Maître Emmanuel Altit : « Je crois en la libération du Président Gbagbo ! » (Partie 2)

La Voix de la Russie : Vous avez en effet mentionné à plusieurs reprises que tous les problèmes en Côte d’Ivoire avaient commencé bien avant la crise post-électorale de 2010 et l’intervention étrangère, en rappelant que de facto le pays était coupé en deux lorsque des rebelles venus principalement du Burkina Faso ont tout simplement occupé la moitié nord du pays. Pensez-vous que ce point très important sera retenu par la CPI ?

Emmanuel Altit :Probablement, pour deux raisons. La première raison est que nous avons pris le temps de faire un rappel des faits historiques. Un rappel un peu fastidieux pour ceux qui connaissaient déjà l’histoire de la Côte d’Ivoire mais très utile pour ceux qui la découvraient. Un rappel des faits incontestable sur lequel nous avons cherché à être le plus simple et le plus objectif possible. Et lorsque l’on observe les choses d’un peu loin et de façon objective, et bien l’on s’aperçoit que ce malheureux pays qu’est la Côte d’Ivoire est déchiré depuis dix ans, le nord du pays étant la proie de rebelles, la proie de chefs de bandes qui l’ont mis en coupe réglée, s’attaquant aux populations, favorisant les trafics en tous genres.

La deuxième raison est très intéressante : les juges ont reconnu d’ores et déjà que les difficultés dans lesquelles se trouve la Côte d’Ivoire et pour lesquelles la CPI se considère compétente ont commencé à partir du 19 septembre 2002, contrairement à ce qu’avançait le procureur. Ils ont considéré que le champ d’investigation possible, la « situation », courrait à partir du 19 septembre 2002.

La Voix de la Russie : Plusieurs crimes très graves sont imputés aux rebelles, partisans d’Alassane Ouattara. D’ailleurs même des organisations comme Amnesty International ont publié récemment un rapport (La justice des vainqueurs) qui dit clairement que les meurtres et tortures se poursuivent aujourd’hui en Côte d’Ivoire à l’encontre des partisans de M. Laurent Gbagbo. Pensez-vous que la CPI fera quelque chose par rapport aux responsables de ces exactions (passées comme actuelles), et qu’on aura droit à un semblant de « justice impartiale » qu’un très grand nombre d’Ivoiriens attendent ?

Emmanuel Altit :C’est vraiment une excellente question. La CPI est une Cour de justice. On ne peut demander aux juges plus que ce qu’ils peuvent donner. Les juges ne peuvent s’intéresser qu’à à ce que le Procureur leur apporte, à ce qu’il leur met devant les yeux ; les Juges n’ont pas l’initiative des enquêtes. Le Procureur, lui, dispose d’une marge de manœuvre. Cette marge de manœuvre, il peut l’utiliser librement.

Concernant la question de savoir si les soutiens et les proches d’Alassane Ouattara soupçonnés d’avoir planifié, organisé, commis des crimes de masse, seront poursuivis devant la CPI, il faut poser la question au Procureur.

La Voix de la Russie : De l’avis de nombreux spécialistes, Ivoiriens comme étrangers, et même y compris de certains ennemis du Président Gbagbo, votre équipe de défense a été très efficace. Êtes-vous confiant pour la suite, en premier lieu par rapport à la libération de votre client ?

Emmanuel Altit : Oui, bien sûr ! De notre point de vue, les charges ne peuvent pas être confirmées par les juges : nous avons montré que le dossier du Procureur n’est pas solide au sens où il ne repose que sur des allégations vagues, incohérentes, sur des déclarations contradictoires, sur des éléments douteux et parce que ses témoins sont peu crédibles .A titre d’exemple, le Procureur a transmis à la défense comme preuve d’un massacre qui aurait eu lieu à Youpougon, un quartier d’Abidjan, une vidéo dont ont a découvert ensuite qu’elle avait été tournée au Kenya.

La logique voudrait donc que les charges ne soient pas confirmées et que Laurent Gbagbo soit libéré. L’autre possibilité est que la Cour demande au procureur un complément d’enquête. Mais nous pensons qu’à partir du moment où l’accusation est partie sur de mauvaises bases, elle ne pourra pas réequilibrer les choses et rétablir sa position. En l’état, nous ne voyons pas comment les charges pourraient être confirmées.

La Voix de la Russie : M. Laurent Gbagbo s’est également exprimé lors de l’audience de confirmation des charges. On l’a senti très serein. Comment se sent-il et dans quel état d’esprit voit-il la suite des événements ?

Emmanuel Altit :Le Président Gbagbo est un homme politique de premier plan, un véritable intellectuel. C’est quelqu’un qui a une vision. Une vision pour son pays et pour toute l’Afrique. C’est un militant de la démocratie qui n’en est pas à ses premiers combats : en 1992 déjà, luttant pour mettre fin à la dictature du parti unique et pour instaurer le multipartisme, il avait été emprisonné par le Premier ministre de l’époque, un certain Alassane Ouattara. Ce qui intéresse avant tout le Président Gbagbo, ce n’est pas son devenir personnel, c’est le destin de son pays. Depuis le coup d’Etat du 19 septembre 2002, c’est-à-dire depuis la partition du pays, jusqu’aux élections de 2010 et même après, il n’a cessé de vouloir la réconciliation. Qu’a-t-il fait ? Il a nommé dès 2003 des rebelles au gouvernement, en leur donnant des postes-clé : la Défense et le ministère des Affaires étrangères. En 2007, il a même nommé le chef de la rébellion, Guillaume Soro, Premier ministre. Le Président Gbagbo a toujours tout fait pour que cette réconciliation ait lieu car selon lui le pire est de dresser les citoyens ivoiriens les uns contre les autres. Il croit fermement en l’Etat, la modernité et la démocratie car c’est cela, pour lui, l’avenir des Etats africains. C’est son message et c’est pour cela qu’il continue de se battre afin de faire triompher la vérité historique qui permettra d’accoucher d’une vraie démocratie. D’un mensonge historique, du refus de faire face à la réalité, du déni de justice, ne peut naître que l’arbitraire. C’est d’ailleurs pourquoi le Président Gbagbo attend beaucoup de ce processus judiciaire : il sait que c’est un moyen d’éclairer l’histoire et de rétablir la vérité. Et il faut que ce processus soit le plus efficace possible car la vérité doit être révélée au monde. C’est la seule chance pour la Côte d’Ivoire et les Ivoiriens de parvenir à une vraie réconciliation et à une vraie réunification. Ce n’est pas sur le mensonge que l’on construit l’avenir d’un peuple et d’un Etat.

La Voix de la Russie : On peut alors faire un parallèle entre l’œuvre de Laurent Gbagbo avec celle de Nelson Mandela en Afrique du Sud, qui a consacré toute sa vie à la libération et au combat pour la démocratie dans son pays et le continent africain, et qui a tout fait pour la réconciliation des différentes composantes de la société sud-africaine.

Emmanuel Altit :Exactement. La vérité finit toujours par triompher.

La Voix de la Russie : M. Gbagbo est donc optimiste ?

Emmanuel Altit : Il est très optimiste parce que c’est sa nature et parce qu’il a toutes les raisons de l’être : les accusations s’effritent peu à peu et tombent en poussière lorsqu’on les examine, lorsqu’on les gratte.

La Voix de la Russie : M. Altit, nous vous souhaitons une très bonne continuation. Merci énormément d’avoir répondu à nos questions.

Emmanuel Altit :C’est moi qui vous remercie !

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Fri, 22 Mar 2013 19:06:00 +0100

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