, des langues dont on ne maîtrise pas toutes les subtilités?
Il est primordial d’éduquer les enfants dans leur propre langue. C’est la meilleure solution pour que l’enfant puisse maîtriser le monde qui l’entoure. Si on rencontre en Afrique, des enfants de plus en plus irrespectueux, simplement dit : vidés des valeurs de la société africaine, c’est en grande partie à cause du déclin des langues maternelles. Un enfant qui est éduqué à travers une langue importée, reçoit également une vision du monde importée, avec des valeurs importées et perd complètement son identité : on peut imaginer ce qu’il peut transmettre à ses descendants. De tels enfants n’ont que très peu d’africain en eux. Ils ont été vidés de toutes leurs valeurs africaines. Continuer dans cette lancée conduit inéluctablement à faire d’un Africain, un Africain que par ses caractéristiques physiques.

En fait, la substitution de la langue fait partie d’un système mis en place par le peuple colonisateur pour garder sous contrôle le peuple colonisé. En ce qui concerne l’Afrique, le système a été mis en place par les Occidentaux pendant la colonisation, et perpétué par les élites africaines après les fameuses indépendances.

b[Notes
1. Cité par Mahamadou Sangaré : http://www.kanjamadi.com/mahamadsangare.html, consulté le 20-06-2010. [Retour]

2. Michel Mourlet : http://www.hermas.info/article–perdre-sa-langue-c-est-perdre-son-ame–39189346.html , consulté le 20-06-2010. [Retour]]b

source:burkinathinks.com

Wed, 03 Apr 2013 00:17:00 +0200

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