France – Afrique : Hollande et nous, ce que l’Afrique attend du nouveau président

Du continent africain, le nouveau président ne connait guère que le Maghreb, particulièrement l’Algérie et … la Somalie, visitée en 1978 dans le cadre d’un stage de futur énarque. C’est dire s’il aborde sa politique africaine – tout le monde en a une – avec une fraîcheur bienvenue et une large liberté de choix : rien ne lui lie les mains, ni l’héritage, ni ces fils à la patte que sont les mallettes de la République, encore moins les amitiés encombrantes. Il est le premier des chefs d’État de la Vè République à accéder au pouvoir avec une telle virginité. Pour lui, l’Afrique est largement terra incognita.
Sans doute est-ce à Alger qu’il effectuera sa première visite bilatérale hors d’Europe, tant la décrispation des relations entre les deux pays semble lui tenir à cœur en cette année du cinquantième anniversaire de l’indépendance algérienne. Puis, très vite, viendra le temps de poser cet « acte fondamental » que François Hollande annonçait dans Jeune Afrique en août 2011, « pour que nous puissions avoir des principes établis entre le nouveau président de la République française et les chefs d’États africains ». « J’en terminerai avec ces rapports de domination, d’influence et d’affairisme », avait-il ajouté. La mort de la Françafrique est donc au programme. Pour le reste, la crise au Sahel, une réorientation de la politique de développement, une reconsidération des questions migratoires et la normalisation des relations avec le Rwanda font partie des principaux dossiers sur lesquels Hollande, et son équipe, sera jugé.
Mamadou Diouf, professeur d’histoire sénégalais à l’Université Columbia de New York. "Si rupture il doit y avoir entre les politiques africaines de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, elle sera d’abord une affaire de style".
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Hollande et l’Afrique : "Reformuler les relations symboliques"

Par Omar Saghi

Omar Saghi est professeur à Sciences-Po Paris, écrivain et scénariste marocain.
« L’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. » Le discours de Dakar, prononcé par le président sortant en 2007, fut exemplaire d’une impasse : une France incertaine se rassurait à peu de frais. Il s’agit pourtant d’un chantier prioritaire : reformuler les relations symboliques qu’elle entretient avec l’Afrique francophone, maghrébine comme subsaharienne. Tiraillé entre l’intégration européenne, l’héritage colonial et l’émergence de nouveaux acteurs – l’Inde, la Turquie ou la Chine –, Paris doit repenser la configuration générale qui la relie à des pays proches mais qui ne sont plus les marchés captifs – économiques, culturels, diplomatiques – qu’ils étaient.

Les questions qu’on donne comme urgentes concernant le Maghreb et plus généralement l’Afrique (flux migratoires, sécurité, délocalisations, coopération économique et développement…) ne peuvent être abordées ni se résoudre sans cette reformulation. Celle-ci suppose que Paris tourne la page malencontreuse ouverte à propos de l’identité nationale, tant on vit combien elle était l’occasion d’une conjuration de phobies postcoloniales. Elle nécessiterait, ensuite, un difficile arbitrage diplomatique entre le maintien de relations privilégiées – celles que la francophonie, l’histoire et les diasporas supposent – et l’acceptation pleine et entière d’une Afrique enfin multipolaire.

La démocratisation de la rive sud de la Méditerranée incite déjà à cette révision. En invitant à dissocier l’universalisme de la démocratie des singularités culturelles propres à chacun, en encourageant au dialogue entre sociétés plutôt que les stricts partenariats interétatiques à finalité sécuritaire, François Hollande aura l’occasion de faire d’une France redevenue puissance économique moyenne un laboratoire exemplaire où se penseront les sociétés postraciales et postidentitaires du siècle qui commence.

Élection de François Hollande : "Un espoir pour les peuples africains ?"

