Une junte soutenant Laurent Gbagbo en train de renverser le président Ouattara à Abidjan, tout en décrétant la fermeture des frontières et la traque des "ennemis" ? Ce n’est pas une fiction, mais ce n’est pas la réalité non plus.
Présenté à la télévision nationale dans la soirée du 12 juin, dans le cadre d’une interview du ministre de l’intérieur, Hamed Bakayoko, ce "document", présenté comme une saisie des services de renseignement, serait la preuve de l’existence d’un projet de coup de force par des militaires ivoiriens en exil qui n’ont pas accepté la défaite de Laurent Gbagbo, d’abord dans les urnes en novembre 2010, puis dans les rues lors de la bataille d’Abidjan, en avril-mai 2011.
Pourquoi un ministre de l’intérieur ressent-il le besoin de montrer à la télévision que des hommes songeraient à prendre le pouvoir ? Selon Hamed Bakayoko, il s’agissait de dire "la vérité" aux Ivoiriens et signaler le fait que cette tentative a échoué. L’orateur de la bande vidéo aurait été "arrêté", on ignore où. La conspiration est supposée avoir été conçue au Ghana voisin.
La Côte d’Ivoire est donc allée se coucher avec un peu de vérité, beaucoup d’interrogations et quelques inquiétudes. Vendredi 8 juin, une attaque de miliciens venus du Liberia voisin a provoqué la mort de sept casques bleus nigériens dans l’ouest du pays, vers la forêt de Taï, et d’au moins une dizaine d’habitants de la région. Même au plus fort de la crise et de la guerre civile, jamais l’ONU n’avait enregistré d’aussi lourdes pertes dans le pays. Dans les environs de Taï, l’affaire n’est pas terminée. La population continue de fuir, et des opérations sont en cours pour tenter de juguler ce groupe de miliciens dont on sait peu de chose.
A quel moment un pays passé par la violence parvient-il à trouver l’apaisement ? Plus d’un an après la bataille d’Abidjan, la crise et ses 3 000 morts semblent s’éloigner tandis que le pays retrouve son statut de "locomotive" régionale d’Afrique de l’Ouest. Mais si les antagonismes entre pro-Gbagbo et pro-Ouattara s’atténuent, il reste des extrémistes. Ceux-ci sont-ils en train d’essayer de passer à l’acte ? Selon des sources concordantes, d’anciens militaires ivoiriens demeurés fidèles à Laurent Gbagbo (emprisonné à La Haye en attendant de savoir s’il peut bénéficier d’une mise en liberté conditionnelle) tenteraient, depuis plusieurs mois, d’organiser au Liberia un embryon de mouvement armé avec la complicité de combattants locaux, capables de lancer des attaques dans l’ouest ivoirien, pépinière de miliciens pro-Gbagbo pendant de longues années.
A plus de 1 000 kilomètres de là, des cadres du régime Gbagbo en exil, notamment au Ghana, joueraient le rôle de financiers et d’agitateurs. Parmi eux, on trouve des militaires, des responsables politiques et des dignitaires religieux qui multiplient des "prophéties", diffusées clandestinement en Côte d’Ivoire, annonçant un prochain renversement du pouvoir. Plusieurs "camps d’entraînement" ont été démantelés dans le pays. Ils étaient plutôt modestes. Mais il reste des miliciens qui ont caché leurs armes lorsque l’ex-président a été arrêté, en avril 2011. D’autres soldats de fortune pourraient s’associer à ce noyau pour une nouvelle aventure promettant pillages et exactions.
Nous avions retrouvé, il y a quelques mois, l’un de ces hommes. Appelons-le Moussa. Commandant au sein des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), la nouvelle armée nationale, c’était un vétéran du "commando invisible", la rébellion anti-Gbagbo d’Abidjan pendant la crise, début 2011. Avec ses "protections" mystiques et une bonne centaine d’hommes, il tenait une partie du quartier d’Abobo (pro-Ouattara). Il avait réussi à détruire un blindé à coups de roquettes RPG. Un triomphe, à l’époque.
Dans l’après-guerre civile, nous le retrouvions à Abidjan, dans un poste de police à peu prés dénué de tout, à commencer de ses occupants naturels. Les rares hommes en uniforme de la police, soupçonnés d’être toujours fidèles à Laurent Gbagbo, étaient relégués à l’extérieur du poste, assis sur petit bureau d’écolier planté dans la cour. A l’intérieur, d’ex-rebelles FRCI étaient installés dans les positions les plus commodes pour leurs activités du moment : fumer, manger, se plaindre. Deux d’entre eux dormaient sur le comptoir de ce qui devait être, à l’origine, le lieu pour enregistrer les dépositions.
Dans un bureau à la porte gardée par un homme en dreadlocks et lunettes noires, le commandant Moussa évoquait ses exploits dans le commando invisible. Puis, sans transition, exprimait sa frustration de ne pas avoir été reconnu à sa juste valeur. Il négligeait de préciser qu’au début de la crise, il n’était pas soldat, mais mécanicien auto. Il s’occupait du contrôle technique à Abidjan… Pas exactement une pépinière de futurs officiers supérieurs.
Ulcéré de n’être pas fêté comme un héros, il avait "établi le contact" avec des insurgés pro-Gbagbo. "Un de mes éléments était encore récemment au Ghana pour rencontrer Abehi [un des officiers pro-Gbagbo en exil]. Un autre est parti pour parler aux gens de Taï." Pour preuve, il appelait sur l’un de ses téléphones portables un de ses hommes sur place, qui certifiait que de nouvelles attaques seraient en préparation.
Jean-Philippe Rémy in lemonde.fr
jpremy@lemonde.fr
Thu, 14 Jun 2012 21:43:00 +0200
Je recommande ceci