Sénégal – Le PDS mobilise des dizaines de milliers de sénégalais mécontents – Réveil des libéraux, sérieux tocsin pour Macky Sall

Le Parti Démocratique Sénégalais (PDS) se réveille. Et comment ! Sur un axe Colobane – Médina soigneusement indiqué par le préfet de Dakar, des milliers de militants ou sympathisants du PDS ont crié, avec un respect républicain, leur ras-le-bol dans les rues. Exaspérés par ce qu’ils considèrent comme les sévices du pouvoir actuel. L’exercice, en lui-même, était périlleux. Si la manouvre avait échoué, le PDS verrait, tel un miroir, le propre reflet de la désapprobation, voire du rejet des Sénégalais, las des indécentes récriminations d’un parti largement sanctionné par le suffrage populaire, il y a juste un an. En toute vraisemblance, il semble bien qu’il en soit autrement… Si l’on en juge à l’aune mathématique de la manif estimée à plusieurs milliers de manifestants, voire des dizaines et même centaines de milliers d’indignés. Il faut remonter certainement à quelques bons mois, durant la période de braise des mouvements anti-Wade, pour voir une sortie d’une telle voilure.

Ils l’ont tenté et ils l’ont réussi ! serait-on tenté de dire. Même si au demeurant des apéristes, mais des plus officiels, il vrai, se sont empressés de relativiser l’ampleur du mouvement, en accusant leurs adversaires d’avoir eu largement recours aux « Ndiaga Ndiaye » (cars de transport populaires) pour déverser les militants et autres mécontents du régime dans la zone de procession. Comme pour faire douter de la spontanéité des manifestants et accréditer la thèse de l’embrigadement. Une rengaine éculée dont usent sans crédit des mauvais coucheurs surpris par l’étendue de la contestation de leurs adversaires. De toutes façons, il faudra d’autres arguments plus convaincants pour minimiser la portée de l’engagement des Sénégalais dans les rues de Dakar, à l’appel du PDS. Car même si l’argent à coulé à flot dans les quartiers populaires pour convoyer tout ce beau monde, il faudrait bien tirer la conclusion que le PDS garde encore une réelle force de frappe, financière et populaire. Et n’est-ce-pas là encore une manière irrespectueuse de traiter de simples « manipulées », les cohortes de gens peu engagés politiquement qui, dans les radios, et à haute et intelligible voix, crient leur détresse contre la vie chère, les coupures d’électricité, les promesses non tenues, la crise sociale ?

Contestation récurrente

Cette indignation devenue récurrente dans les écoles, les universités, les services médicaux, les terroirs et les hameaux les plus reculés, secoue durement notre pays. En effet, la pauvreté rampante dans laquelle ils vivent actuellement ramène les Sénégalais aux conditions les plus difficiles, aux situations de vie les plus primaires des premières années de notre indépendance. A voir d’ailleurs si les gens ne vivaient pas mieux à l’époque que maintenant ! Et ceux manquent de tout, jusques et y compris d’espérance, n’en peuvent mais de rester cois devant une sorte de fatalité de l’indigence. Certes, le PDS et les neuf partis de sa coalition avaient pour principale arrière-pensée la libération de Karim Wade et la fin de l’inadmissible pression qu’exercent sur eux le parquet et la ministre Garde des Sceaux aux allures thatchériennes. Mais cela n’affecte en rien la légitimité de la fronde populaire qui s’y est greffée. Cela dit, cette manif monstre ne rend pas plus légitime le sac des biens publics dont seraient coupables les prévenus dans le collimateur du juge anti-enrichissement illicite, c’est-à-dire les pontes du PDS et leurs acolytes. Mais le plus important est ailleurs : que le PDS ait ou non raison de se révolter contre ce qu’il considère comme une injustice institutionnalisée et labélisée, les Sénégalais sont en tout cas tout à fait fondés à réclamer une plus grande conséquence du régime de M. Macky Sall dans la gouvernance du pays. Autrement dit, sont-ils en droit d’attendre la résolution de leurs problèmes les plus urgents et, probablement, d’avoir de solides raisons de penser que les voies choisies les conduiront vers plus d’espérance ?
Il ne sert donc à rien de procéder par de facétieux subterfuges pour décrédibiliser un parti déjà sanctionné démocratiquement et bouté hors du pouvoir. Rien à l’heure actuelle n’est plus expressif que le « champ contre champ » des images que renvoient les deux parties. Jugeons-en nous-mêmes. A Kolda et Tambacounda, le gouvernement organise des Conseils des ministres délocalisés pour annoncer des chiffres astronomiques destinés, dit-on, à financer l’économie. Il dépense des centaines de millions pour déplacer une trentaine de ministres et leurs innombrables conseillers, distribue par paniers des enveloppes bourrées d’argent aux dignitaires traditionnels et religieux locaux. Le Président lui-même et ses ministres reçoivent en audience des bataillons de transhumants venus comme par enchantement brouter dans les prairies marron devenues plus fertiles. C’est ce moment qu’il choisit pour annoncer une taxe de 3 % sur les produits d’importation que, de toute manière, les commerçants importateurs n’auront d’autre choix que de répercuter sur les prix au consommateur. C’est une loi économique simple. Cela s’appelle un impôt indirect sur la consommation. Au même moment, le gouvernement prétend avoir allégé la fiscalité des ménages de 30 milliards FCFA. C’est comme qui dirait manger et souffler dans la farine. Ou donner d’une main et reprendre de l’autre. Si les spécialistes en communication cherchent un exemple de mis-communication présidentielle ou gouvernementale, en voilà un de très beau à étudier. Et les spin doctors du Président, un de très bon à méditer.