Par Marc Ona Essangui

Marc Ona Essangui est président de Brainforest, coordonnateur de la coalition Publish What You Pay au Gabon.
Pour la plupart des palais présidentiels africains, François Hollande est un mystère, voire un inconnu. Il faut toutefois noter la mobilisation de plusieurs milliers de Gabonais, d’Ivoiriens, de Camerounais et de bien d’autres citoyens africains, dans leurs pays respectifs, autour de la victoire du candidat socialiste. Cette impressionnante mobilisation était également visible sur la place de la Bastille, à Paris, à travers la présence massive de nombreuses communautés africaines au soir de la victoire du candidat socialiste. Si ces dernières ont tenu à célébrer cet événement, c’est qu’elles espèrent en tirer profit.
La justice, qui est au cœur de l’offre politique du nouveau chef d’État français, est un signal très prometteur. Les rapports inégalitaires entre plusieurs États africains et la France, notamment dans la gestion et la jouissance de leurs richesses ainsi que dans le choix de leur orientation politique, semblent figurer en bonne place dans les réformes annoncées par François Hollande. La prise en otage de certains pays africains par des multinationales françaises sans contrepartie objective pose également un sérieux problème de justice qui ne disparaîtra certainement pas dans sa totalité, mais qui sera fortement atténué. À cela s’ajoute le dossier des biens mal acquis, actuellement entre les mains de la justice française. L’espoir ici est que les biens spoliés aux peuples leur soient restitués pour l’amélioration de leurs conditions de vie. Autant de retombées liées à l’option politique fondée sur la justice qui alimente, à juste titre, l’espoir des peuples africains.
Toutefois, il ne s’agit pas de s’enfermer dans un optimisme stérile et passif. La victoire de François Hollande sera un printemps pour les peuples africains à condition que ces derniers décident de prendre leur destin en main en devenant acteurs du changement promis par le nouvel hôte de l’Élysée. C’est à cette seule condition que la victoire du 6 mai sera une bonne nouvelle pour les démocrates et une mauvaise nouvelle pour les dictateurs. Si plusieurs chefs d’État se bousculent aujourd’hui pour se frayer un passage auprès du nouvel élu, c’est parce que certains espèrent que les déclarations de François Hollande restent lettres mortes par le biais de la ruse et d’autres pratiques biens connues de la Françafrique.

Hollande et l’Afrique : "Des relations lisibles et normales"

Par Jean-Louis Billon

Jean-Louis Billon est président du groupe Sifca et de la Chambre de commerce et d’industrie de Côte d’Ivoire
Cette élection présidentielle me donne l’occasion de rappeler que l’Afrique est le plus grand espace de la francophonie. Malheureusement, la francophonie économique reste faible, alors qu’elle pourrait constituer un atout majeur pour l’ensemble des pays membres et des peuples qui aspirent au développement, à la démocratie, à la liberté et à la justice. Pour cela, les liens distants d’une France recroquevillée sur elle-même et orientée vers des pays plus attractifs doivent laisser la place à des relations lisibles et « normales » avec le continent.
Quant à l’Europe, elle doit comprendre qu’elle a tout intérêt à avoir une Afrique développée et industrialisée. Elle a également tout intérêt à œuvrer pour que la pauvreté fasse place au développement, que la corruption disparaisse au profit de la bonne gouvernance, que la dictature cède le pas à la liberté et à la démocratie, que la force s’efface devant la justice et l’équité ! C’est alors que nous sortirons de la dépendance !
Si la politique ne change pas et si les partenariats économiques ne jouent pas pleinement leur rôle de leviers au développement, aucun accord de Schengen, aucune police ni aucune frontière ne pourront retenir les flux migratoires, qui ne sont que des réflexes de survie de ceux qui n’ont obtenu de leurs États aucune réponse à leurs préoccupations.
Entre le discours et les actes, on a souvent constaté de grandes divergences. Nous espérons que cela ne sera pas le cas avec la nouvelle administration de François Hollande.

