Tourisme sexuel, version femme

Dans Paradis : amour de l’Autrichien Ulrich Seidl, les hommes sont jeunes, fins, noirs et pauvres, et se vendent à des Autrichiennes vieilles, grasses, blondes et riches au regard des standards locaux. C’est-à-dire ceux du Kenya où se déroule, de la plage aux hôtels miteux des villages du coin, cette fresque sexuelle contemporaine qui devrait beaucoup plaire à Michel Houellebecq.

Ce dernier s’était plongé, avec Plateforme, dans le tourisme sexuel masculin. Paradis est son pendant autant que son contraire : sa version féminine, et sans jouissance. L’héroïne est une mère de famille quinquagénaire qui vit dans une banlieue avec son ado de fille pachydermique. Sur le plan professionnel, elle s’occupe de trisomiques, qu’elle emmène faire de l’auto tamponneuse. Ce qui donne une scène d’ouverture assez tamponnante…

On quitte bientôt cet univers. Car pour son anniversaire, Teresa décide de s’offrir des vacances dans un pays chaud. Comme des millions de touristes occidentaux, ce sera le Kenya, ses plages et ses palmiers. Ses beaux garçons aussi. Toi qu’en Europe plus personne ne regarde, lui dit sa meilleure amie une fois sur place, pourquoi tu ne deviendrais pas, comme moi, une "sugar mama", surnom que donnent les jeunes Kenyans à ces femmes d’âge mûr dont le porte-monnaie peut rendre la vie plus douce ? Mais voilà, Teresa veut des sentiments. Disons-le tout de suite : elle n’en trouvera pas. Et sa frustration sera terrible.

Choquant

Le film est choquant : a-t-on jamais montré à ce point les chairs qui s’affaissent, la nudité crue, l’impossibilité d’une communication où tout est faussé par l’argent ? L’impossibilité même du contact, malgré le sexe ? Une scène, notamment, ébranle : vers la fin, quand un jeune Kenyan au pénis entouré d’un noeud rose d’anniversaire danse pour quatre éléphantes de chair que le désir à vif transforme en gorgones baveuses. Et l’homme loué qui ne bande pas…

Mais le film est puissant. Il est puissant, parce qu’il traite à fond le sujet du corps et de sa marchandisation. Sans l’affadir par une belle histoire où Teresa sauverait de la détresse son "beachboy" qui finirait par l’aimer d’un amour pur.

Racisme

Il est puissant, parce qu’il est coupant, parce qu’il déchiquette les dernières illusions que certains pourraient encore avoir sur le tourisme sexuel, où se niche, via les clichés sur les différences physiologiques, le plus terrifiant des racismes. Et il est, aussi, parfois, très beau, atrocement beau, comme des photos de Martin Parr qui bougent. Avec la même méchanceté et la même délectation devant l’atroce contemporain, que Martin Parr.

On se souviendra longtemps de ce plan où quinze jeunes Noirs attendent, alignés sous le cagnard, devant les transats où siestent les corps blancs, séparés d’eux par une simple corde blanche. Et de cette scène où Teresa, avec son portable, shoote en douce le sexe endormi de Munga… Pour le tweeter ?

Jamais on n’avait montré à ce point – sauf peut-être chez Houellebecq – l’écart entre le Nord et Sud. Et la barbarie de ce drôle de monde marchandisé dans lequel nous évoluons désormais, et qui n’a pas l’air de tellement apporter le bonheur. Et certainement pas le "paradis".

Christophe Ono-Dit-Biot in Le Point.fr

Sat, 12 Jan 2013 17:05:00 +0100

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