La réactivité libérale

Dans le même temps, le PDS se soulève, mobilise les mécontents, dénonce les abus et les inconséquences devant un gouvernement atone et mutique sur les vraies réponses que les Sénégalais attendent à leurs préoccupations. En communication, cela s’appelle soit une grosse asymétrie ou encore une communication consommatoire, c’est-à-dire un gouvernement qui se parle tout seul, qui soliloque en ne disant que ce qu’il a envie d’entendre plutôt que de dire aux populations ce qu’elles ont envie d’entendre. Eh bien, dans ce cas, elles préfèrent écouter les sirènes du PDS et de ses alliés, qui, dans leur approche instrumentale, traduisent au moins ce que les Sénégalais ont envie de dire, en exprimant leurs angoisses existentielles et leur envie de justice. Et pour ne rien arranger, à travers la nomination d’un procureur de la République proche du ministre de la Justice, un certain Cheikh Mbacké Guèye, à la place de Ousmane Diagne à qui rien n’est en apparence reproché, le gouvernement apporte davantage d’eau encore au moulin des doutes légitimes que suscitent les décisions de justice que fait dérouler sa Garde des Sceaux depuis qu’elle est aux affaires.

La marche du PDS rencontre incontestablement le besoin de révolte des Sénégalais qui, par leur réponse massive et forte, viennent de mettre fin à l’état de grâce accordé à Macky Sall Président. Cette manif n’a certes pas, loin s’en faut, une connotation référendaire. Les responsables bleus vont très vite en besogne, en chantant trop victoire. Mais cette forte mobilisation, pour un parti que l’on croyait groggy, donne un signal fort au régime au cas où il serait tenté de se méprendre sur sa réelle représentativité populaire dans le pays. Il semble bien, en tout cas à Dakar qui concentre 25 % des électeurs, que cette expression bruyante du mécontentement populaire soit l’écho des états d’âme des Sénégalais des terroirs et des hameaux, qui subissent journellement les affres d’une crise morale, économique et sociale, semble-t-il sans précédent. Si le régime du président Macky Sall n’en est pas coupable, il en est au moins le responsable, par le simple et non banal fait qu’il a la responsabilité de la gestion du pouvoir.

Quelle réponse le gouvernement entend-il donner à la claque que lui a administrée le PDS ? Ce n’est certainement pas dans la stérile querelle des chiffres sur l’ampleur populaire de la manifestation. Ce serait une bien dérisoire attitude réactive. La seule réplique qui vaille proviendrait de la démonstration de sa capacité à écouter, comprendre et interpréter le message que les Sénégalais lui ont donné mardi. Il serait certainement irréaliste de penser que la réussite de cette marche et sa dimension populaire ne seraient qu’un épiphénomène sans lendemain et sans consistance. Une sorte coup de semonce sans frais et sans conséquence, qui, comme un bruit évanescent, se diluerait dans la mémoire sélective et fugace des Sénégalais.