Élection de François Hollande : "Une nouvelle aventure"

Par Albert Tevoedjre

Albert Tevoedjre, médiateur de la République du Bénin
Voici donc que la France administre au monde entier une leçon exceptionnelle ! Non point parce qu’une démocratie enfante dans la douleur et au forceps une alternance difficile, mais parce qu’un monde nouveau devient vraiment possible. Nicolas Sarkozy a été un président de grande capacité et très apprécié de beaucoup. Il a affiché des réussites certaines. Nul n’en disconvient. Mais les frustrations ont été nombreuses car il semble avoir manqué, dans son parcours hors du commun, la maîtrise d’une culture sociale puisée aux meilleures sources de l’histoire universelle et dans une solidarité vécue avec les « Damnés de la terre ».
La mésaventure du 1er mai est significative à cet égard, lorsque l’on sait que le symbole de cette date est le couronnement de luttes sociales séculaires. Sans aller trop loin, il suffit de rappeler La Bruyère et sa tirade sur la situation des paysans de son temps : « L’on voit des animaux farouches, des mâles et des femelles répandus par la campagne, attachés à la terre, qu’ils remuent avec une opiniâtreté invincible. Ils ont comme une voix articulée et quand ils se lèvent sur leurs pieds ils montrent une face humaine… ils épargnent aux autres hommes la peine de semer, de labourer et de recueillir pour vivre ».
Il suffit de rappeler les esclaves de tous genres et de toutes époques, les ouvriers, les cheminots et les mineurs, les femmes écrasées de partout. Il a fallu des luttes épiques pour en finir à peu près avec ces désastres et ces tragédies. Il a fallu arracher à des groupes de nantis qui n’ont pas fini de mépriser et de nuire ces victoires que symbolise désormais le 1er mai. Ne pas comprendre cela et se mettre en face de cette longue et douloureuse histoire, pour la dénigrer, voilà qui explique et aggrave la rancœur qu’il a fallu payer et qui me fait redire, après Aimé Césaire : « jamais je n’avais eu conscience d’un tel retard historique affligeant un grand peuple ! » .
De même le discours de Dakar n’a jamais été pardonné par les Africains quels qu’ils soient ; ni par ceux qui ont cherché à vivre avec eux leur douloureuse tragédie. Quelle histoire peut-on définir, évoquer et respecter, si l’on se permet délibérément d’ignorer « ceux sans qui le monde ne serait pas le monde » ? Ces immigrés d’hier et d’aujourd’hui, ceux du Maghreb et de l’Afrique sub saharienne, ceux que l’on stigmatise en les désignant nommément et publiquement, ces Africains, refusent une arrogance sans mémoire et sans intelligence et rappellent qu’ils descendent des spahis marocains, des harkis algériens et des tirailleurs sénégalais, eux les vraiment « petits » et les vraiment « sans grade » tombant sous les balles pour que vive la France éternelle. La mort ne distinguait pas entre eux, musulmans, juifs ou chrétiens, blancs, noirs ou jaunes. Eux comme leurs descendants estiment légitimement avoir droit à la France, au moins autant que les Croates et Hongrois d’aujourd’hui, confortablement protégés par la blancheur communautaire. Voilà l’origine profonde de la défaite du 6 mai, une défaite qui a réjoui une grande partie de l’humanité, frappée par un injuste mépris. Désormais, nous rejetons le racisme et la xénophobie comme boussole de gestion de l’humanité.
Nous voulons livrer le combat avec François Hollande contre la mauvaise finance, la culture déficiente et approximative qui dégrade et humilie.