A l’évidence, le signal donné est bien perçu et le message très reçu : le PDS est prêt à assumer un grand rôle de leadership et de contrepoids à la coalition d’en face. Certes, ce regroupement autour du parti de Me Wade, n’a rien à voir avec la centaine de partis de la Cap 21. Mais il est tout de même surprenant que des formations à l’envergure confidentielle comme AJ PADS version Diop Decroix aient pu s’illustrer de manière aussi ostensible avec une mobilisation et une visibilité inhabituelles. La vigueur du PDS est assurément contagieuse. Et il est fort probable que le Président Wade, de Paris où il ronge ses freins et rumine sa douleur, ne se ratera pas l’occasion pour ranimer, galvaniser ou même reconstruire une forte opposition. Et ce afin de freiner l’ardeur qualifiée de revancharde de son ex- poulain aujourd’hui président de la République. Présumée ou vraie, sa rencontre avec Idrissa Seck, président du Rewmi, dans la capitale française pourrait constituer un premier jalon de cette reconquête dont rêvent debout les hiérarques hyper motivés du PDS. Lesquels ne se sentent plus depuis le succès inespéré de leur marche de mardi dernier.

Surtout que le Président, lui, peut difficilement compter sur la fidélité de ses alliés de Benno Bokk Yaakar. La tonalité assez mitigée du discours de Ousmane Tanor Dieng, autant soucieux de loyauté envers lui que d’indépendance en dit assez sur la fragilité de la coalition Benno Bok Yakar. Le silence pesant derrière lequel se réfugient les autres coalisés de Benno traduit du reste une certaine perplexité devant une justice téléguidée, débordante, empressée et peu regardante sur les procédures. Même le Model de El Hadji Ibrahima Sall, ex-ministre de l’Education nationale, relégué au rang de DG de la SICAP, pourtant membre de la coalition Macky 2012, la première à avoir soutenu le candidat Macky Sall !, le MODEL, donc, ne s’en laisse pas conter. Ses jeunes ont exprimé avec beaucoup de résonance leur mal-être dans une équipe où leur parti occupe une place supplétive. Et ce, malgré le rôle historique que leur chef a joué dans la confection du programme Yoonu Yokuté et le sauvetage de l’année universitaire 2012.

L’expansion forte et le renforcement de l’implantation de l’APR financés à coup de millions inquiètent les alliés présidentiels. Il ne serait pas étonnant qu’en sourdine, certains d’eaux se réjouissent de la fulgurance des bleus. Cela dit, les Oumar Sarr et cie seraient bien inspirés de ramener cet essai à sa juste dimension : celle d’un bon coup de semonce et non la chronique d’une victoire annoncée. Ils connaissent suffisamment Me Wade pour comprendre que ses réactions pour tirer son fils d’affaire ne sont qu’épidermiques et qu’à la moindre occasion, cette attitude hyperthermique pourrait finir en arrangement entre un fils putatif promu président et un père désespéré pour sauver de l’enfer carcéral un fils biologique victime de sa boulimie financière gargantuesque. Wade les a, et pour ainsi dire, nous a tellement habitués à des revirements si spectaculaires que cette incandescence pourrait bien se conclure, si les circonstances l’exigeaient, en une incroyable fraîcheur polaire. Pour le Pape du Sopi, la fin justifiant encore et toujours, les moyens.

L’ancien ministre de l’intérieur, Me Ousmane Ngom, et ses amis auraient donc tout intérêt à se passer de bravades pour ne pas être trop grisés par cette victoire. Leur Parti, le PDS, et ses leaders, dont Karim Wade, ont perdu leur valeur symbole et seront toujours perçus comme les vrais coupables de l’enlisement économique et social du Sénégal. S’il leur arrive d’être à ce point amnésiques, les Sénégalais, eux, ne le seront pas. A moins qu’à force de multiplier les erreurs, de persister dans les maladresses et les mauvaises orientations politiques et économiques, le pouvoir ne prépare le lit à un incroyable retour du PDS au pouvoir. Des exemples en Afrique (Congo Brazzaville et Bénin) montrent que le come-back d’anciens dictateurs restait du domaine du possible toutes les fois que les opposants d’hier, gouvernants du présent feraient moins que ce qui était attendu d’eux.

C’est une hypothèse cauchemardesque que l’on ne peut imaginer, encore moins envisager, au Sénégal. Il n’y a que les dirigeants libéraux pour y croire. Mais si le gouvernement ne se recadre pas vite, cette insouciance contagieuse pourrait s’amplifier, hélas !

ALY SAMBA NDIAYE
« Le Témoin » N° 1121 –Hebdomadaire Sénégalais ( AVRIL 2013)

Wed, 01 May 2013 11:37:00 +0200

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