Militant de la Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France (FEANF), j’osais expliquer à mes amis métropolitains que nous n’avions qu’un seul différend, celui du regard jeté sur nous dans les manuels scolaires, le regard du mépris, qu’on ne pouvait réparer en nous comblant de cadeaux, de bijoux et autres sucettes. Le mépris était toujours là puisque nous étions vus comme des cas spéciaux ; puisque nous apprenions dans nos livres de philosophie de l’époque (Armand Cuvillier) que la psychologie enseignée par Jules Ribot avait pour objet unique « l’homme blanc, adulte, civilisé et sain d’esprit ». Au revoir les femmes ! Au revoir les nègres ! Notre vérité catégorique est que l’Afrique avait simplement faim de dignité, de justice et qu’elle était ouverte à la solidarité. La dernière campagne présidentielle française a remis à l’ordre du jour cette exigence à laquelle tous les peuples sont aujourd’hui soumis. Les peuples ne sont pas des « cochons à l’engrais ». Ils veulent d’abord la dignité. Les peuples refusent la minorisation de leurs droits par des privilégiés. Ils veulent la justice. Les peuples recherchent toujours l’horizon de la richesse par la diversité. Ils sont ouverts à la solidarité.
Voilà ce qu’a compris François Hollande et c’est cela que le peuple de France a voulu consacrer en se retrouvant une nouvelle fois en siècle de lumière. Cela dit, nous ne sommes pas naïfs. Aimé Césaire, encore lui, nous a avertis dans sa mémorable lettre à Maurice Thorez qui met en garde contre « l’habitude de disposer pour nous dans tous les partis et dans tous les domaines de l’extrême droite à l’extrême gauche ».
En effet nous avons connu l’abominable tandem Guy Mollet – Robert Lacoste et la guerre d’Algérie. Nous avons connu l’épisode malheureux de Jean-Christophe Mitterrand, le triste destin de Christian Nucci et le cinglant désaveu infligé à Jean Pierre Cot. Nous ne nous faisons donc pas d’illusion. Mais nous refusons de désespérer. Nous voulons livrer le combat avec François Hollande contre la mauvaise finance, la culture déficiente et approximative qui dégrade et humilie. Nous voulons poursuivre le combat pour l’homme réhabilité dans son travail, dans son courage et dans sa dignité.
Sortant de nos chimères et de nos imprécations, ce que nous voulons aujourd’hui, c’est la solidarité pour secouer notre volonté et notre créativité. Nous reconnaissons que notre Afrique est malade ; que le Mali, par notre faute, est peut-être durablement fragmenté. Nous reconnaissons que si nos grèves incessantes deviennent notre seul mode de revendication, nous sacrifions l’unique source de notre développement. Nous reconnaissons que cette velléité partout présente de trafiquer les constitutions, non point pour améliorer notre approche à la démocratie, mais pour nous éterniser au pouvoir, est aussi la source de nos malheurs. Nous reconnaissons que ceux qui nous viennent en aide, Américains, Chinois, Japonais, Français, Allemands .. , privilégient chez eux l’invention, le travail, la conquête de l’espace et des marchés. La coopération nouvelle, celle qui enrichira la France et ressuscitera l’Afrique, doit être pensée à partir de ces douloureux constats et de ces idéaux de dignité et de justice, de démarches d’autocritique et de révolution culturelle exigées de part et d’autre. Les Africains ici ont le premier rôle, celui d’une gouvernance « des pauvres au pouvoir », non point pour profiter, mais pour créer et répartir plus justement des richesses communément conquises.
Pour nous, nous comprenons que l’austérité ne soit point une fatalité. Mais nous pouvons la choisir pour nous assurer la conquête du Minimum Social Commun. La nouvelle coopération doit se fonder sur le nouveau penser et le nouvel agir pour le développement d’un peuple instruit de son histoire, impliqué dans sa géographie, fort de ses ressources naturelles et humaines, inquiet de ses faiblesses, assuré de ses atouts que sont sa vigoureuse espérance et sa culture de dialogue et de créativité. C’est d’une autre aventure qu’il s’agit. La France nouvelle peut nous y accompagner par des écoles communes, des inventions communes et la recherche commune de débouchés. Le Brésil, la Chine, l’Inde, les Etats Unis d’Amérique, la Russie, la France et l’Europe sont pour nous des partenaires du progrès humain, pourvu que nous sachions marier les apports de chacun pour répondre aux besoins essentiels de nos peuples. La voie ouverte en ce 06 mai 2012 ne doit pas être une parenthèse. Prenons ensemble la Bastille de l’indignité vaincue.

jeuneafrique.com

Fri, 18 May 2012 14:07:00 +0200

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